mercredi 4 mars 2020

Quand est-il bénéfique de laisser les élèves découvrir par eux-mêmes la résolution de problèmes ?

Des recherches quantitatives l’ont montré régulièrement dans de nombreux domaines allant des mathématiques à la compréhension de la lecture. Les formes d’enseignement soigneusement guidées telles que l’enseignement explicite ou la découverte guidée se révèlent plus efficaces pour des apprenants novices que les formes d’enseignement non guidées ou partiellement guidées.

(Photographie : Anna Bergold)



Nature des preuves


Ces preuves proviennent de diverses sources :
  1. Des essais contrôlés randomisés portant sur l’utilisation de problèmes résolus (Sweller, Ayres et Kalyuga, 2011 ; Schwonke et coll., 2009)
  2. Des recherches sur l’efficacité des enseignants (Rosenshine, 2009)
  3. Les résultats des enquêtes PISA suggèrent une corrélation négative entre l’utilisation de stratégies d’enseignement moins dirigées par les enseignants et les résultats obtenus en mathématiques et en sciences (Hwang, Choi, Bae, Dong et Shin, 2018).
Si de nombreuses données probantes soulignent l’importance d’un guidage complet des élèves par l’enseignant, la manière de séquencer la découverte ou la présentation peut être sujette à interprétation.

La question est de savoir si le guidage complet doit être donné d’emblée. Cela correspondrait à une application stricte des principes de l’enseignement explicite ou de la théorie de la charge cognitive. Ou alors, est-il utile dans un premier temps de laisser expérimenter les élèves avant d’aborder le modelage et la pratique ?

Voici une synthèse d’un article de recherche de Greg Ashman (et coll., 2019) qui explore cette question.



L’approche de l’échec productif


Présentation


Une prédiction opposée à l’enseignement explicite, l’approche de l’échec productif postule qu’une phase de résolution de problèmes avant un enseignement explicite est plus efficace que l’enseignement explicite suivi de la résolution de problèmes.

Selon l’approche de l’échec productif, les apprenants gagnent à chercher dans un premier temps à résoudre un problème par eux-mêmes. Dans un second temps, ils recevront un guidage complet sur la méthode canonique de résolution attendue (Kapur & Bielaczyc, 2012).

Cependant, cette prédiction s’oppose au principe du problème résolu qui est un principe central de la théorie de la charge cognitive. Celui-ci prédit que la résolution de problèmes en premier lieu devrait être moins efficace qu’une approche impliquant un guidage complet dès le début. Ce principe se vérifie pour tous les objectifs d’apprentissage, sauf les plus simples.

L’échec productif a été proposé comme une approche efficace pour apprendre à résoudre les problèmes.

Il se compose de deux phases :
  1. La phase de génération et d’exploration : elle exige des élèves qu’ils résolvent des problèmes sans l’aide explicite d’un enseignant. 
  2. La phase de consolidation : elle consiste ensuite à évaluer et rediriger les stratégies de solution générées par les élèves et à enseigner la méthode canonique.



Critères de sélection des problèmes


Il existe des critères clairs auxquels les problèmes doivent répondre, afin d’être accessibles pendant la phase de génération et d’exploration (voir Kapur, 2016) :
  1. Les problèmes ne doivent pas être formulés de manière à être incompréhensibles pour un élève. Ils ne doivent pas exiger une instruction préalable de la méthode canonique. Sont dès lors exclus tous les éléments terminologiques peu familiers ou techniques. 
  2. Les problèmes doivent pouvoir s’appuyer sur des connaissances formelles et informelles préalables. Ils doivent permettre aux élèves d’essayer un certain nombre de stratégies de solution sur lesquelles un enseignant peut ensuite s’appuyer dans la phase de guidage.
  3. Les problèmes doivent représenter un niveau de défi approprié.



Hypothèses sur l’efficacité de l’approche


Différentes raisons sont avancées selon lesquelles la résolution de problèmes en premier lieu pourrait être plus efficace qu’une approche démarrant par un enseignement explicite :
  1. La résolution de problèmes en premier lieu peut activer et différencier les connaissances préalables. Cette activation peut rendre les élèves plus conscients des lacunes dans leurs connaissances préalables.
  2. Lorsque nous leur présentons la méthode de résolution canonique, les élèves qui ont déjà tenté de résoudre le problème peuvent comparer leurs solutions avec celle-ci. Cela leur permet de mieux prendre en compte les aspects critiques de la résolution canonique. 
  3. Les élèves ayant participé à la résolution du problème en premier lieu sont susceptibles d’être plus motivés et engagés.
  4. Le fait d’exiger des élèves qu’ils génèrent leurs propres solutions aux problèmes avant de les guider explicitement peut renforcer la relation stimulus-réponse en mémoire. 
  5. L’enseignement explicite peut interférer avec l’apprentissage implicite. Cela amène les élèves à se concentrer sur les procédures plutôt que sur les éléments de discrimination qui rendent les procédures utiles et pertinentes. Dans ce cadre, la résolution précoce des problèmes peut également se révéler supérieure.

Selon ces différents arguments, l’approche de l’échec productif peut donc conduire à un transfert supérieur vers de nouveaux problèmes ayant une structure profonde similaire et qui se situent dans des contextes différents.



Des résultats de recherche non concluants


Un certain nombre d’études soutiennent directement l’efficacité relative de la résolution de problèmes d’abord par rapport à une approche d’instruction explicite (Ashman et coll., 2019 pour les sources). D’autres études suggèrent l’efficacité relative d’une phase exploratoire avant une instruction directe, par rapport à l’instruction directe dès le départ.

La plupart de ces études comportent deux problèmes :
  1. Seul un sous-ensemble de ces études varie l’ordre d’enseignement, sans rien changer d’autre. Cela pose la question de la pertinence des conclusions. 
  2. De même comme le montre Greg Ashman (et coll., 2019), un certain nombre de ces études ne respecte pas les critères d’un enseignement explicite. En effet, si celui-ci s’appuie sur beaucoup d’interactions et de pratique guidée, ce n’est généralement pas le cas dans les protocoles de recherche concernés. 

Il y a une façon simple de varier l’ordre d’enseignement tout en conservant un contrôle expérimental complet et valide ainsi qu’une validité écologique. Nous comparons l’étude de problèmes résolus suivie de la résolution de problèmes avec exactement le même problème résolu et les mêmes phases de résolution de problèmes, mais dans l’ordre inverse.

Lorsque cette comparaison est effectuée, la séquence exemple — problème s’est avérée supérieure à la séquence problème — exemple, en contradiction avec l’hypothèse selon laquelle la résolution du problème en premier est avantageuse.



L’effet de l’interactivité des éléments sur l’apprentissage de la résolution de problèmes


L’interactivité des éléments semble être un facteur déterminant dans ces processus. L’interactivité des éléments dépend donc à la fois de la complexité des supports d’apprentissage et de l’expertise de l’apprenant.


La théorie de la charge cognitive prévoit que lorsque des élèves apprennent de nouveaux concepts comportant un nombre assez important d’éléments en interaction, la résolution de problèmes en premier lieu surchargerait la mémoire de travail. Cela conduirait à la rétention de peu de connaissances pour la phase d’enseignement suivante.

Les situations où les élèves sont placés face à une situation d’apprentissage à forte interactivité sont monnaie courante dans les écoles.



Limites propres à l’approche de l’échec productif


Selon l’approche de l’échec productif, une phase de résolution de problème avant l’instruction explicite est plus efficace que l’instruction explicite suivie de la résolution de problème.

Cette prédiction a été testée par Greg Ashman (et coll., 2019) auprès d’élèves de cinquième année du primaire en apprentissage sur l’efficacité énergétique de la lumière.

L’objectif principal de l’étude actuelle était de mener des expériences contrôlées et entièrement randomisées. Celles-ci ont visé à étudier l’efficacité d’une approche de résolution de problèmes en premier lieu par rapport à un modèle alternatif où un guidage complet est fourni au début de la séquence d’enseignement.

Deux expériences contrôlées, entièrement randomisées, ont été menées :
  • Dans la première expérience (N = 64), l’enseignement explicite suivi de la résolution de problèmes s’est avéré supérieur à l’ordre inverse pour des performances sur des problèmes similaires à ceux utilisés pendant l’enseignement. Il n’y a pas eu de différence sur les problèmes de transfert.
  • Dans la deuxième expérience, où l’interactivité des éléments a été augmentée (N = 71). L’enseignement explicite suivi de la résolution de problèmes s’est avéré supérieur à l’ordre inverse pour les performances sur des problèmes similaires et de transfert. 

Ces deux résultats contredisent le concept d’échec productif et valident l’approche prônée par la théorie de la charge cognitive. Ils indiquent qu’un enseignement explicite gagne à précéder la résolution de problèmes. L’enseignement explicite avant la résolution de problèmes était plus efficace que la résolution de problèmes avant l’enseignement explicite pour l’acquisition de schémas spécifiques à un domaine.



Critères d’application de l’approche de l’échec productif


À première vue, l’approche de l’échec productif semble en contradiction avec les prévisions de la théorie de la charge cognitive.

Un fait intéressant est cependant que les résultats d’une supériorité de l’enseignement explicite sont d’autant plus marqués que l’interactivité des éléments est élevée.

Cependant, cette contradiction apparente des deux points de vue peut être réconciliée si nous tenons compte de l’interactivité des éléments.

Les résultats favorisant une approche de l’échec productif dans certaines recherches favorisant cette approche pourraient s’expliquer par des niveaux d’interactivité des éléments plus faibles selon Greg Ashman (et coll., 2019).

L’échec productif ne devrait dès lors plus se produire dès que l’interactivité des éléments est suffisamment élevée pour dépasser les limites de la mémoire de travail. Il devrait être observable lorsque l’interactivité des éléments ne dépasse pas les limites de la mémoire de travail. Dans ce cadre, une approche telle que la découverte guidée peut se révéler tout autant optimale qu’un enseignement explicite.



L’effet d’inversion de l’expertise


D’autres travaux et d’autres études dans d’autres domaines semblent en accord avec cette hypothèse. Il est prouvé que l’interactivité des éléments fournit une variable explicative de la présence ou de l’absence d’un avantage de premier plan dans la résolution des problèmes.

L’effet de l’approche de l’échec productif peut être également comparé à l’effet d’inversion de l’expertise. Pour les informations à forte interactivité des éléments, l’étude de problèmes résolus facilite l’apprentissage de schémas de solution par rapport à la résolution de problèmes. Cependant, lorsque l’expertise augmente et que l’interactivité des éléments diminue par conséquent, l’avantage des exemples travaillés diminue et finit par s’inverser.

L’effet de l’approche de l’échec productif pourrait correspondre aux situations ou l’effet d’inversion de l’expertise se manifeste.

Parallèlement d’autres résultats (Chen et al. (2015); Chen, Kalyuga, et Sweller [2016 a, 2016 b]) montrent un effet de génération dans lequel la résolution de problèmes était supérieure à l’étude de problèmes résolus pour les informations à faible interactivité. Cependant, les problèmes résolus étaient supérieurs à la résolution de problèmes pour les informations à forte interactivité. Ces résultats soutiennent également fortement la suggestion que la résolution de problèmes en premier peut être bénéfique pour les informations à faible interactivité, mais pas pour celles à forte interactivité.



Les apports de la recherche sur l’apprentissage par problème en médecine


Depuis le début des années 1970, la formation des étudiants en médecine a introduit de façon plus ou moins prononcée suivant les pays, les universités ou les époques, un apprentissage par problèmes. 

Dans cette démarche, les étudiants en médecine sont confrontés à des cas cliniques différents représentant un problème médical tel que ceux qu’ils rencontreront dans leur vie professionnelle. 

Ils doivent mener une démarche de recherche, aller chercher les connaissances et les informations pertinentes, établir un raisonnement, qui leur permet de résoudre le problème et d’établir un diagnostic. Durant ce processus, ils doivent discuter puis affiner cette connaissance construite, tout en la confrontant avec celles de leurs condisciples ou de l’enseignant qui encadre le processus avec un rôle de tuteur. 

Cette approche de la formation des futurs médecins a donné lieu à une littérature très importante. Cependant, il y a une large convergence des méta-analyses sur ce sujet. Comme l’écrit André Tricot (2017) :
  • L’apprentissage par problèmes est mieux évalué par les étudiants que des approches plus classiques de l’enseignement.
  • La pratique clinique de ces étudiants est bien meilleure. Les compétences ou connaissances qui bénéficient le plus de l’apprentissage par problèmes sont le fait de faire face à l’incertitude, de prendre en compte les aspects légaux et éthiques du soin et de communiquer.
  • En revanche, les connaissances factuelles et cliniques ne profitent pas de cette approche et sont mieux acquises par les étudiants n’ayant pas suivi un apprentissage par problèmes. 



Facteurs à considérer dans le choix d’une approche pédagogique pour l’apprentissage de la résolution de problèmes


Les résultats de la recherche effectuée par Greg Ashman (et coll., 2019) n’ont trouvé aucune preuve de l’efficacité de la stratégie de résolution des problèmes en premier lieu face à un enseignement explicite en premier lieu. 

Néanmoins, il peut y avoir suffisamment de preuves dans la littérature de recherche pour indiquer que la résolution de problèmes en premier lieu est elle-même efficace dans certaines circonstances spécifiques.

En résumé :
  • Pour les contenus à forte interactivité des éléments, une instruction explicite initiale semble essentielle. 
  • Pour les informations à faible interactivité, la résolution initiale du problème peut être bénéfique.

En conclusion, il est prématuré et risque de privilégier systématiquement une phase initiale de résolution de problèmes comme approche générale de l’enseignement.

Il est plus prudent de commencer à enseigner les procédures de résolution de problèmes à forte interactivité avec des instructions explicites avant de passer à des méthodes d’enseignement plus basées sur les problèmes. Bien souvent, l’interactivité se révèlera élevée pour un nombre appréciable
d’élèves dans une classe. 

S’il est possible qu’une stratégie de résolution de problèmes en premier lieu soit efficace, ce sera seulement pour des informations à interactivité d’éléments relativement faible. Ce sera également le cas pour des apprenants disposant d’un niveau d’expertise déjà élevé dans le domaine considéré.



Mis à jour le 25/06/2024



Bibliographie


Ashman, Greg & Kalyuga, Slava & Sweller, John. (2019). Problem-solving or Explicit Instruction: Which Should Go First When Element Interactivity Is High?. Educational Psychology Review. 10.1007/s10648-019-09500-5.

Sweller, J., Ayres, P., & Kalyuga, S. (2011). Cognitive load theory. New York: Springer.

Schwonke, R., Renkl, A., Krieg, C., Wittwer, J., Aleven, V., & Salden, R. (2009). The worked-example effect: Not an artefact of lousy control conditions. Computers in Human Behavior, 25(2), 258–266.

Rosenshine, B. (2009). The empirical support for direct instruction. In S. Tobias and T. Duffy (Eds.) Constructivist Instruction: Success or Failure? (pp. 201–220). New York: Routledge

Kapur, M. (2016). Examining productive failure, productive success, unproductive failure, and unproductive success in learning. Educational Psychologist, 51(2), 289–299.

Kapur, M., & Bielaczyc, K. (2012). Designing for Productive Failure. Journal of the Learning Sciences, 21(1), 45–83. https://doi.org/10.1080/10508406.2011.591717

Hwang, J., Choi, K. M., Bae, Y., Dong, &, & Shin, H. (2018). Do Teachers’ Instructional Practices Moderate Equity in Mathematical and Scientific Literacy? An Investigation of the PISA 2012 and 2015. International Journal of Science and Mathematics Education.

Chen, O., Kalyuga, S., & Sweller, J. (2015). The worked example effect, the generation effect, and element interactivity. Journal of Educational Psychology, 107, 689–704.

Chen, O., Kalyuga, S., & Sweller, J. (2016a). Relations between the worked example and generation effects on immediate and delayed tests. Learning and Instruction, 45, 20–30.

Chen, O., Kalyuga, S., & Sweller, J. (2016 b). When instructional guidance is needed. Educational and Developmental Psychologist, 33, 149–162.

André Tricot, l’innovation pédagogique, 2017, Retz

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