Une synthèse de la note de Sylvie Fontaine (2023) lors de la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves.
(Photographie : Uturinn Takayuki)
Des compétences associées à une littératie en évaluation
La littératie en évaluation des apprentissages peut se définir de la façon suivante (Stiggins, 1991 dans Xu & Brown [2016]) :
- Une bonne compréhension de l’évaluation
- Des connaissances sur les démarches, concepts, etc. en évaluation
- La capacité de mettre en œuvre ces connaissances et cette compréhension dans des tâches d’évaluation des apprentissages
Xu & Brown (2016) proposent les huit compétences suivantes :
- Choisir la méthode d’évaluation en lien avec les décisions éducatives.
- Développer la méthode d’évaluation en lien avec les décisions éducatives.
- Administrer, noter et interpréter les résultats d’évaluation obtenus à des évaluations internes et externes.
- Utiliser les résultats de l’évaluation lors de la prise de décisions concernant les élèves, la planification de l’enseignement, le curriculum et le progrès dans l’école.
- Développer des méthodes de notation valides.
- Communiquer les résultats de l’évaluation aux diverses parties prenantes.
- Reconnaître l’intégrité, la légalité et la pertinence des méthodes et des informations entourant l’évaluation.
- Prendre en compte les développements récents concernant les politiques et les pratiques en évaluation.
Toutefois, énoncer une liste de compétences ne garantit pas que les enseignants les acquièrent et les mobilisent dans leur contexte scolaire et dans les matières qu’ils enseignent (Xu & Brown, 2016).
Un déficit de compétences en littératie de l’évaluation chez les enseignants
La recherche montre que, malgré la formation reçue, les jeunes enseignants qui débutent leur carrière en enseignement ne se sentent pas suffisamment formés pour évaluer leurs élèves.
De plus, l’évaluation des apprentissages serait une difficulté qui persiste dans le temps et qui serait associée à un désir de quitter la profession (Fontaine et coll., 2012).
Une première raison est le peu de temps accordé à l’évaluation des apprentissages dans les programmes de formation des enseignants.
Une deuxième raison a trait aux nombreux changements qui ont eu lieu dans le domaine de l’évaluation. Ce sont plus particulièrement ceux en rapport avec le passage d’une conception de l’évaluation de l’apprentissage à une conception de l’évaluation pour l’apprentissage (Stiggins, 2009).
Une troisième raison est l’écart possible entre ce qui est enseigné dans les cours consacrés à l’évaluation et ce qui se passe réellement en classe (Ogan-Bekiroglu & Suzuk, 2014).
Une quatrième raison se situe dans la confusion qui semble exister entre deux tendances actuelles en évaluation :
- D’une part, il y a une prise de conscience de l’importance que l’évaluation faite par les enseignants a sur l’apprentissage de ses élèves. Conséquemment, une place plus grande est accordée à l’évaluation intégrée à l’enseignement. Cela se traduit par la présence de l’évaluation formative, dont l’enseignant est le principal responsable.
- D’autre part, la présence des examens externes à forts enjeux qui vient brouiller, et certainement réduire, le rôle de l’enseignant au regard de l’évaluation de l’apprentissage de ses élèves.
Soutenir le développement de compétences en littératie de l’évaluation
Le rôle premier de l’enseignant est de faire apprendre et de vérifier que cet apprentissage a bien eu lieu pour chaque élève.
Cela implique qu’au cours de sa formation, un enseignant développe sa littératie en évaluation.
La question se pose sur la manière de mieux former les enseignants et de les soutenir dans la mise en œuvre de pratiques d’évaluation qui faciliteront l’apprentissage de leurs élèves.
Deux éléments sont à mettre en évidence au niveau de la recherche :
- Un facteur facilitateur est la présence de l’évaluation formative dans les documents et programmes officiels. La recherche montre qu’alors, l’évaluation formative fait une différence sur l’apprentissage des élèves tout en favorisant aussi leur réussite aux examens sommatifs (Birenbaum et coll., 2015).
- Le fait d’apprendre à évaluer les élèves en favorisant une démarche de soutien à leur apprentissage lors de la formation initiale des enseignants influence leur décision d’intégrer l’évaluation formative dans leur enseignement (Box, Skoog & Dabbs, 2015).
Plutôt que de développer parallèlement les huit compétences proposées, Sylvie Fontaine (2023) propose de cibler les compétences 1, 2, 4 et 8 :
1— Choisir la méthode d’évaluation en lien avec les décisions éducatives.
2— Développer la méthode d’évaluation en lien avec les décisions éducatives.
4— Utiliser les résultats de l’évaluation lors de la prise de décisions concernant les élèves, la planification de l’enseignement, le curriculum et le progrès dans l’école.
8— Prendre en compte les développements récents concernant les politiques et les pratiques en évaluation.
Black & Wiliam (2018) insistent sur la complémentarité entre l’évaluation formative et l’évaluation sommative. Les deux premières compétences concernent le lien entre la méthode d’évaluation et les décisions à prendre. Les mêmes instruments peuvent être utilisés, mais la visée de l’évaluation sera distincte.
La compétence 4 s’assure que les résultats de l’évaluation seront utilisés en cohérence avec la visée de l’évaluation.
La compétence 8 va au-delà de la formation initiale des futurs enseignants. Tous les enseignants doivent développer la capacité de mettre à jour leurs connaissances et compétences en évaluation.
Au regard des développements récents, c’est le cadre d’une évaluation soutien d’apprentissage qui s’impose. Le principe est que l’enseignant mobilise les résultats de l’évaluation pour guider l’élève et son enseignement.
Les autres compétences peuvent être développées dans un deuxième temps et d’une manière différente. Elles correspondent à des pratiques qui se veulent collectives et cohérentes dans les équipes pédagogiques, le cadre légal et en lien avec le projet éducatif d’un établissement scolaire.
3 — Administrer, noter et interpréter les résultats d’évaluation obtenus à des évaluations internes et externes.
5 — Développer des méthodes de notation valides.
6 — Communiquer les résultats de l’évaluation aux diverses parties prenantes.
7 — Reconnaître l’intégrité, la légalité et la pertinence des méthodes et des informations entourant l’évaluation.
La piste des ateliers de formation continuée
Ce type de formation consiste à offrir des ateliers sur une période continue dont la durée peut varier.
Mertler (2009) a proposé une formation intensive de deux semaines sur l’évaluation des apprentissages dans le cadre d’une recherche. Les participants à cette formation prenaient part à des discussions et à des exercices pratiques. Ils devaient réaliser des tâches en lien avec différents aspects de l’évaluation.
Au début et à la fin de la formation, les participants ont dû répondre à un questionnaire visant à faire un état de leurs connaissances. Ils devaient aussi tenir un journal réflexif pour documenter leur expérience.
L’auteur arrive à la conclusion que la formation intensive a eu un effet important sur le développement des connaissances des participants ainsi que sur leur compréhension en évaluation des apprentissages.
La difficulté avec ce type de formation est l’absence de suivi des participants lors de leur retour en classe. Il est impossible de savoir si les enseignants vont effectivement mettre en œuvre ce qu’ils ont appris lors de la formation.
La capacité de transfert des enseignants est à questionner. De plus, il est évident que l’absence de suivi des participants lors du retour en classe ne permet pas de constater que cette formation en évaluation a des retombées réelles sur l’apprentissage des élèves.
La piste d’un apprentissage professionnel avec suivi
Dans une revue de la question, Timperley (2011) propose des conditions pour que les formations continues en évaluation fassent une différence sur l’apprentissage des élèves.
Timperley (2011) fait référence aux savoirs théoriques que les enseignants doivent maîtriser et insiste sur le fait que ces savoirs doivent être intégrés dans une théorie de l’apprentissage cohérente.
Timperley (2011) souligne l’importance d’accompagner l’enseignant pendant ou après la formation pour que le transfert de la théorie puisse se faire dans la pratique de l’enseignant en classe.
Timperley (2011) a mis au point une formation professionnelle en évaluation des apprentissages dans le but d’améliorer les résultats scolaires des élèves en difficulté. Cette formation comporte une étape d’identification des besoins d’apprentissage des enseignants participants, aux niveaux didactique et pédagogique, en lien avec l’évaluation.
Des tuteurs accompagnent les enseignants dans une co-construction de la démarche d’évaluation qui met l’accent sur l’importance pour les élèves de bien comprendre les objectifs et la tâche d’apprentissage à réaliser. Cette pratique de validation de la compréhension des élèves est documentée afin que les enseignants puissent en constater l’efficacité.
Cette formation continue a eu un impact important sur les résultats des élèves en difficulté.
Timperley (2011) souligne que les enseignants en exercice se doivent d’assumer positivement leur responsabilité dans le cadre de la formation continue. Ils ont également leur responsabilité de vérifier si la mise en œuvre des compétences développées lors des formations a un bénéfice pour leurs élèves.
La piste des communautés d’apprentissage professionnelles
Ce type de formation peut viser le développement d’une démarche d’évaluation au service des apprentissages, mais aussi, la création d’un groupe de soutien pour les enseignants.
Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux (2013) ont mis en œuvre une communauté d’apprentissage professionnelle pour :
- Consolider les connaissances en évaluation
- Soutenir les enseignants dans l’ajustement de leurs pratiques
- Susciter une dynamique de co-formation entre enseignants
Des rencontres se sont échelonnées sur une période de deux ans. Les chercheurs se sont assurés de suivre les enseignants tout au long du processus par le biais de rencontres régulières et de journaux de bord.
Les enseignants devaient mettre en œuvre une pratique évaluative auprès de leurs élèves après chacune des rencontres de groupe et documenter cette mise en œuvre dans leur journal de bord. Ils devaient de plus conserver des traces concrètes de cette mise en œuvre pour leurs élèves.
Selon les enseignants participants, la participation à une communauté d’apprentissage professionnelle leur a permis :
- De consolider leurs connaissances
- D’établir plus de liens entre la théorie et la pratique
- De partager leurs préoccupations professionnelles
- De réfléchir sur leurs pratiques
- De les partager avec leurs collègues.
Le soutien au transfert des compétences en classe et la responsabilisation des enseignants
L’acquisition de connaissances théoriques n’est pas une difficulté dans la cadre de la formation. L’enjeu réel est en rapport avec le transfert des compétences dans la pratique des enseignants en classe.
Dès lors, il est important de soutenir les enseignants dans leur changement de pratiques. Même s’ils se disent prêts à mettre en œuvre leurs nouvelles compétences, le retour en classe donne souvent lieu au retour des pratiques habituelles.
Un accompagnement qui va au-delà de la formation ponctuelle est nécessaire.
Comme le souligne Timperley (2011), les enseignants en formation continue sont aussi responsables de vérifier si les changements qu’ils apportent à leurs pratiques évaluatives font une différence pour les élèves. L’objectif est de former les enseignants afin qu’ils puissent utiliser l’évaluation pour soutenir l’apprentissage des élèves.
Tout cela n’est pas possible sans le soutien des directions d’établissements en matière de suivi et d’allocation de ressources. Liz Holingworth (2012) a implanté un programme d’évaluation formative dans une école secondaire américaine. Selon cette chercheuse, la direction doit faire preuve de leadership en évaluation auprès des enseignants pour qu’ils puissent développer leurs connaissances et leurs pratiques en évaluation formative. Or, les directions peuvent avoir des lacunes en ce qui a trait à leur formation en évaluation des apprentissages (Stiggins, 2002).
La responsabilité des directions est double :
- Elles doivent assurer leur propre développement professionnel (dans ce cas, des connaissances et une compréhension de l’évaluation)
- Elles doivent apprendre à soutenir le développement de leurs enseignants, donc faire preuve de leadership.
C’est avec ce double objectif que les directions d’établissement scolaire pourront faire une différence intéressante et susciter la responsabilisation des enseignants et la création d’une culture de l’évaluation au sein de leur école.
Mis à jour le 31/12/2023
Bibliographie
Fontaine, S. (2023). Comment la formation des personnels peut-elle favoriser le développement d’une évaluation au service de l’apprentissage ? dans Conférence de consensus du Cnesco l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves : Notes des experts (pp. 219-228). Cnesco-Cnam. https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2023/03/Cnesco-CC-Eval_Notes-des- experts.pdf
Birenbaum, M., DeLuca, C., Earl, L., Heritage, M., Klenowski, V., Looney, A., Smith, K., Timperley, H., Volante, L., Wyatt-Smith, C. & Hung, R. (2015). International trends in the implementation of assessment for learning: Implications for policy and practice. Policy Futures in Education, 13(1), 117– 140.
Black, P. & Wiliam, D. (2018). Classroom assessment and pedagogy. Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 25(6), 551–575. https://doi.org/10.1080/0969594X.2018.1441807
Box, C., Skoog, G. & Dabbs, J. M. (2015). A case study of teacher personal practice assessment theories and complexities of implementing formative assessment. American Educational Research Journal, 52(5), 956–983.
Fontaine, S., Kane, R. G., Duquette, O. & Savoie-Zajc, L. (2012). New teachers’ career intentions: Factors influencing new teachers’ decision to stay or to leave the profession. Alberta Journal of Educational Research, 57(4), 353–378.
Fontaine, S., Savoie-Zajc, L. & Cadieux, A. (2013). L’impact des CAP sur le développement de la compétence des enseignants en évaluation des apprentissages. Éducation et francophonie, 41 (2), 10 — 34.
Hollingworth, L. (2012) Why leadership matters: empowering teachers to implement formative assessment, Journal of Educational Administration, Vol. 50 Issue: 3, pp. 365–379. doi.org/10.1108/09578231211223356
Mertler, C. A. (2009). Teachers’ assessment knowledge and their perceptions of the impact of classroom assessment professional development. Improving Schools, 12(2), 101–113. DOI: 10.1177/1365480209105575
Ogan-Bekiroglu, F., & Suzuk, E. (2014). Pre-service teachers, assessment literacy and its implementation into practice. Curriculum Journal, 25(3), 344–371. DOI:10.1080/09585176.2014.899916
Timperley, H. (2011). Le développement professionnel des enseignants et ses effets positifs sur les apprentissages des élèves. Revue française de pédagogie [En ligne], 174 janvier-mars 2011. DOI : 10.4000/rfp.2910
Stiggins, R. J. (2009). Assessment FOR Learning in Upper Elementary Grades. Phi Delta Kappan, 90(6), 419–421.
Stiggins, R. J. (2002), Assessment Crisis: The Absence of Assessment for Learning, Phi Delta Kappan 83(10), 758–765.
Xu, Y. & Brown, G. T. L. (2016). Teacher assessment literacy in practice: A reconceptualization. Teaching and Teacher Education, 58, 149–162. DOI:10.1016/j.tate.2016.05.010
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