lundi 26 juin 2023

Implications pédagogiques liées au développement de bonnes habitudes d’étude

De nombreux résultats scolaires et de santé dépendent de la répétition fréquente des mêmes comportements dans les mêmes contextes (par exemple, lecture, étude, sommeil, exercice ou alimentation saine).
(Photographie : Lazare’s photography)



Prendre en compte les habitudes dans la formation à l’apprentissage autonome


En contexte scolaire, les habitudes, en plus de la motivation et de la métacognition, jouent un rôle essentiel dans l’autorégulation des élèves. La prise en compte du rôle des habitudes dans l’autorégulation des élèves n’est pas sans implications pédagogiques.

La théorie des habitudes explique les différences individuelles dans les comportements récurrents des élèves en matière de mécanismes d’habitude spécifiques. Ces mécanismes sont liés au contexte, à la répétition et à la récompense. Cette approche fondée sur les habitudes s’intéresse moins aux buts ou aux intentions conscientes. 

Les résultats scolaires à long terme peuvent s’expliquer par les facteurs contextuels qui soutiennent ou entravent les habitudes plutôt que par les seules connaissances, les croyances, la motivation ou la maîtrise de soi par l’effort :
  • Les contextes qui soutiennent des habitudes antagonistes (par exemple, un mauvais sommeil, des études peu fréquentes, de mauvaises stratégies d’étude ou des distractions basées sur la technologie) continueront à activer ces comportements malgré les intentions de chacun.
  • Les contextes qui soutiennent des habitudes bénéfiques (par exemple, des études fréquentes ou des stratégies d’étude efficaces) guideront sans effort le comportement vers des objectifs à long terme valorisés tout en protégeant contre les tentations.

La distinction entre comportement automatique, déterminé par le contexte, et comportement délibéré, dirigé vers un objectif, est importante. Elle donne une image plus complète des mécanismes d’autorégulation responsables de l’atteinte d’un objectif à long terme.

Les approches standard pour comprendre l’apprentissage autorégulé ne tiennent pas compte explicitement des mécanismes d’habitude uniques responsables des comportements récurrents.

Si la motivation et le traitement stratégique avec effort sont importants pour amorcer un changement de comportement, la persistance de ces changements dépendra largement de la qualité de ses habitudes. 



Soutenir le développement de bonnes habitudes dans la formation à l’apprentissage autonome 


Un défi majeur des interventions éducatives liées à l’apprentissage autonome consiste à aider les élèves à maintenir l’utilisation de stratégies efficaces par eux-mêmes et à les initier spontanément. 

Les principes des habitudes fournissent des directives spécifiques pour développer des interventions visant à soutenir le maintien à long terme des comportements récurrents des élèves. 

Le changement d’habitude dépend :
  • De la perturbation des indices associés aux habitudes moins souhaitables : par exemple, charger son téléphone en dehors de la chambre à coucher.
  • De la structuration de son environnement pour faciliter la répétition de comportements bénéfiques dans des contextes stables : par exemple, laisser la série de flashcards suivante.  
  • Du lien entre les comportements et les récompenses intrinsèques/incertaines : par exemple, le sentiment d’accomplissement ou le fait de recevoir inopinément les éloges de son ami pour être allé à la salle de sport. 
Le danger est que nombre d’interventions de formation à l’apprentissage autonome peuvent cibler les croyances, les intentions ou les connaissances des élèves en matière de stratégies spécifiques. Souvent, elles ne visent pas à appliquer explicitement les principes des habitudes pour perturber les mauvaises habitudes existantes et créer des contextes en soutenant les comportements souhaitables récurrents à long terme. 

Les applications spécifiques de la recherche sur les habitudes à l’éducation peuvent s’étendre à toute la gamme des comportements scolaires ou de santé que nous espérons voir les élèves répéter quotidiennement (ou presque). 



L’intérêt de prendre en compte les habitudes d’étude existantes 


Nous nous attendons à ce que les élèves consacrent régulièrement du temps en dehors des cours à l’étude de la matière enseignée et au travail scolaire. Nous souhaitons qu’ils s’organisent consciencieusement et cela d’autant plus qu’ils avancent dans leur scolarité. 

Il est évident que ce n’est pas le cas pour une bonne part d’entre eux. Régulièrement, ils postposent la réalisation de leurs devoirs ou ils bachotent pour leurs évaluations se mettant au travail plus tardivement qu’il aurait été judicieux de la faire pour développer des apprentissages durables.

De nombreuses recherches sur l’étude se sont consacrées aux stratégies cognitives, métacognitives ou comportementales que les élèves utilisent, ou sur l’usage du temps consacré à l’étude.

Peu d’études ont spécifiquement ciblé leurs habitudes d’étude. Nous entendons par habitudes d’étude la fréquence d’utilisation de diverses techniques, sans spécifier la nature ou la stabilité des indices contextuels spécifiques ou l’automaticité du comportement. De bonnes habitudes d’étude correspondent à des routines d’étude saines. C’est par exemple la fréquence des séances d’étude, la révision de la matière, l’autotest, la récupération distribuée de la matière apprise ou l’étude dans un environnement propice.

Connaître des stratégies d’étude efficaces ou être motivé pour terminer un devoir est différent de l’habitude générale d’étudier ou de l’habitude d’utiliser des stratégies d’étude dans des contextes spécifiques.

Cette distinction peut aider à expliquer les situations dans lesquelles les élèves n’utilisent pas de stratégies efficaces. Elle a des implications pédagogiques uniques. 



Le défi de l’usage d’une pratique espacée en lien avec les habitudes personnelles


Une recommandation courante et fondée sur des preuves est que les élèves devraient répartir leurs études dans le temps plutôt que de les accumuler juste avant une évaluation.

Dans les faits, cette pratique n’est pas largement mobilisée par les élèves. L’une des raisons avancées pour laquelle les élèves n’espacent pas leurs études est qu’ils pensent que la pratique massée (le bachotage) est plus efficace.

Cependant, une enquête menée par Susser et McCabe (2013) a révélé que la plupart des étudiants sont généralement conscients des avantages de l’espacement. Dans des circonstances idéales, ils préféreraient espacer leurs études, mais dans les faits, ils s’appuient finalement sur des stratégies moins efficaces. Il existe une contradiction.

Une étude de Blasiman et ses collaborateurs (2017) démontre en outre l’écart entre les intentions des étudiants et les comportements d’étude réels. Lorsqu’on leur a demandé, au début du semestre, comment ils avaient l’intention d’étudier au cours des deux semaines précédant un examen, les étudiants ont généralement proposé une programmation espacée de leur temps d’étude. Cependant, les déclarations concernant leur comportement d’étude réel ont montré qu’en réalité, ils ont concentré leur étude sous forme de bachotage 1 ou 2 jours avant l’examen. 

Les élèves connaissent le principe de la pratique espacée et ses bienfaits, ils peuvent manifester l’intention sincère de la mettre en pratique sans le faire en réalité.

Les principes des habitudes aident à expliquer cet écart entre intention et comportement. Pour les comportements récurrents, les habitudes antérieures prédisent mieux les performances futures que les intentions actuelles (Ouellette et Wood, 1998). 

Il est probable que les étudiants continueront à bachoter et à procrastiner en remettant la réalisation de leurs devoirs en raison de leurs habitudes antérieures. C’est ce qu’ils ont fait dans les situations précédentes. Ainsi, la motivation et la connaissance des stratégies ne semblent pas adéquates pour expliquer ou soutenir le comportement récurrent d’étude. 



Le cas des cours en ligne (MOOC) face au défi des habitudes


L’impact des habitudes peut expliquer des comportements trouvés dans des environnements d’apprentissage autorégulé qui créent des écarts entre l’intention et le comportement. L’exemple typique est celui des cours en ligne. 

De nombreuses personnes ne parviennent pas à terminer les cours en ligne formels et informels malgré leurs intentions (Henderikx et coll. 2017). 

L’un des facteurs est que les cours en ligne exigent des niveaux de motivation plus élevés et un comportement d’autorégulation plus diligent et laborieux que les cours conventionnels en face à face. Cependant, la persistance et la réussite dans les cours en ligne peuvent également être attribuées davantage à la construction d’habitudes bénéfiques. 

Celles-ci correspondent à la gestion de son contexte et à l’engagement répété avec le cours à un moment et un endroit stable chaque jour, tout en perturbant les habitudes et les tentations antagonistes existantes (Neroni et coll. 2019). 



Développer de bonnes habitudes de travail pour soutenir la réussite scolaire


La recherche sur les habitudes suggère que les élèves seront plus susceptibles de s’engager dans des comportements d’étude cohérents s’ils restructurent leur environnement. 

L'idée est de créer un cadre préventif où les opportunités de distraction sont évitées et limitées selon des routines prédéfinies. Ce système fonctionne bien mieux que de miser sur la volonté et de compter sur la résistance aux distractions. Tout ce qui pourrait être tentant comme un écran, un téléphone, une revue ou une bd sont sortis de l'espace de travail.

Il s’agit de rendre l’étude gratifiante et facilement répétable dans un contexte stable et sans tentations. 

Avec la répétition sur plusieurs semaines, les élèves peuvent finalement se fier aux indices contextuels pour activer automatiquement le comportement. Sinon, la décision d’étudier dépendra plus fortement des niveaux de motivation actuels et de la disponibilité des ressources cognitives. 

Une fois l’habitude installée, des bénéfices sont au rendez-vous.

Une étude de Galla et Duckworth (2015) l’a montré. Les étudiants ayant de solides habitudes d’étude — mesurées par une combinaison de fréquence et de stabilité contextuelle — ont connu des niveaux plus faibles de conflit perçu entre les objectifs d’étude et les objectifs de loisirs. Ils ont obtenu par ailleurs de meilleurs résultats scolaires. 

Une étude de Stojanovic et coll. (2020) a mis en évidence un aperçu plus direct des avantages du développement de solides habitudes d’étude. Des collégiens ont formé des intentions d’étude et ont suivi leur comportement d’étude pendant six semaines en utilisant une application sur leur téléphone. 

Les résultats indiquent que la répétition est associée à une plus grande automaticité. La répétition encadrée par l’application a réduit :
  • Les conflits de désir : vouloir faire autre chose qu’étudier au moment où on a décidé d'étudier. 
  • L’interférence motivationnelle :
    • La déstabilisation causée par les conflits entre l’étude et les objectifs alternatifs. La motivation à étudier est concurrencée par des pensées liées à d'autres occupations.
L’interférence motivationnelle est courante chez les étudiants et associée à une autorégulation déficiente et à un bien-être moindre (Fries et coll. 2008 ; Grund et coll. 2015a, b). 

Les habitudes peuvent augmenter la motivation à se mettre au travail à un moment donné et rendre un élève moins sensible aux tentation de faire autre chose car le cadre est bien délimité.

La motivation et les capacités d'autorégulation délibérée sont des facteurs importants pour la réussite. Toutefois, les habitudes peuvent expliquer de manière unique les différences individuelles dans les résultats des étudiants. 




Agir stratégiquement pour changer les habitudes en apprentissage autonome


Nous pouvons partir du constat que les stratégies que les élèves utilisent spontanément reflètent probablement des réponses habituelles à des situations d’apprentissage particulières plutôt que leur seule connaissance des stratégies efficaces ou leur motivation à apprendre. 

Par conséquent, le fait de connaître des stratégies efficaces ou d’être motivé pour apprendre pourrait ne pas suffire à changer leur comportement. 

Dans le cadre du développement de nouvelles bonnes habitudes d’apprentissage autonome, il est important d’aider les élèves à identifier les résistants qui prennent la forme d’habitudes moins efficaces.

Ainsi, les élèves peuvent : 
  • Avoir l’habitude de relire passivement le manuel ou leurs notes
  • Ne pas utiliser de tests pratiques pour s’évaluer
  • Ignorer les commentaires sur leurs erreurs faites par les enseignants
  • Utiliser des stratégies de prise de notes superficielles en classe
  • Ne pas poser de questions en classe quand ils ne comprennent pas.
  • Laisser leur l’esprit vagabonder pendant le cours plutôt que de maintenir leur attention sur ce que dit l’enseignant
Il faut réellement réfléchir à la manière de faire prendre conscience aux élèves de ces mauvaises habitudes et de les aider à créer un cadre pour les inhiber.

Parallèlement, nous devons les aider à pratique fréquemment et de manière étendue l’utilisation de stratégies efficaces (p. ex., pratique de récupération, auto-explication) dans des contextes spécifiques d’apprentissage en classe. 

Ils doivent prendre en compte leurs anciennes tendances et les perturber pour les remplacer. Les élèves ont besoin de pratique pour développer de nouvelles compétences. 

Les interventions d’apprentissage autorégulé qui se concentrent sur l’information et la motivation des élèves à utiliser des stratégies sont vouées à l’échec. 

Une approche basée sur les habitudes devrait mettre davantage l’accent sur l’utilisation de répétitions fréquentes, de contextes stables et de récompenses pour développer l’automaticité.

Dans l’ensemble, les élèves conserveront probablement leurs habitudes inadéquates à moins qu’ils ne structurent leur environnement pour :
  • Perturber les habitudes antagonistes
  • Rendre les comportements d’étude faciles à répéter
  • Relier l’étude et les stratégies d’étude appropriées à des indices contextuels stables
  • Rendre l’étude gratifiante.

Mis à jour le 16/01/2024

Bibliographie


Fiorella, L. The Science of Habit and Its Implications for Student Learning and Well-being. Educ Psychol Rev 32, 603–625 (2020). https://doi.org/10.1007/s10648-020-09525-1

Susser, J. A., & McCabe, J. (2013). From the lab to the dorm room: metacognitive awareness and use of spaced study. Instructional Science, 41, 345–363.

Blasiman, R. N., Dunlosky, J., & Rawson, K. A. (2017). The what, how much, and when of study strategies: comparing intended versus actual study behaviour. Memory, 25(6), 784–792.

Ouellette, J. A., & Wood, W. (1998). Habit and intention in everyday life: the multiple processes by which past behavior predicts future behavior. Psychological Bulletin, 124 (1), 54–74. 

Henderikx, M. A., Kreijns, K., & Kalz, M. (2017). Refining success and dropout in massive online courses based on the intention-behavior gap. Distance Education, 38(3), 353–368. 

Neroni, J., Meijs, C., Gijselears, H. J. M., Kirschner, P. A., & de Groot, R. H. M. (2019). Learning strategies and academic performance in distance education. Learning and Individual Differences, 73, 1–7. 

Galla, B. M., & Duckworth, A. L. (2015). More than resisting temptation: beneficial habits mediate the relationship between self-control and positive life outcomes. Journal of Personality and Social Psychology, 109 (3), 508–525.

Fries, S., Dietz, F., & Schmid, S. (2008). Motivational interference in learning: the impact of leisure alternatives on subsequent self-regulation. Contemporary Educational Psychology, 33, 119–133.

Grund, A., Grunschel, C., Bruhn, D., & Fries, S. (2015a). Torn between want and should: an experience—sampling study on motivational conflict, well-being, self-control, and mindfulness. Motivation and Emotion, 39, 506–520. 

Grund, A., Schmid, S., & Fries, S. (2015b). Studying against your will: motivational interference in action. Contemporary Educational Psychology, 41, 209–217. 

Stojanovic, M., Grund, A., & Fries, S. (2020). App-based habit building reduces motivational impairments during studying—An event sampling study. Froniers in Psychology, 11 (167), 1–15.

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