mardi 14 février 2023

Importance, qualité et usage des explications en enseignement explicite

Les explications semblent être une partie importante et naturelle de notre fonctionnement cognitif. Les enfants posent des questions sur le pourquoi et le comment très tôt dans leur développement. Ils sont sincèrement motivés à obtenir des réponses. Pris au dépourvu par des questions inattendues, nous pouvons nous sentir mal équipés pour leur fournir le niveau de sophistication et de détail approprié dans nos explications.

(Photographie : Amber Shields)


Animés par notre curiosité, nous continuons à chercher, trouver et recevoir des explications dans de multiples domaines de connaissance durant toute notre vie. De fait, recevoir les explications est un moyen d’instruction courant généralement plus efficace que devoir les générer par nous-mêmes. C’est l’un des fondements de la théorie de la charge cognitive qui sous-tend également l’enseignement explicite.



Le rôle des explications dans l'apprentissage


Dans un contexte pédagogique, les explications sont délibérément et précisément conçues dans le but d’enseigner et de mener à un apprentissage.

Elles sont des actions pédagogiques reflétant une tentative de donner des réponses aux questions qui sont implicitement ou explicitement posées par les élèves ou les enseignants.

Par exemple :
  • Les explications en mathématiques peuvent fournir aux apprenants des procédures algorithmiques utiles pour résoudre des problèmes d’algèbre.
  • Dans les sciences comme la physique ou la biologie, les explications peuvent aider à comprendre les phénomènes naturels. Elles attirent, par exemple, l’attention de l’apprenant sur la dynamique et les relations de cause à effet des processus naturels décrits.



Intégration des explications dans l’enseignement explicite


Les explications pédagogiques peuvent être caractérisées plus spécifiquement selon les axes suivants : 
  • L’objectif pédagogique associé aux explications pédagogiques délivrées sous forme de modelage par l’enseignant.
  • L’utilisation des explications pédagogiques :
    • Elle est une stratégie d’enseignement principale lors du modelage en enseignement explicite
    • Dans une approche constructiviste ou liée aux pédagogies actives, elles viennent jouer un rôle complémentaire à la construction des connaissances par les élèves.
  • L’occurrence d’explications pédagogiques intervient également :
    • Par l’intermédiaire de supports pédagogiques : problèmes résolus, organisateurs graphiques, cartes conceptuelles, tableaux de comparaison, modes opératoires pour des procédures, etc. 
    • Dans des dialogues formatifs à l’échelle de la classe sous forme d’une remédiation immédiate lors de la pratique guidée, ou à l’échelle d’un ou plusieurs élèves lors de la pratique autonome.
    • Dans la rétroaction formative différée à la suite d’une épreuve formative écrite individuelle.
Les explications sont partout dans l’enseignement explicite qui en fait un pilier de ses stratégies. L’enseignement explicite s’en sert comme d’un point de départ pour engager les élèves dans le processus d’apprentissage à travers la pratique :
  • En phase initiale, durant le modelage, les explications permettent à l’enseignant de présenter de nouveaux concepts aux élèves afin de leur donner une compréhension de base d’un domaine de connaissances. Dans cette optique, les explications aident les élèves à emprunter les connaissances de l’enseignant (principe d’emprunt et de réorganisation).
  • En phase intermédiaire, lors de la pratique guidée, les élèves ont déjà acquis une certaine compréhension dans un domaine. Les explications peuvent être utilisées pour traiter spécifiquement leurs conceptions erronées et les difficultés qui subsistent ou se manifestent lors de la pratique. L’enseignant explore dans le cadre des explications les différentes variations utiles des concepts et procédures rencontrées. Dans cette optique, les explications aident les élèves à réorganiser et à consolider leurs connaissances (principe d’emprunt et de réorganisation).
  • Dans la phase finale de l’acquisition des compétences, au cours de laquelle la vitesse et la précision sont accrues, la pratique autonome ou la découverte guidée sont les activités d’apprentissage les plus importantes. Les explications pédagogiques interviennent dans une perspective de rétroaction et de remédiation. 
Dans tous les cas de figure, les explications jouent un rôle d’étayage temporaire pour faciliter l’acquisition des connaissances avant de s’avancer vers des traitements plus élaborés et autonomes.



Les avantages des explications verbales


Les explications verbales constituent une forme importante de communication des contenus dans le cadre de l’enseignement en classe. L’un des avantages de donner des explications en face à face est de contrôler simultanément la compréhension des élèves et d’incorporer, lorsque cela est nécessaire, des informations de clarification. 

Cette caractéristique adaptative rend les explications verbales très efficaces pour transmettre le contenu pédagogique.

De plus selon la théorie du double codage nous pouvons optimiser l’usage des canaux auditifs et visuels, ce qui permet une meilleure utilisation des ressources de la mémoire de travail.

L’avantage des explications verbales vis-à-vis des textes écrits et qu’elles tiennent plus aisément compte des connaissances préalables des élèves et qu’elles permettent de maintenir en phase une classe entière. 

Néanmoins, il peut être difficile pour les enseignants de personnaliser leurs explications dans les cas où les élèves sont réticents à leur faire part de leur incompréhension. 

À ce titre, Duffy et ses collègues (1986) se sont intéressés à la réactivité en tant que propriété importante des explications pédagogiques. Dans leur étude, ils ont comparé les explications verbales données par des enseignants plus et moins efficaces. Ils ont constaté qu’un trait distinctif des enseignants les plus compétents était leur capacité à utiliser leurs évaluations des malentendus des élèves pour adapter leurs explications. 

C’est pour cette raison que l’enseignement explicite met l’accent sur une conception détaillée et très élaborée de la construction des explications dans le cadre du modelage. Il s’accompagne d’une attention marquée pour la vérification de la compréhension. Celle-ci est distribuée de manière régulière, intentionnelle ou aléatoire. Elle permet d’obtenir un retour d’information particulièrement utile pour adapter l’enseignement en direct.



L’importance des explications conceptuelles


Michelle Perry (2000) a comparé les explications des enseignants sur les concepts mathématiques dans des classes primaires japonaises, chinoises et américaines afin d’expliquer pourquoi les enfants asiatiques obtiennent généralement de meilleurs résultats que les enfants américains en mathématiques. 

Elle a constaté que les explications fournies dans les classes japonaises et chinoises étaient plus généralisables à l’ensemble des problèmes que les explications fournies dans les classes américaines. 

Par exemple, les enseignants asiatiques combinaient les explications de problèmes simples (par exemple, des problèmes d’addition) avec celles de problèmes plus difficiles (par exemple, des problèmes à plusieurs chiffres) afin de mettre en évidence les principes communs. 

Les enseignants asiatiques ont également proposé des méthodes de résolution alternatives pour mettre en évidence le caractère généralisable de différentes procédures mathématiques. En outre, ils ont souvent utilisé des exemples quotidiens pour établir des liens avec les connaissances antérieures des élèves. 

En revanche, les enseignants américains ont rarement donné des explications sur les principes et les fonctions mathématiques. 

À partir de ces résultats, Perry a conclu que l’accent mis sur les explications conceptuelles aidait les élèves asiatiques à savoir pourquoi une procédure mathématique fonctionnait et quand l’utiliser. 



Difficultés et enjeux liés aux explications écrites


L’apprentissage à partir de supports écrits est entravé lorsque l’information contenue ne peut être reliée aux connaissances antérieures de l’élève. De plus, l’information écrite ne profite pas du canal auditif comme peuvent le faire des explications orales ou une vidéo.

Il semble raisonnable d’optimiser l’apprentissage en rendant un texte aussi aisé à lire et à comprendre que possible. Une manière de procéder est de réduire la nécessité pour les lecteurs de faire des inférences lors de la lecture d’un texte. Pour l’éviter, nous leur fournissons des informations de base qui pourraient ne pas être énoncées d’emblée dans le texte. 

Cependant, cette approche n’améliorera pas l’apprentissage pour les élèves ayant des connaissances préalables relativement élevées, car il y a risque de redondance et d’activation de l’effet d’inversion de l’expertise.

Un bon équilibre est à trouver au sujet du niveau de difficulté du texte. Il doit inciter les élèves à traiter plus activement les informations textuelles en établissant des liens plus profonds entre les concepts du texte et les concepts connexes dans leur mémoire à long terme. 

Lorsque les textes sont trop simples ou redondants avec les connaissances antérieures des élèves, ils ne sont plus suffisamment stimulants, ce qui est susceptible d’entrainer un traitement passif et une compréhension moindre. Lorsque les textes sont trop complexes, ils entrainent une surcharge cognitive contreproductive pour l’apprentissage. 

L’enjeu est de déterminer le bon niveau et parier qu’il conviendra à l’ensemble des élèves. La bonne évaluation des connaissances préalables des élèves et l’adéquation avec les intentions pédagogiques sont essentielles. Le respect des principes de la théorie de la charge cognitive et de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia est précieux.



L’importance de l’intégration entre explications et pratique


Même si des explications pédagogiques offrent aux élèves des possibilités d’apprentissage, elles n’aboutissent à un apprentissage que si elles encouragent l’engagement productif des élèves. 

Des explications seules ne suffisent pas, un modelage doit être suivi d’occasions de pratique guidée, puis autonome, elles-mêmes suivies d’opportunités de récupération. Un contexte conjuguant enseignement explicite et démarches d’évaluation formative peut favoriser le transfert de la responsabilité des apprentissages et générer des apprentissages durables et approfondis.  

Il est fondamental que les élèves aient la possibilité d’appliquer ou de s’engager rationnellement dans les explications qu’ils reçoivent avec tout l’étayage dont ils ont besoin. 

S’ils n’utilisent pas activement les explications, les élèves risquent de n’acquérir qu’une compréhension superficielle des informations transmises et de ne pas parvenir à construire une signification suffisante à partir des explications. 

En outre, la pratique en classe donne des occasions d’approfondir progressivement le contenu présenté dans les explications, les apprenants peuvent plus facilement établir des liens avec leurs connaissances antérieures, ce qui contribue à une compréhension plus profonde. 



Des liens entre expertise de l’enseignant, évaluation diagnostique et explications pédagogiques


Pour fournir efficacement des explications, un enseignant doit être capable de diagnostiquer avec précision le niveau de compréhension réel de ses élèves. Il est largement admis qu’une capacité de diagnostic élevée de la compréhension des élèves est une caractéristique distinctive d’un enseignement réussi et d’un enseignant efficace. 

Il existe des preuves suggérant que, par exemple, les enseignants qui réussissent le mieux possèdent davantage de connaissances sur les idées fausses typiques que les élèves peuvent avoir dans les domaines qu’ils enseignent. Ils sont mieux à même de surveiller la compréhension des élèves et d’adapter leurs objectifs et activités à divers élèves.

Indépendamment de leur expérience éducative, les enseignants ayant une connaissance élevée dans le domaine enseignant courent le risque de la malédiction de la connaissance. Ils sont plus susceptibles de surestimer la compréhension des élèves requise pour résoudre par exemple des tâches mathématiques utilisant des symboles (calcul littéral) plutôt que des nombres (Nathan & Koedinger, 2000). 

Dans le même ordre d’idée, Chi et ses collaborateurs (2004) se sont intéressés à la qualité du tutorat individuel. Ils sont partis du fait établi que les étudiants apprennent plus et comprennent mieux grâce au tutorat individuel. Le tutorat individuel humain est une forme d’instruction très efficace.

L’explication privilégiée est que les compétences pédagogiques des tuteurs sont responsables des gains d’apprentissage. Elles prennent la forme d’une exécution habile des tactiques, telles que donner des explications et des retours d’information, ou sélectionner les tâches ou les questions appropriées à poser aux élèves. 

L’exécution habile de ces compétences pédagogiques exige qu’elles soient adaptables et adaptées à la compréhension de chaque étudiant. Pour s’adapter, les tuteurs doivent être en mesure de surveiller avec précision la compréhension des élèves, afin de savoir comment et quand fournir les explications, les commentaires et les questions. 

Chi et ses collaborateurs (2004) ont étudié la précision du suivi des tuteurs. Ils ont montré que les tuteurs ne pouvaient évaluer que l’incompréhension normative des étudiants du point de vue des connaissances des tuteurs. Les tuteurs ne parvenaient pas à diagnostiquer la compréhension alternative des étudiants du point de vue des connaissances des étudiants. Les tuteurs supposaient que les étudiants avaient une compréhension plus complète que celle qu’ils avaient en réalité. 

Ces déficits pourraient s’expliquer par une tendance générale à utiliser ses propres connaissances comme modèle pour projeter ce que les autres savent.

Pour communiquer efficacement, les enseignants doivent avoir une idée raisonnablement précise de ce que leurs élèves savent. Un point de départ évident pour construire un modèle de ce que les autres savent est ce que l’on sait ou croit savoir soi-même. 

Comme le montre Nickerson (1999), nous avons tendance à imputer nos propres connaissances aux autres et le faire en manquant d’esprit critique. Cela nous amène à supposer à tort que les connaissances des autres sont meilleures qu’elles ne le sont. Ce phénomène peut contribuer à des difficultés de communication. 

Nathan et Petrosino (2003) ont montré dans une étude (N. = 48) que même des enseignants expérimentés pourraient mal évaluer les connaissances que possèdent les élèves. Ils ont examiné la relation entre l’expertise en mathématiques des enseignants du secondaire en formation initiale et leurs jugements sur la difficulté des élèves à résoudre des problèmes d’algèbre. Les participants ayant une formation en mathématiques plus avancée étaient plus susceptibles de considérer le raisonnement symbolique et la maîtrise des équations comme déjà maîtrisés, ce qui était en contradiction avec les performances réelles des élèves. Ce biais cognitif montre tout l’intérêt des démarches d’évaluation diagnostique et de vérification de la compréhension systématique et auprès de tous les élèves qui sont au cœur de l’enseignement explicite. Ces pratiques permettent d’en atténuer l’effet. 


Mis à jour le 04/12/2023

Bibliographie


Andy Tharby, How to Explain Absolutely Anything to Absolutely Anyone, 2018, Crown House

Jörg Wittwer & Alexander Renkl (2008) Why Instructional Explanations Often Do Not Work: A Framework for Understanding the Effectiveness of Instructional Explanations, Educational Psychologist, 43:1, 49-64, DOI:10.1080/00461520701756420

Duffy, G., Roehler, L., Meloth, M., & Vavrus, L. (1986). Conceptualizing instructional explanation. Teaching and Teacher Education, 2, 197–214.

Perry, M. (2000). Explanations of mathematical concepts in Japanese, Chinese, and U.S. first and fifth-grade classrooms. Cognition and Instruction, 18, 181–207.

Nathan, M. J., & Koedinger, K. R. (2000). An investigation of teachers’ beliefs of students’ algebra development. Cognition and Instruction, 18,209–237.

Chi, M. T. H., Siler, S., & Jeong, H. (2004). Can tutors monitor students’understanding accurately? Cognition and Instruction, 22, 363–387.

Nickerson, R. S. (1999). How we know—and sometimes misjudge—what others know: Imputing one’s own knowledge to others. Psychological Bulletin, 125, 737–759.

Nathan,M. J., & Petrosino, A. J. (2003). Expert blind spot among preservice teachers. American Educational Research Journal, 40, 905–928.

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