Une grande part de notre comportement est fondé sur des habitudes. Dès lors, pour s’améliorer changer ces habitudes est une piste évidente. Mais comment le faciliter ?
(Photographie : Sheron Rupp)
L’intention de changement se heurte aux habitudes
L’approche standard pour changer les comportements scolaires cible généralement les objectifs, les croyances, la motivation, les intentions, les valeurs, les connaissances ou les stratégies mobilisées par les élèves.
Cependant, si nous considérons les caractéristiques des habitudes, ces facteurs internes n’en sont pas le principal moteur.
En effet, pour les comportements récurrents, les habitudes antérieures sont un meilleur prédicteur du comportement futur que les objectifs ou les intentions des individus.
Les interventions qui réussissent pourtant à modifier les intentions ne vont avoir qu’un impact minime sur les comportements habituels :
- Si nous considérons le secteur de la santé, de nombreuses interventions montrent que les progrès augmentent régulièrement pendant et immédiatement après l’intervention. Par la suite, ils retombent près de leur niveau initial en quelques mois.
- Dans les milieux universitaires, les élèves à qui l’on enseigne des stratégies efficaces ont souvent du mal à les utiliser ensuite spontanément par eux-mêmes. Relativement peu d’études ont testé les effets à long terme des interventions d’apprentissage autorégulé.
Comment changer d’habitudes
Un changement de comportement durable dépend de l’exploitation des mécanismes fondamentaux par lesquels les habitudes se forment :
- Modifier le contexte :
- Perturber les repères des mauvaises habitudes en modifiant le contexte pour éviter/réduire l’exposition aux indices qui déclenchent les mauvaises habitudes (créer une friction).
- Créer un contexte favorable aux habitudes bénéfiques en modifiant le contexte pour amplifier les indices associés au comportement souhaité (réduire la friction).
- Assurer la répétition : il s’agit de lier le comportement désiré à des indices contextuels stables. C’est par exemple, l’heure de la journée ou le lieu, ou le « superposer » à des habitudes existantes.
- Associer à une récompense : il s’agit de rendre les habitudes bénéfiques gratifiantes en mettant l’accent sur les aspects du comportement qui sont immédiatement et intrinsèquement gratifiants.
En règle générale, développer une habitude bénéfique nécessite souvent de perturber une mauvaise habitude existante. L’habitude bénéfique peut être de se coucher plus tôt ou se mettre au travail rapidement après être rentré de l’école. L’habitude à perturber peut être de regarder la télévision tard le soir ou se mettre tardivement au travail.
Modifier le contexte pour soutenir le changement d’habitudes
La difficulté de départ est que les habitudes bien ancrées continuent d’être automatiquement réactivées par des indices contextuels stables. C’est par exemple la présence de la télévision ou d’autres sources de distraction qui tendent à capturer notre attention et induisent des comportements.
Se défaire de nos mauvaises habitudes dépend donc moins de l’intention de changer de comportement que de l’élimination ou de la limitation de l’exposition aux indices critiques (Wood et Runger 2016). Il est utile de changer des éléments contextuels.
Selon l’hypothèse de la discontinuité des habitudes, le changement de contexte va perturber les anciennes habitudes et offre la possibilité d’en créer de nouvelles.
Dans une expérience de terrain menée par Verplanken et Roy (2016), les résidents d’une ville anglaise ont reçu une brève intervention sur les comportements écologiquement durables. Ces comportements portaient par exemple sur la diminution de la consommation en eau, sur la réduction des déchets, et sur la limitation de l’utilisation de la voiture. La moitié des résidents avaient déménagé au cours des 6 derniers mois, tandis que l’autre moitié n’avait pas déménagé récemment. Les résultats ont indiqué que l’intervention était plus efficace pour promouvoir les comportements durables chez les résidents récemment relocalisés. Cela a été démontré après avoir contrôlé des facteurs tels que le comportement antérieur, la force des habitudes, les intentions et les normes personnelles.
Ces résultats suggèrent que les interventions visant à modifier les habitudes peuvent tirer parti des transitions naturelles de la vie, telles que le déménagement dans une nouvelle ville ou l’entrée dans une nouvelle école (Heatherton et Nichols 1994).
Se défaire de mauvaises habitudes ne nécessite pas de changements majeurs dans les circonstances de la vie, mais seulement des changements dans les indices spécifiques associés au comportement.
Des stratégies situationnelles peuvent aider à restructurer l’environnement pour gérer l’exposition aux tentations, comme ranger son téléphone pendant le temps d’étude pour un élève.
La clé est de créer une friction entre le contexte et le comportement indésirable plutôt que de s’appuyer sur les seules intentions ou l’inhibition sur le moment même (Wood et Neal 2016).
Favoriser les répétitions pour soutenir le changement d’habitudes
Les habitudes se forment mieux lorsque le comportement est facile à répéter dans un contexte stable :
- L’étude de Lally et coll. (2010) a révélé que les gens avaient souvent besoin de plusieurs semaines de répétition avant que des comportements de santé simples ne deviennent automatiques.
- Kaushal et Rhodes (2015) ont estimé qu’environ 6 semaines étaient nécessaires pour établir une habitude régulière d’exercice physique.
Si le comportement souhaité n’est pas facile et pratique à répéter dans le contexte de la vie quotidienne, il est peu probable qu’il se transforme en habitude.
Une analyse des comportements de fréquentation des salles de sport a été réalisée à partir des données de millions d’appareils mobiles. Elle a révélé que les personnes qui vont à la salle de sport une fois par mois parcourent en général plus de 8 km. Les personnes qui y vont cinq fois ou plus parcourent en général moins de 8 km (Bachman 2017).
Les habitudes doivent également être liées à des indices de contexte stables, comme aller courir le matin, lire un livre avant de se coucher ou étudier sur son bureau après les cours.
Tappe et ses collaborateurs (2013) ont constaté que presque toutes les personnes qui font régulièrement de l’exercice s’appuient sur des repères temporels et géographiques. Elles font de l’exercice au même moment de la journée et au même endroit. Les habitudes existantes peuvent également servir de repères contextuels utiles.
Judah et ses collaborateurs (2013) ont constaté que les participants réussissaient mieux à développer une habitude de fil dentaire lorsque le fil dentaire suivait plutôt qu’il précédait leur habitude de brossage des dents. L’habitude de se brosser les dents a servi de repère saillant et stable sur lequel s’additionne l’habitude du fil dentaire. L’omniprésence des habitudes dans la vie de tous les jours offre de nombreuses possibilités d’additionner les habitudes.
Les comportements souhaitables peuvent être facilités par un réaménagement de l’environnement. L’aménagement du contexte permet de réduire les frictions entre le contexte et le comportement souhaité en rendant plus saillants les indices contextuels essentiels.
Par exemple, une étude de terrain menée par Holland et coll. (2006) a révélé que le fait de placer un bac de recyclage à côté du bureau des employés améliorait le comportement de recyclage, les effets persistant après 2 mois.
Il existe de nombreuses façons similaires d’inciter une personne à adopter des comportements souhaitables (Thaler et Sunstein, 2009), par exemple en préparant des vêtements pour aller à la salle de gymnastique ou en plaçant des collations saines visibles.
Récompenser les comportements souhaitables pour soutenir le changement d’habitudes
Pour que l’habitude se perpétue, le comportement doit être associé à une récompense. Les récompenses intrinsèques, comme le sentiment d’accomplissement, sont généralement supérieures aux récompenses externes attendues.
Une étude de Gardner et Lally (2013) a étudié la relation entre la fréquence de fréquentation de la salle de sport et l’automaticité perçue de la fréquentation de la salle de sport. Ils ont mis en évidence qu’elle était la plus forte pour les personnes qui avaient des niveaux plus élevés de motivation intrinsèque. Par contre, l’association fréquence-automaticité était inexistante pour les personnes ayant des niveaux plus faibles de motivation intrinsèque. En d’autres termes, les personnes qui trouvaient qu’aller à la salle de sport était personnellement gratifiant étaient plus à même de prendre l’habitude d’aller à la salle de sport. Les personnes qui y allaient à la même fréquence, mais pour des raisons extrinsèques telles que le sentiment de culpabilité ou la pression exercée par les autres étaient moins susceptibles de développer de l’automaticité dans ce comportement.
Le fait de rendre des habitudes autrement peu attrayantes plus gratifiantes sur le plan personnel à court terme peut favoriser la formation d’habitudes.
Dans une étude de Milkman et ses collaborateurs (2014), les gens étaient plus susceptibles d’aller à la salle de sport lorsque c’était le seul moment où ils pouvaient écouter des romans audio. Cette stratégie, appelée construction de la tentation, associe des comportements de devoir à des comportements de vouloir qui sont déjà gratifiants.
Il existe une multitude de façons de rendre les habitudes bénéfiques plus agréables. Pour l’exercice, nous peut choisir parmi un large éventail d’activités physiques et de contextes sociaux. Pour l’étude, les élèves peuvent aimer étudier dans un endroit particulier, travailler à plusieurs en parallèle, se tester eux-mêmes ou leurs amis sur le contenu d’apprentissage.
Enfin, les récompenses externes telles que les renforcements positifs peuvent jouer un rôle important dans le changement d’habitude si les récompenses sont incertaines ou inattendues. La technique Pomodoro repose d’ailleurs sur l’idée de récompenses externes.
Lorsque les élèves reçoivent une récompense inattendue, comme un éloge de leur enseignant sur leur comportement, ils peuvent interpréter que celui-ci est valorisé sans pour autant que cela sape leur motivation intrinsèque.
Interventions fondées sur le changement d’habitudes
Comme nous l’avons vu, la science des habitudes offre des lignes directrices pratiques pour la conception d’interventions visant à briser les mauvaises habitudes et à favoriser les habitudes bénéfiques.
Les recherches sur les effets à long terme des interventions fondées sur les habitudes sont préliminaires, mais prometteuses :
- Rompotis et ses collaborateurs (2014) ont mené une intervention basée sur les habitudes d’une durée de 8 semaines. Elle était, axée sur l’établissement d’indices contextuels stables (« Mangez un fruit pour le thé du matin chaque jour ») et la réingénierie de l’environnement (« Placez un fruit à un endroit facile à voir avant de vous coucher. Faites-en la première chose que vous voyez le matin »). Ils ont constaté que l’intervention a permis d’augmenter la consommation de fruits par rapport aux groupes de contrôle. Ces interventions de contrôle incorporaient des conseils généraux pour une alimentation saine, courants dans les campagnes de santé publique (« Hachez et ajoutez des légumes à une omelette ou à une crêpe salée »).
- De même, une intervention de huit semaines impliquant de nouveaux membres d’une salle de sport a révélé que l’application des principes d’habitudes augmentait les niveaux d’activité physique. Ces principes étaient la disposition des équipements d’entraînement, l’établissement d’une heure d’entraînement cohérente ou l’établissement d’intentions de mise en œuvre (Kaushal et coll., 2017).
À l’heure actuelle, la formation d’habitudes reste un concept sous-développé dans les interventions de changement de comportement, mais devrait être un objectif d’intervention important.
Les principes des habitudes s’appliquent probablement à un large éventail d’autres comportements récurrents des élèves.
Mis à jour le 15/01/2024
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