Les interventions en gestion de classe gagnent à cibler le comportement en contexte plus que l’auteur de manière à avoir un impact dans le contexte d’une classe. Une exploration de la question selon les apports du spécialiste en comportement Bill Rogers (2005).
(Photographie : konosakanoboru)
Gérer l’usage d’un langage inapproprié en classe
Imaginons une situation de classe typique. Un élève interpelle un camarade de classe et lui lance un objet, avec certains mots familiers et typiques du langage de certains adolescents. La difficulté est que ces mots paraissent immédiatement grossiers, indésirables et déplacés dans le cadre scolaire.
Le tout se fait de manière publique et envahissante, potentiellement perturbante pour le cours.
Se pose la question de la réaction de l’enseignant :
- Pouvons-nous simplement ignorer ce qui vient de se passer ?
- Devons-nous simplement accepter l’intrusion épisodique en plein milieu du cours d’un langage inapproprié en classe, mais propre à leur culture adolescente et que les élèves utiliseraient entre eux en dehors ?
Le problème est que si nous laissons passer un tel langage et ne réagissons pas, nous montrons que nous ne nous en soucions pas personnellement. Dès lors, ce type de perturbation est toléré. Ce faisant, nous acceptons des exceptions à la norme que nous souhaitions.
Le fait que les élèves utilisent ce langage entre eux dans leurs échanges personnels est une dimension culturelle qui leur appartient. En soi, elle n’est pas préoccupante si cela ne s’inscrit pas dans un cadre de harcèlement ou de coercition.
Toutefois, le fait qu’ils le fassent dans le cadre défini, protégé et sécurisé de la classe est un réel problème. C’est d’autant plus le cas que cette intrusion peut perturber le bon fonctionnement du cours.
Par conséquent, lorsqu’un élève franchit la limite, nous devons de suite lui rappeler les attendus comportementaux liés au respect des autres dans le contexte de la classe.
Le problème n’est pas tellement que les mots soient grossiers. Ils peuvent être relativement inoffensifs dans le cadre d’échanges réguliers entre élèves hors de la classe. Le problème est qu’il y a un glissement de cadre, une invasion en classe d’un registre de conversation qui est hors contexte et met en danger les missions d’enseignement, d’instruction et d’éducation.
Par conséquent, s’il est important d’agir, il faut veiller à ne pas faire également une confusion de registre. Il s’agit de traiter le fait qu’il y a eu une intrusion et non le fait direct de la double interprétation du message, probablement inoffensif entre élèves, mais offensif dans le cadre du cours.
De fait, il n’y a pas de raison d’exiger d’un élève qu’il s’excuse de son langage, ou de l’y contraindre, si cela ne se manifeste pas naturellement chez lui. Notre réel enjeu est que l’élève saisisse à l’avenir qu’en utilisant ce vocabulaire en classe, il était hors limites. Nous avons une mission d’éducation et un défi qui se pose à nous en tant qu’enseignant.
La meilleure réponse est dès lors de l’ordre de la pédagogie et non dans l’affrontement.
Il peut être tentant de vouloir confronter l’élève à ses écarts, voire de le mettre dans l’embarras pour lui donner une leçon. Il y a un quadruple problème :
- Premièrement, la situation de stress induite ne sera pas propice à un apprentissage pour l’élève.
- Deuxièmement, nous allons endommager le rapport relationnel que nous entretenons avec l’élève.
- Troisièmement, nous risquons de satisfaire et de renforcer l’objectif attentionnel sous-jacent de l’élève.
- Quatrièmement, une punition est peu efficace et n’apprend rien en elle-même.
Nous devrons faire valoir notre point de vue avec une affirmation respectueuse envers l’élève et face au public que forment ses pairs. De même, nous devons éviter de servir tout objectif d’attention ou de pouvoir de l’élève. Nous intervenons au moment même pour stopper le comportement, mais sans le traiter à ce moment-là.
La meilleure manière de gérer efficacement l’intrusion, c’est de différer le traitement à un temps de rencontre en tête-à-tête, après le cours pour aborder ce comportement et traiter la perturbation.
En procédant de la sorte, nous pouvons partager et transmettre une compréhension fondamentale et respectueuse des attentes, de l’apprentissage et du comportement. Nous appliquons à l’intervention la rigueur que nous souhaitons dans l’expression des comportements attendus par les élèves.
En procédant de la sorte, l’élève peut, peu à peu mieux comprendre les attentes et les exigences du cadre. Cela peut demander du temps, des efforts, de la bonne volonté et une communication patiente de nos attentes. Mais, il y a une plus grande probabilité d’efficacité que de sortir l’arsenal punitif.
Bien différencier l’élève de son comportement
Certaines interactions en classe entre élèves apparaissant être des perturbations. Alors qu’elles nous paraissent grossières dans le cadre de la classe, elles peuvent être des interactions naturelles entre élèves lorsqu’ils sont entre eux hors de la classe.
Lorsque nous nous attaquons à ce type de comportement irréfléchi, inconsidéré, irrespectueux, nous devons nous concentrer sur le comportement lui-même. Nous ne devons pas nous centrer sur la personne qui en est l’auteur.
Nous le faisons clairement, avec assurance et sans hostilité, et en fonction du contexte.
Cela impose d’être :
- Précis, clair et bref dans la description du comportement visé
- D’identifier et sa nature : manque de respect, manque de courtoisie, offense…
- D’enchainer sur le fait que le comportement doit être arrêté maintenant en lui proposant un choix orienté.
Si un objet est en cause, il vaut mieux donner un choix dirigé en demandant de la ranger ou de le mettre dans le sac ou de nous le confier temporairement. Il est plus délicat et risqué de le saisir, de confisquer l’objet ou demander péremptoirement de nous le remettre. Laisser un choix à l’élève, parfois un faux choix lorsqu’une des alternatives est clairement moins souhaitable facilite l’acceptation de l’élève.
L’élève a besoin d’entendre l’affirmation de notre point de vue moral par rapport au comportement dans une déclaration brève, claire et sans ambiguïté.
Si l’élève obtempère, l’objectif est atteint. Si l’élève continue à parler ou à agir de manière discourtoise, irrespectueuse ou désobligeante, nous devons lui préciser les conséquences immédiates (ou différées).
La notion de comportements primaires et de comportements secondaires en gestion de classe
Dans le cadre d’interactions liées aux interventions en classe, dans de nombreux échanges l’enseignant se retrouve confronté en réponse au comportement non verbal et verbal d’un élève. Cette réponse peut constituer un facteur de stress pour l’enseignant quand il fait face au comportement distrayant et perturbateur.
Le comportement perturbateur initial de l’élève est considéré comme un comportement primaire.
Le comportement qui est une réponse à l’intervention de l’enseignant peut être considéré comme un comportement secondaire. Par exemple, l’élève peut faire la moue, soupirer, bouder, faire un commentaire presque inaudible, lever les yeux au plafond ou souffler. Il peut ne pas réagir, procrastiner, argumenter ou protester.
Ces comportements secondaires sont souvent potentiellement aussi stressants que le problème ou le comportement primaire initial que l’enseignant aborde. Le danger est qu’ils sont susceptibles d’enclencher rapidement un cycle de coercition ou une escalade.
Les comportements secondaires sont à prendre sérieusement et doivent faire l’objet de prévention, d’anticipation et de traitement.
Le comportement primaire (laisser un détritus sur le sol) est un problème mineur de discipline. Il faut éviter que le comportement secondaire de l’élève en fasse un problème majeur de gestion de classe. Démarrer par un rappel général de la règle au niveau de la classe plutôt que viser l’élève de manière ciblée est à ce titre plus prudent. Il est temps de passer à une interaction plus ciblée si l’élève ne réagit pas et s’adresser à lui personnellement en ciblant bien le comportement et non l’élève.
Un élève peut procrastiner, protester ou faire semblant de rien, par exemple quand nous lui demandons par exemple de ramasser une boulette de papier sous sa table. Son langage non verbal peut clairement montrer en retour des signes de défiance. Ces comportements secondaires spontanés vont apparaitre comme plus déconcertants ou frustrants pour l’enseignant que le comportement primaire qui est d’avoir laissé une boulette de papier sur le sol.
Ces comportements sont souvent l’expression d’une recherche d’attention ou de pouvoir de la part de l’élève concerné, plus ou moins consciente ou instinctive. Ils peuvent avoir une fonction d’hameçonnage de la réaction de l’enseignant qu’il faut anticiper, éviter, détourner.
L’anticipation se joue dans la manière dont nous abordons initialement l’élève. Elle impose d’être le plus factuel et précis pour décrire brièvement la réalité de la situation, de façon bien précise l’élément visé et l’action attendue. Elle impose d’intervenir respectueusement et poliment.
L’évitement se joue dans la mesure où nous évitons ou déjouons toute confrontation. L’élève peut rechercher une sorte de ping-pong verbal. Il peut également chercher à nous provoquer avec son comportement non verbal. Le risque est au niveau de l’escalade. Ces comportements secondaires sont potentiellement plus ennuyeux et complexes à gérer que les comportements primaires. Il est tenant de monter dans le ton pour mettre un terme à l’échange. Il vaut mieux au contraire répéter le choix dirigé entre le fait d’obtempérer ou d’être sanctionné.
Certains enseignants tombent dans le piège du comportement secondaire verbal d’un élève en entamant une discussion inutile sur la véracité de ce que l’élève a dit. Ils peuvent argumenter contre l’opinion de l’élève ou négocier. Il est inutile de demander à l’élève de raisonner (à ce stade de la leçon) sur quelque chose qu’il peut considérer comme injuste, mais qui représente une règle établie pour l’école.
C’est un exercice qui fait perdre du temps et qui détourne l’attention de l’enseignement et de l’apprentissage.
Le défi dans l’évitement est dans des situations de comportement secondaire, pour l’enseignant de toujours communiquer un sentiment de calme et de maîtrise de soi, envers l’élève concerné et surtout face au reste des élèves.
Toute autre option : confisquer, donner un ordre, s’énerver, être sarcastique ou exclure l’élève du cours est contreproductif. Nous donnons alors à l’élève concerné et au reste de la classe une opportunité d’interpréter notre comportement comme injuste.
La technique de l’accord partiel
À la suite d’un rappel à l’ordre concernant un comportement perturbateur, certains élèves peuvent revendiquer ce que d’autres enseignants acceptent ou tolèrent.
Dans ce cas, la technique de l’accord partiel est utile. Nous pouvons leur dire que c’est peut-être le cas (accord partiel), mais que le règlement est tel qu’il est. Nous répétons alors le choix dirigé.
Nous reconnaissons que ce qu’avance l’élève est peut-être vrai, et nous le suivons d’un recentrage sur la règle concernée et sur la tâche en cours.
Le principe de l’intervention la moins intrusive
Lorsque l’élève est responsable d’une perturbation mineure, nous devons nous rappeler que notre objectif est avant tout qu’il se réengage rapidement et pleinement dans le travail en classe.
Pour qu’une intervention soit la moins intrusive possible, nous entrons dans l’espace de travail de l’élève sur invitation et nous nous concentrons sur la tâche en l’encourageant. Nous lui parlons du travail en cours. Nous lui posons l’une ou l’autre question simple sur la matière en cours. Nous lui donnons l’un ou l’autre conseil pour approfondir sa réflexion sur la tâche… Puis nous avons eu un mot discret sur le comportement perturbateur.
Si l’élève refuse d’obtempérer, nous posons un choix, de manière à ce que la conséquence soit claire. Si l’élève n’obtempère toujours pas, il suffit alors de lui signifier une conséquence différée (qui sera discutée après le cours).
Durant cette intervention, il faut rapidement recentrer l’attention de la classe sur la reprise des activités d’enseignement.
L’établissement de routines transactionnelles dans les interventions
Toute transaction disciplinaire est une transaction sociale.
Lorsque nous intervenons au sujet d’un comportement perturbateur auprès d’un ou plusieurs élèves devant leurs camarades, tout ce que nous disons est évidemment entendu par le public des camarades et a un impact sur lui.
Nous ne nous adressons pas simplement à l’individu ou aux individus qui sont distraits ou perturbateurs. Dans un sens, nous parlons à tout le monde de la manière dont le comportement d’un individu affecte les autres membres de la classe. C’est pourquoi notre langage correctif doit être planifié avec soin.
Un autre facteur d’importance est qu’à travers nos interventions face à des perturbations en gestion de classe, par leur régularité et la maîtrise que nous parvenons à établir, nous établissons des routines transactionnelles.
En évitant les impasses liées au comportement, nous enseignons aux élèves comment ces interventions liées à des perturbations se déroulent dans notre gestion de classe. Après avoir assisté à certaines, les élèves intègrent le processus. Ils observent que c’est de cette façon que les problèmes se règlent de toute façon dans notre classe et ils empruntent cette voie prévisible, apaisée et maîtrisée, car ils n’en imaginent plus d’autres. Nous sommes prévisibles dans le bon sens.
Les élèves reconnaissent et comprennent le sens de notre autorité et de notre leadership mesuré, prévisible et progressif. Il est nécessaire d’intégrer ce schéma d’intervention comme routinier.
Le contexte scolaire l’impose, nous avons besoin d’un cadre extrinsèque pour installer un climat d’apprentissage efficace en classe. Selon le cadre de la réponse à l’intervention, 80 % des élèves vont bien répondre aux interventions universelles. Nous ne pouvons pas risquer de perdre leur coopération par un comportement coercitif ou en en faisant perdre la face à l’élève perturbateur. De même, nous devons éviter de nous retrouver mis nous-mêmes en difficultés face à un élève.
Il n’y a pas de solution miracle, une approche donnée ne fonctionnera pas dans toutes les situations. Nous devons cependant développer, partager et adopter des pratiques et des compétences communes à l’échelle de l’école qui reflètent nos valeurs et font écho à nos missions éducatives.
Mis à jour le 31/12/2023
Bibliographie
Bill Rogers, Classroom Behaviour, 2015, Sage
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