lundi 9 janvier 2023

Concevoir une évaluation sommative constructive

Une évaluation peut jouer un rôle à la fois formatif et sommatif. Les apports de l’évaluation évaluative ont bien été explorés. Cependant, la manière d’aborder l’évaluation sommative de manière constructive manquait, c’est ce que propose Raphaël Pasquini dans son livre « Quand la note devient constructive » (2021) dont voici une première exploration.

(Photographie : Andrei Grigorev)




Un clivage marqué à dépasser entre partisans et opposants aux notes


L’évaluation formative est naturellement associée à la rétroaction. Elle fait l’objet de débats qui portent sur son efficacité pour l’apprentissage et sur ses enjeux pour la responsabilisation des élèves.

Ces débats sont bien plus marqués et tranchés avec l’évaluation sommative qui est intrinsèquement associée à la notion de note quantitative.

Depuis plus d’un siècle, un débat tranché fait rage entre partisans et opposants aux notes avec peu d’avancées.

Selon les opposants des notes, soutenus par une foisonnante littérature en sociologie et en sciences de l’éducation, celle-ci développe notamment les effets négatifs suivants :
  • Les notes sont un moyen de contrôle des élèves : 
    • L’usage des notes est un levier de pouvoir pour l’enseignant sur sa classe. Les notes sont parfois vues comme un salaire de l’élève selon qu’il apprend bien et qu’il répond aux attentes de son enseignant.
    • Le poids excessif joué par les notes s’accompagne d’une forme de marchandisation de l’apprentissage. Lorsque chaque activité d’apprentissage lui parait notée, l’élève finit par considérer l’école comme une course d’obstacles plutôt qu’un lieu où l’on apprend et progresse. 
  • Les notes sont un outil de classement des élèves :
    • Les notes chiffrées sont utilisées au service d’une compétition entre élèves qui contribue à l’exclusion sociale et au renforcement de stéréotypes.
    • L’usage des notes est un facteur de stress et d’anxiété qui a un impact négatif sur les apprentissages et la motivation des élèves.
    • Les notes sont un outil au service d’une logique méritocratique et de la ségrégation scolaire. À ce titre, l’usage des notes constitue un outil de reproduction sociale.
Les pratiques qui correspondent à ces arguments ont été bien documentées par des chercheurs. Elles sont malheureusement encore trop présentes. Souvent, dans les faits, la note qui accompagne l’évaluation sommative lorsqu’elle se limite à une valeur chiffrée ou équivalente (symbole, lettre ou couleur) ne délivre aux élèves aucune information intéressante et concrète sur leurs apprentissages. 

Selon cette perspective, supprimer les notes, abandonner les notes permettrait de résoudre du moins en partie les problèmes précités.

Selon les partisans des notes, leur usage présente les avantages suivants :
  • Les notes permettent d’envoyer un message clair aux élèves ou à leurs parents, ce message est d’autant plus riche que les notes sont à haute valeur informationnelle sur la maitrise des objectifs d’apprentissage.
  • Les notes favorisent l’émulation, certains élèves vont travailler pour obtenir une bonne note. Elles motivent les élèves à se dépasser dans la mesure où elles influencent positivement leur auto-efficacité. 
  • La note prépare les élèves aux exigences de l’enseignement supérieur et du monde professionnel, elle responsabilise les élèves.
Selon cette perspective, supprimer les notes participerait à biaiser les relations entre les parents et l’école et correspondrait à une baisse du niveau d’exigence. 

Si nous voulons dépasser cette opposition, il est utile de croiser dans le contexte de l’évaluation les apports et les données probantes de divers champs de recherche. Nous devons pouvoir passer au-delà de biais et de croyances parfois infondées, mais tenaces, qui ralentissent ou bloquent des changements de fond.



La logique de construction de la note


Les impacts négatifs de la note, potentiels et avérés ont été bien documentés par des générations de chercheur. En même temps, les systèmes éducatifs ne peuvent se passer de l'usage de la note, ce qui nous conduit à la recherche d'un consensus auour de bonnes pratiques liées à leur usage.

L’OECD (2012) fait le constat que l’évaluation scolaire se réduit le plus souvent à passer une épreuve aboutissant à une note. 

Toutefois les systèmes éducatifs, si nous prenons l’exemple du secteur francophone, tentent d’évoluer. Du Québec à la Wallonie, en passant par la Suisse romande et la France, de multiples tentatives ont visé à remplacer les notes chiffrées par d’autres codes. Elles n'ont pas mené à des impacts et à des changements manifestes.

Souvent, la transition vers des bulletins ou les points sont remplacés par des explications verbales crée plus de difficultés qu'elle n'apporte de solution. En effet de nombreux parents ne possèdent pas les codes scolaire pour se rendre compte des résultats de leurs enfants lorsqu'ils sont verbalisés. Les parents restent attachés à la note, qui leur parle et envoie un message clair et gradué sur la réussite ou l'échec.

Les enseignants eux-mêmes rencontrent des défis face à ces tentatives de changements. Des écoles peuvent modifier leurs systèmes de notes. De multiples systèmes ont été explorés :
  • Des notes chiffrées sur 6, 10, 20, 100 ou même 1000.
  • Des systèmes de couleurs.
  • Des grilles d’énoncés lié à des critères de réussite
  • Des appréciations ou des commentaires
  • Des cotes alphabétiques  :A, B, C, D, E, ou F)
  • Etc.
Cependant, une large partie du corps enseignant a tendance à fonctionner de la même manière en transposant les nouveaux codes en chiffres (Kohn, 2011). Parallèlement les élèves et leurs parents s'emploient à la traduction inverse en estimant à quelle note chiffrée un tel résultat correspondrait.

Le mode de communication de la notre peut changer en apparence. Toutefois, la logique des notes tend à rester intacte de manière sous-jacente. Les mécanismes de la construction de la note doivent nous intéresser dans une logique d'amélioration du système, de même que la modèle sur lequel elle repose pour rendre compte des apprentissages.

Les enseignants ont une relation ambiguë avec la note. Ils sont chargé de l'apprentissage et de son évaluation. Ils se méfient d'autant plus des notes qu’ils ont des difficultés à s’en passer. L'utilisation des notes représente un pouvoir qui leur échappe en partie et une charge de travail et de responsabilités qui reposent sur leurs épaules. 



Le constat nuancé de l’OCDE (2013) sur l’usage de la note


Consécutivement à l’analyse de résultats de tests internationaux (PISA), l’OCDE (2013) reconnaît l’omniprésence de la note ainsi que son potentiel effet néfaste sur la motivation et les apprentissages des élèves.

Elle relève également que la notation peut être constructive lorsqu’elle respecte les principes suivants : 
  • Les notes doivent se baser sur des critères clairs et spécifiques pour permettre d’évaluer la réalisation d’objectifs prédéfinis. 
  • Les notes doivent communiquer des informations claires et utiles dans le but de promouvoir l’apprentissage. 
  • Tous les exercices d’évaluation rendus aux élèves ne doivent pas nécessairement être accompagnés d’une note. 
  • Les notes ne servent pas à juger un comportement ou une écriture :
  • Le cas échéant, une distinction est faite entre les notes relatives au comportement et celles relatives à l’apprentissage visé. 
  • Les notes ne doivent pas être utilisées pour pénaliser les élèves ayant rendu un travail inachevé ou en retard. 
  • Les notes ne doivent pas se baser sur une comparaison susceptible de créer une concurrence malsaine et de réduire la motivation. 
  • Une très mauvaise note peut démoraliser un élève et le décourager de poursuivre ses efforts. 
  • Si nous prenons ces recommandations en compte, il parait envisageable de concevoir la note comme un outil au service des apprentissages des élèves, quel que soit le contexte où elle intervient.



Élaborer une conception constructive de la note


Dans ses différents travaux, et plus directement dans son livre, Raphaël Pasquini (2021) élabore toute une réflexion sur la conception de la note, dont voici quelques éléments clés :
  • Il importe de reconnaître :
    • La complexité des pratiques de notation en lien qui ont lieu dans les écoles, en lien avec les contextes dans lesquelles elles s’inscrivent. 
    • Les difficultés liées aux relations ambiguës avec la note que l’on trouve :
      • Dans les pratiques du corps enseignant
      • Dans les rapports des élèves avec les dimensions de la compétition ou de l’anxiété
      • Dans les attentes et les inquiétudes potentielles des parents. 
  • Il importe d’aller au-delà de la simple question de savoir s’il faut être pour ou contre les notes : 
    • Cette opposition est surannée. Elle est peu constructive et n’a pas pu être résolue de manière convaincante jusqu’ici, malgré de nombreuses tentatives. 
    • Dès lors, Le réel enjeu se trouve dans la compréhension des conditions nécessaires à l’élaboration d’une note à haute valeur informative. 
Raphaël Pasquini (2021) avance deux idées clés sur cette note à haute valeur informative, qu'il appelle notre constructive, en lien direct avec les pratiques des enseignants : 
  • Étant donné que la note est un élément incontournable de la vie scolaire :
    • Son élaboration doit s’articuler en cohérence avec les processus d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation, selon un alignement curriculaire élargi.
    • La note doit se référer à l’apprentissage, être qualitative et à haute valeur informative. 
    • La note doit être en mesure de fournir à tout acteur du système des informations pertinentes et précises :
      • Sur les acquis des élèves
      • Sur les lacunes des élèves.
  • Pour y parvenir, il introduit le concept de note constructive, comme objet de développement professionnel pour les enseignants : 
    • Pour les enseignants, l’enjeu est d’aboutir à l’élaboration de notes constructives :
      • La note constructive représente l’information la plus concrète que les élèves peuvent obtenir sur le bilan de leurs apprentissages (Guskey et Link, 2019).
    • Cette note constructive peut se développer dans les classes et dans les différentes matières, par le biais d'un processus de formation des enseignants et de développement ciblé de leurs compétences professionnelles :
      • Visant l’appropriation pratique d’apports théoriques sur l'évaluation et par un questionnement réflexif en contexte.
      • Incluant des temps de travail collaboratif, une pratique délibérée et un accompagnement pédagogique.


Un déficit de compétences dans l’usage des notes chez les enseignants


En tant qu’anciens élèves, nous avons tous des souvenirs liés à la note. Les enseignants sont habités par ces expériences, raison pour laquelle ils sont profondément influencés par leur propre histoire lorsqu’ils notent. 

Comme Pasquini (2021) le met en évidence, des travaux de recherches nombreux mettent en évidence que les pratiques de notation sont le plus souvent idiosyncrasiques, issues de l’expérience et, plus gravement, très peu référées aux apprentissages.

La difficulté de la note viendrait des incohérences de ses modes de construction et d’exploitation par le corps enseignant. Le corps enseignant manifeste un manque de compétences et de connaissances manifeste pour évaluer et noter de manière cohérente.

Il apparait par conséquent primordial de mettre à disposition du corps enseignant des apports théoriques et pratiques qui s’inspirent des réalités de la classe et qui leur parlent.



Délimiter le rôle de l’évaluation sommative et de la note


Selon Hadji (2012), dans le parcours scolaire d’un élève, l’évaluation sommative est omniprésente et s’inscrit dans une idéologie le plus souvent éloignée d’une recherche de développement de la personne.

Nous manifestons une double attitude de rejet et d’adhésion vis-à-vis de l’évaluation sommative :
  • Elle nous rassure, car elle nous donne des repères, un cadre temporel et nous fixe des objectifs.
  • Elle est source de stress et d’anxiété, et liée à la possibilité d’un échec. 
  • Elle donne une valeur qui mélange les apprentissages, les capacités, les attitudes et les efforts consentis.

Dans le cadre de l’enseignement, l’évaluation sommative est toujours en ligne de mire et cette omniprésence s’accompagne de défauts dans son élaboration : 
  • L’évaluation ne mesure pas toujours ce qu’elle veut évaluer.
  • L’évaluation peut être est mal instrumentée, les évaluateurs peuvent manquer de connaissances dans le domaine des méthodologies d’évaluation. 
  • La finalité et le sens de l’évaluation notée ne sont pas toujours perceptibles. 

L’évaluation sommative court le risque de devenir un outil au service d’une entreprise qui dépasse son but premier, et pour lequel elle va servir d’alibi ou de prétexte. 

L’évaluation sommative notée se retrouve à jouer plusieurs rôles à l’école qui se conjuguent fréquemment et sont le fruit de mécanismes le plus souvent inconscients :
  • Elle permet le maintien d’une interaction vivable en classe entre le corps enseignant et les élèves où le premier peut rester le détenteur du savoir et les seconds percevoir qu’ils peuvent apprendre avec lui.
  • Elle peut également devenir le levier d’une forme de pouvoir qui assied l’autorité de l’enseignant, qui récompense ou sanctionne.
  • Elle prétend assurer le maintien d’un niveau de travail scolaire élevé. 
  • Elle est au service d’une motivation extrinsèque où les élèves travaillent pour la note et seulement pour elle.
  • Elle favorise alors une logique de récompense et de performance. Elle va inclure d’autres dimensions non liées aux apprentissages comme le comportement et les efforts des élèves.
  • La note conforte les enseignants dans l’idée de stabilité des compétences scolaires des élèves : le mauvais élève est voué à le rester, le brillant à confirmer sa réussite.
  • Elle permet d’orienter le parcours scolaire des élèves.
  • Les enseignants rendent des comptes à l’institution scolaire à travers la note. 

Lorsqu’elle vise à remplir tous ces rôles, la note devient omniprésente, parfois au détriment de l’enseignement et de l’apprentissage. 

Cette conception de l’évaluation sommative notée est par conséquent inadéquate pour le rôle que nous souhaitons lui voir jouer, celle d’une évaluation sommative constructive. 

La recherche va plébisciter une autre conception de la note scolaire :
  • L’évaluation sommative doit être construite sur base d’un raisonnement pédagogique. 
  • L’évaluation sommative doit avoir pour rôle majeur de fournir des informations pertinentes sur les apprentissages des élèves. 



Considérer les facteurs de construction de la note 


Nous devons analyser la qualité des conditions de production de la note. Il importe dès lors de s’intéresser aux questions de l’élaboration des notes.

Nous devons également tenir compte d’autres facteurs comme :
  • La culture de l’établissement
  • La matière considérée (et son programme)
  • Le niveau et le milieu socio-économique des élèves

Tous ces éléments sont susceptibles de jouer un rôle considérable sur la manière dont la note est élaborée.

Un autre facteur est aussi le niveau d’exigence de l’évaluateur, ses valeurs, ses émotions, son niveau de connaissances didactiques, pédagogiques et évaluatives et sa capacité à prendre en compte les prescriptions. Tous ces facteurs sont susceptibles d’infléchir le plus souvent négativement l’élaboration des notes.

Une fois les notes constituées, nous devons nous intéresser aux différentes techniques de manipulation, d’agrégation et aux utilisations liées aux notes. Comment les enseignants traitent et mobilisent-ils toutes les notes récoltées sur leurs élèves pour aboutir à des décisions les concernant ?

Tous ces facteurs sont à prendre en compte, mais pas pour eux-mêmes. Il convient plutôt de se centrer sur les trois objectifs pédagogiques principaux de l’évaluation sommative (Carey et Carifio, 2012) :
  • Fournir un retour d’information formatif aux élèves et aux parents dans le but d’informer les élèves au cours du processus d’apprentissage. 
  • Donner des informations aux enseignants pour leur permettre de planifier les apprentissages à poursuivre et à la direction sur le fonctionnement de l’école.
  • Témoigner et certifier que les élèves ont effectivement maîtrisé les compétences requises et sont prêts à accéder à des niveaux d’apprentissage plus élevés ou à d’autres possibilités extérieures.

Mis à jour le 07/11/2023

Bibliographie


Raphaël Pasquini, Quand la note devient constructive, 2021, Presses universitaires de Laval 

Organisation for Economic Cooperation and Development (OECD) (2012). Grade Expectations: How marks and education policies shape student’s ambitions. PISA, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264187528-en 

Guskey, T. R. et Link, L. J. (2019). Exploring the factors teachers consider in determining students’ grades, Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 26 (3), 303-320. https://doi.org/10.1080/0969594X.2018.1555515 

Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) (2013). Les grandes espérances : Comment les notes et les politiques éducatives façonnent-elles les aspirations des élèves ? Éditions OCDE https://www.oecd.org/pisa/pisaproducts/pisainfocus/pisa%20in%20focus%20n°26%20 (fra) --Final.pdf 

Kohn, A. (2011). The case against grades. Effective Grading Practices, 69(3), 28–33. Koretz, D. (2017). The testing charade: Pretending to make schools better. University of Chicago Press.

Hadji, C. (2012). Faut-il avoir peur de l’évaluation ? De Boeck. 

Carey, T. & Carifio, J. (2012). The minimum grading controversy: Results of a quantitative study of seven years of grading from an urban high school. Educational Researcher, 41 (6), 201–208. https://doi.org/10.3102/0013189X12453309 

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