samedi 15 avril 2023

Les fonctions de l’évaluation et de la note

Voici une synthèse personnelle d’éléments de la note d’Annick Fagnant (2023) pour la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves.

(Photographie : experimentalmeowsiclesbian)




Différentes perspectives sur les fonctions de l’évaluation


Allal (1991, 2007) distingue trois fonctions d’évaluation qui envisagent des formes de régulation et conduisent à des décisions différentes :
 


L’évaluation formative :
  • Intervient pendant une période de formation, à la suite d’une unité d’enseignement ou d’apprentissage portant sur un ensemble restreint d’objectifs.
  • Favorise la maîtrise des objectifs d’apprentissage par le plus grand nombre d’élèves.
  • Inclut une visée diagnostique en vue d’identifier les erreurs et les lacunes des élèves, ce qui mène à une fonction de régulation associée (rétroaction). 
L’évaluation formative s’accompagne naturellement d’un rôle de régulation (Crahay et coll., 2019). La régulation consiste à s’assurer que l’enseignement et les tâches d’apprentissage correspondent aux caractéristiques des élèves. Cela peut nécessiter de prendre des décisions en matière d’adaptation des activités d’enseignement et d’apprentissage :
  • La régulation de l’enseignement désigne le processus par lequel l’enseignant décide d’adapter et de différencier son enseignement à partir des résultats produits par l’évaluation formative (dans des modalités formelles et informelles).
  • La régulation des apprentissages concerne l’élève qui, étant activement impliqué dans des évaluations formatives, développe des capacités d’autorégulation favorables à son apprentissage. 
Cette catégorisation de l’évaluation ne fait pas consensus. Merle (2018) ajoute deux distinctions à l’évaluation formative : 
  1. L’évaluation formative est un processus d’évaluation continue qui a pour objet d’assurer la progression de chaque individu dans une démarche d’apprentissage qui est centrée sur l’activité de l’enseignant.
  2. L’évaluation diagnostique a pour objet de connaître le niveau des élèves en début d’année scolaire ou au début d’une nouvelle séquence d’apprentissage.
  3. L’évaluation formatrice est centrée sur l’activité de l’élève. Elle a pour objet principal de favoriser des processus d’autoévaluation.
Merle (2018) distingue les évaluations sommatives et certificatives qui visent toutes deux à faire un bilan des connaissances et compétences acquises par les élèves. L’évaluation certificative a cela de spécifique d’être réalisée dans le cadre d’un examen officiel. 

Les évaluations sommatives et certificatives correspondent à une autre forme de régulation qui consiste à s’assurer que les caractéristiques des élèves correspondent aux exigences du système scolaire. Il s’agit cette fois d’amener à la prise de décisions administratives qui vont avoir un impact sur le cursus scolaire des élèves (Crahay et coll., 2019). 

Allal (2007) de son côté distingue la fonction sommative de la fonction pronostique :
  • L’évaluation sommative :
    • Intervient au terme d’une période de formation, par exemple à la fin d’une unité d’enseignement ou d’apprentissage.
    • Permet à l’enseignant de dresser un bilan des acquis des élèves.
    • Conduit généralement à attribuer une note à la performance observée. 
    • Présente deux caractéristiques institutionnelles importantes qui la distinguent de l’évaluation formative : 
      • Elle sera enregistrée dans un document officiel ayant un caractère public et permanent (un carnet, livret ou bulletin scolaire).
      • Elle sera communiquée à des interlocuteurs en dehors de la relation pédagogique qui lie l’enseignant à l’élève, par exemple aux parents de l’élève ou aux instances de formations ultérieures.
    • Ne poursuit plus aucun dessein pédagogique.
    • Concerne la régulation de l’action de certification assurée par l’école face aux attentes de la société.
      • L’évaluation certificative est donc une forme d’évaluation sommative qui vise la délivrance d’un diplôme ou d’un certificat. 
      • Des évaluations sommatives réalisées en cours d’année par un enseignant dans sa classe constituent des étapes intermédiaires à cette certification.
  • L’évaluation pronostique :
    • Intervient quant à elle lorsqu’il s’agit d’admettre les élèves dans un cursus de formation ou de les orienter vers un nouveau cursus
    • Estime leurs chances de réussite dans la formation à venir. 
    • Correspond :
      • Aux examens d’entrée
      • Aux prises de décision concernant la promotion ou le redoublement
      • Au passage du secteur ordinaire dans une classe ou institution spécialisée
      • À l’orientation vers des filières de l’école secondaire
      • À l’accès à des dispositifs de formation ayant des exigences particulières. 
    • Porte sur l’avenir, mais se base pour une bonne part, au sein de la scolarité obligatoire, sur les résultats d’évaluations sommatives antérieures.
    • Souvent gérée de manière collégiale par les enseignants, lors des conseils de classe notamment.
    • Communiquée, tout comme pour les évaluations sommatives,dans des documents officiels accessibles à divers destinataires. 



L’importance de la valeur informative de la note


Le fait d’évaluer les acquis des élèves est une étape importante dans le processus d’apprentissage car d'une façon ou d'une autre. Il nous bien certifier les apprentissages et en obtenir une mesure à la fois qualitative et quantitative, valide, pertinente et fiable.

Malgré un discours positif sur l’évaluation formative, c’est l’évaluation sommative qui reste souvent la plus largement pratiquée dans de nombreux systèmes scolaires (Issaieva et coll., 2015).

Parallèlement, on note une progression du cadrage légal entourant l’évaluation sommative dans nombre de systèmes scolaires. À ce sujet, en FW-B, l’Arrêté Ministériel du 01/07/2014 précise que : tout ce qui fait l’objet d’une évaluation sommative doit correspondre strictement aux objectifs annoncés. Dès lors, l’essentiel dans la note n’est pas qu’elle soit exprimée à l’aide de chiffres ou de lettres, mais surtout qu’elle rende compte avec clarté de la performance accomplie par rapport à celle qui était attendue. Ce qui compte n'est pas la forme de la note, mais l'information qu'elle véhicule.

Les notes peuvent également être accompagnées de commentaires. D’ailleurs, l’enquête TALIS 2018 révèle qu’en FW-B, 74 % des enseignants déclarent ajouter des commentaires écrits à la note des élèves (Quittre et coll., 2019). 

Toutefois, majoritairement, ces commentaires écrits n’ont pas de valeur rétroactive et se limitent souvent à enjoindre aux élèves de travailler davantage (De Ketele & Frères, 2009) ou servent aux enseignants pour justifier les résultats des élèves. Ces commentaires n'ont ainsi pas pour mission première de soutenir les apprentissages des élèves d'autant plus qu'ils paraissent souvent une fois que les dés sont jettés.  

De plus, même quand les commentaires ont une visée formative (Calone & Lafontaine, 2018) et correspondent à une évaluation sommative intermédiaire, ils risquent d’être peu pris en compte par les élèves. Ceux-ci préfèreront toujours comparer leurs notes à celles de leur voisin dans une visée normative (Merle, 2014) plutôt que de s'engager dans remise en question de la qualité ou de la quantité de leurs efforts passés.

La note est par conséquent omniprésente. Dès lors, l'interrogation ne doit pas se porter sur son existence mais sur es modes de structuration questionnent. Régulièrement, ils peuvent être insuffisamment référés aux apprentissages (Pasquini, 2019). Pourtant, il s’agit là d’un élément essentiel pour qu’une évaluation sommative puisse se montrer au service des apprentissages (Broadbent et coll., 2018). 

Par exemple, obtenir 60% pour un élève ne signifie pas grand chose en tant que tel. À quels objectifs d'apprentissages correspondent les 60% maîtrisés et les 40% non maîtrisés ?  Comme la note s'inscrit dans un parcours d'élève en pleine construction, il serait important qu'elle soit à haute valeur informative de manière à mieux l'éclairer.



Une évaluation sommative à référence normative ou critériée


L’évaluation peut également avoir deux types de référence : normative ou critériée.

L’évaluation normative :
  • Réfère la performance d’un apprenant aux performances des autres apprenants.
  • Situe l’élève non pas par rapport aux objectifs à atteindre, mais par rapport aux résultats des autres élèves, ce qui autorise une procédure de classement ou de sélection.
  • Est caractéristique d’une tradition visant à mettre en exergue, l’excellence scolaire dans un système méritocratique (Crahay et coll., 2019).
  • Possède des effets délétères.

L’évaluation critériée :
  • Réfère la performance d’un apprenant à des critères précis, établis en lien avec des objectifs de formation
  • A pour but de décrire ce dont un élève est capable, indépendamment de la performance des autres élèves. 

Selon Crahay et ses collaborateurs (2019), l’évaluation normative utilisée dans un système qui prône l’excellence scolaire (et par voie de conséquence de l’échec également) conduit certains enseignants à conférer aux évaluations sommatives une visée pronostique.

En fin d’année, des enseignants peuvent se fondre que partiellement sur un bilan des acquisitions réalisées durant l’année écoulée. Ils s’attachent à anticiper, dans quelle mesure, chaque élève est apte à suivre les enseignements de l’année à venir.

Dans ce sens s’interroger sur les élèves aptes à suivre avec succès un degré d’enseignement ultérieur, c’est nécessairement suspecter que certains n’en sont pas capables (Crahay et coll., 2019).

Si l’on souhaite que l’évaluation serve réellement à soutenir les apprentissages des élèves, les évaluations sommatives se doivent d’être à référence critériée et articulées aux évaluations formatives. 

Crahay et ses collaborateurs (2019) opposent ainsi les évaluations normatives situées dans une visée d’excellence aux évaluations critériées situées dans l’optique d’une pédagogie de la maîtrise.

Les partisans de la pédagogie de maîtrise prennent le contrepied de cette conception méritocratique de l’école. Pour eux, la mission de l’enseignant n’est pas de fabriquer des hiérarchies d’excellence, mais de susciter un maximum d’apprentissages chez un maximum d’élèves. 

L’évaluation sommative critériée situe l’élève par rapport aux compétences à maîtriser. 



Le recouvrement entre évaluation formative et sommative 


À la suite de travaux de Bloom (et coll., 1971), la distinction entre évaluation sommative et formative s’est largement répandue auprès des enseignants. Cette distinction est souvent comprise de 
façon un peu caricaturale :
  • L’évaluation sommative est presque uniquement associée à la note et se fait au terme de la période d'enseignement d'une matière pour en mesurer les apprentissages. C'est le quitte ou double : raté ou réussi.
  • La version formative est trop souvent caractérisée par le fait qu’elle ne compte pas pour des points et n'est donc souvent pas prises au sérieux par les élèves car les enjeux leurs paraissent faibles.
Pour prendre le contrepied de ces croyances, Broadbent et ses collaborateurs (2018) se sont intéressés à la manière de les combiner afin de tirer les bénéfices et avantages de chacune d’elles. L’évaluation sommative s’enrichirait dans cette perspective des apports de l’évaluation formative, et inversement. 

Selon Allal (2010), l’harmonisation des volets sommatif et formatif servirait l’élève dans la compréhension de ses résultats. De plus, elle permettrait aussi de dégager des pistes de régulation pour l’élève.

L’enjeu est d’atteindre la finalité de la pédagogie de maîtrise et d’amener la quasi-totalité des élèves à un même niveau élevé de réussite malgré leurs différences initiales. Dès lors, il faut nécessairement des adaptations fréquentes du processus d’enseignement et d’apprentissage. En cours de processus, il convient dès lors d’utiliser l’évaluation à des fins formatives. 

De plus, l’évaluation formative et l’évaluation sommative à référence critériée doivent être articulées (Crahay et coll., 2019). De ce fait, les évaluations sommatives peuvent aussi servir à des fins formatives. 

Il faut pouvoir pallier la critique du manque de temps souvent évoquée par les enseignants pour renoncer aux évaluations formatives. Allal (1991) propose d’insérer des activités de régulation à la suite d’un contrôle effectué d’abord dans une optique sommative. Greffer une fonction formative sur des évaluations sommatives permet deux types de régulation : 
  • Une rétroaction vers les objectifs non maîtrisés de l’unité de formation que l’on vient d’évaluer.
  • Une différenciation des activités d’enseignement/apprentissage abordées dans l’unité suivante.
Pour que les évaluations sommatives puissent soutenir les apprentissages et informer correctement les enseignants et les élèves, elles doivent s’inscrire dans un processus qui respecte l’alignement curriculaire (Anderson, 2002). Elles présentent une triple concordance entre objectifs, méthode et évaluation. 


Mis à jour le 24/12/2023

Bibliographie


Fagnant, A. (2023). Les pratiques d’évaluation en classe : des compétences professionnelles pour soutenir l’apprentissage des élèves. Cnesco-Cnam. 

Allal., L. (1991). Vers une pratique de l’évaluation formative. De Boeck. 

Allal, L. (2007). Évaluation : lien entre enseignement et apprentissage. In V. Dupriez & G. Chapelle (Eds.). Enseigner (pp. 139-149). Presses Universitaires de France. 

Crahay, M., Mottier Lopez, L., & Marcoux, G. (2019). L’évaluation des élèves : Docteur Jekyll and Mister Hyde de l’enseignement. In M. Crahay (Ed.), Peut-on lutter contre l'échec scolaire ? (pp. 358-425). De Boeck.

Merle, P. (2018). Les pratiques d’évaluation scolaire. Historique, difficultés, perspectives. PUF

Issaieva E., Yerly, G., Petkova, I., Marbaise, C., & Crahay, M. (2015). Conceptions et prises de positions des enseignants face à l’évaluation scolaire dans quatre systèmes éducatifs européens : quel est le reflet des cultures et politiques éducatives ? In P.-F. Coen & L. M. Bélair (Eds.), Évaluation et autoévaluation. Quels espaces de formation ? (pp. 73-98). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.ceon.2015.02.0073

Quittre, V., Dupont, V., & Lafontaine, D. (2019). Enseigner au quotidien. Talis 2018. https://events.uliege.be/talis-fwb/resultats-talis-2018-en-fwb/

De Ketele, J.-M., & Frères G. (2009) Les commentaires des enseignants et des élèves : simples jugements ou processus évaluatifs ? Les Cahiers de Recherche en Education et en Formation, 74, 1-38. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00561526

Calone, A., & Lafontaine, D. (2018). Feedback normatif vs feedback élaboré : quel impact sur la performance et le sentiment de contrôlabilité des élèves. Évaluer. Journal international de recherche en éducation et formation, 4(2), 47-76. https://journal.admee.org/index.php/ejiref/article/view/156/86

Merle, P. (2014). Faut-il en finir avec les notes ? La vie des idées. https://laviedesidees.fr/Faut-il-en- finir-avec-les-notes.html

Pasquini, R. (2019). Élargir conceptuellement le modèle de l’alignement curriculaire pour comprendre la cohérence des pratiques évaluatives sommatives notées des enseignants : enjeux et perspectives. Mesure et évaluation en éducation, 42(1), 63-92.

Broadbent, J., Panadero, E., & Boud, D. (2018). Implementing summative assessment with a formative flavour: A case study in a large class. Assessment & Evaluation In Higher Education, 43(2), 307–322. https://doi.org/10.1080/02602938.2017.1343455

Allal, L. (2010). Assessment and the Regulation of Learning. In: P. Peterson, E. Baker & B. McGaw (Eds.), International Encyclopedia of Education. Volume 3 (pp. 348–352). Elsevier. http://unige.ch/fapse/people/allal/doc/Allal2010.pdf

Allal., L. (1991). Vers une pratique de l’évaluation formative. De Boeck.

Anderson, L. W. (2002). Curricular alignment: A re-examination. Theory Into Practice, 41, 255–260.

Bloom, B.S., Hastings, J.T., & Madaus, G.F. (1971). Handbook on formative and summative evaluation of student learning. New York, NY: McGraw-Hill. 

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