mercredi 14 décembre 2022

Observer un cours, analyser l’efficacité et améliorer l’enseignement

Voici un compte-rendu personnel de la manière dont Graham Nuthall traite ces questions dans son livre « The Hidden lives of learners » (2007).

(Photographie : Fabrizio Albertini)




Ne pas confondre l’autonomie de l’élève et l’apprentissage autonome


Les pédagogies actives désignent un ensemble d’approches d’enseignement qui ont à cœur de rendre les élèves acteurs de leurs propres apprentissages. Ce type de pédagogie part du principe que c’est en faisant que nous apprenons. C’est le learning by doing (l’apprentissage par la pratique) qui fait référence à la théorie de l’éducation développée par le philosophe américain John Dewey. L’autonomie de l’élève dans l’activité est promue, de même que la coopération.

Là où nous devons être prudents, c’est que cette autonomie se distingue de celles que nous rencontrons dans le cadre de l’enseignement explicite ou de la science de l’apprentissage. Dans ces approches, c’est l’engagement dans un traitement cognitif signifiant qui prime. L’autonomie y est vue comme une finalité et non comme un moyen.

Dans le cadre d’un enseignement explicite, durant la pratique autonome, les élèves réalisent des tâches seuls et en autonomie. L’enseignant circule dans la classe pour vérifier s’ils rencontrent des difficultés et les aider le cas échéant.

L’apprentissage autonome ou indépendant est une compétence d’un individu capable de penser, d’agir et de poursuivre son apprentissage de manière autonome, sans un soutien direct offert par un enseignant. L’apprentissage autonome repose sur l’usage et la maîtrise d’une panoplie de stratégies cognitives et métacognitives qui bénéficient d’un enseignement explicite dédié et distribué.

À l’opposé, l’autonomie dans l’apprentissage promue par les pédagogies actives prône que les élèves seraient capables dans le cadre d’activités en classe de déterminer ce qu’il est nécessaire d’apprendre. 



Le caractère trompeur de l’autonomie de l’élève


Des élèves peuvent être engagés en classe, montrer de la motivation, collaborer. Nous pouvons estimer qu’ils peuvent gérer leur temps, surmonter les défis et faire aux difficultés. Cependant, rien n’indique que le traitement cognitif manifesté se traduise par un réel apprentissage génératif.

Nous pouvons nous laisser tromper par une classe occupée et active. Dans celle-ci, tous les élèves s’activent avec enthousiasme dans des projets ou des activités qui leur demandent de réfléchir et de résoudre des problèmes par eux-mêmes. De prime abord, cela peut ressembler à une classe efficace. 

Les élèves semblent y faire preuve d’autonomie, d’autorégulation et coopèrent. Nous avons très naturellement envie de considérer les enseignants qui peuvent créer et gérer de telles salles de classe comme d’excellents enseignants. 

Mais cette impression peut être fallacieuse. Nous réduisons alors l’efficacité aux apparences superficielles obtenues par une méthode pédagogique appropriée à générer cet effet.

Selon cette vision de la pédagogie, les enseignants devraient faire travailler leurs élèves en petits groupes dans leurs classes. Les classes ne devraient plus être en rangées, mais placées selon une disposition en ilots, la structure typique d’une classe coopérative. Cette vision de la pédagogie correspond à l’idée que l’enseignant devrait parler peu et les élèves devraient être engagés dans des conversations entre eux au sujet des tâches en cours. 

Toutefois, l’idée de réduire l’évaluation d’une efficacité aux apparences superficielles générées par une méthode est une erreur. Rien ne permet d’assurer qu’un apprentissage efficace a lieu. La recherche en sciences cognitives, et plus particulièrement les apports de la théorie de la charge cognitive montrent qu’il y a tout lieu de penser que cela ne sera pas le cas.

Par conséquent, nous ne devons pas confondre le fait de donner de l’autonomie aux élèves au fait de les laisser construire leurs apprentissages avec beaucoup de degrés de liberté. Au contraire, il convient de proposer aux élèves un enseignement explicite des stratégies liées à l’apprentissage autonome pour leur apprendre à être autonomes.



La variabilité de l’apprentissage des élèves à l’échelle d’une heure de cours


Si nous rentrons dans une classe et que nous observe l’enseignement qui y est prodigué lors d’une heure de cours, nous courrons le risque d’une erreur d’échantillonnage. Cette heure de cours peut ne pas être représentative de l’ensemble du cours.

Un enseignement efficace, et au-delà de cela un enseignant efficace est celui qui entraine à terme le plus d’apprentissages durables chez les élèves considérés. Cependant, les phénomènes observés vont varier d’un jour à l’autre, d’une classe à l’autre, et de temps en temps durant le même cours. Ils recouvrent l’ensemble du cours. La lentille d’une heure de cours est sauf cas extrêmes très partielle. Par conséquent, l’observation d’une heure de cours n’est pas un critère suffisant pour juger de l’efficacité un cours. Tout au plus pouvons-nous y détecter l’une ou l’autre pratique contreproductive.

De plus, chaque élève peut apprendre des choses très différentes dans le cadre des mêmes activités de classe. Une part de l’activité de l’enseignement sera d’égaliser les connaissances des élèves d’une classe au fur et à mesure des cours. L’enseignant doit viser à moyen terme atténuer ces différences qui se créent lorsque de nouveaux contenus sont amenés à court terme, à l’échelle d’une heure de cours.

Ce que nous voyons un enseignant faire avec une classe spécifique peut être très différent de ce que nous verrions le même enseignant faire avec une autre classe, ou un autre jour. Il est très risqué de poser une généralisation à l’échelle d’une heure de cours.

Ce qui est important chez un enseignant efficace, c’est de faire correspondre le type d’enseignement aux besoins et aux circonstances spécifiques de chaque élève.

Nous ne devons pas fonder nos évaluations de l’enseignement en classe à l’échelle de l’heure de cours sur un modèle universel ou un ensemble de modèles de bon enseignement. Nous ne pouvons tout simplement pas le dire en observant une heure de cours. Nous avons besoin de plus de recul.



Renverser la perspective dans l’observation d’un cours


Il y a plus utile que d’observer la performance lors de l’observation d’une heure de cours. L’observation d’une heure de cours permet uniquement de mettre en évidence que des situations où cela se passe mal et où l’apprentissage est peu renforcé. 

Il est plus utile et pertinent de s’intéresser aux questions que l’enseignant pose et la manière dont les élèves y répondent :
  • Dans quelle mesure est-ce que les élèves sont dans les bonnes conditions pour apprendre ? Que pouvons-nous dire des attitudes, de la relation avec les élèves et plus largement du climat de classe ?
  • L’enseignant s’interroge-t-il sur la pertinence et l’utilité de revenir sur ce qui a été fait durant les cours précédents ? Comment s’inscrit-il dans la perspective d’apprentissages durables ? 
  • Comment l’enseignement s’assure-t-il du juste niveau de difficulté de la nouvelle matière de manière à avancer avec tous les élèves ? Quand, comment et avec quelle régularité vérifie-t-il la compréhension de tous ses élèves lors du cours ? 
  • Jusqu’où l’enseignant pousse-t-il ses élèves ? Que peut-il exiger d’eux ? Comment manifeste-t-il des attentes élevées envers tous les élèves de sa classe ? 
  • Comment l’enseignant apporte-t-il de la variation au cours pour maintenir l’engagement des élèves et éviter leur satiété ? Comment maintient-il ses élèves attentifs et engagés face à des défis qui restent à leur portée sans être ni trop faciles ni trop difficiles ?
  • Comment les transitions entre activités sont-elles gérées ? Quelles routines sont visiblement installées, manifestées d’emblée par les élèves ou initiées par l’enseignant ? 
  • Comment l’enseignant s’assure-t-il de donner suffisamment d’exemples ou de contre-exemples avant de passer à la suite ? Comment combine-t-il le verbal et le visuel dans son enseignement ? Est-ce qu’un temps suffisant est laissé au modelage et à la pratique guidée avant la pratique autonome ?
  • Comment l’enseignant accueille-t-il ses élèves en classe, comment prend-il en compte leur état d’esprit ? Quel est son non verbal ? Comment interagit-il avec eux ? Comment circule-t-il dans la classe ? Comment intervient-il en cas de perturbations mineures ?
  • Etc.

Ce qui est accessible en classe au-delà de la performance n’est pas l’apprentissage. Nous ne pouvons pas mesurer l’apprentissage qui a lieu en classe. Par contre, nous pouvons observer et analyser le contexte qui le favorise. Nous pouvons voir ce contexte et les comportements qui en témoignent. Des enseignants professionnellement compétents peuvent être plus ou moins efficaces dans la façon dont ils mettent en place un contexte propice à l’apprentissage.



La difficulté de l’évaluation de l’enseignement sur des données chiffrées


Il semble donc bien exister des éléments observables, comme nous les avons développés plus haut. De plus, nous pouvons également avoir accès aux résultats d’apprentissage des élèves. Cela peut mener certains intervenants à penser que pour rendre les enseignants plus efficaces, nous devons les payer aux mérites ou à l’opposé les sanctionner si les résultats de leurs élèves sont jugés trop faibles. 

Alternativement, si nous développons des méthodes sophistiquées d’évaluation de l’apprentissage des élèves, nous pouvons informer chaque enseignant exactement sur ce que chaque élève apprend et sur les déficits de leur enseignement. Les enseignants disposeraient d’une meilleure référence pour réfléchir à leur pratique et, à partir de là, améliorer la qualité de leur enseignement. 

Il y a de multiples raisons de penser que ces approches basées sur l’évaluation stricte de résultats d’élèves sont impraticables, statistiquement limitée et peu propice à l’amélioration de la qualité de l’enseignement. En effet, ces démarches d’évaluation sommative manquent de nuances, ne nous indiquent en rien comment nous pouvons améliorer la situation. Nous courrons à ce moment-là le risque de faux positifs et de faux négatifs. Les enseignants risquent de rentrer dans une dynamique d’évitement où ils enseigneront leurs élèves à réussir leurs évaluations plutôt qu’à apprendre. Ils risquent également d’orienter leur soutien vers les élèves ayant des résultats tangents pour augmenter leur taux de succès.

En dehors de situation extrême, les tests utilisés pour évaluer les enseignants, les élèves et les écoles présentent un problème inhérent d’échantillonnage. Tant de facteurs entrent en jeu qu’au-delà de difficultés spécifiques et marquées, ils ne sont d’aucune aide pour améliorer la qualité de l’enseignement. Ils ne nous permettent pas de déterminer ce qu’il faut faire pour améliorer l’enseignement.

Les données d’évaluation attribuent des notes chiffrées aux résultats des élèves pour les classer entre eux, les classer entre écoles et décrire leurs apprentissages. 

En matière d’interprétations pour l’enseignement et pour un apprentissage concret, une note chiffrée n’a que peu de sens pratique.

Par exemple si nous prenons deux élèves A et B dans une classe qui ont tous les deux 60 % des points. Nous pouvons en conclure que 40 % des contenus ne sont pas acquis pour chacun. Cependant, cela ne signifie pas que les élèves ont rencontré les mêmes difficultés. Nous pouvons donc recouvrir de 40 à 80 % de la matière non apprise par un élève. 

Rapidement, si nous augmentons le nombre d’élèves considérés, nous tendons vers 100 % de la matière qui n’est pas apprise par l’un ou l’autre élève. De plus, chaque point de matière n’est pas isolable l’un de l’autre. Chaque point de matière présente des dépendances.

De plus, si la note est chiffrée ou est constituée par un commentaire général se pose la question de son interprétation et d’une prise en compte efficace :
  • Si l’enseignant transparait comme efficace dans les résultats de ses classes, il peut dormir sur ses lauriers. Or, il a peut-être une marge de progrès.
  • Si l’enseignant ne transparait pas comme efficace dans les résultats de ses classes, il risque de ne pas savoir comment réagir et ressentir la rétroaction comme culpabilisante et stigmatisante face à d’autres collègues estimés plus efficaces. 

L’évaluation externe qui montre des défaillances peut être l’indicateur de difficultés bien réelles, mais elle n’en est en rien une solution. Elle n’est en rien diagnostique ni formative, mais correspond plutôt à l’idée, qu’enseigner consiste à rendre les élèves performants lors d’une évaluation. Elle se pose en constat, elle éloigne de l’importance de la maîtrise et d’une vision plus globale de l’apprentissage. Elle ne s’intéresse pas aux antécédents.

De plus, les pourcentages et les avis généraux produits par des évaluations officielles peuvent être peu révélateurs des connaissances ou des capacités d’un élève. Elles se fondent selon un classement des élèves le long d’une courbe de Gauss. Ils en disent peu sur les faiblesses des élèves ou sur celles de l’enseignement qu’il a suivi. Ils répondent avant tout à des exigences de gestion administrative.

S’ils permettent d’indiquer quels élèves sont les meilleurs et peut-être quels enseignants et quelles écoles sont les plus performants, cela s’arrête là. Ils ne nous disent pas à quoi ces élèves sont les meilleurs. Elles ne nous disent pas pourquoi ces enseignants et ces écoles se distinguent éventuellement par leur qualité. La plupart des formes actuelles d’évaluation officielle ne répondent pas aux besoins des enseignants ou des élèves et n’ont que peu de pertinence pour un enseignement efficace.



Prendre du recul et développer l’expertise et le professionnalisme des enseignants par la pratique délibérée 


« Dans les réalités de la salle de classe, les méthodes n’existent pas. Chaque enseignant adapte et modifie ce qu’on appelle les méthodes. Les recherches montrent que les enseignants qui pensent utiliser des méthodes différentes peuvent faire essentiellement les mêmes choses, et que les enseignants qui pensent utiliser la même méthode peuvent faire des choses très différentes. » 
Graham Nuthall, The Hidden Lives of Learners


Les méthodes d’enseignement sont le lieu de tensions et de divergences. Nous pouvons prendre comme exemple l’apprentissage de la lecture où méthode globale et méthode syllabique semblent antinomiques. Nous pouvons citer pour les mathématiques l’apprentissage par la résolution de problèmes ou celui par l’étude de problèmes résolus.

Dans un établissement scolaire, les enseignants et les élèves s’engagent dans un ensemble incessamment répété de routines, d’habitudes et d’automatismes pendant chaque journée scolaire. Ces différents comportements appartiennent aux normes et à la culture scolaire.

La nature de ces différents types d’activités varie en fonction des ressources disponibles, de l’âge des élèves, de la matière, de l’enseignant et de ses habitudes. Chacun de ces types d’activités possède une forme acceptée où généralement l’enseignant sert de guide et encadre la progression. 

La journée scolaire ou l’heure de cours sont entrecoupées par des moments d’enseignement en groupe classe et des moments où les élèves travaillent seuls ou en petits groupes. Le groupe classe s’engage régulièrement dans un schéma d’interaction typique selon la séquence question-réponse-commentaire. Ces schémas de fonctionnement se répètent de manière cyclique avec des variations (plus de réponses des élèves, différents types de commentaires) et dans le contexte du cadre informatif fourni par l’enseignant. 

Ces différentes activités en classe correspondent à des pratiques typiques que nous pouvons documenter, analyser et décrire dans une perspective d’apprentissage.

Le terme méthode est une abréviation commode pour parler des pratiques utilisées par l’enseignant. Il est dangereusement trompeur lorsque nous commençons à considérer les méthodes d’enseignement comme l’équivalent de traitements médicaux ou de recette des cuisines. Il conduit à l’idée que nous pouvons comparer les méthodes d’enseignement de la même manière que nous pouvons comparer les effets de différents médicaments ou les résultats de préparations culinaires. 

Cela conduit à l’idée qu’il suffirait de former les enseignants à des méthodes efficaces pour qu’ils les utilisent et en génèrent les bénéfices. 

Or, le travail de l’enseignant est fondé sur des pratiques qui prennent la forme d’automatismes, de routines et de normes. Ces éléments sont résistants au changement. Il n’est pas suffisant par exemple parce qu’un enseignant soit formé brièvement à la pédagogie explicite, qu’il s’approprie le vocabulaire général et qu’il comprenne les idées générales de la méthode. Pour autant, nous n’avons aucune certitude qu’il va effectivement délivrer une pratique qui y correspond. 

L’apprentissage des enseignants demande une pratique délibérée et une forme de coaching pédagogique qui délivre une rétroaction ciblée dans le cadre d’une évaluation formative. Il s’inscrit nécessairement dans la durée avec un cycle de l’amélioration nécessaire.
 
Les traitements médicaments ne changent pas de contenu. Le résultat d’une recette de cuisine ne change pas de goût lorsqu’il passe de la responsabilité d’un cuisinier compétent à une autre. 

Regarder le niveau de la méthode ne suffit pas, nous devons essentiellement passer au niveau granulaire inférieur, celui des pratiques réelles en classe. Cet apprentissage de nouvelles pratiques est la clé de l’amélioration et demande un travail en profondeur et un engagement sur la durée avec rétroaction et collaboration s’il se veut effectif.


Mis à jour le 03/11/2023

Bibliographie


Graham Nuthall, The Hidden lives of learners, 2007, NZCER Press

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