Lorsque nous apprenons un ensemble hétérogène de contenus, comment procédons-nous pour utiliser nos ressources et favoriser l’apprentissage ?
L’impact de la métacognition sur l’apprentissage
Les processus métacognitifs dans lesquels nous nous engageons nous permettent de façonner et de moduler notre propre acquisition de connaissances. Ils influent sur la dynamique avec laquelle nous apprenons.
Il est intéressant de comprendre comment ces processus métacognitifs interviennent pour modifier notre comportement d’étude et exercer un contrôle sur nos apprentissages présents et à venir.
Dans ce cadre, Metcalfe et Kornell (2005) ont proposé un modèle de région d’apprentissage proximal que nous allons explorer dans cet article.
Ce modèle se fonde sur l’idée que les gens ont une région "proximale" dans laquelle l’apprentissage peut être optimisé.
Il s’agit d’un concept commun à de nombreuses théories de l’apprentissage humain. La valeur ajoutée du modèle de la région d’apprentissage proximal est d’explorer les heuristiques que les gens utilisent en se guidant par la métacognition.
Le modèle de la réduction de la divergence dans le pilotage de l’apprentissage autonome
Un premier modèle du pilotage de l’apprentissage autonome est le modèle de la réduction de la divergence.
Selon le modèle de la réduction de la divergence :
- Les apprenants vont concentrer leurs efforts lors de l’étude sur les contenus qui sont, ou sont considérés comme étant les plus difficiles.
- Les apprenants vont continuer à étudier jusqu’à ce qu’ils atteignent ou dépassent un critère interne d’apprentissage, une norme d’étude qu’ils se fixent préalablement.
Pour une personne, atteindre son critère interne d’apprentissage prendra d’autant plus de temps que les éléments à apprendre sont difficiles.
Le rythme d’étude est basé sur une boucle de rétroaction négative. À l’intérieur de celle-ci, l’étude d’un élément de connaissance est arrêtée lorsque l’erreur entre l’état d’apprentissage perçu et le degré d’apprentissage souhaité est nulle.
Le modèle de la réduction de la divergence a quatre implications :
- Il prédit une corrélation négative entre l’allocation de temps d’étude et les jugements sur l’apprentissage :
- Au moins on connait, au plus longtemps on va apprendre, et inversement.
- Lorsque le jugement sur l’apprentissage est d’un niveau faible, ce qui correspond à la sensation de ne connaitre que peu, la personne donne la priorité aux éléments les moins connus. Elle s’engage également dans un temps d’étude prolongé.
- Une corrélation négative indique une allocation appropriée du temps d’étude pilotée par la métacognition :
- Au plus la corrélation négative est importante, selon ce modèle, au meilleur est le contrôle guidé par la métacognition.
- À l’inverse, quelqu’un qui étudie peu alors qu’il ne connait que peu ou quelqu’un qui étudie longtemps alors qu’il connait déjà montre une corrélation positive et un mauvais contrôle guidé par la métacognition.
- L’allocation du temps d’étude est supposée être contrôlée de manière appropriée par les jugements sur l’apprentissage :
- Si les jugements sur l’apprentissage sont erronés, l’étude se déroule de manière inappropriée, ce qui entraîner un mauvais apprentissage.
- Si les jugements sur l’apprentissage sont corrects, l’étude se déroule de manière appropriée, ce qui permet un bon apprentissage.
- Le modèle comporte un paradoxe qui en constitue une faiblesse :
- La règle utilisée pour arrêter d’étudier peut être l’atteinte d’un critère interne d’apprentissage.
- Si un élément se révèle impossible à apprendre, les individus pourraient en principe, étudier pendant un temps illimité en vain.
Le modèle de la région d’apprentissage proximal dans le pilotage de l’apprentissage autonome
Le modèle de la région d’apprentissage proximal est une alternative au modèle de la réduction de la divergence.
Le modèle de région d’apprentissage proximal de Metcalfe et Kornell (2005) repose sur
deux composantes séparables dans l’allocation du temps d’étude chez l’apprenant :
- L’apprenant pose des choix
- L’apprenant manifeste de la persévérance.
Ces deux composantes sont guidées par des processus métacognitifs différents.
Au stade du choix, les gens décident :
- Des éléments qu’ils vont étudier
- De l’ordre dans lequel ils vont procéder.
Dans la phase de persévérance, la question posée concerne la durée de temps à consacrer à un élément particulier, avant de passer à un autre contenu.
La question de la persévérance dans ce cadre n’est pas de savoir si l’objectif a été atteint ou non. Il s’agit pour l’apprenant savoir, au moment présent, si l’étude donne des résultats suffisamment bénéfiques.
L’enjeu est d’éliminer le paradoxe du travail dans le vide présent dans le modèle de la réduction de la divergence.
Le rôle du choix dans le modèle de la région d’apprentissage proximal
L’étape du choix peut être divisée en deux sous-étapes :
- Déterminer quels éléments sont susceptibles d’être étudiés et quels éléments il n’est plus nécessaire d’étudier, car ils sont déjà appris.
- Déterminer l’ordre des éléments à étudier. Les apprenants choisissent d’étudier d’abord les éléments les plus faciles non encore appris. Ils ne passeront aux éléments plus difficiles que plus tard. Les apprenants auront toujours tendance à prioriser, du facile au difficile, s’ils le peuvent.
La non ré-étude des éléments pensés connus
Différentes études citées par Metcalfe et Kornell (2005) de même que certaines expériences qu’ils ont menées montrent à tout âge une tendance nette des apprenants à refuser d’étudier les éléments qu’ils pensent déjà connaitre.
C’est d’autant plus le cas lorsqu’il s’agit d’éléments de connaissance stockés en mémoire sémantique, pour lesquels les apprenants tendent à avoir une très bonne précision métacognitive.
Les apprenants choisissent d’étudier les éléments qu’ils savent ne pas connaitre et refusent d’étudier ceux qu’ils pensent connaitre.
L’ordre de ré-étude des éléments non appris
Ce choix se pose après l’élimination des éléments déjà connus. Par défaut, les apprenants préfèrent réétudier les éléments non appris.
Dans une expérience, cependant, Thiede et Dunlosky (1999) ont demandé à des personnes d’apprendre autant que possible. Ils ont fait varier le temps d’étude disponible. Ils ont constaté que lorsque le temps d’étude est cours, les personnes avaient davantage tendance à choisir les éléments les plus faciles pour démarrer. Avec un temps d’étude total court, les gens peuvent n’avoir le temps d’étudier que certains éléments, plutôt que tous.
Son et Metcalfe (2000) ont également montré que dans plusieurs situations, en particulier celles où le temps est limité, les gens choisissent d’étudier des contenus jugés plus faciles plus tôt que ceux jugés plus difficiles.
Dans leurs expériences, Metcalfe et Kornell (2005) montrent que parmi les éléments que les gens croient ne pas avoir encore appris et devoir apprendre, l’ordre de préférence va des éléments les plus faciles vers les plus difficiles.
C’est ce que prédit le modèle de la région d’apprentissage proximal. En ce sens, il s’oppose au modèle de réduction des divergences qui tend à privilégier le difficile au facile.
Selon le modèle de la région d’apprentissage proximal, les gens auraient tendance à choisir les éléments les plus faciles en premier. Ils ne se tournent vers les éléments plus difficiles plus tard, lorsque tous les éléments plus faciles ont été appris.
Le rôle de la persévérance dans le modèle de la région d’apprentissage proximal
Les apprenants fondent la décision d’arrêter d’étudier un élément selon leur perception de la vitesse à laquelle l’apprentissage se déroule.
Lorsqu’ils ont l’impression d’apprendre à un rythme rapide, ils continuent. Lorsqu’ils perçoivent qu’ils n’absorbent plus d’informations — que l’apprentissage ne va nulle part —, ils cessent d’étudier un élément donné et passent à un autre.
Ce processus métacognitif correspond à un jugement sur le taux d’apprentissage. Il se réfère à la surveillance d’un processus actif, la vitesse d’assimilation de l’information, plutôt qu’à un état statique de la connaissance.
Le jugement sur le taux d’apprentissage est la dérivée en fonction du temps du jugement sur l’apprentissage. Les apprenants continuent d’étudier lorsqu’ils ont un jugement sur le taux d’apprentissage élevé. Ils arrêtent lorsque leur jugement sur le taux d’apprentissage tend vers zéro, ou vers une autre valeur de critère faible.
Cette hypothèse est à mettre en parallèle avec des idées similaires issues d’autres domaines d’étude qui partagent un problème analogue. Cela correspond par exemple au fait de déterminer quand un animal doit arrêter de faire ce qu’il fait et se tourner vers autre chose.
Par exemple, il s’agira de modèles de recherche de nourriture. La règle d’arrêt consiste à cesser de se nourrir à un endroit particulier lorsque le taux de prise de nourriture à cet endroit diminue.
Le fait que le taux d’apprentissage perçu détermine si les gens continuent ou non à étudier est cohérent avec l’idée qu’ils agissent comme des chercheurs d’informations. De même, l’idée de rendements décroissants est courante dans les modèles économiques, et constitue une raison de changer d’orientation (ou de revendre).
Le taux d’apprentissage tend vers zéro lorsque tout l’apprentissage est réalisé. Il n’y a plus d’intérêt à continuer. Dans ce cas, le jugement sur l’apprentissage lorsque l’apprenant arrête d’étudier devrait être élevé, probablement à 100 %, mais de manière fallacieuse. Il s’agit avant tout d’une performance immédiate avant d’être un apprentissage. L’oubli va rapidement entrer en action.
Le taux d’apprentissage tend vers zéro lorsqu’il y a un effet de saturation. Il reste encore à apprendre, mais plus rien ne rentre. L’apprentissage à l’instant t peut atteindre une asymptote telle que la poursuite de l’étude immédiate n’a aucun effet. Alors le modèle suggère que la poursuite de la pratique immédiate (c’est-à-dire la pratique massée) n’a aucune valeur et que la personne doit et va cesser d’étudier.
Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que la personne ne devrait pas revenir à l’élément à un moment ultérieur, lorsque, dans de nouvelles conditions, le taux peut devenir non nul. Une pratique espacée plutôt que massive est dès lors indiquée.
Le taux d’apprentissage tend vers zéro pour des contenus très difficiles sur lesquelles l’apprenant ne fait aucun progrès. Le travail se fait en vain. L’apprenant a intérêt à arrêter ou à demander de l’aide.
Le jugement sur le taux d’apprentissage est davantage lié aux sentiments d’intérêt et d’engagement lorsque le taux est élevé. Il est lié à l’ennui ou à la stagnation lorsque le taux est faible. Il est moins lié à des expériences d’évaluations.
Ce concept rend compte de la frustration que les gens ressentent lorsqu’ils semblent n’aboutir à rien, et de leur découragement à poursuivre leurs études dans ces conditions.
D’autres facteurs tels que le renforcement effectivement ressenti, le temps disponible, la difficulté des contenus, ainsi que les attentes altèrent la valeur du paramètre d’arrêt.
Le jugement sur le taux d’apprentissage faible est intrinsèquement aversif. Le jugement sur le taux d’apprentissage élevé est en soi agréable et motivant.
Le temps consacré à l’étude dans le modèle de la région d’apprentissage proximal
De nombreuses études montrent que les gens étudient plus longtemps les éléments qui sont plus difficiles, ou ceux qu’ils jugent plus difficiles. Il existe une corrélation négative entre la difficulté ou la difficulté perçue et le temps d’étude.
Le modèle de la région d’apprentissage proximal prédit également que le temps d’étude devrait augmenter avec la difficulté, mais pour des raisons différentes de celles du modèle de réduction des divergences. Le temps consacré à l’étude d’un élément devrait dépendre du moment où les jugements sur le taux d’apprentissage approchent de zéro. C’est le moment où les fonctions d’absorption d’information perçue se stabilisent.
Les éléments faciles bénéficient d’une assimilation rapide de l’information au début, mais ils sont très vite appris, et leurs jugements sur le taux d’apprentissage passent alors à zéro. Lorsque les jugements sur le taux d’apprentissage sont nuls, les gens cessent d’étudier. Par conséquent, le temps d’étude sera court pour les items faciles.
Les fonctions d’assimilation pour les éléments de difficulté moyenne augmentent lentement et régulièrement pendant une longue période, les jugements sur le taux d’apprentissage restant modérées pendant longtemps. Le temps d’étude sera donc long.
Les fonctions d’assimilation pour les éléments très difficiles sont peu élevées. Le fait qu’une personne continue à étudier avec des fonctions d’assimilation aussi peu élevées dépendra de son critère d’arrêt pour les jugements sur le taux d’apprentissage. Certaines personnes peuvent persister assez longtemps si leur critère d’arrêt est que le jugement sur le taux d’apprentissage soit très proche de zéro.
D’autres peuvent abandonner assez rapidement, si la valeur de leur taux d’apprentissage pour l’arrêt n’est pas aussi basse que l’augmentation minuscule montrée par les éléments difficiles.
Des facteurs tels que la pression du temps et la difficulté des autres items peuvent également avoir un impact particulier sur le fait que la personne persiste ou non à étudier les items très difficiles.
Le modèle de la région d’apprentissage proximal ne prévoit pas que les fonctions de temps d’étude reflètent le temps réellement nécessaire pour maîtriser les items de chaque classe de difficulté. Elles ne reflètent pas le temps nécessaire à un apprentissage complet, qui pourrait être très long dans le cas d’éléments difficiles.
Liens entre persévérance et métacognition dans le cadre de l’apprentissage autonome
Le modèle de la réduction de la divergence implique que pour répartir leur temps d’étude de manière appropriée, les apprenants utilisent leur métacognition. Ils investissent d’autant plus de temps d’étude que le jugement sur l’apprentissage d’un élément est faible. Dès lors, les valeurs parfois assez faibles observées de l’apprentissage sont considérées comme une indication d’une métacognition médiocre ou d’un mauvais contrôle.
Le modèle de la région d’apprentissage proximal suggère que la répartition du temps d’étude n’est pas un indice de la qualité du contrôle guidé par la métacognition.
L’apprentissage faible serait dû à un jugement sur l’apprentissage faible. Celui-ci serait associé à un jugement sur taux d’apprentissage faible et à une valeur limite plus élevée de l’arrêt de l’étude en fonction du taux d’apprentissage. À un moment donné, l’apprenant abandonne parce qu’il ne progresse plus ou parce qu’il ne progresse pas suffisamment par rapport à ses attentes, et cela malgré le fait que le jugement sur l’apprentissage reste faible.
Le modèle de la région d’apprentissage proximal postule que les gens tentent d’abord d’éliminer les éléments de l’étude qui sont déjà connus. Parmi les éléments inconnus, les gens établissent un ordre de priorité, du plus facile au plus difficile. Une fois qu’ils ont étudié un élément, ils doivent décider quand arrêter et passer à autre chose. Le modèle propose que la personne continue à consacrer du temps à l’étude d’un sujet tant qu’elle a l’impression d’apprendre. Elle s’arrête lorsqu’elle a le sentiment que l’apprentissage ne porte plus ses fruits.
Le modèle implique que les apprenants se comportent d’une manière conforme et exercent un bon contrôle métacognitif. Cependant, la question laissée en suspens est celle de l’efficacité :
- Est-ce que les apprenants disposent des connaissances préalables ?
- Est-ce que les apprenants mobilisent les bonnes stratégies cognitives ?
- Est-ce que les apprenants ont une bonne auto-efficacité ou perception de compétence ?
- Est-ce que la manière d’apprendre respecte les caractéristiques de l’architecture cognitive des apprenants ?
Mis à jour le 06/01/2024
Bibliographie
Metcalfe, J., & Kornell, N. (2005). A region of proximal learning model of study time allocation. Journal of Memory and Language, 52(4), 463-477. https://doi.org/10.1016/j.jml.2004.12.001
Thiede, K. W., & Dunlosky, J. (1999). Toward a general model of self-regulated study: An analysis of selection of items for study and self-paced study time. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 25, 1024–1037.
Son, L. K., & Metcalfe, J. (2000). Metacognitive and control strategies in study-time allocation. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 26, 204–221.
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