mercredi 19 avril 2023

Le modèle de la note constructive

Voici une synthèse personnelle d’éléments de la note d’Annick Fagnant (2023) pour la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves.

(Photographie : Kris Kozlowski Moore)





Comment articuler les fonctions sommative et formative de l’évaluation ? 

Au-delà des critiques couramment formulées concernant les notes scolaires, celles-ci continuent d’exister. Il ne semble pas facile de s’en passer.



La notion de note constructive autour d'un modèle élargi de l’alignement curriculaire


L’idée de la note constructive est que les évaluations articulent les fonctions formative et sommative. Dans cette démarche, nous voulons présenter l’acquisition d’apprentissages par une note (sous forme d’un résultat chiffré ou d’une lettre), tout en délivrant une rétroaction formative en parallèle.

Pasquini (2019, 2021) propose un modèle élargi de celui de l’alignement curriculaire (Anderson, 2002). Le modèle de l’alignement curriculaire s’appuie sur les trois piliers fondamentaux sur lesquels tout dispositif de formation doit reposer :
  • O : les objectifs ou intentions d’apprentissage
  • M : les méthodes d’enseignement et d’apprentissage
  • É : l’évaluation

L’idée est de resituer l’épreuve d’évaluation dans un cadre plus large en interrogeant sa cohérence avec les objectifs d’apprentissage poursuivis et les méthodes déployées. La note constructive vise à résumer les apprentissages des élèves et à avoir un réel pouvoir informatif.

Le modèle de l’alignement curriculaire élargi permet d’interroger la valeur informative de la note : 
  • En amont : 
    • Comment communiquer clairement les objectifs d’apprentissage et les critères d’évaluation aux élèves ?
    • Comment préparer efficacement les élèves à l’évaluation ? 
    • Quelles sont les opportunités d’apprentissages optimales offertes aux élèves ?
  • En aval :
    • Comment l’évaluation est-elle conçue ?
    • Comment la note est-elle construite et que représente-t-elle ?
    • Comment les commentaires qui accompagnent les résultats aident-ils les élèves à cerner leurs forces et leurs lacunes, tout en leur proposant des pistes pour remédier aux difficultés qu’ils rencontrent ? 
Pour Pasquini (2019, 2021), quatre composantes permettent d’appréhender finement la problématique de la notation : 
  • La référenciation restreinte : elle renvoie aux objectifs d’apprentissage à évaluer que les enseignants considèrent comme pertinents.
  • Le design : il correspond à la manière dont les enseignants conçoivent leurs tâches évaluatives en fonction des contenus, des compétences et des habiletés cognitives visées.
  • La pondération : elle représente le poids attribué aux différents objectifs évalués à l’aide de critères,  de points ou de points associés à des critères.
  • La notation : elle fait référence à la manière dont les enseignants construisent la note en s’appuyant sur des échelles ou des barèmes par exemple.

Dans cette perspective, la triple concordance correspond à la mise en cohérence des pratiques d’évaluation sommative (É) avec les objectifs d’apprentissage évalués (O) et les méthodes d’enseignement et d’apprentissage (M). 
 
Voici une représentation de ce modèle (adapté de Pasquini, 2019, p. 63 — extrait de Goffin, Baron, Ochelen & Fagnant, 2022) : 
 

Les quatre composantes développées par Pasquini (2019, 2021) sont indiquées en rouge dans le schéma. Elles sont mises en relation par les doubles flèches en pointillés qui modélisent les cinq liens réciproques les unissant : relations A-B-C-D et E : 
  • A : 
    • Les objectifs formulés sont évalués au travers des tâches.
    • Les tâches rendent compte des objectifs évalués.
  • B : 
    • Les objectifs formulés se retrouvent dans les critères.
    • Les critères décrivent les objectifs évalués.
  • C : 
    • Les tâches donnent lieu à un poids cohérent alloué à l’apprentissage.
    • Le poids des apprentissages évalués correspond à ce que les tâches évaluent en termes de complexité de contenu et d’habileté cognitive.
  • D : 
    • Les contenus et habiletés présents dans les tâches se retrouvent dans les descripteurs des échelles.
    • Les échelons des échelles donnent à voir les contenus et habiletés issus des tâches.
  • E : 
    • Les critères permettent-ils l’établissement des échelons, surtout le seuil de suffisance.
    • Les échelons et leurs progressions sont en rapport avec les critères. 

Le degré d’information que la note véhicule découle de la cohérence (ou de l’incohérence) de ces relations, mais aussi de la façon dont l’épreuve s’insère dans le modèle plus large. Ce modèle plus large prend notamment en compte les opportunités d’apprentissages offertes aux élèves avant l’évaluation (Goffin et coll., 2022). 



L’importance de la pondération face au phénomène de compensation


Feldman (2018) définit les points comme la devise des classes pour évaluer les apprentissages des élèves, ce qui en fait l’outil de pondération le plus courant.

Il peut être difficile de noter des tâches complexes, alors qu’il peut sembler simple, de corriger une série d’exercices. 

Dans la construction de la note, la pondération est une étape cruciale. Elle définit le poids et l’importance que l’enseignant accorde à une tâche donnée et à un apprentissage, qui lui servent de cadre de référence pour attribuer les points.

Cette étape est cruciale, car par la suite nous nous servirons des points pour calculer des pourcentages ou des sommes afin de faire le bilan des apprentissages réalisés. 

Un risque lié à la pondération est le phénomène de compensation. Il consiste à rattraper de potentielles lacunes dans les apprentissages grâce à l’attribution de points issus de tâches jugées plus abordables par l’enseignant. 

De cette manière, pour des niveaux de difficulté différents (de contenus ou d’habiletés cognitives), il est possible que l’on attribue un poids équivalent (ou peu cohérent par rapport aux objectifs). Cela permet de contrebalancer et de minimiser l’influence des activités plus complexes.

La construction d’une note scolaire dépasse largement la simple action d’additionner des scores intermédiaires ci et là, pour aboutir à une note finale représentative des véritables capacités de l’élève. 

La qualité de la construction est fonction de la cohérence que l’utilisateur applique à ses composantes. Le modèle d’alignement curriculaire peut servir de garde-fou. L’évaluation est insérée dans un dispositif qui dépend de ce qui est fait en amont et en aval de l’évaluation.



La communication de la note constructive et sa mobilisation


L’évaluation sommative constructive génère en retour une note et une rétroaction que l’enseignant propose à ses élèves et à leurs parents.

Le retour vers l’élève doit dépasser le simple constat ou le conseil vague et constituer une nécessaire boucle de rétroaction. Il s’agit d’échapper au fait de fournir une référence normative, car c’est un terreau particulièrement fertile pour la mise en place du climat de compétition.

Lorsque la note est communiquée, l’élève devrait en tirer les informations nécessaires pour :
  • Se situer par rapport à ses apprentissages
  • Envisager la régulation de ceux-ci.

Si c’est bien l’enseignant qui fournit la rétroaction, c’est l’élève qui se régule au final. Pour y parvenir, l’élève doit non seulement comprendre la rétroaction et se l’approprier pour pouvoir progresser dans ses apprentissages (Calone & Lafontaine, 2018).

Il faut par conséquent que l’élève soit amené à traiter la rétroaction et que l’enseignant lui ait appris à s’en servir. Pour de nombreux élèves, l’objectif se limite à obtenir leur note et de la comparer avec celle de ses camarades suffit. Devoir lire les commentaires sur les défauts de sa production est plutôt désagréable. Pour les enseignants, la correction et la rédaction de commentaires pour chaque élève sont potentiellement chronophages et souvent considérées comme inefficaces. 

L’usage de grilles critériées fondées sur les objectifs d’apprentissage pourrait offrir une autre option pour communiquer aux élèves les éléments constitutifs de la note reçue. Celle-ci peut s’inscrire également dans le cadre d’une rétroaction vers l’ensemble de la classe.

L’évaluation critériée se centre sur les objectifs d’apprentissage et permet d’identifier plus facilement d’éventuelles faiblesses et d’offrir des pistes de différenciation compensatoires pour réduire l’écart.

L’élève peut, grâce aux indicateurs, constater des signes observables pour percevoir la qualité de sa production. Il prend conscience de son niveau. Les critères sont communiqués de sorte à pouvoir être inscrits dans une réelle démarche (auto)évaluative. En ce sens, l’enseignant est amené à introduire les éléments de cette grille au fur et à mesure de l’enseignement. 

La note, les commentaires ou la grille critériée l’accompagnant constituent un ensemble de rétroaction visant à informer l’élève de ses acquis d’apprentissage (fonction sommative). Plus ces éléments sont en cohérence avec les principes de l’alignement curriculaire élargi, plus ils ont de chances d’être réellement informatifs aux yeux des enseignants et des élèves. Ils peuvent ainsi insuffler différentes formes de régulation (fonction formative).



Difficultés et pistes liées à l’usage des grilles critériées


Dans certaines situations, les grilles d’évaluation critériée permettent aux élèves de privilégier la note à la maitrise en activant le phénomène de compensation :
  • Ils peuvent viser à gagner facilement des points grâce à certaines questions qualifiées de simples (savoirs et savoir-faire) en évitant les questions complexes (problèmes)
  • Ils peuvent viser à respecter des critères liés davantage au respect des consignes qu’au fond voire même à la forme. 
  • Par conséquent, certains élèves peuvent obtenir une note de réussite tout en passant à côté de l’objectif essentiel ou à côté d’un certain type de tâches. 

Lorsque la note correspond à une simple addition de points :
  • Il peut suffire de répondre correctement à 50 % des questions les plus simples pour réussir avec une moyenne de 50 %. 
  • Une même note ne reflète pas forcément les mêmes difficultés. L’aspect informatif de la note ne permet pas de distinguer ce qui est acquis et ce qui ne l’est pas encore. 

Lorsque la note ne doit pas correspondre à une quantité de matière trop limitée :
  • S’il ne s’agit d’évaluer qu’une partie de la matière, à un moment donné, nous sommes dans l’ordre de la performance à court terme et non de l’apprentissage à long terme.
  • La note ne peut refléter le niveau de maitrise, à condition que la matière évaluée soit suffisamment complexe et conséquente.

Un enjeu important existe dans l’élaboration de la grille d’évaluation critériée. Si elle est construite correctement, elle permet à la note constructive de refléter logiquement les acquis des élèves. 

Dans cette logique, la grille d’évaluation critériée devient un instrument pour l’enseignement et l’apprentissage avant d’être un outil d’évaluation.

Elle devient pleinement un outil d’étayage pour l’enseignement et l’apprentissage, ce soutien peut être progressivement retiré. 

Dans la mesure où elle s’intègre à l’enseignement et à l’apprentissage, la grille critériée prend directement en compte la progression et ne se centre pas uniquement sur les finalités en matière de compétences.

La grille critériée intègre l’évaluation et la maitrise des connaissances factuelles et procédurales au même titre que l’évaluation des compétences. La conception des objectifs d’apprentissages et des critères de réussite est à ce titre cruciale.



La note comme reflet de l’alignement curriculaire : écueils et pistes 


La conception de l’évaluation doit avoir lieu dans la logique de l’alignement curriculaire si elle veut pleinement mettre en avant la maitrise. La note devient alors informative au sens où elle reflète les performances des élèves par rapport à ce qu’ils ont réellement appris.

Un premier facteur d’attention face à la dimension constructive de la note est la solitude de l’enseignant. Si l’enseignant crée seul son épreuve, en restant trop centré sur le contexte de sa classe, il risque d’être soumis à l’effet Posthumus et de produire une épreuve discriminante (Crahay et coll., 2019). La conception de l’évaluation gagne à être partagée et à rester centrée sur la mesure de l’acquisition des objectifs d’apprentissage.

Un deuxième facteur d’attention face à la dimension constructive de la note est l’effet de compensation. Il constitue un frein au caractère informatif de la note. L’épreuve peut être réussie alors que l’élève obtient une série de points acquis à certaines questions, mais ne témoignant pourtant pas de la maitrise de la compétence. 

Deux pistes existent pour atténuer l’effet de compensation :
  • La prise en compte du poids des différentes parties de l’évaluation se fait en lien avec les démarches d’enseignement et d’apprentissage effectives. Il doit y avoir un équilibre entre les différents aspects effectivement travaillés en classe avec les élèves dans une logique d’évaluation soutien d’apprentissage.
  • Des critères incontournables sont susceptibles d’être utiles. Ils doivent être acquis pour pouvoir réussir l’épreuve. La note perd de son caractère informatif quand elle atteste une réussite alors que l’enseignant considère pourtant que l’élève ne maitrise pas la matière. L’idée est d’augmenter ce seuil, pour que la note informative témoigne davantage d’une maitrise que d’une réussite sur le fil.

Un troisième facteur d’attention face à la dimension constructive de la note dépend de la façon dont les élèves sont préparés à l’évaluation et clairement informés de celle-ci. Il s’agit de :
  • Communiquer les objectifs, les critères et même la pondération sont des démarches essentielles pour aider à clarifier les attentes tant au niveau de l’apprentissage que de l’évaluation qui suivra. 
  • Aligner les méthodes d’enseignement et d’apprentissage sur les objectifs d’apprentissage et par voie de conséquences l’évaluation sur ces derniers doit permettre d’en attester la maitrise. 

Un quatrième facteur d’attention face à la dimension constructive de la note dépend de la façon la communication du détail de la note a lieu. L’intention est qu’elle puisse aider les élèves à cerner les questions ou les critères maitrisés ou non. Les commentaires l’accompagnant pointent les difficultés et offrent des pistes de remédiation.

Deux pistes semblent favorables à l’amélioration :
  • La mise en œuvre d’une pratique d’évaluation soutien d’apprentissage (Assessment for learning) au travers d’évaluations formatives, mais aussi en donnant un caractère formatif aux évaluations sommatives pourrait contribuer à améliorer le climat de classe. 
  • Il serait important que l’enseignant apprenne aux élèves à décoder ce type de commentaires et qu’il les aide à s’en saisir pour réguler leurs apprentissages. Dispenser une rétroaction précise et qualitative semble être une condition favorable pour rendre la note plus constructive (Broadbent et coll., 2018). S’assurer qu’elle soit comprise et utilisée semble tout aussi essentiel pour qu’ils puissent réellement remplir leur rôle formatif (Wiliam, 2011).


MIS à jour le 12/11/2023

Bibliographie


Fagnant, A. (2023). Les pratiques d’évaluation en classe : des compétences professionnelles pour soutenir l’apprentissage des élèves. Cnesco-Cnam. 

Pasquini, R. (2021). Quand la note devient constructive. Évaluer pour certifier et soutenir les apprentissages. Presses de l’Université Laval. http://hdl.handle.net/20.500.12162/4900

Pasquini, R. (2019). Élargir conceptuellement le modèle de l’alignement curriculaire pour comprendre la cohérence des pratiques évaluatives sommatives notées des enseignants : enjeux et perspectives. Mesure et évaluation en éducation, 42(1), 63-92. 

Anderson, L. W. (2002). Curricular alignment: A re-examination. Theory Into Practice, 41, 255—260. https://doi.org/10.1207/s15430421tip4104_9

Goffin, C., Baron, J., Ochelen, J.-P. & Fagnant, A. (2022). Freins et leviers pour œuvrer à la construction et à la communication d’une note à haute valeur informative : une étude exploratoire dans l’enseignement secondaire en Belgique francophone. La Revue LEeE, 6, 1-22. 

Feldman, J. (2018). The end of points. Educational Leadership, 75(5), 36–40. 

Calone, A., & Lafontaine, D. (2018). Feedback normatif vs feedback élaboré : quel impact sur la performance et le sentiment de contrôlabilité des élèves. Évaluer. Journal international de recherche en éducation et formation, 4(2), 47-76. https://journal.admee.org/index.php/ejiref/article/view/156/86

Crahay, M., Mottier Lopez, L., & Marcoux, G. (2019). L’évaluation des élèves : Docteur Jekyll and Mister Hyde de l’enseignement. In M. Crahay (Ed.), Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (pp. 357-424). De Boeck. https://doi.org/10.3917/dbu.craha.2019.01.0357

Broadbent, J., Panadero, E., & Boud, D. (2018). Implementing summative assessment with a formative flavour: A case study in a large class. Assessment & Evaluation In Higher Education, 43(2), 307–322. https://doi.org/10.1080/02602938.2017.1343455

Wiliam, D. (2011). What is assessment for learning? Studies in Educational Evaluation, 37(1), 3–14. https://doi.org/10.1016/j.stueduc.2011.03.001

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