mercredi 22 mars 2023

La rétroaction (feedback), composante d’un enseignement efficace

Le Cnesco a organisé une conférence de consensus sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves, les 23 et 24 novembre 2022. L’ensemble de rapports, notes et recommandations est maintenant disponible en ligne.

(Photographie : Peter Mandelkow)







Voici la suite de l’exploration du rapport scientifique de synthèse (Lafontaine & Toczek-Capelle, 2023) avec un article consacré à l’éclaircissement de la notion de rétroaction (feedback).



La rétroaction comme outil de régulation au sens large


Dans sa conception minimale, la rétroaction est une information fournie par une personne (enseignant, pair, parent, ordinateur…) concernant la performance d’un individu. Dans cette perspective, la rétroaction peut être vue comme une simple transmission d’informations qui met en rapport l’état actuel de performance en lien avec une performance attendue. 

Cependant, l’impact de la rétroaction dépasse le champ de l’apprentissage au sens strict. La rétroaction ne peut être réduite à un processus cognitif impliquant uniquement un transfert neutre d’informations.

Dweck (2002) a montré que la rétroaction externe influence la perception que les élèves ont d’eux-mêmes et leurs croyances motivationnelles. 

Allal (2007) a décrit la rétroaction comme une régulation sur les composantes cognitives et métacognitives d’une part, de régulation sur les composantes affectives et motivationnelles d’autre part.



Une vue d’ensemble des effets attendus de la rétroaction 


En 2020, Wiesniewski, Ziérer et Hattie ont réalisé une méta-analyse qui synthétise les résultats de 435 études menées sur les effets de la rétroaction sur les apprentissages, le comportement et la motivation. 

La taille d’effet moyenne mise en évidence est de 0,55 (pour interpréter la taille d'effet). Cet effet est un peu moins élevé que dans celle de méta-analyses antérieures mais cela reste relativement important. Comme les méta-analyses précédentes, elle met en évidence une importante variation des tailles d’effet selon les études. Cela confirme que la rétroaction ne peut pas en soi être considérée comme une pratique dont les effets seraient garantis, quels qu’en soient la forme, le contenu ou le contexte. 

Deux résultats sont signifiants : 
  • La rétroaction a davantage d’effet sur les gains d’apprentissage (d = 0,51) que sur la motivation (d = 0,33). La rétroaction peut influencer la motivation intrinsèque, le sentiment d’efficacité perçue ou le sentiment de contrôlabilité des tâches, mais les effets sont toutefois relativement faibles.
  • La rétroaction élaborée a nettement plus d’effet (d = 0,99) que des formes plus simples comme le renforcement ou la sanction (d = 0,24). Une rétroaction élaborée contient de l’information sur la tâche, le processus ou parfois l’autorégulation. Les élèves bénéficient de la rétroaction quand elle les aide non seulement à comprendre quelles erreurs ils ont faites, mais aussi pourquoi ils les ont commises et comment ils peuvent les éviter à l’avenir.



Caractéristiques générales d’une rétroaction efficace 


D’après une revue de la littérature effectuée par Calone & Lafontaine (2023), la rétroaction efficace répond aux caractéristiques suivantes : 
  • La rétroaction met en évidence ce que l’enseignant attend de l’élève :
  • Les forces et faiblesses de sa production
  • Les moyens de remédier à ses difficultés. 
  • La rétroaction est centrée sur la tâche et le processus mis en œuvre :
  • Elle n’est pas centrée sur la personne de l’élève et elle évite les louanges ou réprimandes. 
  • Elle s’attarde davantage sur la bonne réponse et la démarche à entreprendre que sur la mauvaise réponse.
  • La rétroaction doit être axée sur des critères : 
  • L’enseignant communique les critères d’évaluation à l’élève et fournit une rétroaction en rapport à ceux-ci.
  • Les commentaires fournis aux élèves doivent être précis et personnalisés, limités en nombre et s’en tenir aux éléments essentiels. 
  • La rétroaction est délivrée et exploitée rapidement : 
  • Il est utile de procéder à deux moments d’évaluation relativement rapprochés, entrecoupés d’une rétroaction élaborée.
  • Il est moins utile de procéder à un seul moment d’évaluation plus important suivi d’une rétroaction élaborée.



Délivrer une rétroaction efficace, une compétence experte


Délivrer une rétroaction de manière efficace est une pratique ni simple ni évidente, elle demande le développement d’une expertise chez un enseignant qui correspond aux exigences suivantes :
  • L’application des principes clés liés à l’efficacité de la rétroaction
  • L’utilisation de techniques et de pratiques efficaces accompagnant sa mise en œuvre en classe (enseignement explicite, évaluation formative…)
  • Une utilisation judicieuse du temps qui est consacré à la rétroaction par l’enseignant (conception, partage, suivi)
  • La prise en compte du contexte d’apprentissage (discipline, finalités, élèves)
  • L’implication des élèves dans le traitement de la rétroaction fournie (si les élèves ne la prennent pas en compte, elle est inutile)
Calone et Lafontaine (2023) développent un ensemble de conclusions que nous pouvons résumer et restructurer de la manière suivante : 

Une rétroaction efficace prend en compte son contexte :
  • Au-delà des caractéristiques d’une rétroaction efficace, il n’existe pas de véritable recette générale. 
Il est nécessaire de prendre en considération les objectifs de la rétroaction : 
  • Le destinataire : s’agit-il d’informer l’enseignant, la classe, l’élève ou ses parents ?
  • La cible : quelles sont les intentions d’apprentissage et les finalités sommatives à venir ?
  • La matière enseignée : quelle forme, fréquence et degré d’individualisation sont-ils pertinents ? 
  • Les caractéristiques des élèves : comment s’assurer que la rétroaction sera réellement prise en compte par les élèves et leur permettra de progresser ? 
La rétroaction est claire, factuelle et explicite :
  • La rétroaction la plus porteuse fournit des informations écrites ou orales claires qui sont fonction de l’objectif d’apprentissage poursuivi et prédéfini.
  • La rétroaction normative sous forme de note isolée est à éviter. Elle est la forme la moins bénéfique, et elle peut même s’avérer délétère sur le plan socioaffectif et motivationnel (Butera, 2011).
  • Des formes de rétroaction visuelles à première vue plus sympathiques et intelligibles, comme des smileys, des échelles de couleurs, des feux, ou encore des appréciations sous forme de lettres peuvent sembler pertinents. S’ils ont l’avantage de mettre un peu à l’arrière-plan le côté normatif des notes chiffrées, n’en demeurent pas moins pauvres en information et ne permettent pas réellement à l’élève de s’améliorer. 
La rétroaction est fonctionnelle, actionnable et simple : 
  • La rétroaction se fonde sur des critères de réussite et met en évidence les processus nécessaires à la résolution de la tâche. Qu’est-ce qui est atteint ? Qu’est-ce qui n’est pas atteint ? Quelles actions faut-il mener pour combler le manque ?
  • La rétroaction est plus porteuse lorsqu’elle n’est pas trop chargée en informations. Que faire maintenant et dans quel ordre ? La formulation de la rétroaction ne doit pas être une source de surcharge cognitive pour son destinataire. 
  • La rétroaction est fournie suffisamment rapidement pour être mise en œuvre de manière opportune et optimale. En fonction du stade d’apprentissage, elle est immédiate puis différée, en fonction du moment qui est le plus adéquat pour son traitement et l’impact attendu en matière d’apprentissage et de différenciation.
La rétroaction est un retour d’information à la fois pour l’élève, pour la classe ou pour l’enseignant : 
  • La rétroaction ne doit pas être uniquement un outil d’individualisation à destination de chaque élève. 
  • Le pouvoir de la rétroaction est bien plus fort lorsque l’enseignant commence par rechercher des informations concernant la planification de son enseignement et l’opportunité d’interventions à l’échelle de la classe :
    • Que savent vraiment mes élèves ? 
    • Qu’ont-ils bien ou mal compris dans ce que je leur ai enseigné ?
    • Où commettent-ils des erreurs ? Comment expliquer l’émergence de ces erreurs ? 
    • Quelles stratégies utilisent-ils ou n’utilisent-ils pas dans leur travail autonome en classe ou à domicile pour leur apprentissage ?
  • Développer une vision d’ensemble du retour d’information permet à l’enseignant de privilégier des actions au niveau de la classe (plus rentable en matière de ressources). Dans un second temps, il peut passer à une échelle individuelle (plus couteuse en matière de mise en œuvre et de suivi). 
  • Interpréter les réponses des élèves en matière d’antécédents permet à l’enseignant de fournir une rétroaction plus adaptée qui le concerne lui autant que ses élèves. 
  • La rétroaction doit se penser pleinement dans une dynamique d’apprentissage et d’enseignement. La rétroaction est bien plus qu’un simple transfert d’informations et répond au concept de « responsive teaching ». 
  • Pour générer une rétroaction à un élève, l’enseignant réalise un travail en amont. Il commence par une vue d’ensemble de la classe, il met en évidence les tendances avant de s’intéresser au particulier. Il interprète les tendances dans les réponses de ses élèves en matière de démarches et de tâches d’apprentissage et d’activités d’enseignement. Ce travail en aval lui permet de s’assurer que la rétroaction sera comprise et que l’élève l’utilisera pour s’améliorer. 
  • Le processus de rétroaction commence très tôt grâce à des outils tels que l’évaluation diagnostique, les quiz ou la vérification de la compréhension. Il n’attend pas une évaluation formative plus loin dans le parcours d’enseignement pour se déclencher.

Les élèves doivent percevoir l’utilité de la rétroaction et développer de bonnes habitudes en rapport avec sa mobilisation :
  • Pour que la rétroaction soit profitable, il faut que les élèves en perçoivent l’utilité. Ils doivent pouvoir effectuer le lien entre la rétroaction reçue et la manière dont doivent s’y prendre pour progresser.
  • Un enseignement explicite de la manière de mobiliser une rétroaction accompagnée d’une pratique délibérée est indispensable pour en maximiser l’impact. C’est un prérequis pour développer l’autonomie des élèves vis-à-vis de la rétroaction, qui doit s’inscrire dans un temps long. Ils doivent comprendre les démarches et en vérifier le bénéfice pour développer une autonomie et une autorégulation face à la rétroaction.

Une rétroaction efficace implique un usage judicieux des ressources en temps de l’enseignant :
  • Si un élève n’utilise pas la rétroaction fournie par l’enseignant pour améliorer ses apprentissages, alors l’enseignant a perdu son temps.
  • La rétroaction doit être considérée en matière d’impact sur l’apprentissage des élèves et non en tant que responsabilité administrative. 
  • La surcharge de travail que peut occasionner la rétroaction pour les enseignants est un élément non négligeable à prendre en compte. C’est pour ces raisons que des approches de rétroaction vers la classe entière, par les pairs et d’autoévaluation, sont à privilégier avant les démarches d’individualisation. 
  • Un enseignant peut se trouver enfermé dans la logique des périodes, d’évaluation formative, d’évaluation sommative, de remédiations et de récupérations. Il peut être dans une poursuite de notes chiffrées et de calcul de moyennes à destination des bulletins scolaires avec des processus de justification des résultats à la clé. Il peut lui rester très peu de marge de manœuvre pour enseigner dans le cadre d’un dialogue formatif et dans une démarche d’établissements d’apprentissages à long terme. 



Une rétroaction au service d’un enseignement efficace


La rétroaction n’est jamais une pratique qui existe dans le vide, mais est un processus inscrit dans un contexte. Son efficacité est fonction à la fois de sa conception, de sa mise en œuvre et des caractéristiques du contexte dans lequel elle opère.

Elle gagne à être considérée comme un élément d’un cadre d’enseignement efficace. Celui-ci peut reposer à la fois sur des démarches d’enseignement explicite, d’évaluation formative, de pratique de récupération, d’engagement, de stratégies cognitives et métacognitives, et de soutien à la perception de compétence.

Une rétroaction va révéler son efficacité dans un contexte. Elle est susceptible de rendre l’enseignement plus efficace, motivant et équitable. Si les conditions ne sont pas propices, l’effet de la rétroaction peut être très limité et elle peut même se révéler contreproductive. 

Une rétroaction élaborée suppose d’être accompagnée d’une réflexion de fond sur la qualité et sur l’efficacité de l’enseignement. La rétroaction élaborée ne peut révéler tout son potentiel que dans le cadre d’un enseignement où la culture de l’évaluation privilégie résolument une évaluation formative. Celle-ci se fonde sur un climat de classe coopératif, bienveillant, au service d’une dynamique de l’apprentissage où les erreurs sont considérées comme des opportunités d’apprentissage. 


Mis à jour le 17/12/2023

Bibliographie


Lafontaine, D. & Toczek-Capelle, M.-C. (2023). L’évaluation en classe au service de l’apprentissage des élèves : rapport de synthèse. Cnesco-Cnam. 

Dweck C. S. (2002). Messages that Motivate: How Praise Molds Students’ Beliefs, Motivation, and Performance (in Surprising Ways). In Aronson, J. (Ed.), Improving academic achievement: impact of psychological factors on education (pp. 37-60). Academic Press. 

Calone, A., & Lafontaine, D. (2023). L’impact des différents types de feedbacks en contexte de classe. Cnesco-Cnam. 

Dweck C. S. (2002). Messages that Motivate: How Praise Molds Students’ Beliefs, Motivation, and Performance (in Surprising Ways). In Aronson, J. (Ed.), Improving academic achievement: impact of psychological factors on education (pp. 37–60). Academic Press. 

Allal, L. (2007). Régulations des apprentissages : orientations conceptuelles pour la recherche et la pratique en éducation. In L. Allal & L. Mottier Lopez (Éds.), Régulation des apprentissages en situation scolaire et en formation (pp. 7-23). De Boeck Université. 

Wiesniewski, B., Ziérer, K., & Hattie, J. (2020). The power of feedback revisited: A meta-analysis of educational feedback research. Frontiers in Psychology, 10, 1-14. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.03087 

Butera, F. (2011). La menace des notes. In Butera, F., Buchs, C. & Darnon, C. (Éds.), L’évaluation, une menace ? (pp. 45-55). Presses universitaires de France. 

0 comments:

Enregistrer un commentaire