Pour apprendre à résoudre des problèmes, deux pistes différentes s’offrent aux élèves. Soit, ils essaient de le résoudre par eux-mêmes, soit ils étudient directement des résolutions de problèmes.
La différence entre ces deux approches n’est pas neutre et n’est pas banale. Derrière ces deux perspectives s’opposent deux théories concurrentes. Voici un état des lieux.
(Photographie : Jennilee Marigomen)
Le point de vue de la théorie de la charge cognitive sur l’apprentissage de la résolution de problèmes
Selon la théorie de la charge cognitive, si des élèves commencent par essayer de résoudre par eux-mêmes un problème qui ne leur est pas familier, leur recherche d’une solution peut générer des niveaux élevés d’effort mental. Cette surcharge est susceptible de nuire à l’apprentissage.
Selon la théorie de la charge cognitive, un enseignement explicite complètement guidé de la résolution au départ d’exemples entièrement résolus est à privilégier. Elle est l’approche la plus efficace pour les apprenants novices sans connaissances préalables suffisantes dans un domaine de tâche spécifique.
Les théories pédagogiques de l’activité d’invention pour l’apprentissage futur et la théorie de l’échec productif
À l’opposé de la théorie de la charge cognitive, ces théories défendent le fait d’amener les élèves à rencontrer des difficultés et à relever des défis avant de recevoir un enseignement explicite formel. Par exemple, l’enseignant va démarrer en utilisant des activités exploratoires, une situation problème ou des tentatives de résolution de problèmes.
Cette démarche améliorerait les performances des élèves. Ce serait particulièrement le cas à long terme et sur des tâches de transfert.
Divers chercheurs prétendent que ces approches peuvent aboutir à une compréhension conceptuelle plus profonde et mener à de meilleures performances en matière de transfert.
L’effet du problème résolu et ses caractéristiques favorables
Le recours intensif à l’étude d’exemples résolus au lieu d’activités réelles de résolution de problèmes est l’une des méthodes pédagogiques fortement soutenues par la théorie de la charge cognitive. Elle est particulièrement valorisée pour les apprenants novices dans les premières étapes de l’acquisition des compétences cognitives.
La demande de ressources en mémoire de travail lors de la recherche de solutions à un problème nouveau par un novice est couteuse. C’est d’autant plus vrai qu’il n’a souvent pas d’autre choix que de privilégier l’analyse moyens-fins dans sa recherche de réponses. Par conséquent, les novices pourraient ne pas être en mesure d’accorder une attention suffisante aux informations critiques pertinentes pour l’apprentissage. L’enseignement par la résolution de problèmes tend à engendrer une charge cognitive superflue pour les novices et par là inhiber leur apprentissage.
Toutefois, il convient d’apporter certaines nuances au concept de problème résolu :
- Les problèmes résolus, ne contenant uniquement les détails de la solution, pourraient être moins efficaces que ceux comportant des ajouts spécifiques.
- Ces ajouts spécifiques sont des explications pédagogiques ou des questions soutenant l’auto-explication. Ces démarches supplémentaires peuvent améliorer la compréhension conceptuelle dans le cadre de l’étude de problèmes résolus.
- Par conséquent, il est pertinent d’enrichir un problème résolu d’explications pédagogiques sur des contenus appropriés tels que les concepts et les principes du domaine.
L’échec productif et l’activité d’invention
Selon la théorie de l’échec productif, il est favorable que les apprenants novices rencontrent des difficultés avant de recevoir un enseignement explicite.
Imaginons des élèves qui ont participé à des activités de résolution de problèmes. Il importera peu que la plupart d’entre eux n’aient pas réussi à obtenir une solution satisfaisante. Ces activités sont suivies d’un enseignement explicite différé. Ils devraient obtenir de meilleurs résultats que ceux qui ont reçu un enseignement explicite comprenant des problèmes résolus.
Comme relaté dans un précédent article, la plupart des études défendant cette approche comportent des faiblesses méthodologiques comme des manipulations expérimentales inégales entre les groupes.
En outre, une question importante non résolue concerne les niveaux de soutien fournis aux apprenants pendant la phase initiale de résolution de problèmes.
Selon un certain nombre d’études, ce guidage pourrait être essentiel pour l’efficacité de ces approches :
- Arnold, Kremer et Mayer (2014) ont constaté qu’un soutien immédiat tel que l’enseignement des connaissances procédurales et de la compréhension dans une tâche de découverte lors d’un travail groupe était nécessaire.
- Le fait de présenter des cas contrastés peut focaliser l’attention des apprenants sur les différences liées à la structure profonde du problème (Schwartz et coll., 2011 ; Loibl et Rummel, 2014).
- Holmes, Day, Park, Bonn et Roll (2014) ont démontré les effets de l’activité métacognitive sur l’apprentissage des inventions. En général, les activités métacognitives telles que la réflexion sur les processus d’apprentissage et l’évaluation des résultats d’apprentissage peuvent améliorer le transfert des concepts acquis (Schraw, Crippen, & Hartley, 2006).
L’étude comparative de Kalyuga et Chih-yi (2019) sur l’apprentissage de la résolution de problèmes
Kalyuga et Chih-yi (2019) ont examiné l’efficacité de ces approches alternatives. Ils ont comparé les résultats d’apprentissage de quatre conditions d’enseignement dans lesquelles les élèves étaient initialement engagés dans des activités liées à la résolution de problèmes avec différents niveaux d’orientation explicite.
Cette première étape d’apprentissage était suivie d’une instruction explicite commune comme deuxième étape d’apprentissage.
Les différents niveaux d’orientation pédagogique correspondaient à :
- Une résolution de problèmes entièrement autonome et sans guidage
- Une résolution de problèmes avec un guidage partiel basé sur des principes liés à la matière
- Une résolution de problèmes avec un guidage partiel basé sur des principes et également accompagné d’une activité de réflexion sur les tentatives de résolution des apprenants
- Une résolution de problèmes avec des étapes de solution entièrement élaborées avec un guidage complet
L’efficacité de ces conditions d’enseignement a été mesurée par la capacité de l’apprenant à transférer les connaissances acquises à une situation de résolution de problème relativement nouvelle dans un post-test différé (une semaine plus tard). Les niveaux de charge cognitive expérimentée par les étudiants ont également été évalués.
Soixante élèves taïwanais de 16 ans ont été répartis au hasard dans l’une des quatre conditions expérimentales susmentionnées, avec 12 participants dans le groupe des problèmes résolus et 16 participants dans chacun des trois autres groupes.
Afin d’évaluer le niveau de connaissances préalables en physique de ces groupes, les résultats à un examen de physique de milieu de semestre ont été préalablement analysés.
Le contenu de l’apprentissage portait sur la collision de deux objets, qui serait normalement enseignée ultérieurement dans le cadre du programme de physique. Par conséquent, les participants ont été considérés comme des étudiants novices dans ce domaine d’apprentissage en raison de leurs connaissances préalables insuffisantes et de leur inexpérience dans la résolution des problèmes similaires.
Les problèmes utilisés dans les quatre conditions d’apprentissage étaient identiques et concernaient une collision dans laquelle deux objets se séparaient après s’être heurtés.
Ce problème pouvait être résolu à l’aide de deux principes de physique, la loi de conservation de la quantité de mouvement linéaire et la loi de conservation de l’énergie mécanique.
Dans la condition de résolution de problème uniquement, on présentait aux participants un problème et on leur demandait de faire de leur mieux pour le résoudre.
Dans la condition de résolution de problèmes avec guidage sur les principes et dans la condition de résolution de problèmes avec guidage sur les principes et réflexion, le contenu comprenait le même énoncé de problème. Cependant, il était également complété par un guidage indiquant les deux principes de physique à utiliser. De plus, la dernière condition comprenait une activité de suivi demandant aux participants de réfléchir et d’écrire les difficultés rencontrées lors de la résolution du problème.
Dans la condition du problème résolu, le contenu d’apprentissage comprenait la solution détaillée du même problème. Ce problème résolu était également accompagné de conseils sur les principes.
Le contenu pédagogique de la deuxième phase de la session d’apprentissage était le même pour tous les groupes expérimentaux. Il comprenait une introduction aux deux principes de la physique, suivie de deux paires de problèmes résolus et de problèmes pratiques (à résoudre).
Des paires associant problème résolu et problème pratique ont été utilisées dans cette étude. Une tâche de résolution de problème suivant l’étude d’un problème résolu pourrait offrir aux apprenants novices une chance de renforcer les connaissances acquises à partir du problème résolu.
Dans l’introduction des principes de physique, les descriptions textuelles comprenaient les définitions des principes, les conditions de leur applicabilité et les équations mathématiques.
Dans chaque paire problème résolue/problème pratique, le contexte du problème était similaire, mais les quantités fournies et inconnues (à calculer) étaient différentes.
La première paire associant problème résolu et problème pratique concernait la situation dans laquelle deux objets entraient en collision puis se séparaient. La seconde paire concernait la situation dans laquelle deux objets entraient en collision puis se combinaient l’un à l’autre.
Les principes physiques nécessaires à la résolution du problème étaient présentés sous forme d’exemples pratiques avant les solutions élaborées.
Le post-test différé a été réalisé une semaine après la session d’apprentissage. Ce test sur papier comportait trois problèmes. Deux d’entre eux étaient similaires aux problèmes utilisés dans la première paire de la phase de mise en pratique des problèmes résolus et le troisième était analogue aux problèmes de la deuxième paire. Cependant, leurs contextes, les quantités fournies et inconnues étaient différentes des problèmes correspondants dans les paires problème résolu/problème pratique.
Rien n’a permis d’indiquer que les trois conditions d’enseignement, dans lesquelles la résolution de problèmes était présentée avant l’enseignement explicite, surpassent la condition dans laquelle un problème résolu était suivi de l’enseignement explicite identique.
Les élèves n’ont pas bénéficié de manière significative d’une découverte améliorée qui consistait en une activité de génération et une découverte guidée par rapport à l’enseignement de problèmes résolus.
Cependant, la condition de résolution de problèmes avec guidage de principe et réflexion a atteint des scores totaux significativement plus élevés par rapport aux conditions de résolution de problèmes uniquement et de résolution de problèmes avec guidage de principe.
Par conséquent, le fait de compléter les tentatives de résolution de problèmes des apprenants par des conseils sur les principes de physique pertinents et des activités de réflexion sur leurs tentatives de résolution de problèmes est pertinent. Ces démarches pourraient potentiellement donner de meilleurs résultats. Ces résultats seraient inférieurs sans ces aides. Nous nous trouvons dans le cadre d’une découverte guidée.
En ce qui concerne la charge cognitive, les résultats ont démontré les avantages potentiels :
- L’utilisation du guidage par les principes pendant la résolution de problèmes, par rapport à la résolution de problèmes sans guidage par les principes.
- De l’utilisation de problèmes résolus (par rapport à la résolution de problèmes uniquement) pour réduire l’effort mental investi dans la première phase d’apprentissage.
Tentative de conciliation entre théorie de la charge cognitive et théorie de l’échec productif
Il existe un moyen possible de résoudre les prédictions apparemment contradictoires de la théorie de la charge cognitive et des théories de l’échec productif et de l’activité d’invention. Il est de considérer les objectifs spécifiques des diverses activités de l’apprenant au sein de tâches d’apprentissage complexes (Kalyuga & Singh, 2016).
Le même objectif pédagogique global pourrait être potentiellement atteint par différentes voies. Ces différentes voies impliquent différents ensembles et séquences de buts spécifiques des activités constitutives.
Lorsqu’il s’agit de tâches d’apprentissage complexes, une variété d’objectifs et d’activités correspondantes de l’apprenant doivent être pris en compte à différentes phases de l’enseignement. Elles sont utiles pour décider du niveau de guidage pédagogique à fournir.
Dans le cas des approches d’apprentissage par l’échec productif ou par l’invention, il s’agit d’objectifs de préenseignement. Nous visons à créer des conditions préalables cognitives ou motivationnelles :
- L’activation intentionnelle de connaissances antérieures pertinentes pour l’apprenant.
- L’engagement de l’apprenant dans la tâche à des fins motivationnelles.
Dans le cas de l’étude de problèmes résolus dans la perspective de la théorie de la charge cognitive, l’objectif est l’acquisition de schémas de solutions spécifiques au domaine. Celle-ci se réalise grâce à des techniques d’enseignement explicite qui lui sont conformes.
Dans l’approche de l’échec productif, l’accent est mis sur deux éléments :
- L’activation et la différenciation de toutes les connaissances et idées antérieures potentiellement pertinentes de l’apprenant
- L’amélioration de la conscience globale de l’apprenant de ses lacunes en matière de connaissances.
Nous ne visons pas l’acquisition immédiate de schémas spécifiques au domaine qui est l’objectif de la phase d’instruction explicite suivante. Dans un sens, l’optique est plutôt de développer des capacités de discrimination au sein des connaissances qu’il possède déjà.
Or, il se trouve que les méthodes généralement soutenues par la théorie de la charge cognitive ne sont peut-être pas les meilleures pour atteindre ces objectifs. Au contraire, les activités de guidage réduit (découverte guidée) suggérées pourraient convenir à ces objectifs.
Toutefois, il ne s’agit pas de réduire un enseignement explicite de la résolution de problèmes à l’étude de problèmes résolus. L’évaluation diagnostique, la réactivation des connaissances préalables, la récupération, la discrimination, de la pratique distribuée et la prise en compte des conceptions erronées ne sont pas directement abordées dans l’étude des problèmes résolus. Ils sont toutefois centraux dans les modèles d’enseignement explicite.
Il est probable qu’en ajoutant un guidage sur les principes et les activités de réflexion dans une approche d’échec productif ou d’activité d’invention, nous nous rapprochons du modèle d’un enseignement explicite. Le modèle de la découverte guidée présente un continuum avec l’enseignement explicite et devient plus intéressant au fur et à mesure que l’élève possède de larges connaissances dans le domaine.
Le rôle des objectifs spécifiques des activités de l’apprenant est à ce titre crucial, plus particulièrement celui des objectifs préalables à l’instruction. La question est de l’ordre de la conception pédagogique. Dans celle-ci, la prise en compte de la charge cognitive est un facteur à combiner avec celui des connaissances préalables et de la motivation.
Si l’élève est engagé et possède les différentes connaissances spécifiques, mais doit progresser dans la discrimination entre différentes situations, alors la découverte guidée semble plus appropriée. Si l’élève est moins engagé où s’il manque de connaissances préalables, alors un enseignement explicite fondé sur l’étude de problèmes résolus, est plus à même de l’aider à développer les schémas cognitifs nécessaires
Mise à jour le 22/12/2023
Bibliographie
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Kalyuga, Slava and Chih-yi Hsu. “What should students do first when learning how to solve a physics problem.” Advances in Cognitive Load Theory (2019)
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Schraw, G., Crippen, K., & Hartley, K. (2006). Promoting self-regulation in science education: Metacognition as part of a broader perspective on learning. Research in Science Education, 36, 111–139.
Kalyuga, S., & Singh, A.-M. (2016). Rethinking the boundaries of cognitive load theory in complex learning. Educational Psychology Review, 28(4), 831–852.
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