(Photographie : Pepa Hristova)
Un enseignement en sciences qui fait parfois fi des apports des sciences cognitives
En toute logique, les sciences de l’éducation et les sciences cognitives devraient avoir un rôle important et même central à jouer dans l’enseignement des sciences. Elles pourraient jouer le rôle de source et de validation des principes sous-jacents liés aux choix de pratiques pédagogiques.
Si en général, ce potentiel est régulièrement rencontré, il reste encore nombre d’exceptions.
La principale difficulté vient d’une confusion entre :
- La manière dont les connaissances se créent en sciences, par le biais de la méthode scientifique.
- La manière dont les connaissances sont apprises de manière optimale.
Souvent dans le cours de sciences, il existe une tentation de privilégier la première approche à la seconde et favoriser des stratégies de résolution de problèmes à l’étude de solutions.
Comme le soulignent Zhang et ses collègues (2021), il existe une déconnexion singulière entre :
- Les implications éducatives issues de la recherche en psychologie de l’éducation
- Les pratiques éducatives qui font la part belle à la découverte, au projet, à l’apprentissage par réalisation de problèmes ou de tâches complexes et à la mise en valeur de l’élève comme acteur de ses propres apprentissages.
La méthode scientifique est tellement ancrée en sciences qu’elle crée un biais au détriment de stratégies d’enseignement plus efficaces comme l’enseignement explicite. Les sciences sont un domaine qui fait l’objet de nombreuses recherches et d’une large variété de méthodologies de recherche. Toutefois, les stratégies pédagogiques qui y sont privilégiées font souvent fi des conclusions de la recherche scientifique sur le sujet.
Des normes éducatives infondées dans l’enseignement des sciences
L’évolution rapide du monde exige que l’éducation fournisse et prépare soigneusement les futurs citoyens aux connaissances et aux compétences dont ils auront besoin.
Les normes éducatives des programmes scolaires ont pour rôle de décrire les résultats d’apprentissage attendus. Elles définissent des attentes claires et guident les enseignants à l’aide d’un plan détaillé pour les atteindre.
Les approches pédagogiques qui promeuvent une pédagogie fondée sur la découverte, l’exploration, l’expérimentation ou la résolution de problèmes sont dominantes dans l’enseignement des sciences. Elles occupent une place prépondérante dans la pratique et la politique de l’enseignement des sciences depuis des décennies dans de nombreux systèmes éducatifs.
Ces approches rejettent l’enseignement explicite à la marge. Pourtant au contraire des approches pédagogiques fondées sur la découverte ou la résolution de problèmes, l’enseignement explicite repose sur des théories solides et validées fondées sur la cognition. La théorie de la charge cognitive est l’une de ces théories. Sur la base de la théorie de la charge cognitive, il n’est jamais justifié de s’engager dans un apprentissage fondé sur l’enquête lorsque les élèves doivent acquérir des informations complexes et nouvelles.
Cette déconnexion s’explique par un traitement biaisé de la littérature de recherche en éducation par les promoteurs des approches actuellement dominantes :
- Ils se basent presque exclusivement sur une seule catégorie de recherche, à savoir les études basées sur les programmes, négligeant ainsi d’autres catégories de recherche.
- Ils rejettent certaines formes très courantes de recherche, à savoir les études contrôlées randomisées et les études corrélationnelles. Ces études sont cataloguées comme simplistes, voire erronées, et sont systématiquement exclues.
Le constat est pourtant sans appel. Les preuves accumulées dans le cadre d’études contrôlées, sur lesquelles le domaine de la psychologie de l’éducation s’appuie, n’ont apporté qu’un soutien minimal à l’enseignement des sciences par le biais de telles approches. Au contraire, elles favorisent un enseignement explicite.
En conséquence, il existe une vision dominante, mais limitée de la manière dont l’enseignement des sciences doit procéder pour développer les idées et les compétences scientifiques.
Quatre arguments en faveur d’un enseignement explicite en sciences
Zhang et ses collègues (2021) énoncent certains constants. Ils partent du postulat que les compréhensions conceptuelles et procédurales des sciences sont indispensables à l’apprentissage de haut niveau de tout sujet scientifique.
Nous pouvons résumer leurs positions ainsi :
- Le développement des connaissances conceptuelles scientifiques n’est pas plus facile à obtenir par la participation à des activités d’investigation basées sur l’exploration. L’enseignement explicite se montre plus efficace pour leur établissement.
- Les compétences et méthodes d’investigation dans des domaines scientifiques spécifiques n’émergent pas automatiquement lorsque les élèves s’engagent dans des activités d’investigation. Elles bénéficient plutôt d’un enseignement explicite, suivi de suffisamment de mise en pratique dans des situations guidées puis progressivement ouvertes.
- Les normes actuelles tendent à mettre l’accent sur le développement d’un ensemble générique de compétences en matière de recherche et de résolution de problèmes couvrant plusieurs domaines scientifiques. Cependant, pour que les élèves puissent mener à bien des enquêtes scientifiques, ils doivent précédemment acquérir un contenu conceptuel et procédural spécifique au domaine considéré. La possibilité de l’acquisition de compétences générales ne fait pas consensus en sciences cognitives.
- Le développement d’autres objectifs d’apprentissage scientifiques connexes au cours des activités d’investigation, tels que les attitudes envers les sciences est légitime. Cependant, il ne devrait pas se faire au détriment de l’apprentissage des concepts et des procédures scientifiques par les élèves.
Trois catégories différentes de recherche sur l’enseignement des sciences
Les études fondées sur des programmes ont donné des résultats différents de ceux des deux autres catégories qui tendent à se rejoindre.
Les études fondées sur des programmes
Les références utilisées pour étayer les affirmations et les normes selon lesquelles les élèves doivent être mis en activité dans des activités de recherche sont davantage des idées théoriques présentées dans des articles conceptuels que des preuves empiriques.
Globalement des programmes et des études basées sur les programmes sont financés et mis en place pour promouvoir l’enseignement des sciences basé sur l’investigation. Il ne fait aucun doute que les chercheurs impliqués ont mis en place un programme d’apprentissage des sciences rigoureux et ont apporté des expériences d’apprentissage de qualité aux élèves.
Ce type d’étude utilise des données :
- Quantitatives pour mesurer l’efficacité d’un programme.
- Qualitatives pour documenter les expériences d’apprentissage des élèves dans le programme.
- De type pré- et post-test : en comparant les performances des élèves avant et après le programme, les équipes de recherche peuvent constater une amélioration de la compréhension du contenu scientifique et des compétences en matière de recherche.
Néanmoins, il y a quelques soucis :
- Plus de la moitié de ces études n’utilisent pas de groupe contrôle, donc n’effectuent pas de comparaison d’efficacité avec une méthode pédagogique différente.
- Lorsqu’il y a des comparaisons (un quart du temps), les groupes sont non équivalents et l’absence de contrôle des variables ne permet pas de tirer de conclusions.
Ces études accumulent les défauts et faiblesses méthodologiques, ce qui ne les empêche pas d’être la source de preuves majeure en faveur de la démarche d’investigation.
Ce qui est réellement mesuré ici c’est l’efficacité du programme en termes de sa capacité à atteindre les résultats d’apprentissage souhaités par les élèves. Elle ne fournit pas de preuves de l’efficacité comparée de ces approches pédagogiques par rapport à d’autres méthodes.
Ces programmes intègrent souvent de nombreux éléments pédagogiques, allant de diverses formes de soutien technologique à des ateliers intensifs de développement professionnel des enseignants. Il est donc douteux que les gains d’apprentissage des élèves puissent être attribués uniquement à l’utilisation d’une approche basée sur l’enquête, plutôt qu’à d’autres facteurs que ces programmes mettent également en œuvre.
Il n’est pas possible de tirer des conclusions concernant l’efficacité des procédures basées sur l’enquête (ou équivalent) par rapport à un enseignement plus explicite avec ce type de recherche.
Par conséquent, la grande majorité des études portant sur l’enseignement des sciences fondé sur l’interrogation ne peuvent servir de preuves à l’appui pour le choix d’approche pédagogique à privilégier.
Les études contrôlées randomisées
Les essais contrôlés randomisés sont considérés comme la seule procédure scientifiquement fiable pour établir une relation causale.
Ce type d’étude n’a pas pour but d’examiner l’efficacité d’un programme dans son ensemble. Il arrive souvent qu’on ne conçoive pas de programmes ou de cursus exemplaires pour inclure simultanément tous les éléments pédagogiques suggérés, tels que les technologies et le développement professionnel des enseignants, pour les tester. Au contraire, la conception de l’intervention se concentre uniquement sur une procédure cible à la fois par rapport aux alternatives.
De telles études contrôlées sont largement disponibles dans le domaine de la psychologie de l’éducation, mais sont souvent ignorées lorsqu’il s’agit d’informer la pratique éducative.
Nous aurions besoin d’au moins quelques études démontrant les avantages de l’apprentissage basé sur l’enquête par rapport à d’autres approches, en utilisant des essais contrôlés stricts et randomisés.
Les études contrôlées en conditions réelles ont dans leur grande majorité, confirmé que les élèves apprenaient mieux le contenu grâce aux diverses formes d’enseignement explicite plutôt que dans le cadre d’une méthode d’investigation.
Grâce à la reproduction des expériences et à leur regroupement sous forme de méta-analyse, il est possible de formuler des recommandations avec une confiance considérable
Une analyse complète de 72 études d’intervention a examiné l’apprentissage par les élèves de la manière de contrôler les variables au cours d’enquêtes (Schwichow, Croker, Zimmerman, Höffler et Härtig, 2016). Ils ont conclu qu’il n’existe aucune preuve soutenant l’affirmation selon laquelle l’enseignement par enquêtes de type exploration permet un meilleur apprentissage.
Un autre examen complet de l’enseignement fondé sur l’enquête (Lazonder et Harmsen, 2016) a conclu que le gain d’apprentissage des élèves ne résultait pas de l’accomplissement de tâches d’apprentissage en agissant comme des scientifiques. Il découlait d’explications directes ajoutées au programme.
Cette tendance n’est pas surprenante. Il existe un nombre considérable de résultats utilisant les théories de la psychologie de l’apprentissage en faveur de l’enseignement explicite lorsqu’on le compare à l’apprentissage basé sur l’exploration.
Une méta-analyse de Loibl, Roll et Rummel (2017) a examiné diverses études portant sur l’approche de la découverte suivie de l’enseignement explicite. Ils ont constaté que cette combinaison ne fonctionne que si l’instruction ultérieure explique spécifiquement et directement les solutions aux apprenants, ce qui est parallèle à ce qui a été suggéré dans l’approche de l’enseignement explicite. En revanche, un certain nombre d’études soutiennent l’efficacité relative l’enseignement explicite en première, soutenant que commencer par des explorations surcharge la mémoire de travail des élèves.
Selon Ashman et ses collaborateurs (2020), les résultats favorisant l’approche de la découverte en premier se produisent si les apprenants sont engagés dans des tâches de faible complexité. En revanche, lorsque les apprenants sont engagés dans des tâches très complexes, l’approche de l’enseignement explicite devrait être relativement efficace.
Bien qu’il y ait eu des désaccords sur l’ordre séquentiel, aucune de ces études ne suggère que l’enseignement explicite est inutile. Au contraire, ces études suggèrent que l’enseignement explicite est essentiel à l’enseignement et à l’apprentissage des sciences.
Malheureusement, il n’est pas rare de constater que les enseignants évitent délibérément l’enseignement explicite dans leurs tentatives de mise en œuvre d’un enseignement utilisant des enquêtes. Par exemple, en observant des leçons où l’on utilise des enquêtes, Furtak (2006) a constaté que les enseignants cachent souvent aux élèves les concepts et les procédures afin de donner la priorité aux enquêtes. Abrahams et Millar (2008) ont également constaté que l’initiation des élèves aux concepts était souvent omise dans l’enseignement qui favorise les enquêtes. Les enseignants pensent que les concepts et les idées émergeront de l’acte d’enquête lui-même.
Les études corrélationnelles
Les études corrélationnelles, ont utilisé de grands ensembles de données, tels que TIMSS et PISA, pour examiner l’efficacité d’une approche d’investigation dans l’enseignement des sciences sur de grandes populations issues d’une variété de pays.
La plupart des études corrélationnelles utilisent des techniques statistiques pour rechercher des corrélations entre des éléments pédagogiques spécifiques et les résultats d’apprentissage des élèves.
Les études corrélationnelles diffèrent des études axées sur les programmes qui se concentrent sur la vérification de l’efficacité des programmes fondés sur l’investigation élaborés par les chercheurs dans leur ensemble. En outre, ces ensembles de données ont tendance à être beaucoup plus importants que ceux utilisés par les études basées sur des programmes. Les études corrélationnelles sont plus objectives que les études fondées sur des programmes.
Les résultats des études corrélationnelles peuvent fournir des informations sur l’efficacité de la diffusion de l’approche d’investigation suggérée par les politiques pour l’enseignement des sciences.
De manière cohérente, ces études, menées sur plusieurs années et dans plusieurs pays, ont révélé que plus les élèves étaient impliqués dans des pédagogies basées sur la découverte, plus leurs performances étaient faibles. Les études corrélationnelles viennent à l’appui des conclusions des études contrôlées randomisées.
Les études corrélationnelles infirment les conclusions positives largement répandues des études fondées sur des programmes. Elles utilisent de grands ensembles de données et ont révélé que plus les élèves étaient impliqués dans des activités d’investigation fondées sur des enquêtes, plus leurs résultats d’apprentissage en sciences baissaient. Ce schéma est apparu au fil des ans et dans plusieurs pays et régions, à différents niveaux de performance scientifique.
Il est important de noter que l’investigation dirigée par les élèves et basée sur l’enquête a été principalement suggérée par les normes mondiales dominantes sur l’enseignement des sciences. Elle a cependant été identifiée comme l’élément pédagogique le moins efficace. Les résultats de l’enquête PISA 2015 (OECD, 2016) sur les facteurs pédagogiques associés à la performance en sciences ont été utilisés. Il a été constaté que le fait d’impliquer les élèves dans diverses étapes d’investigation, telles que l’argumentation sur les questions scientifiques et la réalisation d’investigations, avait des associations négatives.
Il est important de noter que ces études utilisent souvent des données d’enquête pour recueillir les perceptions autodéclarées des élèves sur les expériences d’apprentissage qu’ils rencontrent. C’est différent des interventions strictement conçues et mises en œuvre de manière cohérente dans tous les groupes pour tester les effets causaux. Par conséquent, les études corrélationnelles sont limitées dans leur capacité à affirmer l’existence de relations causales. Elles peuvent toutefois suggérer des facteurs d’intérêt qui peuvent et doivent ensuite être testés dans des études contrôlées ultérieures.
Bilan de la recherche sur l’enseignement des sciences
Les trois catégories de recherche sur l’enseignement des sciences démontrent que différentes formes de recherche en éducation semblent générer des résultats et des conclusions très différents :
- Un soutien à l’enquête en tant qu’approche primordiale est apporté par les études basées sur des programmes initiés sur le terrain.
- Des résultats écrasants remettant en question la pédagogie basée sur l’enquête sont obtenus dans les études contrôlées.
- Des associations négatives constantes sont indiquées avec la pédagogie basée sur l’enquête dans les études de corrélation.
Pourtant, dans les normes habituelles de programmes en sciences, seule la méthodologie des études fondées sur des programmes est suivie. Il apparait qu’ignorer les deux autres se fait détriment de l’apprentissage des élèves.
Cependant, aucune des trois catégories de recherche discutées ne devrait être rejetée ou utilisée exclusivement lors de la détermination d’approches pédagogiques. Toutes peuvent apporter des informations utiles.
Toutefois, comme le soulignent Zhang et ses collègues (2021), l’objection à une conception expérimentale scientifiquement rigoureuse est particulièrement ironique dans le domaine de l’enseignement des sciences. En effet, les conditions contrôlées et les tests équitables sont largement mis en avant dans l’introduction des méthodes scientifiques aux étudiants.
Mis à jour le 17/11/2023
Bibliographie
Zhang, L., Kirschner, P. A., Cobern, W. W., & Sweller, J. (Online November 6, 2021). There is an evidence crisis in science educational policy. Educational Psychology Review. https://doi.org/10.1007/s10648-021-09646-1
Schwichow, M., Croker, S., Zimmerman, C., Höffler, T., & Härtig, H. (2016). Teaching the control-of-variables strategy: A meta-analysis. Developmental Review, 39, 37–63.
Lazonder, A. W., & Harmsen, R. (2016). Meta-analysis of inquiry-based learning: Effects of guidance. Review of Educational Research, 86(3), 681–718.
Loibl, K., Roll, I., & Rummel, N. (2017). Towards a theory of when and how problem solving followed by instruction supports learning. Educational Psychology Review, 29, 693–715.
Ashman, G., Kalyuga, S., & Sweller, J. (2020). Problem-solving or explicit instruction: Which should go first when element interactivity is high? Educational Psychology Review, 32, 229–247. doi:10.1007/s10648-019-09500-5
Furtak, E. M. (2006). The problem with answers: An exploration of guided scientific inquiry teaching. Science Education, 90(3), 453–467.
Abrahams, I., & Millar, R. (2008). Does practical work really work? A study of the effectiveness of practical work as a teaching and learning method in school science. International Journal of Science Education, 30(14).
OECD. (2016). PISA 2015 Results (Volume II). Policies and Practices for Successful Schools. Paris: OECD Publishing.
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