samedi 13 mai 2023

Développer des pratiques de notation efficaces et constructives

Comment faire pour que les notes puissent également servir de soutien à l’apprentissage des élèves ? Voici une synthèse personnelle de la note de Raphaël Pasquini (2023) abordant cette question. Raphaël Pasquini est également l'auteur d'un livre sur cette question, "Quand la note devient constructive" (2021).

(Photographie : Cody Cobb)







L’omniprésence de la note dans le milieu éducatif


L’étude TALIS (2018) a montré qu’un large nombre d’élèves dans les pays industrialisés voit ses apprentissages évalués par des épreuves sommatives notées. La note est généralisée dans tous les systèmes scolaires (OECD, 2012). Dans ce contexte et à certaines conditions, elle représente l’information la plus concrète que les élèves peuvent obtenir sur les bilans de leurs apprentissages (Guskey & Link, 2019). 

La question visant à se positionner « pour » ou « contre » la note est dépassée et déconnectée de la réalité des systèmes éducatifs. De plus, des recherches ont en effet mis en évidence le peu d’impact d’appréciations lettrées (par exemple, « acquis/non acquis/en cours d’acquisition »), des codes de couleurs ou d’autres symboles. En effet, au-delà d’un changement de surface, les enseignants continuent à fonctionner avec des pourcentages ou des notes chiffrées sous-jacentes (Kohn, 2011). 

D’un côté, la note permet de rendre compte du travail dans l’école et des progrès de l’élève. De l’autre, au quotidien, elle peut prendre une place conséquente dans le temps scolaire, au détriment parfois de l’apprentissage. De plus, la note peut parfois provoquer des effets négatifs sur le stress des élèves, sur leur motivation et sur leur rapport au savoir. Elle impacte également les parents qui n’ont parfois comme balises de la réussite de leur enfant que ses notes et ses moyennes. 



Aborder la note de manière constructive


La note apparait comme un passage obligé. Elle est sujette à des effets néfastes potentiels et peut induire une logique de comparaison, de performance et de sélection. De plus, les pratiques de notation relèvent souvent pour les enseignants d’habitudes peu questionnées.

Partant de ce constat, il est utile de connaitre et de comprendre quelles sont les conditions nécessaires pour que la note :
  • Se réfère clairement aux apprentissages enseignés, appris et évalués
  • Informe précisément l’enseignant et l’élève de ce qui a été réussi et de ce qui doit encore être travaillé.
L’enjeu est de pouvoir :
  • Offrir une rétroaction pertinente aux élèves afin de soutenir leurs apprentissages grâce à des notes à haute valeur informative. 
  • Favoriser le développement par les enseignants de pratiques de notation au service de l’apprentissage des élèves.



Le modèle de l’alignement curriculaire élargi


Anderson (2002) a défini l’alignement curriculaire comme le niveau de cohérence entre :
  • Les compétences du programme et l’évaluation
  • Les compétences du programme et les activités d’apprentissage
  • L’évaluation et les activités d’apprentissage.
Lorsque les modalités d’enseignement ainsi que les opportunités d’apprentissage offertes aux élèves au travers de tâches d’apprentissage font également partie du modèle, nous parlons d’alignement constructif (Biggs, 2003). 

L’enjeu est d’approfondir ce modèle en incluant les composantes spécifiques à l’évaluation sommative que sont la pondération et la notation. L’élaboration d’épreuves évaluatives sommatives notées devient dès lors un processus complexe, dynamique, contextuel, centré sur les apprentissages. La cohérence est pensée depuis un programme et les contenus sont appariés à des habiletés cognitives. 

 
(Pasquini, 2019a) 

C’est à cet enjeu que répond le modèle de l’alignement curriculaire élargi (Pasquini, 2019a) 
qui croise la littérature de recherche et l’observation de pratiques effectives. 

Le modèle de l’alignement curriculaire élargi s’inscrit au cœur du modèle de l’alignement curriculaire (en rouge). Dans celui-ci interagissent en cohérence les tâches d’apprentissage, les compétences issues des programmes et les pratiques d’évaluation (centrées sur l’évaluation sommative).

L’évaluation sommative déploie ses quatre composantes (en jaune) en les mettant en liens réciproques (doubles flèches jaunes) :
  • La référenciation restreinte décrit les choix réalisés dans les compétences à évaluer d’un point de vue sommatif.
  • Le design explicite les processus de construction des tâches évaluatives, du point de vue :
    • Des contenus sur lesquels elles portent
    • Des habiletés cognitives que les élèves doivent mobiliser. 
  • La pondération renvoie au poids alloué aux apprentissages et aux outils exploités pour ce faire : des critères, des points, ou des critères appariés à des points comme modalité mixte.
  • La notation cible les démarches de construction de la note chiffrée en lien avec l’apprentissage à l’aide d’outils comme les échelles de notation.



La planification à rebours


Lorsqu’un enseignant s’engage dans une planification à rebours, il suit les étapes suivantes : 
  1. Préciser les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite :
    • Déterminer les compétences du programme à atteindre
    • Identifier et expliciter les critères clés caractérisant l’atteinte de ces compétences 
  2. Construire des situations et des tâches d’apprentissage alignées avec les connaissances et compétences et respectant les critères visés 
  3. Collecter des informations sur les apprentissages des élèves tout au long de la séquence en lien avec les attentes formulées, en gardant à l’esprit les attentes relatives à la certification.
Ce travail demande de la flexibilité. Il s’adapte à la discipline et aux contextes ainsi qu’aux publics d’élèves. Il se réalise idéalement en équipe, jusqu’à l’élaboration détaillée de l’épreuve critériée finale. Celle-ci vient à la fin du processus et se base sur la réflexion menée sur l’apprentissage en amont (Pasquini, 2019b).



L’approche critériée de l'évaluation


Dans une analyse de la recherche, Brookhart (2022) montre que les pratiques de notation constructives doivent s’appuyer sur des critères qualitatifs. 

Ces critères représentent l’unique outil permettant de développer des pratiques de notation à haute valeur informative. 

Quatre caractéristiques des critères paraissent incontournables (Balan et Jönsson, 2018) : 
  • Les critères se centrent sur les apprentissages des élèves :
    • Ils permettent de formuler des rétroactions soutenant l’apprentissage. 
    • Il devient constructif de dire à un élève selon quels critères il a échoué, plutôt que de lui décompter le nombre de points qui lui ont manqué pour obtenir une note satisfaisante ou plus élevée. 
  • Les critères se réfèrent à des compétences :
    • Les critères situent chaque élève par rapport à la maîtrise des compétences.
    • La comparaison entre élèves est inexistante.
    • La certification des apprentissages prend le premier rôle, donnant à la note bilan une valeur pédagogique.
  • Les critères sont communiqués dès que possible :
    • Les élèves sont rapidement et fréquemment confrontés aux contenus et aux apprentissages travaillés et évalués. 
    • Les élèves sont petit à petit en mesure de s’approprier une part de la démarche évaluative.
    • Les critères deviennent des outils pour soutenir les apprentissages des élèves dès la phase d’enseignement. 
  • La rétroaction se fonde sur les critères :
    • Elle permet à l’enseignant de mettre en évidence, à côté de la note chiffrée, ce que les élèves ont réussi, mais surtout ce qu’ils vont devoir encore travailler sous son guidage. 
    • La rétroaction est constructive et qualitative, dans la mesure où elle se centre sur l’apprentissage :
      • Elle se concentre sur la réalisation d’une tâche en lien avec la maîtrise d’un plusieurs objectifs d’apprentissage ou sur les stratégies mise en œuvre. 
      • Elle ne vise pas la personne de l’élève, que ce soit sous forme de louanges ou de critiques, car l’évaluation ne porte pas sur l’élève, mais sur sa production.
      • Elle ne se centre pas sur la valeur d’un total de points obtenus. 



Le paradigme de la note constructive


Les pratiques de notation font référence à la manière dont les enseignants utilisent les informations provenant des épreuves sommatives pour déterminer et communiquer les notes des élèves (McMillan, 2019).

En ce sens, la note constructive amène à un changement de paradigme sur l’évaluation. La note constructive devient qualitative puisqu’elle cherche à identifier des indices de réussite.

Pour établir des seuils de notes, l’enseignant change son questionnement :
  • Il ne s’agit plus de réfléchir à quel pourcentage de points sera mis en tant que seuil de suffisance.
  • Il s’agit de déterminer quelles preuves d’apprentissage l’élève doit fournir dans cette situation pour obtenir telle note.
  • Dans une telle perspective, les points peuvent toujours être exploités, mais ils s’apparient à des critères qui renvoient aux apprentissages évalués (Jönsson, 2014). 

Cela amène les enseignants à construire des barèmes de notation :
  • En référence à des critères adaptés aux situations d’enseignement-apprentissage-évaluation.
  • Qui tiennent compte des spécificités de la discipline.
  • Qui prennent en considération le temps d’enseignement et d’apprentissage effectif, le public d’élèves, la complexité du contenu et la nature de l’épreuve. 

Cette démarche se veut une réponse aux critiques faites à propos des échelles numériques basées uniquement sur des points et plus particulièrement à quatre faiblesses qui empêchent l’élaboration de notes constructives : 
  1. L’échelle n’a ni zéro ni maximum, naturels ou absolus. Elle commence et finit n’importe où, au choix de celui ou celle qui l’utilise. 
  2. Les degrés, ou échelons ne sont pas de la même grandeur à l’intérieur d’une même échelle. D’un point de vue d’apprentissage, il est impossible de démontrer que l’écart séparant la bonne de la très bonne connaissance d’un sujet est le même que l’écart séparant la connaissance moyenne de la bonne. 
  3. Des degrés ou échelons correspondant d’une échelle à l’autre pour une même discipline ne sont pas de même grandeur. Par exemple, malgré l’usage d’échelles arithmétiques, « bon » en expression orale en français pour une enseignante ou un enseignant n’est pas quantitativement égal à « bon » en expression orale en français pour un autre. 
  4. Des échelles portant sur des disciplines différentes ne sont pas comparables.

Les échelles en pourcentages ne fonctionnent que sur l’exactitude des calculs des seuils des notes, sans rapport avec la maîtrise avérée des apprentissages des élèves dans les tâches évaluatives. 

Établir des seuils de manière appropriée doit plutôt combiner le jugement professionnel des enseignants. Il se fait en référence aux contenus abordés et aux habiletés cognitives requises par les tâches évaluatives, qui devraient être alignées avec les compétences selon des critères (Tierney et coll., 2011). 



Intégrer l’évaluation sommative dans le soutien aux apprentissages des élèves 


Un écueil à dépasser dans les pratiques des enseignants est que l’évaluation notée est parfois exploitée à des fins non pédagogiques (Hadji, 2012) : 
  • Maintenir les élèves au travail
  • Les motiver à apprendre
  • Gérer la discipline
  • Asseoir le pouvoir de l’enseignant
  • Récompenser l’effort et la conformité.

En ce sens, l’évaluation notée peut se retrouver mise au service d’une entreprise qui la détourne de son cadre strict lié aux apprentissages. 

En l’intégrant dans une réflexion systémique centrée sur les processus d’enseignement-apprentissage, l’évaluation sommative notée se retrouve recentrée vers la mission de faire progresser chaque élève.



Répondre avant tout aux objectifs d’apprentissage par les pratiques de notation


De nombreuses recherches montrent que plusieurs éléments interviennent dans les pratiques de notation et représentent des freins potentiels à la note constructive : 
  • La culture de l’établissement
  • Le niveau des élèves
  • Le milieu socio-économique
  • Le degré de sévérité de l’évaluateur
  • Les valeurs de l’évaluateur
  • Les émotions de l’évaluateur
  • Le niveau de connaissances didactiques, pédagogiques et évaluatives de l’évaluateur
  • La capacité de l’évaluateur à comprendre et à interpréter la logique des prescriptions auxquelles il doit se soumettre.

Les prises de décisions des enseignants lorsqu’ils notent font l’objet de multiples négociations entre différents facteurs aboutissant régulièrement à des dilemmes (Pasquini et DeLuca, 2021). 

Il est important d’aider les enseignants à reconnaitre ces biais et de souligner que les notes ne devraient poursuivre que des objectifs pédagogiques (Carey & Carifio, 2012) : 
  • Certifier les apprentissages considérés comme importants dans les programmes.
  • Offrir des possibilités des rétroactions formatives aux élèves.
  • Donner des informations aux enseignants pour leur permettre de planifier les apprentissages à poursuivre. 



Élaborer avec soin les barèmes et les échelles de notation


Il est important que les enseignants comprennent bien sur quelles bases ils décident de la valeur d’une note. Plus particulièrement, il est important de comprendre comment s’établit celle qui correspond au seuil de réussite.



Évacuer la dimension normative



Une problématique discriminante à régler dans le processus est celle de la note normative où l’élève est classé à partir de ses résultats par comparaison avec ceux de ses camarades. La mise en évidence des différences individuelles poursuit une visée de sélection et de compétition et accentue les échecs. 


 

Nuancer la qualité est parfois délicat 


Une difficulté réelle rencontrée par de nombreux enseignants est de qualifier graduellement la certification d’une compétence. Il n’est pas évident d’expliciter la différence entre une excellente et une bonne performance. Une manière de faire est de mobiliser des exemples de productions d’élèves qui illustrent ces niveaux. 

Une différence qui est directement liée est qu’au plus l’échelle de notation est ample, plus la définition de chaque note en lien avec des critères est délicate (Guskey & Brookhart, 2019). 

L’élément le plus crucial dans le cadre de la définition des attentes au travers de critères est de signifier au moins la valeur de la note suffisante symbolisant le seuil entre réussite et échec. 



Élaborer des critères n’est pas toujours évident

 
Dans de multiples situations d’évaluation, des enseignants peuvent évaluer sans critères explicitement définis (Nordrum et coll., 2013).

Cette évaluation implicite est due au fait que les enseignants rencontrent des difficultés à expliciter concrètement leurs attentes. Ce travail de formulation explicite est souvent perçu comme difficile (Wyatt-Smith & Adie, 2021) et chronophage. 

La démarche induite par la planification à rebours est précieuse, même elle est ardue, de longue haleine et perçue comme complexe. Elle oblige à penser aux apprentissages finaux et intermédiaires, puis aux tâches en rapport. Elle est à contre-courant du fait d’avancer progressivement et intuitivement en direction d’objectif d’apprentissages qui se construisent au fur et à mesure. 



La prise en compte de la spécificité de la discipline est fondamentale. 


Le contenu disciplinaire joue lui-même un rôle majeur dans la manière et dans la facilité de construire des notes à haute valeur informative basées sur des critères. La didactique de la discipline a un rôle majeur à jouer dans l’établissement de barèmes et d’échelles de notation.


Mis à jour le 30/12/2023

Bibliographie


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