lundi 20 février 2023

Améliorer notre capacité à délivrer des explications de qualité en prenant en compte nos biais cognitifs

Comment et pourquoi améliorer la qualité des explications que nous délivrons à nos élèves ? Pourquoi cette démarche n’est-elle pas aussi évidente ou banale qu’elle le semble à première vue ?

(Photographie : Gijs de Reijke)







Connaitre sa matière et la manière de l’enseigner pour être efficace


D’après Coe et ses collègues (2014), une bonne connaissance de la matière enseignée se traduit en une meilleure efficacité de l’enseignement :
  • Des études sur les enseignants de sciences des écoles secondaires ont montré qu’il existe une relation positive, mais modeste entre les connaissances dont ils disposent dans leurs matières et les gains d’apprentissage de leurs élèves.
  • Le soutien aux enseignants sur les domaines spécifiques dans lesquels leurs connaissances de la matière et leur connaissance des idées fausses courantes des élèves sont les plus faibles est susceptible d’améliorer l’apprentissage de leurs élèves.
  • Des études sur les enseignants de mathématiques ont démontré qu’une différence positive dans la connaissance du contenu pédagogique d’un enseignant est associée à plus d’un mois d’apprentissage supplémentaire pour les élèves en un an.

Dans l’ensemble, le peu d’éléments issus de la recherche dont nous disposons, suggère que les deux dimensions qui importent le plus pour la qualité de l’enseignement sont :
  • La connaissance de la matière par les enseignants
  • Leur compréhension de la manière dont les élèves vont réfléchir et apprendre les contenus enseignés. 

Par conséquent, nous devons garder à l’esprit qu’une connaissance experte de la matière bien que nécessaire n’est pas toujours suffisante pour un enseignement de qualité. Il est tout aussi important d’avoir une connaissance experte de la manière d’enseigner ces contenus et des difficultés que les élèves sont susceptibles de rencontrer lors de leur apprentissage.

À ce titre, Lee S. Shulman (1986) a défini la connaissance du contenu pédagogique de la manière suivante. Elle consiste à pouvoir « inclure, pour les sujets les plus régulièrement enseignés dans sa propre matière, les formes de représentation les plus utiles de ces idées, les analogies les plus perspicaces, les illustrations, les exemples, les explications et les démonstrations — en un mot, les manières de représenter et de formuler le sujet qui le rendent compréhensible pour les autres ».

La connaissance du contenu pédagogique recouvre la capacité à représenter la matière que nous enseignons de multiples façons pertinentes, verbales et non verbales. 

Par conséquent, en tant qu’enseignants, la connaissance de notre sujet ne doit donc jamais être notre seul objectif. Nous devons également développer nos connaissances sur la manière efficace de l’enseigner.



Le revers de la médaille liée à la malédiction de la connaissance


Sans une excellente connaissance de la matière, un enseignant sera toujours limité dans la mesure où il peut étendre celle de ses élèves. Cependant, une connaissance de la matière à un niveau expert est susceptible d’avoir un effet secondaire insidieux connu sous le nom de « malédiction de la connaissance ». 

C’est la difficulté que nous avons à nous imaginer dans la peau d’un novice qui n’a que peu de connaissance dans le domaine considéré. Le terme dérive de l’économie et de la constatation que les individus les mieux informés ont beaucoup de mal à envisager un problème du point de vue de ceux qui sont les moins informés. 

Le problème est que lorsque nous connaissons très bien quelque chose, nous oublions les étapes qu’il nous a fallu franchir pour l’apprendre au départ. Il est difficile de voir comment quelque chose que nous trouvons si facile peut paraitre impossible à saisir par quelqu’un d’autre. 

À cela vient s’ajouter la probabilité élevée que, lorsque nous étions élèves nous avons certainement apprécié et surtout croisé la réussite dans la matière que nous enseignons aujourd’hui. Il est donc encore plus difficile pour vous d’imaginer ce qu’est l’expérience de l’apprentissage de votre matière pour un élève non motivé qui manque sans doute de connaissances préalables au sein de votre classe.

Dans une certaine mesure, la malédiction de la connaissance est inévitable. Néanmoins, nous pouvons nous en prémunir et atténuer ses effets dans notre classe en appliquant les principes suivants :
  • Intégrer dans notre enseignement de nombreux exemples diversifiés et progressifs, et des analogies qui faciliteront la compréhension et l’apprentissage de nos élèves.
  • Ajouter quelques mots d’explication après tout terme technique ou mot de vocabulaire complexe qui ne fait pas partie du vocabulaire courant des élèves.
  • Proposer différentes approches et angles d’attaque pour présenter un concept
  • Introduire des contre-exemples à côté des exemples.
  • Interroger régulièrement et aléatoirement des élèves en classe.
  • Garder l’œil ouvert pour repérer les élèves qui ont du mal à comprendre en repérant et en interprétant leur langage non verbal s’ils ne posent pas spontanément de questions. 
  • Faire une évaluation diagnostique sous forme de ticket de sortie pour estimer où en sont tous les élèves dans leur compréhension et leurs apprentissages.



L’angle mort des connaissances de l’enseignant


Kind et Kind (2011) ont interrogé 150 enseignants en sciences en formation initiale (des biologistes, des chimistes et des physiciens). Ils ont comparé leurs connaissances avec les idées fausses sur les notions chimiques de base enseignées aux élèves de 11 à 16 ans. Ces notions portaient sur la théorie des particules, le changement d’état, la conservation de la masse, la liaison chimique, le calcul des moles ou les réactions de combustion. 

Les résultats obtenus ont montré qu’en dépit du fait que tous ces enseignants en formation initiale sont considérés techniquement compétents à la suite de leur formation initiale pour l’enseignement des sciences, les spécialistes en biologie et en physique possèdent plus de conceptions erronées en chimie que les chimistes. 

Deux caractéristiques personnelles, à savoir la préférence des enseignants pour l’enseignement en tant que « spécialiste » ou « généraliste » de toutes les sciences et leur confiance en eux pour travailler dans ces deux domaines, ont été évaluées. Les chercheurs ont utilisé une échelle Likert. 

Les biologistes sont proportionnellement plus nombreux à être des généralistes « super-confiants ». Les physiciens sont plus nombreux à être des spécialistes inquiets de l’enseignement hors de leur spécialité. 

Aucune relation statistiquement significative entre les caractéristiques personnelles et les conceptions erronées n’a été trouvée. Cela suggère que la chimie peut être enseignée par des enseignants en sciences en formation initiale confiants, mais qui comprennent mal les idées de base. 

Nous pouvons être conscients ou inconscients de nos lacunes, il reste que cela ne change pas leur nature. Il vaut mieux en être conscients, car cela peut induire des démarches pour les combler, par la lecture, la formation ou la collaboration avec des collègues plus expérimentés.

Deux facteurs peuvent favoriser l’existence d’angles morts que nous mésestimons dans nos connaissances :
  • Un enseignant peut se retrouver à enseigner en dehors de son domaine précis d’expertise. C’est le cas par exemple lorsqu’un diplômé en biologie, en physique ou en chimie donne cours dans l’une des deux autres disciplines en sciences.
  • Un enseignant peut avoir perdu une partie de son expertise initiale. C’est également le cas lors des secondes carrières, lorsqu’après une ou deux décennies dans le secteur privé, un individu se tourne vers l’enseignement.
Dans ces différentes situations, nous pouvons ne pas être conscients de nos faiblesses. Nous pouvons ignorer ce que nous avons oublié ou ce à quoi une pleine maîtrise ressemble. De plus dans ces situations, il est probable que nous n’aurons pas une parfaite conscience des conceptions erronées que les élèves possèdent dans ces mêmes domaines.



L’effet d’excès de confiance


L’effet d’excès de confiance est un biais cognitif bien établi et courant. Il décrit le fait qu’en tant qu’êtres humains, nous avons tendance à surestimer régulièrement nos connaissances et nos compétences dans de nombreux domaines. La confiance subjective d’une personne dans ses jugements est nettement supérieure à la précision objective de ces jugements, en particulier lorsque la confiance est relativement élevée. 

L’excès de confiance peut se traduire de trois façons distinctes : 
  • Nous avons tendance à surestimer nos performances.
  • Nous avons tendance à surévaluer notre performance par rapport aux autres. 
  • Nous avons tendance à avoir une certitude injustifiée dans l’exactitude de certaines de nos croyances.
La façon la plus courante d’étudier l’excès de confiance consiste à demander aux gens dans quelle mesure ils sont convaincus des croyances spécifiques qu’ils détiennent ou des réponses qu’ils fournissent. Les données montrent que la confiance dépasse systématiquement la précision, impliquant que les gens sont plus sûrs d’avoir raison qu’ils le devraient. 

La confiance dépasse la précision dès lors que le sujet répond à des questions difficiles sur un sujet qui ne lui est pas familier. Par exemple, en général, le taux d’erreur est de 20 % lorsque les sujets s’attendent à ce qu’il soit de 0 %. 

L’effet de l’excès de confiance mesure plutôt la différence entre ce que les gens savent réellement et ce qu’ils pensent savoir. Les experts ne souffrent pas moins de l’effet d’excès de confiance que les novices. 

Ce qui rend l’effet de surconfiance si répandu et son effet si déconcertant, c’est qu’il est brut et inné. 

Par conséquent, en tant qu’enseignants, nous devons considérer que nous avons tendance à surestimer nos connaissances. Cela nous impose de toujours rester sceptiques face à nos propres prédictions, mais également face à celles d’autres personnes.

Il y a un corolaire immédiat à cet état de fait pour les enseignants, il est probable que nous ne sommes pas aussi clairs et précis pour expliquer ce que nous pensons connaitre que ce que nous pensons. 

Nous avons donc besoin d’outils, de méthodes et de démarches qui nous permettent de tester les limites de nos connaissances et de donner un cadre objectif à nos explications. Avec un étayage adéquat, nous pouvons améliorer l’efficacité de nos explications. Nous gagnons également à nous former dans les domaines où nous sommes susceptibles de nous améliorer. Tout cela montre à l’évidence la nécessité d’une éducation éclairée par des données probantes. 



Le travail collaboratif comme protection contre les biais liés aux limites de nos propres connaissances


Pour avoir une meilleure idée de la profondeur et des faiblesses de nos propres connaissances liées à notre matière et de la qualité de notre pratique, nous devons les comparer à celles de quelqu’un d’autre. Pour ce faire, nous pouvons observer régulièrement nos collègues en classe, collaborer et échanger avec eux. 

Plus largement, il peut être encore plus utile de contacter, de collaborer, d’échanger et d’aller observer avec des enseignants d’autres écoles. La pensée de groupe est un problème très réel chez les individus qui travaillent ensemble depuis longtemps dans le même contexte. 

Lire des blogs, des revues, des articles, des livres, s’informer sur les réseaux sociaux, suivre des formations, tout cela peut nous aider à combler les lacunes restantes et enrichir notre expertise d’enseignant 

Souvent dans nos réunions de travail collaboratif en équipe disciplinaire, les tâches administratives, de planification ou les discussions sur les évaluations peuvent prendre souvent le dessus. Nous pourrions pour une plus large part réserver une part significative de ces temps en commun pour discuter de tel ou tel aspect de la matière ou de notre pratique. Nous pourrions échanger plus sur le cœur de notre enseignement et de nos explications pédagogiques.

De plus, tout développement professionnel qui concerne directement la pratique de l’enseignant en classe devrait tenir compte de ces spécificités. Il devrait chaque fois impliquer une pratique délibérée et un accompagnement sous forme de collaboration, d’observations mutuelles par des pairs ou de coaching pédagogique avec rétroaction. Ces démarches le rendraient automatiquement plus efficace.


Mis à jour le 07/12/2023

Bibliographie


Tharby, Andy. How to Explain Absolutely Anything to Absolutely Anyone, Crown House Publishing, 2019

Robert Coe et al., What Makes Great Teaching? Review of the Underpinning Research (London: Sutton Trust, 2014). Available at : http://www.suttontrust.com/wp-content/uploads/2014/10/What-makes-great-teaching-FINAL-4.11.14.pdf.

Lee S. Shulman, Those Who Understand: Knowledge Growth in Teaching, Educational Researcher 15(2) (1986): 4–14

Kind, Vanessa and Per Morten Kind (2011). Beginning to Teach Chemistry: How Personal and Academic Characteristics of Pre-Service Science Teachers Compare with Their Understandings of Basic Chemical Ideas, International Journal of Science Education 33(15): 2123–2158.

Rolf Dobelli, The Overconfidence Effect, 2013, https://www.psychologytoday.com/intl/blog/the-art-thinking-clearly/201306/the-overconfidence-effect

Alpert, Marc; Howard Raiffa (1982). “A progress report on the training of probability assessors”. In Daniel Kahneman, Paul Slovic, Amos Tversky. Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Cambridge University Press. pp. 294–305. ISBN 978-0-521-28414-1.

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