dimanche 29 janvier 2023

Diversité des facteurs mobilisés par les enseignants pour déterminer les notes de leurs élèves

Quels sont les facteurs pris en compte par les enseignants pour déterminer les notes qu’ils inscrivent sur les bulletins scolaires des élèves ? Est-ce que ces facteurs varient en fonction du niveau scolaire des élèves et des années d’expérience des enseignants ?

(Photographie : Sarah Pannell)



Pour répondre à ces questions, Guskey et Link (2019) ont interrogé 943 enseignants de la maternelle à la fin du secondaire dans cinq districts scolaires d’un État du sud-est des États-Unis. Ils ont procédé par une enquête sur les pratiques de notation. Voici un compte-rendu de leur recherche.



La variabilité et le manque de validité des notes


Les notes sont utilisées par les enseignants pour décrire la performance des élèves à l’école et être rapportées dans les bulletins scolaires. Elles sont depuis longtemps considérées par la recherche dans le domaine comme des exemples de mesures peu fiables (Brookhart, 1993). 

De nombreuses études montrent que les enseignants varient considérablement dans les critères qu’ils mobilisent pour attribuer les notes. 

Même dans les écoles où des politiques établies proposent des lignes directrices pour la notation, les pratiques de notation peuvent varier considérablement entre les enseignants d’un même niveau scolaire ou d’une même matière (McMillan, 2001).
 
Malgré leur manque de fiabilité avéré et leur utilisation très variée par les enseignants, les notes restent le principal indicateur des résultats scolaires des élèves, ce qui pose la question de leur validité. 

En tant que telles, elles servent de base à la prise de nombreuses décisions importantes concernant le futur des élèves. Les notes des bulletins scolaires déterminent en grande partie si les élèves passent ou non d’un niveau scolaire à l’autre et vers quels types de filières d’études ils vont se diriger. 



Facteurs externes à la maitrise scolaire influençant l’établissement des notes


Différentes études empiriques référencées par Guskey et Link (2019) se sont basées principalement sur des enquêtes sur les pratiques de notation des enseignants. Elles révèlent que la plupart des enseignants utilisent une combinaison d’éléments cognitifs et non cognitifs pour établir les notes des élèves. C’est-à-dire que des éléments autres que la qualité de la production vont intervenir dans la note établie.

Des éléments tels que la perception de l’effort des élèves et le jugement professionnel des enseignants sur les capacités des élèves interviennent dans la détermination des notes. 

Le terme facteur comprend les différentes sources de preuves que les enseignants prennent en compte et les jugements spécifiques qu’ils portent pour déterminer les notes attribuées aux élèves. 

McMillan (2001) par exemple a fait la distinction entre les preuves de la réussite scolaire des élèves et la prise en compte par les enseignants de différents :
  • Facteurs scolaires :
    • L’effort
    • Les habitudes de travail
    • L’attention en classe
    • La participation en classe
  • Facteurs personnels :
    • Personnalité des élèves
    • Comportement des élèves en classe

Dans ses recherches, McMillan (2001) a mis en évidence que les facteurs scolaires étaient plus importants pour les enseignants dans l’attribution des notes que les facteurs personnels. Ce résultat a été reproduit dans d’autres études (Duncan et Noonan, 2007 ; McMillan et coll., 2002). 



Danger de l’influence des facteurs externes à la maitrise scolaire dans l’établissement des notes


L’ensemble des facteurs sont comptabilisés par les enseignants de diverses manières en une seule note amalgamée, qui mélange les résultats et d’autres facteurs liés à l’effort, au comportement, aux attitudes et à l’amélioration. 

La structure d’influence multidimensionnelle des notes peut être mise en lien avec la conviction des enseignants que la réussite scolaire inclut conceptuellement les comportements qui soutiennent et favorisent l’apprentissage.

Dans ce cadre, Randall et Engelhard (2010) ont constaté que les croyances des enseignants quant aux comportements qui favorisent le mieux l’apprentissage sont importantes. Elles influencent leurs attributions des notes, en particulier lorsqu’il s’agit de déterminer les notes limites.

L’importance accordée à ces comportements dans la détermination des notes des élèves varie considérablement d’un enseignant à l’autre, même s’ils ont des missions d’enseignement similaires au sein d’une même école. Par ailleurs, des recherches antérieures ont montré que les différences entre matières sont relativement modestes ou inexistantes.

Le danger lié à cette confusion de notation apparait dans le contexte d’évaluations à enjeux élevés dont l’objet devrait être de mesurer uniquement la maitrise scolaire des élèves. Avec la même quantité d’apprentissages un élève peut réussir et un autre peut échouer en fonction de facteurs personnels ou scolaires indépendants. De même suivant l’enseignant qui détermine la note, un même élève peut réussir chez l’un et échouer chez l’autre. 

Cette combinaison de variables relatives aux résultats de l’élève et aux processus peut produire une pollution des notes. Dès lors, les notes des élèves ne représentent pas exactement la maitrise de l’enseignement. Cela limite pour les élèves, les familles et les autres parties prenantes du système éducatif l’obtention d’informations valables concernant les résultats scolaires.



Facteurs déterminant l’approche adoptée par un enseignant dans la prise de facteurs externes pour l’établissement d’une note


Une hypothèse est que ces différentes pratiques de notation résultent, du moins en partie, du manque de formation formelle des enseignants sur la notation et la communication des résultats. La plupart des enseignants ont une connaissance limitée des diverses méthodes de notation ou des effets des différentes approches de notation sur les élèves.

Ainsi, l’absence d’une formation appropriée à l’évaluation peut amener des enseignants même expérimentés à adopter des approches plus traditionnelles de l’évaluation et de la notation. Dans celles-ci, ils tiennent compte non seulement des preuves de la réussite des élèves, mais aussi des preuves de différentes variables de processus. Ils utilisent les devoirs, les évaluations formatives, la participation en classe, etc. pour déterminer les notes des élèves.



Une distinction entre primaire et secondaire en matière de facteurs pris en compte pour l’évaluation de la note des élèves


Les résultats de Guskey et Link (2019) montrent qu’à tous les niveaux scolaires, les enseignants utilisent les preuves de l’apprentissage des élèves comme principal facteur pour déterminer les notes des élèves. 

Néanmoins, les sources spécifiques de preuves externes utilisées par les enseignants varient en fonction du niveau scolaire des élèves.

Les enseignants du secondaire, au niveau du collège et du lycée, ont tendance à accorder plus d’importance aux évaluations sommatives pour déterminer les notes des élèves que les enseignants du primaire.

Les compétences plus avancées en expression orale ou écrite des élèves permettent aux enseignants du secondaire de tirer mieux parti de formats d’évaluation sommative. Au niveau du primaire, de nombreux élèves du primaire ne possèdent peut-être pas encore des niveaux de compétences en lecture et en écriture qui permettent un plein usage d’une évaluation sommative diversifiée.

Les enseignants peuvent de même accorder une importance accrue accordée à des productions ou à un apprentissage autonome à domicile. Cela peut découler de la perception des enseignants du secondaire selon laquelle les élèves plus âgés devraient assumer une plus grande responsabilité à l’égard de leur propre apprentissage. Cette responsabilité se traduit en la réalisation de tâches d’apprentissage en dehors de la classe.

Pour compenser ce déficit lié à l’usage de l’évaluation sommative, les enseignants du primaire vont accorder plus de poids aux résultats des évaluations formatives, aux travaux des élèves et aux observations directes des élèves en classe. 

Ces différences entre les niveaux scolaires s’expliquent sans doute en partie par la pertinence et la validité, en fonction de l’âge, des diverses sources de preuves de l’apprentissage des élèves. Les enseignants du primaire s’appuient dès lors plus sur les expositions ou les démonstrations d’apprentissage des élèves, ainsi que sur leurs observations de la performance des élèves en classe. 



La transition primaire secondaire sous l’angle de l’évaluation notée


Il apparait qu’en lien avec les pratiques de détermination des notes de leurs enseignants, les élèves du primaire prennent part à moins de formes d’évaluation sommative. Par conséquent, ils peuvent arriver au secondaire avec un manque d’expérience face à l’évaluation sommative.

Les enseignants du primaire semblent se fier davantage aux résultats des évaluations formatives pour déterminer les notes. Dans un sens, cela pourrait être préoccupant. En effet, les évaluations formatives devraient être conçues principalement pour offrir une rétroaction pertinente sur les progrès de l’apprentissage aux élèves et aux enseignants et pour guider la correction des difficultés d’apprentissage. Elles ne devraient pas être utilisées pour juger la performance finale des élèves et déterminer les notes.

Lors du passage du primaire vers le secondaire, les élèves seront probablement confrontés à un changement des attentes des enseignants concernant l’évaluation. Dès lors, il semble important que les enseignants apportent un soutien supplémentaire aux élèves lors de cette transition. Les élèves au début du secondaire doivent être bien informés et familiers avec les différentes sources de preuves qui seront utilisées pour évaluer leur apprentissage. 



L’absence apparente du manque d’influence de l’expérience de l’enseignant sur les facteurs qui déterminent les notes


Un résultat important de l’étude de Guskey et Link (2019) est qu’aucune preuve ne montre que les enseignants nouvellement formés ayant moins d’années d’expérience évaluent différemment que leurs collègues plus expérimentés. Ils utilisent tous diverses sources de preuves de l’apprentissage des élèves pour déterminer les notes des élèves. 

Pourtant, les nouveaux enseignants sont plus susceptibles de terminer leurs programmes de formation initiale avec une compréhension plus contemporaine des pratiques d’évaluation efficaces. Plus précisément, ils sont plus susceptibles de connaître les approches d’évaluation équilibrée qui mettent l’accent sur l’intégration des évaluations pour et comme soutien à l’apprentissage dans l’enseignement en classe. 

Les enseignants formés plus récemment sont également susceptibles d’avoir appris les approches modernes de notation fondées sur les normes ou les compétences. Ces approches modernes mettent l’accent sur les notes fondées sur des critères d’apprentissage spécifiques, de sorte qu’elles ont une signification directe et servent les objectifs de communication pour lesquels elles sont prévues.

Il se peut également que les nouveaux enseignants se conforment aux normes de notation préétablies de leurs collègues plus expérimentés ou aux politiques de notation prescrites au sein de leur école. En agissant de la sorte, ils favorisent ainsi la cohérence des pratiques de notation des enseignants au fil du temps. 

Guskey et Link (2019) avancent différentes hypothèses pour expliquer cette absence de différences :
  • Les nouveaux enseignants peuvent se sentir dépassés par les exigences pédagogiques de leurs classes :
    • Ils ne donnent pas la priorité aux approches plus contemporaines de la notation.
    • Ils se contentent de reproduire ce que leurs collègues plus expérimentés ont mis en place au niveau de l’année ou de la matière. 
    • Le contexte d’enseignement peut être un facteur contributif et neutralisant, en ce qui concerne les pratiques de notation des enseignants. 
  • Les nouveaux enseignants peuvent lors de leur formation initiale être sensibilisés aux bonnes pratiques d’évaluation, mais sans en faire personnellement l’expérience :
    • Faute d’expérience personnelle ou de compréhension de l’impact potentiel de ces pratiques, ils risquent de voir peu d’intérêt à les utiliser lorsqu’ils entreront dans la profession. 



Les enjeux de l’amélioration des pratiques d’enseignement liées à l'établissement des notes


Les résultats de cette étude confirment qu’en plus d’utiliser des preuves de l’apprentissage des élèves pour déterminer les notes, les enseignants de tous les niveaux scolaires utilisent également des preuves basées sur des facteurs non cognitifs. Ces facteurs sont généralement liés à des aspects du comportement des élèves. 

Les procédures utilisées par les enseignants pour déterminer les notes de leurs élèves varient considérablement. Les notes attribuées par les enseignants sont généralement basées sur un amalgame de différentes sources de preuves.

Ces résultats sont utiles pour orienter les améliorations liées à l’évaluation et pour aider les nouveaux enseignants à s’aligner sur les recherches contemporaines en matière de compétences en évaluation et de pratiques de notation efficaces. Si les pratiques d’évaluation en classe des enseignants donnaient des résultats fiables et valides, alors de nombreux aspects de ces preuves pourraient représenter des représentations exactes de ce que les élèves ont appris et sont capables de faire. 

Les notes fondées sur de telles preuves peuvent potentiellement servir de base à une communication appropriée et significative des enseignants et des écoles aux élèves et à leurs familles.


Mis à jour le 09/11/2023

Bibliographie


Guskey, Thomas R. and Link, Laura J., “Exploring the Factors Teachers Consider in Determining Students’ Grades” (2019). Educational, School, and Counseling Psychology Faculty Publications. 44. https://uknowledge.uky.edu/edp_facpub/44 

Brookhart, S. M. (1993). Teachers’ grading practices: Meaning and values. Journal of
Educational Measurement, 30, 123–142.

McMillan, J. H. (2001). Secondary teachers’ classroom assessment and grading practices. 
Educational Measurement: Issues and Practice, 20(1), 20–32.

Duncan, R. C., & Noonan, B. (2007). Factors affecting teachers’ grading and assessment practices. Alberta Journal of Educational Research, 53, 1–21. 

McMillan, J. H., Myran, S., & Workman, D. (2002). Elementary teachers’ classroom assessment and grading practices. Journal of Educational Research, 95, 203–213.

Randall, J., & Engelhard, G. (2010). Examining the grading practices of teachers. Teaching and Teacher Education, 26, 1372–1380.

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