dimanche 23 avril 2023

Une vision élargie de l’évaluation formative

Voici une synthèse personnelle d’éléments de la note d’Annick Fagnant (2023) pour la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves.

(Photographie : Barbara Matthews)






La multiplication des sources d’informations dans la perspective élargie de l’évaluation formative


Dans la perspective classique héritée de Bloom, l’évaluation formative se réalise au terme de chaque étape d’enseignement/apprentissage. Elle permet de s’assurer que les élèves maîtrisent les objectifs liés à une unité d’enseignement avant de passer à la suivante. 

Dans la perspective élargie, l’évaluation formative s’intègre dans chaque activité d’enseignement et d’apprentissage (Allal & Mottier Lopez, 2005).

Dans la perspective élargie, l’évaluation formative va nécessairement prendre des modalités diversifiées. Outre les traditionnelles évaluations formelles, elle se fonde également sur des sources informelles :
  • L’observation directe faite par l’enseignant lorsque les élèves travaillent seuls ou en petits groupes par exemple. 
    • L’observation des démarches produites par les élèves lorsqu’ils réalisent un exercice en classe.
    • L’observation des interactions entre élèves lors de travaux en duo ou petits groupes 
  • Les interactions collectives alimentées dans le cadre de la vérification de la compréhension permettent aux élèves d’exposer différentes façons de comprendre une tâche ou d’effectuer une activité à la suite d’une question de l’enseignant.

Cette multiplication des sources va impliquer en retour la mise en œuvre de différentes formes de régulations, notamment interactives.



L’intégration de l’évaluation formative à un enseignement explicite

 
Allal (2007) a distingué trois types de régulations associées à cette perspective élargie de l’évaluation formative : 
  • La régulation proactive :
    • Elle est une réponse à la fonction diagnostique de l’évaluation.
    • Elle permet de guider la mise en place de nouvelles situations d’enseignement et d’apprentissage en différenciant les activités en fonction des besoins diagnostiqués chez les apprenants. 
    • Elle répond à une logique de remédiation, de consolidation ou de dépassement.
    • Elle permet de planifier et de concevoir l’enseignement de manière à répondre à la situation actuelle des élèves.
  • La régulation interactive :
    • Elle résulte des interactions de l’élève avec l’enseignant, avec ses pairs, avec le matériel didactique pendant le déroulement de la situation d’enseignement ou d’apprentissage. 
    • Elle contribue ainsi à l’élaboration des compétences et des connaissances en cours de construction. 
    • Elle correspond aux pratiques de dialogue formatif et de vérification de la compréhension ayant lieu en classe. 
    • L’enseignant peut directement repérer les démarches et les difficultés des élèves. Dès lors, il tente d’y faire face dès qu’elles apparaissent. Il invite les élèves à vérifier leur démarche. Il leur propose des indices, leur donne une explication complémentaire ou les questionne.
  • La régulation rétroactive :
    • Elle consiste à remédier aux erreurs et aux lacunes ciblées lors d’une évaluation formative globale qui a été proposée à la fin d’une unité de formation. 
    • Elle correspond à l’idée de remédiation dans la perspective classique de l’évaluation formative selon Bloom.
    • Elle permet de mettre en évidence de failles dans le dispositif d’enseignement mobilisé.
À ce niveau, les démarches liées à l’évaluation formative et à la rétroaction formative prennent la forme d’une multiplicité de microstratégies. Celles-ci gagnent à venir s’insérer dans une macrostratégie comme l’enseignement explicite qui sert de fil conducteur en classe pour piloter l’enseignement et l’apprentissage.

Dans le cadre d’un enseignement explicite :
  • La régulation proactive est pensée dès la planification de l’enseignement. Une évaluation diagnostique permet de savoir là où en sont les élèves pour concevoir un enseignement qui réponde à leurs besoins.
  • La régulation interactive démarre dès le modelage pour se poursuivre lors de la pratique guidée à l’échelle de la classe. Le déroulement de l’enseignement explicite se passe parallèlement à un transfert progressif de la responsabilité des apprentissages vers les élèves. C’est le « I do, we do, you do » qui peut impliquer des moments d’apprentissage coopératif. L’enseignant pilote se transfert grâce aux stratégies de vérification de la compréhension.
  • La régulation rétroactive nécessite un accompagnement sous forme d’une évaluation formative plus formelle accompagnée d’une rétroaction préférentiellement vers la classe entière ou individuelle si nécessaire. Cette dimension rétroactive concerne également tous les dispositifs de consolidation en enseignement explicite : quiz, devoirs et pratique de récupération distribuée.
Dans la version classique, l’évaluation formative est intrinsèquement dans les mains de l’enseignant :
  • Il construit l’évaluation formative
  • Il l’administre à ses élèves
  • Il corrige et analyse les résultats
  • Il fournit une rétroaction ou propose des activités de remédiation adaptées. 
La version élargie de l’évaluation formative va impliquer et responsabiliser davantage l’élève et ses pairs dans le processus évaluatif et s’intègre parfaitement dans un dispositif d’enseignement explicite qu’elle enrichit en retour.



Assessment of/for/as learning, différentes conceptions de l’évaluation formative


Dans la littérature anglophone, il existe une distinction commune entre trois dimensions de l’évaluation (Black et Wiliam, 2018) : 
  • Assessment of learning (évaluation de l’apprentissage, à rapprocher de l’évaluation sommative et normative):
    • Elle fait référence à l’utilisation de l’évaluation pour décider dans quelle mesure les élèves ont atteint les objectifs d’apprentissage.
  • Assessment for learning (évaluation pour l’apprentissage, à rapprocher de l’évaluation formative):
    • Elle correspond au processus mis en œuvre par l’enseignant pour utiliser les résultats de l’évaluation en vue d’informer [et de réguler] son enseignement.
  • Assessment as learning (évaluation en tant qu’apprentissage, à rapprocher de l’évaluation formatrice): 
    • Elle est utilisée dans un sens très spécifique pour décrire le rôle de l’élève pour monitorer et diriger son propre apprentissage. 

Selon Black & Wiliam (2018), cette typologie est critiquable :
  • L’expression assessment as learning est potentiellement confusionnelle parce que l’évaluation est bien de l’évaluation et n’est pas à confondre avec l’apprentissage lui-même.
  • La typologie ne rend pas compte du rôle des pairs dans l’évaluation. 
  • La permutation des termes (of/for/as) obscurcit les concepts plutôt que d’apporter un réel éclairage.
Concernant le dernier point, Bennett (2011) critique lui aussi le choix réalisé par de nombreux auteurs de remplacer « évaluation formative » par « assessment for learning » et « évaluation sommative » par « assessment of learning ». Pour lui, non seulement cette permutation des termes n’apporte aucune clarification conceptuelle, mais elle pose aussi un problème de fond, car elle exempte l’évaluation sommative de toute responsabilité en matière de soutien aux apprentissages.

Comme dans la sphère francophone, la séparation trop marquée entre évaluation formative et évaluation sommative est contestée.



Vers une vision élargie de l’assessment for learning


Comme dans le monde francophone, une vision élargie de l’évaluation formative (assessment for learning) permet d’intégrer les concepts d’assessment for learning et d’assessment as learning. 

Black et Wiliam (2018) insistent sur l’importance de considérer l’évaluation comme une évaluation (assessment as assessment) : 
  • Une évaluation est une procédure permettant de faire des inférences à propos des apprentissages effectifs des élèves. 
  • L’obtention, l’identification et l’interprétation des preuves d’apprentissage sont des composantes indispensables d’un enseignement efficace.
  • Ce processus peut intervenir aussi bien au départ de travaux écrits, que de dialogues enseignants-élèves ou encore de la rétroaction entre pairs dans une activité d’évaluation mutuelle. 

Pour Black et Wiliam (1998a, b) :
  • Le terme général d’évaluation désigne toutes les activités conduites par les enseignants et par leurs élèves lorsqu’ils s’autoévaluent. Elles fournissent des informations destinées à être utilisées en tant que rétroaction pour ajuster les activités d’enseignement et d’apprentissage.
  • La nuance est qu’une évaluation devient formative quand les informations recueillies sont effectivement utilisées pour adapter l’enseignement aux besoins des élèves.

Bennett (2011) considère que les fonctions formative et sommative sont interreliées :
  • Une évaluation sommative bien conçue et critériée devrait donner à l’enseignant des informations utiles pour cibler les besoins d’apprentissage des élèves.
  • Une évaluation formative bien menée devrait compléter les jugements informels globaux de l’enseignant concernant la réussite des élèves. 

Pour Black et Wiliam (2018), la distinction entre évaluation formative et évaluation sommative devient une distinction dans le type d’inférences réalisées à la suite des résultats d’une évaluation :
  • Si l’inférence porte sur le statut de l’élève ou sur son futur (par exemple, certifier ses apprentissages ou lui donner l’accès à l’année ultérieure), c’est la visée sommative qui est privilégiée. 
  • Si l’inférence porte sur le type d’action (produite par l’élève ou par l’enseignant) qui aide l’élève à mieux apprendre, l’évaluation fonctionne alors de façon formative. 
L’Assessment Reform Group (2002, cité par Laveault & Allal, 2016) a conceptualisé cette version moderne et élargie de l’évaluation formative :
  • L’évaluation-soutien d’apprentissage (assessment for learning) désigne le processus de collecte et d’interprétation des informations. 
  • Ces informations sont recueillies en vue d’être utilisées par les élèves et les enseignants. 
  • Il s’agit de déterminer où en sont les élèves dans leur apprentissage, dans quelle direction ils ont besoin d’aller et quel est le meilleur chemin pour y parvenir.

Le terme « évaluation-soutien d’apprentissage » pour traduire cette conception de l’Assessment for learning a été proposé par Allal & Laveault (2009).

L’évaluation-soutien d’apprentissage fait partie des pratiques quotidiennes des élèves et des enseignants. Individuellement ou en interaction, ils recherchent, réfléchissent sur et réagissent à l’information provenant d’échanges, démonstrations et observations afin de favoriser les apprentissages en cours (Klenowski, 2009, cité par Laveault & Allal, 2016).

Comme pour l’élargissement de la vision francophone de l’évaluation formative, la définition de l’assessment for leanring considère que l’évaluation s’insère au cœur des activités d’enseignement et d’apprentissage. Elle implique activement l’élève dans le processus (autoévaluation et évaluation mutuelle entre pairs notamment). 

Laveault et Allal (2016) insistent également sur l’élargissement au-delà du domaine cognitif :
  • L’évaluation soutien d’apprentissage devrait permettre l’engagement des élèves dans une réflexion à propos de leur propre processus d’apprentissage. Dans ce sens, elle implique de la métacognition.
  • L’évaluation soutien d’apprentissage prend également en compte le versant affectif et social. Elle implique la motivation, les attitudes par rapport à l’apprentissage et la coopération dans l’apprentissage. 

Différents travaux (Laveault et Allal, 2016) ont montré que les enseignants expérimentés avaient tendance à conjuguer les fonctions formative et sommative de l’évaluation. Black et Wiliam (2018) vont dans le même sens. Ils écrivent : « de notre travail avec les enseignants, nous avons retiré la conviction que toute tentative d’amélioration des pratiques de classe se concentrant sur l’évaluation doit intégrer tous les aspects de l’évaluation ».

Laveault et Allal (2016) proposent une définition opérationnelle de l’AfL qui ne semble exclure aucune forme d’évaluation en classe : 
  • L’évaluation-soutien d’apprentissage désigne la collecte et l’interprétation d’informations issues d’évaluations. 
  • L’utilisation intentionnelle de ces interprétations permet aux enseignants et aux élèves, qu’ils agissent individuellement ou de manière interactive, de prendre des décisions qui ont un impact positif sur l’enseignement et l’apprentissage.


Mis à jour le 25/12/2023

Bibliographie


Fagnant, A. (2023). Les pratiques d’évaluation en classe : des compétences professionnelles pour soutenir l’apprentissage des élèves. Cnesco-Cnam. 

Allal, L., & Mottier Lopez, L. (2005). L’évaluation formative de l’apprentissage : revue de publications en langue française. In Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (Ed.). L’évaluation formative pour un meilleur apprentissage dans les classes secondaires (265-290). Edition OCDE. 

Allal, L. (2007). Evaluation : lien entre enseignement et apprentissage. In V. Dupriez & G. Chapelle (Eds.). Enseigner (pp. 139-149). Presses Universitaires de France. 

Black, P., & Wiliam, D. (2018) Classroom assessment and pedagogy. Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 25(6), 551–575. 

Bennett, E. (2011). Formative assessment: a critical review. Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 18(1), 5–25. 

Black, P., & Wiliam, D. (1998a). Assessment and classroom learning. Assessment in Education: Principles, Policy and Practice, 5(1), 7–74. 

Black, P., & Wiliam, D. (1998b). Inside the black box: Raising standards through classroom assessment. Phi Delta Kappan, 80(2), 139–148. 

Laveault, D. & Allal, L. (2016). Implementing Assessment for Learning: Theoretical and Practical Issues. In D. Laveault & L., Allal (Eds.). Assessment for learning. Meeting the challenge of implementation (pp. 1–18). Spinger. 

Allal, L., & Laveault, D. (2009). Assessment for Learning: Evaluation-soutien d’Apprentissage. Mesure et évaluation en éducation, 32 (2), 99–106.

0 comments:

Enregistrer un commentaire