dimanche 26 mars 2023

Effets de la menace du stéréotype, de la comparaison sociale et de la compétition dans le cadre de l’évaluation

Le Cnesco a organisé une conférence de consensus sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves, les 23 et 24 novembre 2022. L’ensemble de rapports, notes et recommandations est maintenant disponible en ligne.

(Photographie : sou0902)



Voici la suite de l’exploration du rapport scientifique de synthèse (Lafontaine & Toczek-Capelle, 2023) avec un article consacré à l’impact négatif de différents facteurs sociaux sur le résultat d’une évaluation.

La situation dans laquelle sont évaluées les compétences et les connaissances d’un élève peut être déterminante pour certains d’entre eux. Les contextes évaluatifs sont en mesure de réguler leurs performances. Ils sont susceptibles de les faire réussir dans certains cas et dans d’autres de les faire échouer. Le contexte de traitement de la tâche va influencer l’activité cognitive de l’élève. 



Catégorisations et conceptions des personnes influant sur l’évaluation


Des mécanismes psychosociaux sont responsables de différences de performances que les simples différences de capacités n’expliquent pas.

Différentes catégorisations et conceptions des enseignants ou des élèves peuvent avoir un impact sur les situations d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation : 
  • Des catégorisations sociales véhiculées par les contextes
  • Des catégorisations liées à l’histoire des sujets comme des situations antérieures d’échec ou de réussite scolaire
  • Des catégorisations liées au genre, à l’appartenance socioéconomique, à la culture familiale ou à l’origine.
  • Des conceptions sur l’intelligence des différents acteurs de la situation
  • La nature des buts d’apprentissage des élèves. 

La mobilisation de normes ou de valeurs intériorisées par les élèves ou par les enseignants au fil de leur histoire personnelle interfère avec le traitement cognitif de la situation d’évaluation dans laquelle ils sont impliqués. 



L’effet de menace du stéréotype dans l’évaluation 


Steele et Aronson (1995) ont mis en évidence le phénomène de menace du stéréotype. Ils sont partis du constat que les étudiants appartenant à la population noire américaine avaient systématiquement de moindres performances comparativement à celles obtenues par les étudiants blancs, même dans le cas d’universités prestigieuses et sélectives.

Les chercheurs ont proposé à des étudiants — noirs et blancs — de l’université de Stanford de réaliser un test verbal dont seul l’habillage diffère entre les deux groupes expérimentaux : 
  • Une première moitié des participants croit réaliser un test diagnostique de leurs capacités intellectuelles.
  • L’autre moitié est avertie que la tâche est un simple exercice de laboratoire.

La tâche présentée comme diagnostic des capacités intellectuelles active la connaissance du stéréotype d’infériorité intellectuelle des participants noirs. Elle génère des conséquences cognitives conduisant à la baisse de leurs performances. Cette baisse est absente dans la seconde condition. 

Les étudiants noirs de la condition « test d’intelligence » enregistrent de moins bonnes performances que les étudiants blancs de cette même condition, mais également que tous les participants de la condition « test de laboratoire ». 

Les individus appartenant à des groupes sociaux stigmatisés par un stéréotype d’infériorité ressentent dans ces conditions un inconfort psychologique. Ils sont placés dans une situation où ils sont susceptibles de confirmer à leurs yeux ou aux yeux des autres le stéréotype. Celui-ci se traduit par une perturbation de leurs fonctions cognitives et donc, entre autres, par une diminution de leurs performances (Steele, 1997 ; Steele & Aronson, 1995). 

Désert, Croizet et Leyens (2002) parlent d’un phénomène de dé-individuation :
  • L’obtention d’une mauvaise performance dans cette situation stéréotypée pourrait être expliquée uniquement en faisant appel au stéréotype négatif.
  • L’individu ne se sent donc plus pris en compte comme une personne avec des caractéristiques propres, mais comme un exemplaire de son groupe d’appartenance. 

Cet effet, initialement obtenu auprès d’étudiants noirs stigmatisés sur le domaine de l’intelligence, a également été depuis étudié auprès de nombreux autres groupes sociaux. 

Il semble que la menace du stéréotype puisse atteindre tout membre d’un groupe stigmatisé par un stéréotype négatif. 

C’est le cas des femmes et du stéréotype d’infériorité intellectuelle dans le domaine scientifique par exemple. Les résultats montrent généralement un effet négatif pour les femmes placées dans une situation pouvant être interprété à la lumière de ce stéréotype. Elles obtiennent de moins bonnes performances que les hommes, et que les femmes et les hommes placés dans une condition plus neutre. 

De même, les individus issus de groupes sociaux de plus faibles statuts socioéconomiques sont également sensibles à cet effet de menace du stéréotype. 

Croizet et Claire (1998) montrent que des questions préalables concernant la profession et le niveau d’études de leurs parents ont une influence sur les performances d’étudiants à un test verbal. 

Les groupes constitués sur la base des filières d’études suivies sont également la cible de stéréotypes plus ou moins négatifs. C’est tout logiquement que leurs membres peuvent également être touchés par cet effet de menace. 

Croizet, Dutrévis & Désert (2002) montrent que les étudiants titulaires d’un baccalauréat technologique sont menacés face à un test verbal. Ils y obtiennent en effet de moins bonnes performances lorsqu’on le leur présente comme diagnostic des capacités intellectuelles que lorsqu’ils pensent que ce test concerne le fonctionnement mnésique. Les performances des participants non stigmatisés, c’est-à-dire les titulaires d’un baccalauréat général, ne sont pas impactées par le contexte de passation. Ces résultats ont également été répliqués chez de jeunes enfants de cours préparatoire (Désert et coll., 2009). 

Le phénomène de menace du stéréotype peut être défini comme la crainte de confirmer ou d’être vu comme confirmant un stéréotype négatif propre à son groupe d’appartenance et d’être réduit à ce trait négatif. 

Il entraine une pression évaluative sur l’individu et cette pression peut être suffisamment forte pour perturber le fonctionnement cognitif normal de la personne. 

Comme le met en évidence Goudeau (2023), la menace du stéréotype engendre du stress, des émotions et des pensées négatives, ce qui peut perturber la performance lors de la réalisation d’une tâche.

La menace du stéréotype impose à l’élève de faire deux choses : 
  • Réaliser la tâche demandée.
  • Gérer le stress qu’entraine la peur d’être perçu comme incompétent. 

Cela s’avère délétère pour les performances intellectuelles, car une partie de l’attention n’est plus allouée à la tâche. 



La comparaison sociale dans l’évaluation

 
Dans certaines situations d’évaluation, les élèves sont amenés à se comparer ou à être comparés les uns avec les autres. 

Ces comparaisons ont des effets sur :
  • L’état émotionnel et affectif
  • Le fonctionnement cognitif
  • La performance des apprenants

Le cadre d’une compétition en classe contraint les individus à se comparer en permanence, ce qui se traduit par des effets délétères sur les apprentissages.

Différentes études ont montré que le fait de clamer à voix haute des résultats lors de la remise d’une production ou d’évaluation en début de cours a des effets négatifs sur les performances ultérieures des élèves.

En classe, constater qu’un camarade est en train de mieux réussir que soi peut représenter une menace pour l’image de soi. Plus précisément, la réussite des autres peut atteindre le besoin de maintenir une bonne image de soi, ce qui génère du stress et un cortège d’émotions et de pensées négatives très coûteuses en ressources attentionnelles (Goudeau, 2023). 

Les plus ou moins grandes réussites des élèves sont souvent perçues comme le reflet de différences individuelles relativement stables d’intelligence ou de motivation (Croizet & Claire, 1998). 

Croire que l’on est moins intelligent que les autres, et que l’intelligence est une donnée stable représente une réelle menace pour soi (Normand & Croizet, 2013). Cette interprétation est renforcée par le fait que la classe est supposée être un environnement juste.

De nombreuses situations évaluatives concrètes en classe peuvent avoir des effets non neutres :
  • La manière dont l’enseignant pose des questions à ses élèves.
  • La réaction de l’enseignant à l’erreur.
  • La manière dont la rétroaction est délivrée en classe.
  • Le fait que les élèves lèvent la main ou pas. 

De telles situations invitent les élèves à formuler une bonne ou mauvaise réponse, à être interrogés ou non. Par voie de conséquence sont susceptibles de donner lieu à des inférences au sujet de supposées capacités de tel ou tel élève. 

Certaines de ces pratiques peuvent jouer un rôle dans l’amplification des inégalités scolaires.

Des comparaisons délétères résultent du fait que les situations scolaires mettent en scène les écarts de réussite entre élèves, ce qui oblige les élèves à interpréter ces (dés) avantages comme le reflet de différences de capacités intellectuelles stables. Ces interprétations peuvent interférer avec le fonctionnement cognitif des élèves désavantagés (Goudeau, 2023).
 
Une étude (Goudeau & Croizet, 2017) montre qu’il est possible de neutraliser de tels effets délétères. Il s’agit pour cela de conduire les élèves à interpréter les différences de réussite comme la conséquence de différences de pratique plutôt que de différences de réelles capacités intrinsèques aux élèves. 

Lockwood et Kunda (1997) ont montré que voir réussir un camarade mieux que soi peut être motivant à la condition de penser qu’il est possible d’atteindre ce niveau de réussite. 

Une façon de réduire ces phénomènes est d’agir sur la métacognition, c’est-à-dire la manière dont les individus pensent et se représentent leur fonctionnement cognitif. 

Différentes démarches permettent d’atténuer les effets de menace du stéréotype (Goudeau, 2023) :
  • Amener les élèves à penser qu’une certaine dose de stress est favorable à la performance.
  • Expliquer aux élèves que l’intelligence est un attribut malléable qui se développe plutôt qu’une capacité fixe. 



La compétition et la poursuite de buts de performance face à l’évaluation


De nombreuses études montrent que promouvoir la compétition ou donner une rétroaction de comparaison sociale (par des notes notamment) peut :
  • Se révéler néfaste à l’apprentissage et tendre à diminuer les performances.
  • Conduire à des comportements antisociaux (la tricherie par exemple).
  • Renforcer la peur de l’échec et les différences entre élèves performants et élèves faibles.

Un système compétitif favoriserait chez l’élève la poursuite de buts de performance au détriment de buts de maitrise : 
  • Le type de buts qu’un élève va poursuivre influence sa conception de l’apprentissage, sa motivation, le type de stratégies qu’il va mettre en place, l’autorégulation et in fine l’apprentissage. 
  • Les buts de performance favorisent le comportement de démarrage en fin de période, ou à proximité d’un bulletin ou d’une évaluation sommative conséquente. Les élèves s’inquiètent de connaitre leur moyenne. Ils redoublent d’efforts pour l’améliorer dans la dernière ligne droite par un bachotage. Ils ne se pressent pas pour comprendre leurs erreurs, pour y remédier ou pour apprendre durablement. 

Le type d’évaluation annoncé aux individus est susceptible de rendre plus ou moins saillants des buts de performance ou buts de maitrise. En fonction des types de comparaisons suggérés par les résultats des évaluations, les élèves peuvent modifier leurs buts de réussite. 

Souchal et ses collaborateurs (2014) ont réalisé une étude dans un cours de physique-chimie face à des lycéens fréquentant des classes de seconde en incluant trois conditions :
  • Les élèves du premier groupe ne pensaient pas être évalués
  • Les élèves du deuxième groupe étaient prévenus qu’ils passeraient une évaluation qui était orientée vers la performance et la comparaison entre élèves.
  • Les élèves du troisième groupe étaient prévenus qu’ils passeraient une évaluation qui était orientée vers la maitrise, car il était expliqué que l’évaluation aiderait les élèves dans leur apprentissage. 

Dans toutes les conditions, les élèves pensaient recevoir une note qui compterait dans leur moyenne trimestrielle de physique-chimie.

Les résultats montrent que la situation évaluative orientée vers la maitrise est la seule des trois conditions testées qui permet à l’ensemble des participants de préserver leurs performances. Cela reste vrai même lorsque les élèves pensaient recevoir une note comptant pour leur moyenne. 

Le pouvoir des contextes évaluatifs orientés vers la maitrise semble plus important que la simple utilisation de l’outil évaluatif « note » (Calone & Lafontaine, 2023). 


Mis à jour le 19/12/2023

Bibliographie


Lafontaine, D. & Toczek-Capelle, M.-C. (2023). L’évaluation en classe au service de l’apprentissage des élèves : rapport de synthèse. Cnesco-Cnam.

Calone, A., & Lafontaine, D. (2023). L’impact des différents types de feedbacks en contexte de classe. Cnesco-Cnam. 

Steele, C. M., & Aronson, J. (1995). Stereotype threat and the intellectual test performance of African-Americans. Journal of Personality and Social Psychology, 69, 797–811.

Désert, M., Croizet, J.-C., & Leyens, J.-P. (2002). La menace du stéréotype : Une interaction entre situation et identité. L’Année Psychologique, 102, 555-576. 

Croizet, J.-C., & Claire, T. (1998). Extending the concept of stereotype threat to social class: The intellectual underperformance of students from low socioeconomic backgrounds. Personality and Social Psychology Bulletin, 24, 588–594. https://doi.org/10.1177/0146167298246003 

Croizet, J.-C., Dutrévis, M., & Désert, M. (2002). Why do students holding non-prestigious high school degrees under- achieve at the university? Swiss Journal of Psychology, 61, 167–175. 

Désert, M., Préaux, M., & Jund, R. (2009). So young and already victims of stereotype threat: socio- economic status and performance of 6 to 9 years old children on Raven’s progressive matrices. European Journal of Psychology of Education, 24, 207–218. 

Goudeau, S. (2023). En classe, quels effets peuvent avoir les interactions à dimension évaluative sur les élèves en termes d’inégalités ? dans Conférence de consensus du Cnesco l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves : Notes des experts (pp. 93-100). Cnesco-Cnam. https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2023/03/Cnesco-CC-Eval_Notes-des-experts.pdf 

Normand, A., & Croizet, J.-C. (2013). Upward Social Comparison Generates Attentional Focusing When the Dimension of Comparison is Self-Threatening. Social Cognition, 31, 336–348. https://doi.org/10.1521/soco.2013.31.3.336 

Goudeau, S., & Croizet, J. C. (2017). Hidden Advantages and Disadvantages of Social Class: How Classroom Settings Reproduce Social Inequality by Staging Unfair Comparison. Psychological Science, 28, 162–170. https://doi.org/10.1177/0956797616676600

Lockwood, p. & Kunda, Z. (1997). Superstars and me: Predicting the impact of role models on the self. Journal of Personality and Social Psychology, 73, 91–103. https://doi.org/10.1037/0022- 3514.73.1.91 

Souchal, C., Toczek, M.-C., Darnon, C., Smeding, A., Butera, F., & Martinot, D. (2014). Assessing does not mean threatening: the purpose of assessment as a key determinant of girls’ and boys’ performance in a science class. The British Psychological Society. 84(1), 125–136. https://doi.org/10.1111/bjep.12012 

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