mardi 20 juin 2023

Perspective générale sur le développement de bonnes habitudes scolaires

Les habitudes sont essentielles pour favoriser la réalisation d’objectifs à long terme en matière de comportement ou d’apprentissage, avec un impact certain sur leur bien-être. À l’inverse, elles peuvent aussi les entraver.

(Photographie : Joanne Ratajczak)



L’importance des habitudes face à la motivation et à la métacognition


Considération générale sur l’impact des habitudes


Les habitudes représentent une grande partie de la façon dont nous passons nos journées, mais il est facile de les négliger et de ne pas y faire attention. Au-delà de leur banalité, les habitudes nous rapprochent ou nous éloignent des résultats auxquels nous tenons le plus dans la vie, notamment l’apprentissage, la productivité, la santé et le bien-être. 

Compte tenu de ces enjeux, il est logique de s’interroger sur la façon dont les élèves passent leurs journées. De même, nous pouvons réfléchir à la manière de les aider à mieux aligner leur comportement sur ce qu’ils souhaitent le plus dans la vie et notamment sur leurs objectifs scolaires. 

De nombreux élèves ont l’intention d’étudier, de dormir, de faire de l’exercice, de passer moins de temps sur leur téléphone, de ne pas procrastiner et d’être attentifs en classe, mais tous n’y parviennent pas. 

À l’opposé, des habitudes bénéfiques vont contribuer à de meilleurs résultats à long terme, d’où l’intérêt de se pencher sur leur acquisition.



Rôle limité de la motivation et de la métacognition face aux habitudes pour l’apprentissage


La recherche et les pratiques éducatives ont tendance à négliger le rôle des habitudes dans l’autorégulation des élèves, se concentrant plutôt sur le rôle de la motivation et de la métacognition dans la conduite active du comportement. 

La motivation et les stratégies métacognitives jouent probablement un rôle important dans la formation et le maintien des habitudes, car les circonstances de la vie changent inévitablement. 

La théorie des habitudes suggère que la motivation et les stratégies métacognitives (par exemple, la planification, la fixation d’objectifs, le suivi) sont importantes pour initier un changement de comportement. Cependant, une fois les habitudes formées, ces comportements sont déterminés par des indices contextuels récurrents plutôt que par des intentions conscientes.

D’après les différents résultats issus de la recherche, il apparaît que la prise de décision consciente, la motivation et le traitement des efforts sont insuffisants. Ils ne permettent pas d’expliquer et de soutenir les comportements scolaires et de santé qui se répètent fréquemment chez les élèves. 



L’importance des habitudes pour l’apprentissage


Rôle primordial des habitudes dans le comportement d’apprentissage


Une approche fondée sur les habitudes permet d’expliquer les situations dans lesquelles les élèves ne parviennent pas à obtenir des résultats scolaires ou liés à une bonne santé sur le long terme, malgré leurs meilleures intentions. 

Le principal avantage des habitudes est leur efficacité cognitive. Elles libèrent des ressources cognitives, protègent contre les tentations et réduisent le stress. La réduction de la charge cognitive est essentielle dans les contextes éducatifs, car les élèves disposent de ressources limitées de mémoire de travail à consacrer à l’apprentissage, à la résolution de problèmes et à leur autorégulation laborieuse. 

Il n’est pas bénéfique que les élèves soient constamment en train de délibérer sur des décisions ou d’inhiber activement les tentations et les distractions. Dans ces situations, ils disposent d’une capacité cognitive moindre pour s’engager dans un processus d’effort en vue d’atteindre leurs objectifs scolaires. 

Résister continuellement aux mauvaises habitudes et se motiver à adopter des comportements bénéfiques peut représenter une forme de charge cognitive extrinsèque défavorable à l’apprentissage. 

En revanche, les habitudes bénéfiques peuvent servir à limiter la charge cognitive extrinsèque. Elles peuvent permettre de consacrer davantage de ressources cognitives à la charge intrinsèque, c’est-à-dire la charge cognitive nécessaire pour atteindre un objectif d’apprentissage. 

La théorie des habitudes peut aider à expliquer les échecs apparents de la motivation ou de la maîtrise de soi en matière de facteurs contextuels qui perpétuent les mauvaises habitudes. 



Soutenir le développement de nouvelles habitudes


La recherche sur le développement de nouvelles habitudes souligne la nécessité :
  • De perturber les habitudes antagonistes existantes. Selon l’hypothèse de la discontinuité des habitudes, les changements de contexte peuvent perturber les habitudes (pour le meilleur ou pour le pire) et placer le comportement sous contrôle conscient. Ainsi, les points de transition majeurs tels que l’entrée dans une nouvelle école ou le début d’une nouvelle année scolaire peuvent être des périodes critiques pour examiner et modifier les habitudes des élèves. 
  • De créer des contextes qui permettent de répéter facilement et de renforcer le comportement souhaité dans un cadre favorable et stable. 
La création d’habitudes bénéfiques permet aux élèves de faire des comportements souhaitables leurs choix par défaut. Cela leur permettra de contrôler sans effort la façon dont ils passent leur temps en classe et en dehors. 

L’enjeu de l’acquisition de bonnes habitudes est de faire en sorte que des comportements bénéfiques comme étudier, faire de l’exercice ou dormir suffisamment deviennent le choix évident. Cet état leur évite d’avoir à délibérer consciemment ou à faire preuve de volonté dans le but de résister aux tentations liées à des habitudes antagonistes. 



Des pistes pédagogiques pour soutenir le développement de bonnes habitudes d’apprentissage


L’environnement familial et scolaire des élèves, y compris leurs parents, leurs enseignants et leurs pairs, joue probablement un rôle important dans la formation des habitudes des élèves. 

Les milieux éducatifs impliquent également des changements fréquents de contexte, notamment de nouvelles classes, de nouveaux enseignants, de nouvelles écoles et de nouveaux environnements sociaux. Ces transitions sont autant de moments pour améliorer potentiellement les habitudes. 

Une approche holistique du développement de bonnes habitudes peut consister à enseigner aux élèves comment appliquer les principes des habitudes pour consacrer du temps à différentes tâches scolaires dans leur pratique autonome. 

Un tel programme devrait enseigner aux élèves les mécanismes de base des habitudes, notamment le rôle du contexte, de la répétition et des récompenses, et comment appliquer ces principes dans leur vie. 

Par exemple, les élèves peuvent :
  • Apprendre à perturber les indices qui déclenchent des habitudes antagonistes (p. ex., pour les jeux vidéo)
  • Établir un moment et un lieu constants pour étudier chaque jour.
  • Modifier leur environnement pour qu’il soit facile et pratique d’étudier (p. ex., laisser le manuel ouvert sur le bureau ou déposer leur téléphone en mode silencieux dans une pièce éloignée). 
  • Trouver des moyens de se concentrer sur les avantages intrinsèques d’une étude régulière.
Une autre approche consiste à cibler des habitudes de stratégie d’étude spécifiques dans des contextes d’apprentissage particuliers. C’est ici l’enjeu d’un enseignement explicite des stratégies d’apprentissage autonome.

Une approche fondée sur les habitudes peut compléter les efforts existants qui visent à informer les élèves des avantages des stratégies d’apprentissage efficaces. Les deux vont de pair.

Les interventions axées sur les habitudes mettent davantage l’accent sur la répétition fréquente de comportements stratégiques liés à des indices contextuels spécifiques, de sorte que le choix de stratégies bénéfiques devienne la valeur par défaut. 

Le développement des habitudes des élèves (à l’aide de ces mesures) doit être accompagné d’un suivi sur plusieurs semaines pendant et après l’intervention. 

Potentiellement, les élèves entraînés à développer avec succès des habitudes d’étude cohérentes devraient faire preuve :
  • D’une utilisation plus persistante des stratégies
  • De choix de stratégies plus efficaces
  • D’une diminution des tentations
  • D’une réduction du stress
  • D’une meilleure réussite à long terme. 

Certains contextes scolaires peuvent également être travaillés : 
  • Par exemple, les règlements scolaires qui empêchent ou limitent l’utilisation des appareils numériques en classe peuvent permettre d’éviter de compter sur la motivation et la volonté des élèves pour éviter les distractions. 
  • Une autre possibilité consiste à mettre en place des espaces d’étude « sans distraction » dans les écoles, où les élèves peuvent temporairement travailler dans le calme.



La question des habitudes numériques dans un cadre scolaire

 
De nombreuses tentations qui entrent en conflit avec l’étude impliquent les technologies numériques (Duckworth et coll. 2019). C’est par exemple, c’est par exemple envoyer des messages à des amis, jouer à des jeux vidéo, surfer sur Internet ou passer du temps sur les médias sociaux. 

En plus d’interférer sur le comportement d’étude hors de la classe, les distractions liées à la technologie interfèrent également avec l’apprentissage en classe.

Les élèves qui passent plus de temps à surfer sur Internet pendant les cours obtiennent de moins bons résultats (Ravizza et coll. 2017). 

La recherche sur les habitudes suggère que l’utilisation de la technologie en classe pourrait ne pas refléter uniquement des différences d’intentions conscientes ou de motivation, mais bien des habitudes. 

Si les élèves ont de fortes habitudes en matière d’usages numériques en classe, la disponibilité de leurs appareils fera de l’usage de la technologie une réponse par défaut, réflexe et quasi automatique. 

Pour résister à ces habitudes et les contourner afin de concentrer son attention sur les contenus d’apprentissage, les élèves doivent en prendre conscience, s’appuyer sur leur motivation et disposer de ressources cognitives suffisantes. 

D’autres élèves (tout aussi motivés) peuvent avoir de fortes habitudes technologiques, mais qui ne sont pas liées au contexte de la classe. Ces élèves sont moins susceptibles d’utiliser leurs appareils en classe et n’auront pas besoin de résister consciemment aux tentations. 

L’intégration du rôle des habitudes permet une analyse plus complète de l’utilisation de la technologie par les élèves dans le cadre scolaire. Cette approche a des répercussions sur la gestion de classe et sur la façon dont les élèves devraient (ou ne devraient pas) utiliser leurs appareils en classe. 

Dans l’ensemble, il semble exister des liens étroits entre les habitudes technologiques, les habitudes mentales et les résultats d’apprentissage. 

Il est particulièrement difficile de s’attaquer aux habitudes technologiques, car les individus utilisent leurs téléphones et autres appareils souvent et dans des contextes variés (Bayer et Larose 2018). 

En outre, les développeurs de technologies exploitent souvent des mécanismes fondés sur les habitudes pour rendre leurs produits et leurs applications plus addictifs. Par exemple, ils utilisent des signaux saillants (par exemple, des notifications) ou des calendriers de récompense incertains (Eyal, 2014). 

Une approche fondée sur les habitudes fournit les meilleurs outils pour expliquer et combler cet écart entre intentions et comportements, qui se rencontrent dans les usages numériques. 

Des interventions basées sur les habitudes devraient s’attacher à aider les élèves à structurer leur environnement pour rendre difficile l’utilisation d’appareils dans des contextes spécifiques (par exemple, pendant les temps d’études, ou en classe). 



La question des habitudes de sommeil en contexte scolaire


De bonnes habitudes de sommeil sont importantes pour la réussite scolaire, la santé et le bien-être à long terme. En particulier, un sommeil de qualité est bénéfique pour l’humeur, la concentration, l’apprentissage et la mémoire, alors qu’un manque de sommeil aigu ou chronique altère les fonctions cognitives.

Les recherches suggèrent qu’il existe des liens étroits entre les habitudes de sommeil et les résultats scolaires des enfants, des adolescents et des jeunes adultes. Il est possible que ce soit le cas parce que le sommeil favorise la consolidation de la mémoire à long terme.

L’un des défis pour de nombreux élèves est d’établir des heures de sommeil et de réveil cohérentes tout au long de la semaine. L’incohérence du sommeil est manifeste lorsque les élèves dorment mal pendant la semaine et essaient de compenser leur manque de sommeil pendant le week-end. Ce comportement est associé à de moins bons résultats scolaires (Harastzi et coll. 2014). 

Une étude d’Okano et coll. (2019) a démontré l’importance des habitudes de sommeil chez les étudiants de premier cycle universitaire en utilisant des mesures objectives du sommeil. Les chercheurs ont suivi la durée, la qualité et la régularité du sommeil des étudiants en lien avec un cours d’introduction à la chimie à l’aide de traqueurs de sommeil portables. Les trois mesures du sommeil étaient modérément corrélées aux notes du cours (r de 0,36 à 0,44) et expliquaient ensemble près de 25 % de la variance des résultats pour le cours. Des analyses supplémentaires ont indiqué que la quantité ou la qualité du sommeil la nuit précédant les examens n’était pas associée à la performance aux examens. Cependant, la quantité et la qualité du sommeil le mois précédant un examen étaient significativement associées de manière positive à la performance (r de 0,21 à 0,38). Bien que ces données soient corrélationnelles, elles indiquent que les étudiants qui réussissent ont tendance à avoir des habitudes de sommeil bénéfiques, caractérisées non seulement par la quantité et la qualité, mais aussi par la constance. 

Les interventions existantes en matière de sommeil, comme d’autres programmes de santé, ont donné des résultats mitigés et généralement décevants. Gruber (2017) a conclu que les programmes de sommeil en milieu scolaire échouent souvent à transférer les connaissances sur le sommeil dans la pratique réelle (c.-à-d., de la connaissance à l’action) au-delà des intentions. Dans sa revue de la recherche, il a établi qu’aucun programme n’a réussi à faciliter l’utilisation des connaissances au-delà de l’évaluation immédiate après la mise en œuvre. 

Du point de vue des habitudes, les intentions sont effectivement importantes pour amorcer un changement de comportement en matière de sommeil, mais elles sont surtout importantes pour le développement de l’habitude. Il s’agit : 
  • De gérer l’exposition aux indices contextuels qui déclenchent des habitudes antagonistes.
  • De créer un contexte dans lequel il est facile de répéter des heures de sommeil et de réveil cohérentes. 
L’intégration de principes liés aux habitudes dans les programmes de sommeil existants peut aider à combler le fossé entre la connaissance et l’action. 

Une étude récente de Rey et coll. (2020) a trouvé des preuves prometteuses concernant un programme d’éducation au sommeil appelé ENSOM. Ce programme a amélioré la quantité et la qualité du sommeil, le fonctionnement cognitif et les performances scolaires des enfants de 8 et 9 ans, certains effets persistant après un an. Bien qu’il n’ait pas été développé explicitement sur la base des principes des habitudes, le programme incorporait certains éléments de réaménagement de l’environnement, de l’association d’habitudes et de récompenses. Les auteurs ont supposé que les effets pouvaient être dus à des facteurs tels que la réduction du temps d’écran avant le coucher ou le renforcement des rituels relaxants avant le sommeil.


Mis à jour le 13/01/2024

Bibliographie


Fiorella, L. The Science of Habit and Its Implications for Student Learning and Well-being. Educ Psychol Rev 32, 603–625 (2020). https://doi.org/10.1007/s10648-020-09525-1

Duckworth, A. L., Taxer, J. L., Eskreis-Winkler, L., Galla, B. M., & Gross, J. J. (2019). Self-control and academic achievement. Annual Review of Psychology, 70, 373–399.

Ravizza, S. M., Uitvlugt, M. G., & Fenn, K. M. (2017). Logged in and zoned out: how laptop internet use relates to classroom learning. Psychological Science, 28(2), 171–180. 

Bayer, J. B., & Larose, R. (2018). Technology habits: progress, problems, and prospects. In B. Verplanken (Ed.), The psychology of habit (pp. 111–130). Cham: Springer.

Eyal, N. (2014). Hooked: how to build habit-forming products. Penguin.

Harastzi, R. A., Ella, K., Gyongyosi, N., Roenneberg, T., & Kaldi, K. (2014). Social jetlag negatively correlates with academic performance in undergraduates. Chronobiology International, 31(5), 603–612. 
Okano, K., Kaczmarzyk, J. R., Dave, N., Gabrieli, J. D. E., & Grossman, J. C. (2019). Sleep quality, duration, and consistency are associated with better academic performance in college students. NPJ Science of Learning, 4(1), 1–5. 

Gruber, R. (2017). School-based sleep education programs: a knowledge-to-action perspective regarding barriers, proposed solutions, and future directions. Sleep Medicine Reviews, 36, 13–28. 

Rey, A. E., Guignard-Perret, A., Imler-Weber, F., Garcia-Larrea, L., & Mazza, S. (2020). Improving sleep, cognitive functioning and academic performance with sleep education at school in children. Learning and Instruction, 65, 101270.

0 comments:

Enregistrer un commentaire