Voici une synthèse personnelle d’éléments de la note de Chesné et ses collaborateurs (2023) pour la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves.
(Photographie : Clemens Fantur)
Tous les enseignants ne notent pas leurs élèves selon les mêmes critères ni avec les mêmes exigences.
La notation par l’enseignant est biaisée par les informations dont celui-ci dispose sur l’élève qu’il évalue. La connaissance d’informations scolaires ou extrascolaires spécifiques à chaque élève peut influencer le jugement évaluatif dans un sens comme dans l’autre.
En outre, dans le cadre des évaluations dans le quotidien de la classe, les enseignants peuvent alors adapter en partie leur notation au regard de leurs propres représentations des élèves et attentes personnelles.
L’influence de la connaissance du niveau scolaire d’un élève par l’enseignant
Une certaine valeur scolaire est imputée à un élève en fonction de son parcours scolaire, de ses précédentes notes, de son comportement, de son éventuel retard ou redoublement.
Dans le cadre d’une recherche, Caverni, Fabre et Noizet (1975) ont inscrit aléatoirement un score sur différentes copies d’élèves correspondant prétendument à une évaluation antérieure.
Ces copies ont alors été soumises à des correcteurs pour qu’ils les évaluent à leur tour. Le processus de notation a été influencé par les notes antérieures fournies.
Pensant avoir eu connaissance du niveau scolaire de l’élève qu’ils évaluaient (alors même que celui-ci était fictif), les évaluateurs ont assimilé dans leur jugement les notes précédemment attribuées :
- Ils ont eu tendance à attribuer de meilleures notes à des copies dont les notes aléatoires étaient élevées.
- Ils ont eu tendance à attribuer de moins bonnes notes à celles dont les notes aléatoires étaient faibles.
Une contagion des résultats antérieurs des élèves est observable dans leurs nouveaux résultats (Crahay, Mottier Lopez & Marcoux, 2019).
L’influence de l’origine sociale de l’élève
Pourtois (1978) a mis en évidence dans une étude l’influence que l’origine sociale peut avoir dans la notation des élèves. En indiquant sur la copie d’un élève une information relative à son milieu social, le chercheur constate que certains correcteurs ont tendance à attribuer de meilleures notes aux élèves issus des milieux sociaux les plus favorisés.
Face à ce constat, Merle (2007) s’interroge sur la pertinence pour l’enseignant de la connaissance du milieu social de l’élève. Ces informations peuvent contribuer à la construction d’attentes différenciées selon les élèves.
Le jugement des enseignants peut varier en fonction de la convergence ou de la divergence des deux milieux sociaux. Une situation donnée peut être aussi bien favorable que défavorable pour l’élève (Moinet, 2018) :
- Convergence des milieux : elle pourrait être favorable, lorsque ce dernier appartient au même milieu social que son enseignant.
- Divergence des milieux : elle pourrait être défavorable lorsque l’élève et l’enseignant appartiennent à un milieu social différent.
L’influence de l’origine ethnique de l’élève
Amigues et ses collaborateurs (1975) ont soumis à différents correcteurs des copies d’élèves auxquelles ont été fictivement attribués des noms de famille différents (consonance française ou étrangère). Comment le rapporte Merle (2018), ils n’ont pas constaté d’emblée de différence significative.
Toutefois, lorsque ces derniers observent cette fois-ci le patronyme des enseignants, ils se rendent compte que ceux d’origine française ont tendance à surévaluer les copies dont l’auteur fictif a un patronyme d’origine étrangère.
Merle (2018) suggère que cet ajustement de notation résulterait d’un processus de compensation de préjugés défavorables dont l’évaluateur peut avoir conscience. Certains enseignants ont des comportements qui visent à compenser des biais dont ils ont conscience. Cela confirme que l’information, détenue par un enseignant sur un élève, est susceptible d’influencer le processus d’évaluation, dans un sens ou dans un autre.
Une étude plus récente rapportée par Autin et ses collaborateurs (2019) aboutit également des résultats indiquant une influence de l’information concernant l’origine ethnique des élèves sur l’évaluation de leurs copies
Après avoir attribué de manière aléatoire des noms typiques allemands ou turcs à des copies de dissertation, il a été demandé à des enseignants allemands de noter ces rédactions d’élèves, sur lesquelles ces nouveaux noms étaient indiqués.
Les résultats démontrent que les élèves considérés comme autochtones obtiennent des notes plus élevées que leurs camarades présupposés issus de l’immigration. Les enseignants ont attribué des notes plus basses dès lors qu’ils pensaient que les élèves étaient issus de l’immigration.
Autin, Batruch et Butera (2019) précisent dans leur analyse que ces résultats ne seraient que le reflet de préjugés internes d’une société. Les élèves issus de l’immigration sont généralement défavorisés sur le plan socio-économique par rapport aux autres élèves. Il apparaît comme une discrimination dans la notation, mais ce n’est en réalité qu’un effet des préjugés des enseignants.
L’influence du genre de l’élève
Terrier (2014) rend compte d’une analyse effectuée au sein de l’académie de Créteil qui a consisté à comparer les notes attribuées à 4 519 élèves en classe de 6e, de façon anonyme et non anonyme.
Un biais de genre positif en faveur des filles est constaté avec des divergences en fonction des disciplines. À notes anonymes égales, les notes des enseignants sont en moyenne 6,2 % plus élevées pour les filles que pour les garçons en mathématiques.
Une étude menée par Duru-Bellat et Mingat (1993) avait déjà abouti à des résultats analogues. Les notes obtenues en mathématiques et en français par différents élèves à des épreuves standardisées ont été comparées avec celles qui leur ont été attribuées par leur enseignant dans le cadre d’une évaluation en classe. Le constat était que les filles sont globalement mieux notées que les garçons par leurs enseignants.
L’influence du comportement de l’élève
Les enseignants peuvent développer des attentes comportementales différentes selon les caractéristiques des élèves.
Réputées comme étant plus calmes et plus studieuses, les filles font ainsi l’objet d’un biais positif de notation. En raison d’un comportement souvent jugé meilleur, elles se rapprochent du comportement idéalement attendu par l’enseignant, comme rapporté par Leclercq et ses collaborateurs (2004).
Bennet et ses collaborateurs (1993) ont mené une étude aux États-Unis auprès d’élèves scolarisés en fin d’école maternelle et début d’école primaire. Il s’avère que plus le comportement en classe est apprécié par l’enseignant, meilleur est le jugement scolaire que celui-ci porte sur l’élève (comme rapporté par Merle, 2018).
L’influence de l’apparence physique de l’élève
Dans de nombreuses situations évaluatives, les chercheurs ont révélé que les élèves jugés plus beaux ou plus proches des idéaux médiatiques par leurs enseignants ont tendance à être mieux notés que leurs camarades (Leyens & Yzerbit, 1997 ; Merle, 1998).
Cet effet de l’apparence physique a également été le résultat de l’expérience menée par Nilson et Nias (1977) auprès d’élèves scolarisés en France. En associant au hasard une photo d’élève plus ou moins attrayante à un livret scolaire, il en ressort que ceux associés à un visage plus agréable obtiennent une notation plus favorable (Merle 1998).
Limites et biais de l’évaluation
L’évaluation scolaire, comme toute évaluation, n’est pas une science exacte.
De nombreuses variables peuvent influencer l’évaluation potentiellement à différentes étapes :
- Au moment où l’élève complète l’évaluation.
- Au moment où le jugement se forme chez l’enseignant à la lecture de l’évaluation.
- Au moment où l’enseignant matérialise son jugement par une note.
Identifier et connaître les variables susceptibles d’influencer le résultat d’une évaluation est important. Le constat s’impose qu’un jugement évaluatif objectif semble impossible. L’enseignant est un être humain, avec des caractéristiques personnelles qui lui sont propres. Il ne peut ainsi fonctionner comme une machine à évaluer, sans préjugés ni préférences, sans erreurs ni omission, sans lassitude, sans ennui (Perrenoud, 2004).
Toutefois, ces biais ne doivent pas amener à un rejet absolu de la notation subjective. (Leclercq, Nicaise & Demeuse, 2004) :
- Refuser tout crédit au jugement évaluatif des enseignants reviendrait à remettre en cause l’éthique et l’expertise des évaluateurs.
- L’exercice évaluatif est complexe et doit être satisfait par les enseignants dans le cadre de leur profession (Perrenoud, 2004).
- Il existe des situations où il peut être souhaitable le fait qu’un évaluateur prenne en compte des éléments extérieurs à la prestation d’un élève. C’est par exemple le cas lors d’une décision de passage ou de maintien, ou lors de l’évaluation d’une épreuve de rattrapage.
Ces biais doivent constituer des points de vigilance pour les enseignants selon deux dimensions :
- Nous devons nous assurer que l’évaluation soutient effectivement et de manière équitable l’apprentissage des élèves.
- Nous devons prendre conscience que les évaluations réalisées dans le quotidien de leur classe sont susceptibles d’être utilisées pour des fonctions extérieures à la régulation de l’enseignement et de l’apprentissage en classe. Ce sont par exemple l’orientation ou la certification. Ces évaluations peuvent avoir d’importantes conséquences sur la suite du parcours scolaire des élèves.
Mis à jour le 23/12/2023
Bibliographie
Chesné, J.-F., Piedfer-Quêney, L. & Jeanneau, F. (2023). Limites et biais de l’évaluation : synthèse des travaux de recherche. Cnesco-Cnam.
Caverni, J.-P., Fabre, J.-M. & Noizet, G. (1975). Dépendance des évaluations scolaires par rapport à des évaluations antérieures : études en situation simulée. Travail humain (Paris), 38(2), 213-222.
Crahay, M., Mottier Lopez, L. & Marcoux, G. (2019). Chapitre 6. L’évaluation des élèves : Docteur Jekyll and Mister Hyde de l’enseignement. In M. Crahay, Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (pp. 357-425). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.craha.2019.01.0357
Pourtois Jean-Pierre. Le niveau d'exceptation de l'examinateur est-il influencé par l'appartenance sociale de l'enfant ?. In: Revue française de pédagogie, volume 44, 1978. pp. 34-37.
Merle, P. (2007). Les notes : Secrets de fabrication (1re éd). Presses universitaires de France.
Moinet, A. (2018). La notation scolaire : Inconvénients et alternatives. https://hal.archives- ouvertes.fr/hal-01700229
Amigues, R., Bonniol, J.-J. and Caverni, J.-P. (1975), Les comportements d'évaluation dans les systèmes éducatifs: INFLUENCE D'UNE CATÉGORISATION ETHNIQUE SUR LA NOTATION DE PRODUCTIONS SCOLAIRES. International Journal of Psychology, 10: 135-145. https://doi.org/10.1080/00207597508247327
Merle, P. (2018). Les pratiques d’évaluation scolaire : Historique, difficultés, perspectives. Presses universitaires de France.
Autin, F., Batruch, A. & Butera, F. (2019). The function of selection of assessment leads evaluators to artificially create the social class achievement gap. Journal of Educational Psychology, 111(4), 717-735. https://doi.org/10.1037/edu0000307
Terrier, C. (2014). Un coup de pouce pour les filles ? Les biais de genre dans les notes des enseignants et leurs effets sur le progrès des élèves. Notes de l’IPP.
Duru-Bellat, M. & Mingat, A. (1993). Pour une approche analytique du fonctionnement du système éducatif (1re éd). Presses universitaires de France.
Leclercq, D., Nicaise, J. & Demeuse, M. (2004). Docimologie critique : Des difficultés de noter des copies et d’attribuer des notes aux élèves. In M. Demeuse (Éd.), Introduction aux théories et aux méthodes de la mesure en sciences psychologiques et en sciences de l’éducation (pp. 273-292). Les éditions de l’Université de Liège.
Bennett, R. E., Gottesman, R. L., Rock, D. A., & Cerullo, F. (1993). Influence of behavior perceptions and gender on teachers' judgments of students' academic skill. Journal of Educational Psychology, 85(2), 347–356. https://doi.org/10.1037/0022-0663.85.2.347
Leyens, J.-Ph. & Yzerbit, V. (1997). Psychologie sociale. Mardaga.
Merle, P. (1998). Sociologie de l’évaluation scolaire. Presses Universitaires de France.
Nilson G., Nias L. (1977). Le charme a ses raisons. Paris. Tchou.
Perrenoud, P. (2004). Évaluer des compétences. L’Éducateur, La note en pleine évaluation, 8-11.
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