jeudi 22 juin 2023

Le pouvoir des bonnes habitudes en contexte scolaire

Comment créer de bonnes habitudes et comment leur mobilisation dans le contexte adéquat est bénéfique sur le travail scolaire ?

(Photographie : Jeff Luker)



L’importance fondamentale des bonnes habitudes pour la réussite scolaire


Nos habitudes sont omniprésentes dans nos comportements quotidiens, mais elles ne sont pas conscientes. Par conséquent, nous avons tendance à sous-estimer leur importance, leur influence et leur utilité.
 
Dans un cadre scolaire, les comportements quotidiens, les habitudes peuvent favoriser ou entraver la réalisation d’objectifs à long terme pour les élèves, en matière de bien-être ou de réussite.

La régularité du travail scolaire à domicile, du sommeil et de l’activité physique est liée à de meilleurs résultats scolaires et à une meilleure santé globale. 

Nous attendons de nombreux comportements scolaires et routines bénéfiques de la part de nos élèves. C’est par exemple le fait de/d’ :
  • Avoir leur matériel et leur cours en ordre.
  • Respecter les échéances et fournir le travail attendu.
  • Être attentif et présent au cours.
  • Répartir et planifier leur travail.
  • Éviter les distractions.
  • Avoir une hygiène de vie saine, faire de l’exercice, dormir et manger sainement. 

De nombreux élèves rencontrent des difficultés pour manifester et maintenir ces habitudes bénéfiques, tout en continuant à s’engager dans des habitudes moins souhaitables, comme passer plusieurs heures par jour sur leur téléphone.


Une tendance à minorer l’importance des habitudes


Les idées fausses sur le fonctionnement des habitudes sont courantes. Nous tendons à surévaluer le rôle des intentions conscientes et de la volonté. L’accent mis sur les intentions, la conscience et le contrôle par l’effort se retrouve également dans nombre de modèles et d’interventions portant sur l’apprentissage autorégulé. 

Parallèlement, le mot habitude est rarement mentionné dans les titres ou les résumés d’articles des principales revues de psychologie de l’éducation. Une explication vient sans doute du fait que la recherche sur les habitudes est ancrée dans une conception béhavioriste de l’apprentissage aujourd’hui révolue.

Les modèles standard de l’apprentissage autorégulé soulignent le rôle de la motivation et de la métacognition dans la conduite active du comportement :
  • Les facteurs motivationnels incluent les croyances des élèves sur eux-mêmes ou sur la tâche. 
  • Les facteurs métacognitifs comprennent la capacité des élèves à planifier, à fixer des objectifs, à surveiller et à réguler leur comportement, et à évaluer leurs performances. 

La motivation et la métacognition sont certes essentielles à la régulation des processus d’apprentissage. Cependant, elles n’expliquent peut-être pas de manière adéquate comment les élèves maintiennent à long terme des comportements récurrents. 

Nous avons besoin de l’apport de la science des habitudes



Enjeux liés à la science des habitudes


La science des habitudes a fait beaucoup de chemin depuis les fondements posés historiquement avec le béhaviorisme. La recherche contemporaine intègre les rôles des habitudes, à ceux des objectifs et de la maîtrise de soi pour expliquer le comportement. Dès lors, elle offre des pistes pour comprendre et influencer le comportement des élèves. 

Un principe fondamental est que les habitudes ne sont pas guidées par des intentions et des objectifs conscients. 

Elles sont directement influencées par le contexte, indépendamment des objectifs de chacun. Dans des contextes stables :
  • Les mauvaises habitudes sont susceptibles de persister malgré les meilleures intentions.
  • Les habitudes bénéfiques se maintiennent sans effort malgré les fluctuations de la motivation ou de la volonté. 
La recherche sur les habitudes peut nous aider à mieux comprendre le rôle des facteurs contextuels dans le soutien des comportements récurrents. Elle peut nous soutenir dans le but d’améliorer les efforts d’intervention visant à créer des changements positifs et durables dans le comportement des élèves. 



Caractéristiques des habitudes et de leur formation


Les habitudes sont des tendances comportementales liées à des contextes spécifiques, tels que l’heure de la journée, le lieu, la présence de personnes particulières, les actions précédentes ou même l’humeur.

Les habitudes se caractérisent par :
  • L’automaticité
  • L’absence de conscience
  • L’efficacité mentale
  • Potentiellement des sentiments de sécurité, de confiance et de bien-être qui accompagnent leur expression

Les habitudes se forment par la répétition d’un comportement dans un contexte stable. Avec la répétition continue, l’association mentale entre le contexte et la réponse se renforce, faisant progressivement passer le comportement d’un guidage conscient par des objectifs et des intentions à un guidage direct par l’environnement.

Une étude de Lally et coll. (2010) a suivi la façon dont des comportements de santé simples (par exemple, manger un fruit au déjeuner) se sont transformés en habitudes sur plusieurs semaines. Les participants ont choisi un comportement simple à réaliser dans le même contexte et ont indiqué chaque jour s’ils avaient réalisé le comportement et l’automaticité perçue du comportement. L’automaticité augmentait en fonction de la répétition, suivant une courbe asymptotique, même si le temps nécessaire pour atteindre l’automaticité variait largement de 18 à 254 jours, avec une moyenne de 66 jours.

La quantité de répétition finalement nécessaire pour former une habitude dépend :
  • De la complexité de l’habitude (Mullan & Novoradovskaya, 2018)
  • De l’adéquation du contexte de performance (Wood, 2019).
 
La formation d’une habitude dépend également des récompenses immédiates ou d’un renforcement positif aléatoire. Cependant, une fois qu’une habitude forte est formée, elle devient moins sensible à la récompense qui a soutenu son développement.

Dans une étude de Neal et coll. (2011), des élèves du secondaire (niveau collège) se sont vus proposer du pop-corn frais ou rassis dans le contexte d’une salle de cinéma ou d’une salle de conférence : 
  • Les étudiants qui avaient l’habitude de manger du pop-corn au cinéma ont mangé autant de pop-corn rassis que de pop-corn frais, mais uniquement dans le contexte du cinéma. Et ce, bien qu’ils aient déclaré aimer moins le pop-corn rassis. 
  • Les étudiants qui n’avaient pas de fortes habitudes de consommation de pop-corn mangeaient plus de pop-corn frais que de pop-corn rassis, quel que soit le contexte. 
  • Cela suggère que les habitudes sont sensibles aux changements de contexte, mais pas aux changements de récompenses ou d’intentions.



Liens entre habitudes et objectifs

 
Les habitudes interagissent étroitement avec les processus d’autorégulation délibérés pour affecter l’atteinte des objectifs.

Selon Wood et Runger (2016), les trois principales façons dont les habitudes s’interfacent avec les buts sont : 
  • Les objectifs peuvent initier la formation des habitudes en gérant l’exposition aux indices contextuels :
    • C’est le cas lorsque nous décidons de commencer une nouvelle habitude et que nous gérons activement notre contexte en conséquence :
      • Par exemple, nous pouvons ne plus garder notre téléphone à portée de main avant de nous coucher. 
      • Par exemple, un élève qui veut très bien réussir en mathématiques peut se décider à travailler une heure par jour en rentrant de l’école son cours de mathématiques, ce qui peut devenir chez lui une habitude.
  • Les objectifs peuvent moduler l’exécution d’un comportement habituel existant :
    • Par exemple, lorsque des habitudes existantes sont en conflit avec nos objectifs actuels, nous pouvons utiliser les objectifs pour inhiber les habitudes (par exemple, résister à l’envie de consulter son téléphone pendant qu’on étudie). 
    • Cependant, l’inhibition est exigeante sur le plan cognitif, et les habitudes serviront de réponse par défaut à moins que l’on ait les ressources et la motivation pour intervenir délibérément. 
    • Un élève ne rencontrant pas le succès espéré en mathématiques peut décider d’inhiber l’habitude de regarder la télévision une heure en rentrant de l’école. Il peut plutôt activer l’habitude de travailler sur son cours de mathématiques de manière plus systématique effectivement durant cette heure-là ce qui demande plus de ressources.
    • Par exemple, Neal et coll. (2013) ont constaté que, dans des situations stressantes (par exemple, avant un examen à venir), les étudiants devenaient plus susceptibles d’adopter des comportements habituels. Celles-ci correspondaient à ce qu’ils mangeaient habituellement au petit-déjeuner ou en collation, ou les rubriques qu’ils lisaient dans les journaux. Il est important de noter que les étudiants se sont rabattus sur leurs habitudes existantes, que ces habitudes soient souhaitables ou non.
  • Des inférences peuvent se produire entre buts et réponses habituelles :
    • Par exemple, un élève peut faire des liens entre ses résultats en mathématiques et ses habitudes de travail autonome dans ce cours malgré sa volonté de réussir. 
    • Les gens déduisent souvent que leur comportement habituel est déterminé par des intentions conscientes, même lorsqu’il est directement déterminé par des indices contextuels. Une fois formées, les habitudes fortes fonctionnent indépendamment des objectifs. 



Liens entre habitudes et maîtrise de soi

 
Les habitudes sont également étroitement liées aux processus de maîtrise de soi responsables de l’atteinte d’objectifs à long terme. 

L’autocontrôle est une composante spécifique de l’autorégulation qui consiste à diriger ses pensées et ses comportements vers des objectifs à valeur durable face à des objectifs contradictoires et plus immédiatement gratifiants.

Les élèves valorisent généralement l’importance à long terme de la réussite scolaire. Mais ils sont souvent confrontés à des alternatives plus attrayantes à court terme (par exemple, sortir avec des amis, naviguer sur les médias sociaux, regarder une série, écouter de la musique, etc.). 

Ceux qui ont des niveaux plus élevés de maîtrise de soi sont mieux à même de gérer ces situations et de diriger leurs efforts vers des objectifs scolaires à long terme. 

Un point de vue populaire est que la maîtrise de soi nécessite une inhibition par l’effort. Selon le modèle de la force, la maîtrise de soi est comme un muscle qui doit être fléchi pour résister activement aux tentations du moment. 

Bien que l’inhibition puisse fonctionner dans certaines situations, elle sollicite les ressources cognitives limitées d’une personne et est plus sensible que les comportements automatiques à des facteurs tels que la fatigue et le stress.

Ces limites suggèrent que l’inhibition par l’effort ne permet pas d’expliquer comment les gens régulent leur comportement pour atteindre des objectifs à long terme. En effet, la recherche sur l’échantillonnage de l’expérience indique que les personnes dont la maîtrise de soi est plus élevée connaissent en fait des niveaux plus faibles d’inhibition avec effort dans leur vie quotidienne. 

Plutôt que de résister aux tentations sur le moment, les personnes ayant une meilleure maîtrise de soi semblent structurer leur environnement pour éviter les tentations afin de pouvoir se concentrer plus facilement sur des objectifs à valeur durable.
 
Les personnes ayant une plus grande maîtrise de soi parviennent à obtenir davantage tout en déployant moins d’efforts en s’appuyant sur leurs habitudes. Ces phénomènes se manifestent dans le contexte des études, de l’alimentation et de l’exercice.



Le modèle du processus de maîtrise de soi


En faisant des comportements bénéfiques le comportement par défaut, les habitudes servent de stratégie d’autocontrôle sans effort, ou de raccourci. Selon le modèle du processus de maîtrise de soi (Duckworth et coll. (2019), les scénarios de maîtrise de soi impliquent quatre étapes récursives : 
  1. La situation
  2. L’attention
  3. L’évaluation
  4. La réponse
Exemples :
  1. Un élève est confronté à une situation particulière [par exemple, en rentrant de l’école]
  2. Il porte son attention sur un sous-ensemble d’informations dans la situation [par exemple, un manuel scolaire ou une console de jeu vidéo].
  3. Il évalue la situation [par exemple, « Je devrais vraiment faire mes devoirs avant de jouer aux jeux vidéo »].
  4. Il choisit une réponse [par exemple, ouvrir le manuel scolaire]. 

Les habitudes évitent d’utiliser les ressources limitées d’autocontrôle pour évaluer consciemment la situation et délibérer sur la réponse — la situation ou le contexte active automatiquement la réponse. Les habitudes servent de stratégie de raccourci, contournant le besoin d’évaluer la situation ou de délibérer sur la réponse.



Résister ou agir proactivement


Le modèle de processus de maîtrise de soi prédit que les stratégies appliquées plus tôt dans le processus [c’est-à-dire modifier de manière proactive sa situation] seront plus efficaces que les stratégies appliquées plus tard [cela correspond à inhiber avec effort sa réponse]. 

Une étude menée par Duckworth et ses collègues [2016b] a testé les effets des stratégies situationnelles et de réponse dans le soutien des objectifs d’apprentissage chez les élèves du secondaire et de l’enseignement supérieur. 

Ils ont été répartis au hasard en deux groupes pour utiliser des stratégies de modification de la situation :
  • En utilisant des stratégies de modification de la situation :
    • L’élève retira les tentations de la vue plutôt que d’essayer d’y résister directement.
  • En utilisant des stratégies de modulation de la réponse :
    • Ces stratégies sont basées sur l’idée que les gens peuvent réellement renforcer leur muscle de maîtrise de soi avec une pratique répétée qui consiste à résister activement aux tentations immédiates. C’est une alternative à simplement les éviter).
Les élèves ayant reçu l’instruction d’utiliser des stratégies de modification de la situation ont mieux réussi à atteindre leurs objectifs scolaires au cours de la semaine suivante. 

Le rendement était inférieur pour les élèves ayant utilisé des stratégies de modulation de la réponse.
Cet effet a été partiellement médiatisé par la diminution des sentiments de tentation. Les stratégies situationnelles suppriment les tentations et, avec une répétition continue dans un contexte stable, jettent les bases du changement d’habitude.



Bibliographie


Fiorella, L. The Science of Habit and Its Implications for Student Learning and Well-being. Educ Psychol Rev 32, 603–625 (2020). https://doi.org/10.1007/s10648-020-09525-1

Lally, P., Van Jaarsveld, C. H. M., Potts, H. W. W., & Wardle, J. (2010). How are habits formed: modeling habit formation in the real world. European Journal of Social Psychology, 40, 998–1009.

Mullan, B., & Novoradovskaya, E. (2018). Habit mechanisms and behavioral complexity. In B. Verplanken (Ed.), The psychology of habit (pp. 71–90). Cham: Springer. 

Wood, W. (2019). Good habits, bad habits. New York: Farrar, Straus, and Giroux.

Neal, D. T., Wood, W., Wu, M., & Kurlander, D. (2011). The pull of the past: when do habits persist despite conflict with motives? Personality and Social Psychology Bulletin, 37(11), 1428–1437. 

Wood, W., & Runger, D. (2016). Psychology of habit. Annual Reviews of Psychology, 67, 289–314.

Neal, D. T., Wood, W., & Drolet, A. (2013). How do people adhere to goals when willpower is low? The profits (and pitfalls) of strong habits. Journal of Personality and Social Psychology, 104(6), 959–975. 

Duckworth, A. L., White, R. E., Matteucci, A. J., Shearer, A., & Gross, J. J. (2016b). A stitch in time: strategic self-control in high school and college students. Journal of Educational Psychology, 108(3), 329–341. 

Duckworth, A. L., Taxer, J. L., Eskreis-Winkler, L., Galla, B. M., & Gross, J. J. (2019). Self-control and academic achievement. Annual Review of Psychology, 70, 373–399.

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