jeudi 16 février 2023

Piloter l’enseignement explicite pour soutenir l’effet d’auto-explication

L’enseignement explicite a pour enjeu le transfert de la responsabilité des apprentissages des enseignants vers les élèves. Le développement de l’autonomie des élèves et la profondeur de l’apprentissage des élèves peuvent être renforcés par la mobilisation de stratégies d’auto-explication.

(Photographie : Lucas Foglia



L’apport de l’auto-explication associée à un enseignement explicite


Dans le cadre d’une recherche au niveau du primaire, Rittle-Johnson (2006) a mis en évidence les bénéfices d’une combinaison entre un enseignement explicite et l’auto-explication. 

Des enfants de 8-11 ans ont appris l’équivalence mathématique dans l’une des quatre conditions suivantes : 
  • Deux conditions d’enseignement : 
    • Enseignement explicite de la procédure
    • Découverte de la procédure
  • Deux conditions de traitement actif par les élèves :
    • L’engagement dans des auto-explications
    • L’absence d’auto-explications. 

Deux résultats d’apprentissage ont été testés par la suite : 
  • L’apprentissage de la procédure correcte
  • Le transfert lié à la procédure dans de nouveaux contextes.

C’est la condition d’auto-explication associée à un enseignement explicite qui a le mieux permis aux enfants à apprendre la procédure correcte. L’enseignement explicite associé à l’auto-explication n’a pas amélioré le transfert puisque les résultats étaient équivalents à ceux de la découverte associée à l’auto-explication.

Les incitations à l’auto-explication ont entraîné un apprentissage et un transfert plus importants chez les élèves. Ces avantages se sont maintenus pendant un délai de deux semaines pour les enfants, indépendamment des conditions d’enseignement. 

L’enseignement explicite, plutôt que la découverte, a conduit à un meilleur apprentissage procédural conservé pendant le délai. Cependant, le type d’instruction n’a eu aucun effet sur le transfert procédural. 

La conclusion générale est que le fait d’inciter les élèves à produire des explications peut conduire à un meilleur apprentissage général, d’autant plus qu’un enseignement explicite est prodigué en parallèle. Il est apparu que les effets de l’enseignement explicite et de l’auto-explication étaient additifs. 

La promotion d’un traitement cognitif actif par le biais d’incitations à l’auto-explication est apparue tout aussi valable dans les deux contextes d’enseignement. 

Il apparait que la découverte n’est pas nécessaire pour que les enfants soient productifs et s’adaptent. Par contre, ce qui est peut-être nécessaire, c’est que les élèves s’engagent dans des processus cognitifs efficaces, tels que la production d’auto-explications après avoir reçu un enseignement explicite.



L’association nécessaire des problèmes résolus et des auto-explications


L’apprentissage à partir d’exemples des problèmes résolus est très efficace pour l’acquisition initiale de compétences. Cependant, il est nécessaire que les élèves s’engagent et s’expliquent activement les étapes de la solution dans les exemples résolus. 

Leur utilisation en tant que méthodologie d’apprentissage ne garantit pas un apprentissage efficace. Ce n’est pas parce que les élèves consultent des problèmes résolus que cela se traduira par un apprentissage.

Deux facteurs doivent être pris en compte pour promouvoir l’apprentissage au départ de problèmes résolus :
  • La manière dont les exemples sont structurés est importante, notamment en matière de progressivité.
  • La mesure dans laquelle les élèves tirent profit de l’étude des exemples est importante. Elle dépend fortement de la façon dont ils s’engagent dans des auto-explications au sujet des solutions des exemples.



Importance de la qualité de l’engagement dans des auto-explications pour l’apprentissage à partir de problèmes résolus


Chi et ses collègues (1989) ont mis en évidence les éléments qui influencent la manière dont des apprenants peuvent tirer profit de l’étude de problèmes résolus. Leur étude portait sur la résolution de problèmes de mécanique en physique.

Un facteur clé mis en évidence est la manière dont les apprenants s’expliquent la logique des solutions présentées. Ce phénomène est appelé l’effet d’auto-explication. 


Chi et ses collègues (1989) ont mis en évidence certaines caractéristiques propres aux apprenants qui s’en sortaient mieux au niveau de l’apprentissage : 
  • Ils consacrent plus de temps à l’étude des problèmes résolus.
  • Ils apprennent en comprenant :
    • Ils génèrent de nombreuses explications qui affinent et élargissent les conditions d’application des procédures mobilisées au sein des problèmes résolus. 
    • Ils relient les conditions d’application des procédures aux principes conceptuels du domaine. 
  • Leurs auto-explications sont guidées par un contrôle précis de leur propre compréhension et de leur incompréhension. Dès lors, ces apprenants subissent moins souvent des illusions de compréhension.
  • Leur apprentissage aboutit à une connaissance indépendante des exemples et à une meilleure compréhension des principes en lien. 

Quant à eux, les apprenants qui réussissent moins bien : 
  • Ne génèrent pas suffisamment d’auto-explications.
  • Surveillent leur apprentissage de manière inexacte.
  • S’appuient ensuite fortement sur les exemples plutôt que sur les connaissances qu’ils en retirent.

Dans une étude, Renkl (1997) a étudié les différences individuelles dans l’apprentissage à partir de problèmes résolus en ce qui concerne la qualité des auto-explications. Cette recherche a été réalisée auprès de 36 étudiants universitaires de première année en éducation travaillant en sessions individuelles sur le calcul des probabilités.

Renkl (1997) a montré que la qualité des auto-explications était significativement liée aux résultats d’apprentissage. Plus précisément, les apprenants qui réussissaient se distinguaient par les caractéristiques suivantes : 
  • Ils attribuaient fréquemment une signification aux opérateurs en identifiant le principe sous-jacent du domaine (explications basées sur des principes). 
  • Ils ont fréquemment attribué une signification aux opérateurs en identifiant les (sous-)objectifs atteints par ces opérateurs (explication des combinaisons objectif-opérateur). 
  • Ils avaient tendance à anticiper la prochaine étape de la solution au lieu de la chercher (raisonnement par anticipation).

Cependant, Renkl (1997) a également constaté que les apprenants qui réussissaient ne montraient souvent pas tous les types d’auto-explications qui étaient positivement liés aux résultats d’apprentissage. 

Une analyse a révélé qu’il y avait deux types d’apprenants performants : 
  • Ceux qui expliquent par des principes (explications basées sur des principes et explication des combinaisons objectif-opérateur)
  • Ceux qui raisonnent par anticipation (raisonnement par anticipation).

Deux méthodes ont été utilisées pour un apprentissage réussi :

Les explicateurs basés sur des principes ont concentré leurs efforts d’auto-explication sur l’attribution d’une signification aux opérateurs, à la fois par des explications basées sur des principes et par l’explication de combinaisons objectif-opérateur. Ils n’ont pas souvent anticipé les étapes de la solution. 

En revanche, les raisonneurs anticipatifs l’ont fait de manière intensive, en s’abstenant de fournir de nombreuses explications fondées sur des principes et d’expliquer de manière répétée les combinaisons objectif-opérateur. 

Les apprenants qui n’ont pas réussi étaient soit : 
  • Passifs avec un très faible niveau d’activité d’auto-explication. 
  • Superficiels en consacrant relativement peu de temps à chaque exemple élaboré.



Des conditions à un engagement de qualité dans l’auto-explication


Si l’auto-explication associée aux problèmes résolus est un prérequis à un apprentissage de qualité, elle n’est ni une démarche automatique ni une démarche nécessairement aisée.

Différents éléments peuvent servir de médiateur à engagement efficace dans l’auto-explication :
  • La progression doit se faire de problèmes résolus vers des problèmes à compléter pour finalement aboutir à des problèmes à résoudre. Cela peut amener plus facilement les élèves à s’engager dans l’auto-explication.
  • Les élèves doivent pouvoir avoir un accès conditionnel à des explications supplémentaires de la part de l’enseignant ou via à l’accès à un support. Ils doivent pouvoir vérifier l’auto-explication ou répondre à des difficultés rencontrées. 
  • Des démarches et approches de l’ordre du dialogue formatif et la vérification de la compréhension en classe peuvent favoriser l’engagement des élèves dans des démarches d’auto-explication.
  • Différents résultats de recherche suggèrent qu’un apprenant ne tire profit des explications pédagogiques que lorsqu’il les intègre dans une activité pratique. Cela impose de tenir compte du temps nécessaire aux auto-explications et de fournir une forme de rétroaction. 
  • L’élève doit disposer des connaissances préalables adéquates pour pouvoir s’engager dans l’autoexplication. De plus, les explications fournies par l’enseignant peuvent ne pas être (entièrement) adaptées aux connaissances antérieures de l’apprenant individuel. Les auto-explications, en revanche, sont construites à partir des connaissances préalables de l’apprenant. Elles sont donc automatiquement adaptées.



Fournir un soutien des auto-explications grâce à un enseignement explicite


Les explications pédagogiques peuvent soutenir efficacement les activités de construction des connaissances des apprenants. Le défi consiste à trouver des moyens de combiner les auto-explications et les explications pédagogiques de manière à associer leurs avantages respectifs. 

Les auto-explications dans lesquelles les élèves vont s’engager possèdent des limites à prendre en compte par l’enseignant : 
  • Les apprenants ont un problème métacognitif : ils ont souvent l’illusion de comprendre lorsqu’ils s’expliquent à eux-mêmes les solutions de problèmes résolus. Un retour d’information est nécessaire. 
  • L’exactitude des auto-explications n’est pas automatiquement assurée. Les auto-explications ne sont souvent que partiellement correctes ou même incorrectes. Cela peut conduire à la construction de connaissances incorrectes qui, dans le pire des cas, peuvent gravement entraver la poursuite de l’apprentissage. 
  • Les problèmes de compréhension nécessitent un étayage sous forme d’explications pédagogiques. La meilleure manière d’aborder cette difficulté consiste à délivrer un enseignement explicite. Le transfert de la responsabilité des apprentissages, du modelage (I do) vers la pratique guidée (we do) et ensuite vers la pratique autonome (you do) représente une démarche particulièrement utile au développement d’auto-explications de qualité.
  • Il importe que l’enseignant puisse vérifier les auto-explications des élèves dans un processus d’enseignement explicite. Les explications pédagogiques de l’enseignant, en revanche, ont l’avantage d’être correctes dans la grande majorité des cas. 



Un modèle pour assurer une activité d’auto-explication complétée par des explications pédagogiques


Renkl (2002) a développé le modèle SEASITE (self-explanation activity
supplemented by instructional explanations) :

Le modèle SEASITE se fonde sur deux directives générales : 
  • Permettre autant d’auto-explications que possible et autant d’explications pédagogiques que nécessaire :
    • Il est souhaitable que les apprenants élaborent activement les exemples par des auto-explications qui sont nécessairement construites à partir de leur propre base de connaissances antérieures et intégrées dans l’activité cognitive en cours. 
    • Les apprenants doivent progressivement se fier autant que possible à leurs propres explications. Il y a un nécessaire transfert de la responsabilité des apprentissages. 
    • Les explications pédagogiques ne doivent être fournies que lorsque les apprenants ne sont pas en mesure de comprendre le contenu de l’apprentissage par eux-mêmes. Une autre situation est lorsqu’ils ne sont pas sûrs de l’exactitude de leurs auto-explications. 
  • Fournir un retour d’information :
    • Le dispositif d’apprentissage doit être conçu de manière à réduire sensiblement les illusions de compréhension des apprenants fréquemment constatées dans ces études.
    • L’utilisation d’exemples incomplets est une façon possible d’augmenter la conscience métacognitive des apprenants de leurs problèmes de compréhension. La fourniture d’explications pédagogiques est un autre moyen pédagogique qui peut remplir une fonction de rétroaction.

Le modèle SEASITE se fonde sur les principes suivants :
  • Une fourniture d’aide à la demande de l’apprenant :
    • Les explications pédagogiques doivent être présentées en fonction des besoins de l’apprenant en matière de compréhension. 
    • L’idée est de fournir les explications pédagogiques au bon moment pour qu’elles soient réellement utilisées dans les activités de construction de connaissances en cours des apprenants. 
  • Un minimalisme dans les explications utilisées lors de la pratique :
    • Il est judicieux de concevoir des explications pédagogiques minimales pour ne pas distraire les élèves et leur permettre de poursuivre rapidement la pratique. 
  • Une aide fournie progressivement :
    • Les explications sont formulées de manière à les rendre accessibles aux apprenants. 
    • Les explications ne sont pas trop étendues. Elles ne sont pas redondantes et ne s’épanchent pas sur des choses que les élèves savent déjà ou sur ce qu’ils n’ont pas besoin de savoir dans l’immédiat. 
    • Des explications plus étendues sont fournies que lorsqu’un manque de connaissances préalables les rend nécessaires. 
  • Une priorité accordée aux principes sous-jacents :
    • Les explications pédagogiques se concentrent sur les principes sous-jacents du domaine de contenu. 
    • La progression de l’apprentissage d’un stade de novice à un stade de compétence est généralement caractérisée par le développement d’une compréhension fondée sur des principes. 
    • Une compréhension fondée sur des principes est particulièrement importante pour l’apprentissage dans des domaines bien structurés tels que les mathématiques, où les connaissances acquises doivent devenir transférables de manière flexible.
  • L’utilisation d’un format intégré. 
    • Un risque lié aux explications pédagogiques peut être une surcharge cognitive pour l’apprenant accentuée par une attention divisée. 
    • Les explications peuvent amener les élèves à faire des liens entre des informations présentes sur des pages séparées. Cela exige que les apprenants conservent en mémoire de travail une plus grande quantité d’information. 
    • Une possibilité pour faciliter la mise en correspondance entre les éléments des exemples et des explications serait d’utiliser un format intégré sous forme d’un solutionnaire détaillé. Celui-ci permet aux informations d’aide et l’application d’être présentes simultanément.



L’effet des explications pédagogiques au service de l’auto-explication


Les explications pédagogiques peuvent promouvoir la construction active de connaissances par les apprenants de plusieurs façons :
  • Elles peuvent fournir aux apprenants un cadre qui les aide à étendre leurs connaissances existantes à de nouvelles situations.
  • Elles peuvent présenter des informations supplémentaires qui comblent les lacunes dans leur compréhension.
  • Elles peuvent aider à surmonter les impasses de compréhension que les apprenants ne peuvent pas résoudre par eux-mêmes :
    • Les activités d’auto-explication peuvent être très exigeantes pour la capacité limitée de la mémoire de travail et, par conséquent, imposer des exigences assez élevées à l’apprenant. 
    • Par conséquent, l’utilisation d’explications pédagogiques peut aider à libérer des ressources cognitives en fournissant, par exemple, des schémas d’organisation qui facilitent la coordination des informations générées par l’apprenant. 

Les explications pédagogiques sont un véhicule utile pour s’engager dans un apprentissage significatif. Si elles favorisent un traitement actif, elles peuvent parfaitement s’accorder avec les activités d’auto-explication des apprenants, ce qui en fait un outil d’apprentissage performant.


Mis à jour le 05/12/2023

Bibliographie


Rittle-Johnson B. Promoting transfer: effects of self-explanation and direct instruction. Child Dev. 2006 Jan-Feb; 77(1):1–15. doi: 10.1111/j.1467-8624.2006.00852.x. PMID: 16460521.

Chi, M. T. H., Bassok, M., Lewis, M. W., Reimann, P., & Glaser, R. (1989). Self-explanations: How students study and use examples in learning to solve problems. Cognitive Science, 13, 145–182. 

Renkl, A. (2002). Worked-out examples: Instructional explanations support learning by self-explanations. Learning and Instruction, 12(5), 529–556. https://doi.org/10.1016/S0959-4752 (01)00030-5

Renkl, A. (1997). Learning from worked-out examples: a study on individual differences. Cognitive Science, 21, 1–29. 

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