samedi 27 mai 2023

Collaborer efficacement selon la perspective de la théorie de la charge cognitive

À quelles conditions un apprentissage collaboratif peut-il se révéler efficace ?

(Photographie : Daniel Shea)




La collaboration, une compétence biologique primaire appelée à s’adapter à l’acquisition de connaissances biologiques secondaires


Les humains ont évolué pour travailler ensemble. L’existence d’un langage sophistiqué en est la preuve ultime. La collaboration constitue un objectif majeur du développement évolutif du langage.

Si nous avons évolué pour collaborer, alors l’acte de collaboration est une compétence biologique primaire. Il est naturel pour des êtres humains de collaborer.

Cependant, même si nous avons évolué pour collaborer, il ne s’ensuit pas nécessairement que nous collaborons en toutes circonstances de manière efficace et efficiente.

De plus, le cadre de l’apprentissage collaboratif dans un contexte scolaire s’emploie essentiellement dans le cadre de l’acquisition de connaissances et de compétences biologiques secondaires. 

Ce type d’apprentissage par le biais de la collaboration exige que les élèves collaborent à la réalisation d’une tâche qui répond à des connaissances biologiques secondaires et spécifiques. Parallèlement, les élèves peuvent ou ont obtenu du soutien et des conseils nécessaires d’un enseignant pour collaborer de manière appropriée dans ce cadre.

Si à la base, les compétences de collaboration sont biologiquement primaires, la manière exacte dont nous collaborons peut également différer suivant la nature de la tâche et du contexte spécifique.

Nous devons apprendre différentes techniques de collaboration pour chaque type d’activité ou de contexte d’apprentissage.

En fonction de certaines circonstances, la collaboration peut faciliter l’apprentissage d’informations biologiquement secondaires alors que dans d’autres circonstances, elle interfère avec cet apprentissage. 



Situation d’une tâche complexe dans un contexte d’apprentissage collaboratif


D’une manière générale, l’apprentissage collaboratif se prête mieux aux tâches complexes qu’aux tâches simples qui sont plus aisément gérables à l’échelle individuelle.

Lorsque des individus collaborent sur une tâche d’apprentissage complexe :
  • L’objectif est double : il s’agit d’apprendre tout en réalisant une tâche complexe. 
  • Les connaissances détenues par les différentes personnes sont considérées comme asymétriques :
    • Chaque apprenant peut posséder certaines informations nécessaires à la réalisation de la tâche.
    • D’autres informations nécessaires à la réalisation de la tâche vont être détenues par des collaborateurs. 
  • La tâche exige une collaboration tenant compte des différents niveaux de connaissances et d’expertise de chacun. 

Certaines conditions peuvent empêcher ou limiter l’apprentissage :
  • Les différences de connaissances entre individus dans l’exécution de la tâche ne se recouvrent pas. Ensemble, elles ne suffisent pas à la réalisation de la tâche.
  • Les membres du groupe n’ont pas eu d’expérience préalable de travail en commun.
Dans ces conditions, les collaborateurs subiront une charge cognitive extrinsèque créée par des activités transactives sans rapport avec la réalisation concrète de la tâche. Certains collaborateurs peuvent apprendre incidemment en raison de leurs connaissances préalables et de leurs démarches individuelles, mais ils n’apprendront pas en tant que groupe. 

Ces difficultés peuvent être anticipées et résolues lorsque :
  • Au niveau des connaissances : les différences de connaissances préalables se recouvrent et se compensent.
  • Au niveau de la collaboration : 
    • Les membres du groupe ont précédemment travaillé ensemble en tant qu’équipe. Les collaborateurs savent comment organiser les informations, comment répartir les activités entre eux, comment et quand échanger les rôles en fonction du type d’activité.
    • Les membres du groupe disposent de scripts de collaboration externes. Ils sont explicitement guidés dans l’environnement d’apprentissage sur la façon de collaborer efficacement en temps voulu.



L’importance des modèles de collaboration adéquats dans le cadre spécifique des tâches à réaliser


Le but est que dans le cadre d’un groupe, les collaborateurs mobilisent :
  • Leur propre expérience de la façon de travailler ensemble dans un contexte similaire
  • L’expérience d’autres personnes de la façon de travailler ensemble (scripts, étayage, soutien)

De cette manière, les collaborateurs peuvent rencontrer l’enjeu qui est de consacrer leurs ressources cognitives à l’acquisition de connaissances pertinentes dans la mémoire à long terme. 

Ces collaborateurs auront une charge cognitive moindre et de meilleures structures de connaissances grâce aux activités transactives maîtrisées et liées à la tâche. 

L’implication de ces modèles est qu’il est important de faire des choix bien réfléchis lorsqu’il s’agit des objectifs d’apprentissage d’une tâche collaborative. À l’objectif d’apprentissage des connaissances spécifiques à un domaine s’accompagne souvent l’objectif d’apprentissage de la collaboration. 

Les deux nécessitent des conseils et un soutien différent et demandent des ressources. Dès lors, ce qui peut provoquer une charge intrinsèque par rapport au premier objectif peut entrainer une charge extrinsèque par rapport à l’autre et vice versa. 

Par exemple, un script de collaboration peut fournir une charge intrinsèque en ce qui concerne l’apprentissage d’une compétence de collaboration, mais détourner l’attention des collaborateurs d’un traitement approfondi du contenu discuté. 



Cadre dans lequel la collaboration représente une valeur ajoutée pour l’apprentissage


L’apprentissage collaboratif est bénéfique lorsque :
  • Les exigences de réalisation de la tâche dépassent la capacité de la mémoire de travail individuelle dans des limites de temps.
  • Les membres n’ont pas stocké de structures de connaissances antérieures pertinentes pour la réalisation de la tâche concernée. 

Dans ces circonstances, lorsque les individus ont une expérience préalable de travail en commun sur des tâches similaires, ils peuvent :
  • Répartir de manière appropriée les éléments et les activités cognitives de la tâche à accomplir.
  • Profiter de leur plus grande capacité et de la communication interindividuelle pour acquérir de meilleures structures de connaissances. 

Il se peut que la plupart ou tous les membres aient déjà des structures de connaissances pertinentes sur la tâche dans leur mémoire à long terme. Alors l’expérience antérieure du groupe, la plus grande capacité cognitive du groupe et la communication interindividuelle sont inutiles. La collaboration peut même être préjudiciable, car les membres du groupe peuvent subir un effet d’inversion de l’expertise.

La complexité du contenu à apprendre ou de la tâche d’apprentissage à réaliser doit être telle qu’elle dépasse la capacité de la mémoire de travail de l’apprenant individuel. Dans ce cas, l’effet de la mémoire de travail collective rendra l’apprentissage en groupe plus efficace que l’apprentissage individuel. 

Pour les tâches de complexité élevée, les membres du groupe apprendraient d’une manière plus efficace — tant en matière de processus d’apprentissage que de résultats — que les apprenants individuels. Pour les tâches de faible complexité, l’apprentissage individuel serait plus efficace.

Cette efficacité est affectée par le compromis entre :
  • La possibilité de diviser le traitement de l’information entre les mémoires de travail des membres du groupe, c’est l’effet de la mémoire de travail collective
  • Les coûts associés à la communication de l’information et à la coordination des actions



Nature des compétences spécifiques de collaboration d’ordre biologique secondaire


La communication et la coordination dans le cadre de l’apprentissage collaboratif peuvent être divisées en deux catégories : 
  • La communication et la coordination générales qui peuvent être biologiquement primaires.
  • La communication et la coordination spécifiques à la tâche d’apprentissage sont biologiquement secondaires et se basent sur les premières.

 Il existe une différence de coût cognitif entre les deux niveaux :
  • Les connaissances et compétences biologiquement primaires imposent une faible charge à la mémoire de travail. C’est par exemple, la lecture de la communication non verbale des membres d’une équipe ou l’expression des visages dans des situations quotidiennes.
  • Les connaissances et compétences biologiquement secondaires imposent probablement une plus grande charge à la mémoire de travail, car elles sont l’objet même d’un apprentissage. 

En ce qui concerne la charge de la mémoire de travail dans le cadre de la collaboration, il convient de prendre en compte le canal par lequel cette communication s’effectue. 

Plus le canal de collaboration imite une interaction en face à face, moins la collaboration sollicitera la mémoire de travail. Ces interactions reposent sur les connaissances biologiques primaires que nous possédons sur la façon de collaborer les uns avec les autres. 

Que les coûts soient faibles ou élevés, ils doivent être pris en compte pour décider de l’efficacité de l’apprentissage collaboratif en tant que méthode pédagogique. 



Nature des activités transactives dans l’apprentissage collaboratif


Dans le cadre de l’effet de la mémoire de travail collective, les coûts cognitifs liés à la communication et à la collaboration sont désignés sous le nom d’activités transactives.

Les activités transactives jouent un rôle crucial dans l’efficacité et l’efficience de l’apprentissage collaboratif. 

Les activités transactives peuvent se dérouler de manière synchrone ou asynchrone. 

Elles permettent aux groupes d’acquérir des connaissances collectives :
  • Sur l’identité des autres
  • Sur la manière dont ils peuvent s’acquitter de la tâche en coordonnant leurs actions les uns avec les autres pour accomplir la tâche ensemble.

Les activités transactives jouent un rôle de médiateur dans l’acquisition des connaissances individuelles et collectives spécifiques au domaine et des connaissances généralisées partagées.

Une dimension essentielle et favorable à l’apprentissage des activités transactives porte sur la critique, l’évaluation, la remise en question des positions et la réalisation d’une synthèse par le biais de la discussion. Ces activités transactives donnent lieu à des activités cognitives qui stimulent la construction de connaissances. 

Il s’ensuit que le fait de réunir un groupe d’apprenants possédant les connaissances pertinentes pour résoudre une tâche ne garantit pas qu’ils travailleront et apprendront correctement. L’enjeu est qu’ils le fassent de manière efficace, efficiente et sans problèmes interpersonnels, à la fois en tant que groupe et individuellement au sein du groupe. 

Ils doivent être prêts à consacrer des ressources à des tâches collaboratives. Ils doivent développer un modèle mental partagé ou un schéma collectif d’indépendance cognitive sur la manière :
  • De communiquer et de coordonner efficacement leurs actions afin de partager les connaissances du groupe
  • De distribuer de manière appropriée les informations disponibles sur la tâche.
  • D’exploiter la qualité de la participation de chaque membre du groupe à la résolution du problème en cours.



La charge cognitive des activités transactives


Un apprentissage collaboratif réussi nécessite :
  • Une communication au sein de l’équipe.
  • Dans l’objectif d’une coordination des activités de collaboration de :
    • Parvenir à un accord sur les stratégies liées aux tâches
    • Répartir les tâches entre les participants
    • Identifier et résoudre les conflits
    • S’appuyer sur les idées des autres
    • Parvenir à un consensus
    • Établir un ordre chronologique des activités.

Cette communication et cette coordination entrainent des coûts pour les apprenants en matière de charge cognitive. Il y a une nécessaire synchronisation temporelle des activités de communication et de coordination. Si les activités des membres de l’équipe ne sont pas alignées ou sont mal alignées, la réalisation de la tâche d’apprentissage ainsi que l’apprentissage ultérieur de cette tâche seront influencés négativement. 

Dans la théorie de la charge cognitive, les coûts de communication et de coordination dus à la collaboration sont associés aux actes supplémentaires spécifiques qu’un apprenant doit accomplir lorsqu’il étudie. Un apprenant doit savoir communiquer avec d’autres apprenants et coordonner à la fois son propre apprentissage et celui des autres membres de l’équipe.

La structure et le contrôle de la communication et de la coordination des connaissances spécifiques au domaine biologique secondaire sont très importants. 

L’effet bénéfique de la possibilité de partager la charge cognitive au sein d’un groupe pourrait être annulé par les coûts de communication et de coordination. La charge cognitive causée par les activités transactives entre les membres du groupe pourrait être trop élevée.

Ces coûts sont susceptibles de devenir particulièrement importants quand :
  • La communication est asynchrone
  • Des conflits cognitifs ou émotionnels apparaissent
  • La communication se fait à distance et la communication non verbale s’en retrouve appauvrie.

La communication avec d’autres personnes dans le but de coordonner des activités est biologiquement primaire et constitue donc en soi une activité peu susceptible d’imposer une lourde charge cognitive.

Cependant, dans les contextes éducatifs, les sujets d’information biologiquement secondaires et spécifiques à un domaine sur lesquels nous devons communiquer et nous coordonner posent des exigences. Ils sont très susceptibles de nécessiter la manipulation d’un grand nombre d’informations et la réalisation de nombreuses activités cognitives. 

Nous pouvons nous attendre à ce que la coordination de l’acquisition d’informations biologiques secondaires impose une lourde charge à la mémoire de travail. 

Il peut être nécessaire de nous apprendre à communiquer et à coordonner la réalisation de tâches complexes afin d’optimiser les activités transactives et de construire de meilleurs schémas de connaissances et de compétences.


Mis à jour le 03/01/2024

Bibliographie


Kirschner, P. A., Sweller, J., Kirschner, F. et al. From Cognitive Load Theory to Collaborative Cognitive Load Theory. Intern. J. Comput.-Support. Collab. Learn 13, 213–233 (2018). https://doi.org/10.1007/s11412-018-9277-y

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