jeudi 27 avril 2023

Deux modèles de référence pour comprendre l’évaluation soutien d’apprentissage

Voici une synthèse personnelle d’éléments de la note d’Annick Fagnant (2023) pour la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves.

(Photographie : Yuji Hamada)




L’implication de l’élève dans le processus évaluatif est essentielle. Cette implication peut se matérialiser au travers des interactions entre l’enseignant et les élèves et lors des interactions entre pairs voire par le biais de l’autoévaluation. 

Dans cet article, nous allons présenter deux modèles et mettre en évidence sur certaines conclusions issues de la recherche en lien avec ces modèles.



Comprendre la complexité liée aux effets de l’évaluation-soutien d’apprentissage


Fagnant (2023) propose quatre éléments importants qui ressortent des articles de synthèse, revues systématiques et méta-analyses portant sur l’évaluation soutien d’apprentissage. Certaines caractéristiques de l’évaluation soutien d’apprentissage semblent œuvrer à plus spécifiquement à son efficacité : 
  1. La mise en œuvre des pratiques d’évaluation soutien d’apprentissage devrait s’envisager en cohérence avec les pratiques d’enseignement et le climat de classe instauré (Black & Wiliam, 1998).
  2. L’implication de l’élève dans les pratiques d’évaluation soutien d’apprentissage constitue un élément essentiel (Black & Wiliam, 1998 ; Lee et coll., 2020)
  3. La diversité des pratiques d’évaluation soutien d’apprentissage rend complexe le calcul d’un effet moyen (Bennett, 2011). Elle rend également difficile la mise en évidence des variables qui font la différence (Lee et coll., 2020). Cependant, des chercheurs ont proposé des modélisations qui explicitent la façon dont l’évaluation soutien d’apprentissage pourrait être pensée en classe. Ils ont aussi permis de mettre en évidence l’efficacité potentielle de diverses pratiques qui impliquent l’élève dans l’évaluation (dialogue formatif, évaluations entre pairs et autoévaluation).
  4. Les résultats concernant l’efficacité de l’évaluation soutien d’apprentissage selon les disciplines scolaires ne vont pas tous dans le même sens (Kingston & Nash, 2011 ; Klute et coll., 2017 ; Lee et coll., 2020). Toutefois, il conviendrait de prendre en compte conjointement les connaissances générales en évaluation et les connaissances didactiques (pedagogical content knowledge, PCK) dans les programmes de développement professionnel des enseignants (Bennett, 2011). 



Le modèle de l’évaluation formative de Wiliam & Thompson (2008)




 
Black et Wiliam (2009) définissent l’évaluation formative da la manière suivante : 

Une pratique de classe est formative dans la mesure où les informations concernant la réussite des élèves sont recueillies, interprétées et utilisées par les enseignants, les élèves ou leurs pairs pour prendre des décisions concernant les prochaines étapes d’apprentissage qui semblent meilleures (ou mieux fondées) que celles qu’ils auraient prises en l’absence des informations recueillies.

Un intérêt de cette définition est qu’elle souligne que l’évaluation formative peut concerner l’ensemble des pratiques de classe plutôt que de constituer des évènements isolés et ponctuels.

Les trois colonnes du modèle mettent en évidence les trois processus clés d’un enseignement qui s’appuie sur l’évaluation soutien d’apprentissage :
  • Établir où les apprenants doivent aller : les objectifs d’apprentissage visés
  • Établir où les apprenants en sont dans leur apprentissage
  • Établir ce qui doit être fait pour atteindre les objectifs visés

Le modèle met ainsi en évidence différentes actions essentielles : 
  • Être clair sur les objectifs d’apprentissage visés
  • Recueillir des traces d’apprentissage et de les interpréter
  • Utiliser les informations recueillies pour prendre des décisions sur les prochaines étapes de l’enseignement ou de l’apprentissage afin d’amener les apprenants vers l’atteinte des objectifs visés.
Wiliam (2011) précise aussi que :
  • Les décisions doivent être meilleures grâce aux informations récoltées.
  • Les prochaines étapes d’enseignement ou d’apprentissage peuvent être entreprises par l’enseignant, l’élève, les pairs ou une combinaison des trois. 
L’enseignant et les élèves travaillent de concert et interagissent pour soutenir l’apprentissage au cours des trois processus clés. 



Établir où les apprenants doivent aller


Établir où les apprenants doivent aller nécessite une compréhension mutuelle des objectifs d’apprentissage et des critères de réussite. 

L’enseignant a un rôle à jouer pour clarifier ces objectifs et partager avec les élèves les critères témoignant de leur atteinte. Il peut également mettre en place des activités invitant les élèves à partager leur compréhension des objectifs visés, favorisant ainsi les interactions entre pairs. De cette façon, il permet in fine à chaque apprenant d’en avoir une compréhension solide. 



Établir où les apprenants en sont dans leur apprentissage


L’enseignant met en place des dialogues formatifs et propose des tâches ou des activités diverses permettent d’obtenir des preuves de la compréhension et des performances des élèves. 

Wiliam (2011) précise que ces preuves doivent être pédagogiquement traitables :
  • Elles ne doivent pas se contenter de pointer le fossé entre les performances actuelles et celles attendues.
  • Elles doivent aussi fournir des informations précises quant au type d’activités à mettre en place pour améliorer les apprentissages. 

Comme le met en évidence Bennett (2011), ce processus inférentiel nécessité de disposer à cette fin de connaissances didactiques approfondies. 



Établir ce qui doit être fait pour arriver à l’atteinte des objectifs visés


L’enseignant peut fournir une rétroaction aux élèves et ajuster les activités pédagogiques pour mieux répondre aux besoins d’apprentissage identifiés dans le deuxième processus.

Pour que ces actions soient efficaces, il est alors nécessaire que les élèves s’engagent dans des actions leur permettant d’améliorer leurs apprentissages :
  • Réaliser les activités proposées par l’enseignant
  • Profiter de l’aide à ses pairs
  • Réfléchir sur ses propres démarches dans une perspective métacognitive.

L’implication de l’élève et des pairs est explicitement prise en compte dans le modèle. Comme le rappelle Wiliam (2011), la meilleure rétroaction est inutile si elle n’est pas réutilisée ensuite.

L’enseignant peut ainsi mettre en place des activités qui sollicitent les interactions entre pairs (sous la forme d’évaluations mutuelles ou de différentes modalités de travaux de groupe) de façon à leur permettre de s’entraider pour apprendre.

Au final, l’objectif est que chaque élève apprenne et se sente responsable de ses apprentissages. Ainsi l’enseignant doit susciter cette responsabilisation et cet engagement auprès de chaque élève. Ce dernier élément relie explicitement le modèle au champ de recherche de l’apprentissage autorégulé (Andrade & Brookhart, 2016). 



Un modèle du processus de co-régulation en classe de l’évaluation


Allal (2007, 2020) propose un modèle à trois niveaux de régulation.

L’apprenant participe à la situation d’enseignement/apprentissage. Il est soutenu par trois sources de régulations emboitées et une quatrième source de régulation (les outils) qui peut intervenir à chacun des niveaux, mais aussi aider à relier les niveaux entre eux.


Le premier niveau porte sur la structure des situations d’enseignement. Il considère les contenus choisis, leur formulation et leur formatage, l’agencement dans le temps, les consignes et les supports fournis. Ce niveau implique une régulation.

Le deuxième niveau est lié aux interventions de l’enseignant et à ses interactions avec les apprenants (avec la classe entière, avec un petit groupe d’élèves ou encore avec un seul élève). La régulation à ce niveau implique :
  • La rétroaction fournie par l’enseignant
  • L’étayage 
  • Le dialogue formatif mené en groupe classe lors de phases de mise en commun ou de correction notamment. 
  • Les ajustements des situations d’apprentissage en fonction des besoins identifiés auprès des apprenants. 
Le troisième niveau est lié aux interactions entre apprenants. Cette régulation est liée aux relations entre la structure des situations et la dynamique interactive instaurée par les participants. Il peut s’agir d’interactions opérant dans le cadre de travaux de groupes, de phases de tutorat ou encore d’un travail d’évaluation mutuelle entre pairs.

Les outils constituent une quatrième source de régulation qui assure des liens entre les différents niveaux. 
Par exemple, une grille d’évaluation peut être un outil de clarification à différents niveaux :
  • Spécifie les objectifs d’apprentissage et les critères
  • Permet d’animer une discussion avec toute la classe pour aider les élèves à bien comprendre les enjeux d’apprentissage
  • Peut être utilisée lors d’évaluations mutuelles entre pairs
  • Peut soutenir le processus d’autoévaluation de l’élève
D’autres outils peuvent aussi soutenir les régulations interactives en rendant pour l’élève :
  • Les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite plus explicites
  • Le suivi des progrès plus systématique
  • Les interactions plus formelles.
Les outils peuvent également être utiles aux enseignants en enregistrant des traces d’évaluation des élèves qui peuvent être utilisées pour réguler les activités ultérieures et planifier de nouvelles activités d’apprentissage. 


Mis à jour le 26/12/2023

Bibliographie


Fagnant, A. (2023). Les pratiques d’évaluation en classe : des compétences professionnelles pour soutenir l’apprentissage des élèves. Cnesco-Cnam. 

Black, P., & Wiliam, D. (2018) Classroom assessment and pedagogy. Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 25(6), 551–575. 

Lee, H., Chung, H.Q., Zhang, Y., Abedi, J. & Warschauer, M. (2020) The effectiveness and features of formative assessment in US K-12 education: A systematic review. Applied Measurement in Education, 33(2), 124–140. 

Bennett, E. (2011). Formative assessment: a critical review. Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 18(1), 5–25. 

Kingston, N. & Nash, B. (2011). Formative assessment: A meta-analysis and a call for research. Educational Measurement: Issues and Practice, 30(4), 28–37. 

Klute, M., Apthorp, H., Harlacher, J., & Reale, M. (2017). Formative assessment and elementary school student academic achievement: A review of the evidence (REL 2017-259). Regional Educational Laboratory Central. 

Wiliam, D; Thompson, M; (2008) Integrating Assessment with Learning: What Will It Take to Make It Work? In: Dwyer, CA, (ed.) The Future of Assessment: Shaping Teaching and Learning. (pp. 53–82). Routledge: New York, NY, USA. 

Black, P., & Wiliam, D. (2009). Developing the theory of formative assessment. Educational Assessment, Evaluation and Accountability, 21(1), 5–31. https://doi.org/10.1007/s11092-008-9068-5

Wiliam, D. (2011). What is assessment for learning? Studies in Educational Evaluation, 37(1), 3–14. 

Andrade, H. & Brookhart, S. M. (2016) The role of classroom assessment in supporting self-regulated learning. In D. Laveault & L., Allal (Eds.). Assessment for learning. Meeting the challenge of implementation (pp. 293–309). Spinger. 

Allal, L. (2007). Evaluation: lien entre enseignement et apprentissage. In V. Dupriez & G. Chapelle (Eds.). Enseigner (pp. 139-149). Presses Universitaire de France. 

Allal, L. (2020) Assessment and the co-regulation of learning in the classroom, Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 27(4), 332–349.

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