jeudi 11 mai 2023

Valeur ajoutée pour l’enseignement explicite des problèmes résolus et des problèmes à compléter

L’usage de problèmes résolu est un outil fondamental pour l’apprentissage des mathématiques en classe, mais son utilisation ne s’improvise pas et demande un temps de préparation.

(Photographie : Mitsutaka Tajiri)




L’importance de l’engagement dans la pratique pour l’enseignement en classe


L’expérience de terrain des enseignants leur fait prendre conscience rapidement que la meilleure façon de développer des compétences passe par de la pratique, beaucoup de pratique. Les élèves doivent s’engager dans une pratique à la fois étendue, distribuée, diversifiée et délibérée.

La pratique est un investissement potentiellement coûteux en ressources pour l’enseignant :
  • Premièrement, il faut concevoir ou disposer de séries des exercices pratiques efficaces et adaptées aux élèves. Leur conception et les ajustements nécessaires demandent du temps de préparation aux enseignants.
  • Deuxièmement, il faut obtenir et maintenir l’engagement des élèves
  • Troisièmement, la réalisation de ces exercices pratiques absorbe une grande partie du temps d’enseignement pour les élèves. 
La première exigence pour l’enseignant est de bien planifier le temps de pratique. Sur le plan psychologique, le fait de travailler sur de nombreux exercices d’entraînement pendant une période prolongée impose à la mémoire de travail une charge mentale qui peut aller à l’encontre de l’apprentissage. Chen, Castro-Alonso, Paas, et Sweller (2018) ont comparé les performances obtenues par les élèves du primaire dans des conditions d’apprentissage sur un temps prolongé ou sous forme de plus courtes périodes distribuées dans le temps. L’apprentissage distribué a été plus profitable pour l’apprentissage. Ce résultat est interprété comme un effet d’épuisement des ressources de la mémoire de travail.

La seconde exigence pour l’enseignant est de s’assurer que ses élèves sont engagés productivement et travaillent comme attendu lors de la pratique. Dans un cours comme les mathématiques, si les élèves ne font pas des exercices ni ne résolvent des problèmes eux-mêmes, en autonomie ou en collaboration, ils n’apprendront pas. 

Cependant, s’il s’agit bien de conditions nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Même lorsque les élèves écrivent, développent et s’expliquent des raisonnements, ils ne sont pas techniquement en train d’apprendre. Le niveau de la charge cognitive peut inhiber l’apprentissage et une performance même atteinte lors d’une heure de cours doit être répétée pour devenir un apprentissage durable.

La pratique doit être :
  • Générative : la compréhension et un traitement cognitif signifiant sont indispensables.
  • Distribuée : l’apprentissage se fait dans le temps, pas uniquement sur le moment. 
De même, la pratique doit s’accompagner d’un transfert progressif de la responsabilité des apprentissages de l’enseignant vers chez élèves et vers chaque élève en particulier. 

L’étayage fourni par l’enseignant fourni dans un premier temps doit être progressivement retiré pour soutenir l’effort d’apprentissage et la responsabilisation des élèves.



L’impasse des séries d’exercices en vrac


Par conséquent, il ne suffit pas de donner quelques exemples rapides aux élèves puis leur demander de se mettre au travail face à des tâches en vrac dont certaines ne correspondent pas forcément bien aux exemples montrés.

Il ne suffit pas pour l’enseignant de compenser en délivrant des indications supplémentaires tandis qu’il circule dans la classe ou en résolvant lui-même les tâches les plus complexes au tableau tandis que ses élèves prennent note.

Il ne suffit pas non plus d’essayer de compenser ce manque d’explications initiales en intensifiant les occasions de coopération et de collaboration entre élèves. 

Le triple inconvénient majeur de cette approche est :
  • Le temps nécessaire pour développer compréhension et apprentissage.
  • Le fait que les écarts entre les meilleurs élèves et ceux qui rencontrent des difficultés tendent à s’accroitre.
  • Il y a un risque réel de développement des conceptions erronées et d’apprentissage d’erreurs.
Des exercices pratiques qui demandent aux apprenants de traiter le contenu en profondeur imposent également une charge considérable à la mémoire de travail. 

Pour les apprenants novices qui doivent consacrer la capacité de leur mémoire de travail à la construction de nouveaux schémas, le fait de travailler sur de nombreux problèmes pratiques ralentit l’apprentissage en surchargeant la mémoire de travail. 

Par conséquent, il ne suffit pas d’avoir une série de tâches pratiques de qualité pour que leur réalisation se traduise automatiquement en apprentissage chez les élèves. Leur mise en œuvre est cruciale. 



Remplacer des problèmes à résoudre par des problèmes résolus


Supposons que nous concevions un cours sur un sujet donné qui se termine par huit problèmes pratiques qui demandent aux élèves d’appliquer les contenus explicités.

Nos problèmes pratiques demandent aux élèves de mobiliser les concepts et procédures enseignés et d’appliquer les compétences en lien du thème enseigné, dans diverses situations et en rapport avec les objectifs d’apprentissage. 

Nous pouvons demander à nos élèves de tâcher de résoudre ces huit problèmes. Mais il y a mieux à faire.

Au lieu de donner huit problèmes pratiques, nous pouvons créer quatre problèmes résolus et quatre problèmes pratiques. 

Un problème résolu est une démonstration étape par étape de la manière d’effectuer une tâche ou de résoudre un problème. Pour les procédures, les problèmes résolus prennent généralement la forme d’une démonstration qui illustre les étapes de réalisation de la tâche. Chaque problème résolu est associé à un problème pratique qui lui correspond. 

Ces problèmes fonctionnent sous forme de paires entre un problème résolu et un problème à résoudre. C’est ce que nous appelons des paires problèmes résolues/problèmes à résoudre. Le cours alterne les problèmes résolus avec à chaque fois un problème pratique similaire. 

Sweller et Cooper (1985) ont été les premiers à montrer que le remplacement de certains problèmes pratiques par des problèmes résolus pouvait faire gagner du temps et permettre un apprentissage équivalent, voire supérieur. Le temps d’apprentissage devient plus rapide et les performances se révèlent meilleures au niveau du test. Les élèves apprennent plus vite et mieux. Ceux qui n’utilisent que des problèmes pratiques ont besoin de plus de temps et apprennent moins. Lors d’un test ultérieur, ils sont susceptibles de faire plus d’erreurs et de démontrer une compréhension plus superficielle.

Zhu et Simon (1987) font le bilan d’un essai mené sur le terrain dans des écoles secondaires chinoises (niveau collège). Un cours traditionnel de trois ans comprenant deux années d’algèbre et une année de géométrie a été achevé avec succès en deux ans en intégrant des problèmes résolus dans les séances de pratique. 

La recherche en laboratoire a montré qu’il était possible de gagner du temps d’apprentissage dans des conditions contrôlées. Il suffit de remplacer une partie de la pratique par des problèmes résolus intelligemment intercalés. Les essais sur le terrain ont montré que cette technique pouvait être adaptée en classe.



Comprendre la valeur ajoutée des problèmes résolus pour la pratique


La résolution active de problèmes pratiques seuls impose une charge mentale beaucoup plus importante que l’étude de problèmes résolus accompagnée de la résolution de problèmes pratiques. La clé est que les problèmes résolus permettent d’apprendre explicitement comment résoudre les problèmes pratiques avec rigueur, clarté et profondeur. 

Lors de l’étude de problèmes résolus, la capacité limitée de la mémoire de travail peut être pleinement consacrée à la construction d’un schéma cognitif dédié à la manière d’effectuer la tâche démontrée.

Le fait de pouvoir étudier un problème résolu juste avant de résoudre un problème similaire permet à l’apprenant de disposer d’une analogie pendant la résolution du problème et de la mobiliser en réfléchissant à ses connaissances préalables. 

Lorsqu’il doit résoudre activement un problème sans bénéficier d’un exemple analogue, la majeure partie de la capacité de la mémoire de travail est utilisée pour trouver la meilleure approche de solution. Il reste peu de ressources mentales disponibles pour construire un schéma en mémoire à long terme et même si un schéma est construit, il risque d’être bancal, approximatif et mal connecté aux connaissances préalables de l’apprenant. 

Paas (1992) a montré que l’étude de problèmes résolus permettant un meilleur apprentissage que la pratique directe de problèmes pour l’apprentissage des concepts statistiques de moyenne, médiane et mode. Un élément intéressant est que dans le cadre de son expérience, il a demandé aux participants d’évaluer la quantité d’efforts investis sur une échelle allant de très très faible à très très élevée. Il a pu montrer que les élèves ont jugé les cours comportant des problèmes résolus et des problèmes de pratique nettement moins difficiles que les cours comportant uniquement des problèmes de pratique. Cela suggère que l’avantage des problèmes résolus est dû à une réduction de la charge cognitive.



Paires de problèmes en enseignement explicite


L’usage de paires de problèmes est très courant en enseignement explicite. 

L’enseignant présente et effectue un modelage de la résolution d’un problème (Worked example) à ses élèves qui prennent note de la résolution dans l’espace prévu pour. Ensuite, l’enseignant leur donne un problème de pratique (Your turn) à essayer de résoudre par eux-mêmes qui est globalement le même problème avec des données chiffrées différentes.

L’idée est d’intégrer très directement modelage et pratique guidée.


L’usage du problème résolu aide l’enseignant à :
  • Montrer son processus de réflexion (haut-parleur sur la pensée) et l’enchaînement des étapes
  • Attirer l’attention des élèves sur des détails essentiels
  • Donner des exemples de ce qu’il ne faut pas faire (contre-exemples).
Cette démarche ne se fait pas sans la prise de certaines décisions :
  • Quelle est la difficulté de l’exemple que je vais modeler ?
  • À quoi est-ce que je veux que les élèves pensent et soient attentifs ?
  • Le problème présente-t-il un bon niveau de difficulté ? Ni trop simple et ni trop complexe ? L’idée est que le problème proposé se situe juste au-delà de leurs connaissances actuelles.
  • Est-ce que le développement de l’exercice rend compte suffisamment du raisonnement suivi ? L’idée est que l’exemple mobilise le bon niveau de réflexion en lien avec les concepts sous-jacents.
  • Faut-il décomposer la résolution en étape identifiée afin d’apporter une forme d’étayage ? Aucune étape ne doit créer une surcharge cognitive.
  • Est-ce qu’un élève pourra facilement retrouver la démarche plus tard quand il relira ses notes de cours ? La résolution proposée doit être structurée et suffisamment explicative pour pouvoir être comprise à nouveau plus tard.
Un raffinement de la technique est d’introduire une phase intermédiaire d’auto-explication qui permet de mettre en évidence le processus de réflexion sous-jacent que l’enseignement explicite lors du modelage (haut-parleur sur la pensée). 





S’assurer du plein engagement des élèves dans les paires problèmes résolus/problèmes à résoudre


L’usage de paires formé par un problème résolu et un problème à résoudre s’avère efficace dans un certain nombre de situations.

Cependant, les problèmes résolus présentent un inconvénient potentiel. Pour être efficace, un problème résolu doit être analysé, compris, étudié et appris. Un problème résolu ignoré ou traité superficiellement ne favorisera pas l’apprentissage. 

Certains élèves peuvent être tentés d’ignorer complètement les problèmes résolus ou de ne les étudier que superficiellement, ce qui les prive des avantages qu’ils offrent. Ils vont les utiliser pour trianguler la réponse du problème à résoudre.

Nous voulons qu’à terme ils puissent résoudre les problèmes de pratique sans avoir accès à un problème résolu similaire. Il faut par conséquent que dès le départ ils s’investissent dans un traitement approfondi lors de la résolution des problèmes pratiques.

Les enseignants doivent exiger que les élèves suivent avec rigueur le processus de résolution dans le cadre des problèmes à résoudre. S’engager dans ce processus est une preuve du traitement profond sous-jacent et un traitement approfondi conduit à un meilleur apprentissage. 




L’utilisation de problèmes à compléter


Une façon de faciliter l’engagement des élèves dans les problèmes résolus et de soutenir leur apprentissage est d’introduire des problèmes à compléter.

Les problèmes à compléter sont des hybrides entre les problèmes résolus et les problèmes à résoudre. Ils deviennent d’autant plus opportuns qu’un problème peut se décomposer en étapes intermédiaires. 

Dans un problème à compléter, certaines des étapes sont démontrées comme dans un problème résolu et les autres étapes sont réalisées par l’apprenant comme dans un problème pratique. 

Souvent, le début du problème est réalisé pour l’apprenant, et ce dernier doit réaliser lui-même les étapes suivantes. Pour compléter le problème, l’apprenant devra comprendre la partie résolue, puis répondre ouvertement à la partie ouverte. Au départ seule la dernière étape est à résoudre puis on remonte en arrière jusqu’à avoir un problème complet à résoudre.

Le fait de demander à l’élève de terminer le problème à compléter garantit qu’il traitera le problème à compléter en profondeur. 

Paas (1992) a comparé l’efficience et l’efficacité d’apprentissage de trois versions de leçons consacrées à l’application de concepts statistiques tels que la moyenne, la médiane et le mode :
  • Uniquement la résolution de problèmes pratiques
  • Des paires associant des problèmes résolus et des problèmes pratiques
  • Des problèmes résolus suivis de problèmes à compléter.
Les élèves ont passé beaucoup plus de temps sur la version de leçons avec tous les problèmes que sur les deux autres présentant des problèmes résolus, tout en apprenant beaucoup moins. Les deux autres versions avec problèmes résolus ont mené à des apprentissages similaires. 

Les évaluations de l’effort mental (perception de la charge cognitive) pour la formation n’étaient pas différentes entre ces deux groupes et étaient plus faibles que pour le groupe qui a uniquement résolu des problèmes pratiques.

L’apprentissage avec des problèmes résolus améliore les performances de transfert lors des tests, car il est moins exigeant en termes de temps, d’effort et de capacités. Les élèves peuvent apprendre plus vite et plus en profondeur et acquérir de meilleurs schémas en étudiant les parties résolues et en s’y exerçant dans des contextes proches. 

L’intérêt à privilégier des problèmes à compléter est avant tout une question de charge cognitive pour les apprenants.



L’importance des auto-explications dans l’étude des problèmes résolus


La recherche a montré que les apprenants qui traitent les exemples plus profondément apprennent davantage. 

Chi et ses collaborateurs (1989) ont demandé à des étudiants de parler à haute voix pendant qu’ils étudiaient des problèmes résolus en physique. Ils ont comparé le « discours personnel » des étudiants ayant obtenu les meilleurs résultats à celui des étudiants ayant obtenu les moins bons résultats à un test. Ils ont constaté que les apprenants ayant obtenu les meilleurs résultats avaient non seulement plus d’auto-explications, mais que la qualité de leurs auto-explications était meilleure. 

Les auto-explications les plus efficaces : 
  • Se concentrent sur le moment et la raison de l’utilisation des procédures menant à la solution. Quoi utiliser quand et pourquoi ?
  • Relient les étapes spécifiques successives de la solution au problème. Comment les différentes étapes s’inscrivent-elles dans un processus ?
  • Incluent plus d’autorégulation comme : Je ne vois pas pourquoi cette procédure est utilisée à ce stade de la résolution ?  
En résumé, les problèmes résolus associés à des problèmes à résoudre ou à compléter offrent un équilibre psychologique du point de vue cognitif et métacognitif. Ils réduisent la charge cognitive et favorisent un traitement en profondeur et une autorégulation.

Le fait d’utiliser des problèmes à compléter peut potentiellement faciliter l’engagement parce qu’il amène à être particulièrement attentif à ce qui a déjà été résolu et à la manière dont il faut achever la résolution.



Mis à jour le 30/12/2023


Bibliographie


Clark, Ruth & Nguyen, Frank & Sweller, John & Baddeley, Melissa. (2006). Efficiency in Learning: Evidence-Based Guidelines to Manage Cognitive Load. Performance Improvement. 45. 10.1002/pfi.4930450920. 

Ben Gordon, The evolution of my examples, 2019, https://teachinnovatereflectblog.wordpress.com/2019/07/02/the-evolution-of-my-examples/

Paas, F. G. W. C. (1992). Training strategies for attaining transfer of problem-solving skill in statistics: A cognitive load approach. Journal of Educa—tional Psychology, 84(4), 429–434. 

Chen, O., Castro-Alonso, J.C., Paas, F., & Sweller, J. (2018). Extending cognitive load theory to incorporate working memory resource depletion: Evidence from the spacing effect. Educational Psychology Review, 30, 483–501.

Sweller, J., & Cooper, G.A. (1985). The use of worked examples as a substitute for problem solving in learning algebra. Cognition and Instruction, 2, 59–89. 

Zhu, X., & Simon, H. (1987). Learning mathematics from examples and by doing. Cognition and Instruction, 4, 137–166. 

Chi, M.T.H., Bassok, M., Lewis, M.W., Reimann, P., & Glaser, R. (1989). Self-explanations: How students study and use examples in learning to solve problems. Cognitive Science, 13, 145–182. 

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