Comment mobiliser un dispositif d’évaluation formative pour diagnostiquer rapidement les difficultés des élèves et leur offrir une réponse à la fois efficace et préventive par des mécanismes de différenciation ? Voici la synthèse de la note de Liesje Coertjens (2023) sur la question.
(Photographie : Jordane Prestrot)
Les enjeux d’un système de soutien à différents niveaux
Le modèle du système de soutien à différents niveaux ou Multi-Tiered System of Support (MTSS) a été développé pour identifier et aider les élèves en difficulté (Fuchs et coll., 2003).
L’enjeu d’un système de soutien à différents niveaux est double :
- Utiliser une évaluation rigoureuse pour assurer un suivi des progrès des élèves
- Différencier l’enseignement.
Le modèle MTSS peut être utilisé pour les apprentissages (lecture, mathématique…), de même que pour le comportement (dans le cadre du soutien au comportement positif).
Dans l’ensemble, il existe des premières preuves de l’efficacité du modèle MTSS, même s’il est évident que des recherches supplémentaires sont nécessaires.
Dans le cas de cet article, nous explorons la dimension de l’enseignement.
La différenciation dans le système de soutien à différents niveaux
Source : https://www.fargo.k12.nd.us/Page/2059
Dans sa version originale, le modèle MTSS comporte trois niveaux, qui sont présentés sous la forme d’une pyramide :
- Le premier niveau est constitué́ du programme d’enseignement élaboré par l’enseignant pour tous les élèves :
- Ce premier niveau ne se limite pas à des explications de l’enseignant concernant un certain sujet.
- Il s’agit de la combinaison de tous les moments de modelage et de tous les exercices que l’enseignant prévoit pour que les élèves puissent maîtriser un certain sujet.
- Cette démarche doit être fondée sur des preuves, ce qui signifie qu’elle doit être conforme aux résultats de la recherche sur la manière d’enseigner efficacement un certain sujet.
- Pour un grand nombre d’élèves, cet enseignement de niveau 1 suffira pour maîtriser le nouveau contenu. Mais pour d’autres élèves, ce ne sera peut-être pas le cas et le niveau 2 sera nécessaire.
- Au niveau 2 :
- Le modèle MTSS suggère de fournir à ces élèves, un enseignement plus ciblé pendant une courte période qui peut prendre la forme :
- D’une réexplication de certains contenus
- De la réalisation d’exercices supplémentaires
- Du préenseignement.
- Par exemple, plusieurs fois par semaine (3 à 5 fois), ces élèves bénéficient d’un enseignement supplémentaire de 30 minutes.
- Le modèle MTSS suggère que cet enseignement supplémentaire gagne à être donné en petits groupes (2 à 6 élèves maximum). Dans la pratique, il est parfois dispensé individuellement.
- Pour un grand nombre d’élèves, l’enseignement de niveau 2 est suffisant pour l’acquisition des connaissances visées initialement. Cependant, pour quelques élèves, le niveau 2, ajouté au niveau 1, peut ne pas suffire. C’est-à-dire que ces élèves ne répondent pas de manière adéquate à l’intervention/au soutien, d’où le premier nom originel du modèle « réponse à l’intervention ». Pour eux, le modèle MTSS prévoit un niveau 3.
- Au niveau 3, les élèves reçoivent un soutien individuel et intensif :
- L’enseignement est ici donné individuellement par un enseignant ou un membre de l’école à un élève, qui est ponctuellement retiré de la classe pour le suivre.
- Certaines versions plus récentes du modèle MTSS divisent ce niveau 3 en deux :
- D’une part, il existe un soutien individuel et intensif tel que décrit ci-dessus.
- D’autre part, une aide extérieure à l’école vient compléter les apports (par exemple le suivi par un logopède) ou il y a une orientation vers la filière de l’éducation spécialisée.
Le suivi des progrès dans le système de soutien à différents niveaux
Pour déterminer quels élèves ou étudiants ont besoin d’un soutien de niveau 2 ou 3, une évaluation rigoureuse est essentielle.
L’évaluation joue un rôle essentiel pour garantir que ni trop ni trop peu d’élèves et d’étudiants soient dirigés vers les niveaux 2 et 3, afin d’utiliser les ressources limitées de manière adéquate.
Le suivi des progrès comprend deux parties :
Premièrement, le niveau de compétence de tous les élèves est mesuré plusieurs fois par an avec un curriculum-based test.
Les curriculum-based tests sont élaborés par des experts, pour un niveau d’âge précis, et dans le but de distinguer des différences fines de niveau, ce qui suppose que certaines questions ou tâches sont difficiles.
Ces tests ont une visée purement formative. Ils font un état des acquis de chaque élève. Les résultats ne sont utilisés que pour déterminer le meilleur accompagnement possible pour chaque élève. La fréquence de ces tests varie de tous les deux mois jusqu’à trois fois par an.
Deuxièmement, dès qu’un élève est identifié comme nécessitant un soutien de niveau 2, les tests deviennent plus réguliers et plus spécifiques :
- Cela permet de voir si un mauvais résultat à un test basé n’est pas simplement le reflet d’un mauvais moment (par exemple, l’élève aurait très peu dormi).
- Cela permet de mieux comprendre les difficultés précises des élèves :
- Pour cela, le test est également plus spécifique. Il se concentre moins sur l’objectif final global (ce qui est le cas du curriculum-based test) et se concentre davantage sur des objectifs d’apprentissage spécifiques en relation avec l’enseignement dispensé au niveau 1.
- Il fournit des pistes concrètes pour le soutien de niveau 2, l’idée sous-jacente étant que si un élève peut progresser sur ces objectifs plus spécifiques, il progressera également sur l’objectif global.
- Leur fréquence varie d’une fois toutes les quatre semaines chaque semaine.
La question de la répartition des élèves par niveaux
La répartition classique d’un MTSS est la suivante :
- Pour 80 % des élèves, le niveau 1 suffira.
- Pour 20 % des élèves, un niveau 2 sera nécessaire et sera suffisant pour 15 % d’entre eux.
- Pour 5 % des élèves, un enseignement supplémentaire de niveau 3 sera nécessaire.
Concrètement, pour une classe de 25 élèves, environ 20 progresseraient de manière satisfaisante dans leur apprentissage avec le niveau 1. Environ 4 le feraient avec une combinaison des niveaux 1 et 2. Un seul aurait besoin du soutien des trois niveaux.
Chaque classe étant différente et hétérogène, cette règle empirique a peu de sens :
- Il se peut que l’élève au rythme d’apprentissage le plus lent de la classe maîtrise le contenu avec seulement le niveau 1 (soit 100 %-0 %-0 %). Dans ce cas, il n’y a pas de raison pour mettre en place un enseignement de niveau 2 !
- Dans d’autres classes au contraire, un plus grand nombre d’élèves aura besoin d’un enseignement de niveau 2 et 3 (par exemple 60 %-30 % — 10 %).
L’élaboration des curriculum-based tests par des experts
Les curriculum-based tests permettent de repérer les élèves qui ont besoin des niveaux 2 et/ou 3 d’intervention. Ces tests sont élaborés par des experts et non par les enseignants eux-mêmes.
La conception de ces tests demande d’en établir la validité. Ce travail de validation ne peut donc pas être concrètement réalisé par les enseignants eux-mêmes dans leur classe.
Pour permettre au modèle MTSS d'être largement utilisé dans les écoles, cela supposerait donc un panel de curriculum-based tests validés, permettant de suivre les progrès des élèves ou des étudiants sur plusieurs années.
Ce panel de tests serait accompagné d’un manuel destiné au personnel enseignant. Il donnerait des indications sur l’administration des tests et définirait les seuils permettant de déterminer quels élèves ou étudiants ont besoin d’un soutien de niveau 2.
La manière de passer les tests doit être précisée dans le manuel l’accompagnant. La considération essentielle pour l’équipe d’enseignants est toujours d’obtenir une appréciation la plus précise possible du niveau des élèves.
Le soutien de niveau 2
Les résultats d’un curriculum-based test permettent d’identifier les élèves qui ont besoin d'un soutien de niveau 2.
Deux options existent pour assurer ce soutien de niveau 2 :
- Un enseignant peut gérer les niveaux 1 et 2 en parallèle :
- L’enseignant propose des exercices pour que tous les élèves puissent travailler de manière autonome.
- Il regroupe les élèves qui ont besoin d’un soutien de niveau 2 dans la classe pour travailler avec eux de manière plus intensive.
- Un enseignant peut bénéficier d’un support pour gérer le niveau 1 et 2 :
- L’enseignant est aidé par un autre enseignant ou un assistant pédagogique
- L’élève ou les élèves nécessitant un soutien de niveau 2 peuvent quitter la classe individuellement ou par petits groupes ou alors s’isoler à l’intérieur de celle-ci dans le cadre d’un co-enseignement. L’enseignant s’occupe d’un des deux niveaux et informe son binôme sur les besoins de l’autre groupe. Cette personne est informée par l’enseignant sur le contenu et les méthodes utilisées en classe et l’enseignant lui fournit des exercices.
Le soutien de niveau 3
Si un élève ne progresse pas après avoir mis en place un soutien de niveau 2, un soutien de niveau 3 est nécessaire. Il s’agit d’un soutien individuel, c’est-à-dire que l’élève quitte la classe pour une durée déterminée.
En ce qui concerne la personne qui fournit ce soutien de niveau 3, les mêmes options que pour le niveau 2 existent : enseignant, autre enseignant de l’école, assistant pédagogique ou bénévole.
Le niveau 3 est parfois assuré par une personne plus spécialisée, comme une orthophoniste/logopède. Ce dernier soutien peut se faire soit à l’école, soit en dehors des
heures de classe.
D’après une étude récente, mieux vaut un soutien de niveau 2 ou 3 réalisé par une personne moins qualifiée qu’un enseignant qu’aucun soutien de niveau 3. Les chercheurs observent toutefois que les bénévoles non rémunérés entraînent un gain moindre en matière de compétences en lecture, comparativement à un enseignant certifié (Neitzel et coll., 2021).
L’élaboration des évaluations supplémentaires pour les élèves ou étudiants bénéficiant d’un soutien de niveau 2 et 3
Pour les élèves et étudiants identifiés comme étant à risque » sur la base du curriculum-based test, bénéficiant d'un soutien de niveau 2 (ou 3), des tests plus fréquents et plus détaillés sont recommandés.
Ces tests sont créés soit par une équipe de recherche, soit par une équipe de conseillers pédagogiques. L’équipe pédagogique sélectionne ensuite les tests les plus appropriés en fonction de la compétence étudiée et de l’âge de l’apprenant. La personne qui assure les sessions de niveau 2 ou 3 administre également ces tests.
Mis à jour le 01/01/2023
Bibliographie
Coertjens, L. (2023). Comment l’évaluation peut-elle soutenir un suivi des progrès qui permette à tous les élèves d’apprendre ? dans Conférence de consensus du Cnesco l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves : Notes des experts (pp. 101-114). Cnesco-Cnam. https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2023/03/Cnesco-CC-Eval_Notes-des-experts.pdf
Fuchs, D., Mock, D., Morgan, P. L., & Young, C. L. (2003). Responsiveness-to-Intervention: Definitions, Evidence, and Implications for the Learning Disabilities Construct. Learning Disabilities Research & Practice, 18(3), 157–171. doi:https://doi.org/10.1111/1540-5826.00072
Neitzel, A. J., Lake, C., Pellegrini, M., & Slavin, R. E. (2022). A Synthesis of Quantitative Research on Programs for Struggling Readers in Elementary Schools. Reading Research Quarterly, 57(1), 149–179. doi:https://doi.org/10.1002/rrq.379
0 comments:
Enregistrer un commentaire