La notion d’apprentissage multimédia paraît intuitivement claire (c’est-à-dire utiliser le visuel et l’écrit, le verbal et l’imagé). Toutefois, la mise en œuvre selon les principes de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia ou du double codage n’est pas toujours simple.
(Photographie : Lydia Anne McCarthy)
L’apprentissage multimédia au cœur des démarches de visualisation, de simulation ou de récupération
La notion de communication multimédia implique une combinaison de différentes formes de contenus intégrés :
- Verbaux : écriture, audio
- Visuels : images, animation, vidéos.
Lorsque nous abordons la notion d’apprentissage multimédia, le terme multimédia peut être compris en matière :
- De médias utilisés pour transmettre l’information
- combinant le son et l’image ou la vidéo
- De mode de présentation par l’enseignant
- comme une projection de documents visuels accompagnant ses explications
- De modalités sensorielles sollicitées chez les apprenants
- comme l’audition et la vision
Un apprentissage multimédia peut être difficile à optimiser et à mettre en œuvre avec succès.
La théorie cognitive de l’apprentissage multimédia propose divers principes liés à la mobilisation d’un apprentissage multimédia qui sont étayés par des preuves empiriques. Toutefois, leur application en contexte de classe n’est pas toujours évidente. Comment l’écrivent Perry et ses collègues (2021), si de nombreuses études sont positives, d’autres montrent des effets faibles ou nuls.
Du côté des apprenants, l’apprentissage multimédia peut se faire par des approches de visualisation, de simulation ou de récupération.
Prenons l’exemple d’élèves de l’enseignement secondaire qui étudient les fonctions quadratiques en mathématiques :
- À partir de l’expression analytique d’une fonction quadratique, ils peuvent en développer la représentation graphique soit à la main sur une feuille de papier, soit à l’aide d’un logiciel graphique.
- Combinant l’observation graphique et l’analyse de l’expression analytique de la fonction, ils peuvent explorer différentes propriétés et des paramètres. Ce sont, par exemple, la concavité, les racines, l’ordonnée à l’origine, les translations horizontales et verticales ou les déformations de la fonction carrée.
- Au fur et à mesure, les élèves apprennent à utiliser l’image mentale d’une fonction quadratique pour visualiser la manière dont elle se présente en combinant les apports d’une expression analytique et d’une représentation graphique.
- Ce faisant, ils développent une vision multimédia intégrée d’une fonction graphique. Elle leur servira lors de la résolution de problèmes, car ils pourront passer de propriétés graphiques à des propriétés analytiques aisément. Ils imaginent le graphique de la fonction et utilisent cette visualisation mentale pour étayer leurs réponses et orienter leur raisonnement.
Les approches spatiales, de visualisation et de simulation aident les élèves à imaginer des contenus d’apprentissage ou des représentations de ceux-ci. Celles-ci sont mobilisées souvent dans le but de simuler, manipuler ou organiser des concepts et des schémas dans le temps ou l’espace.
Dans ce cas ou dans d’autres comme dans un cours de physique, la visualisation est inhérente à l’objectif d’apprentissage.
Dans d’autres cas, la visualisation peut être est utilisée comme une forme de récupération et de répétition. C’est le rôle que peut jouer par exemple un organisateur graphique du système immunitaire ou de la Révolution française. Un organisateur graphique va associer des éléments visuels et verbaux d’une manière qui soutiennent la compréhension et l’apprentissage.
Dans d’autres cas encore, la visualisation sert d’étayage pour la résolution de problèmes ou pour la compréhension de concepts abstraits liés à des exemples visuels concrets. La visualisation est un moyen d’analyser ou d’ancrer un objet d’apprentissage dans la mémoire.
On peut le voir, la dimension multimédia est en réalité omniprésente dans un contexte d’apprentissage.
Le double codage dans la théorie du double codage et ses implications pour l’apprentissage
La théorie du double codage repose sur l’idée que la mémoire de travail possède deux composantes distinctes. L’un traite les informations visuelles et spatiales et l’autre traite les informations auditives. En présentant le contenu sous plusieurs formes, les enseignants peuvent faire appel aux deux sous-systèmes de la mémoire de travail, ce qui renforce l’apprentissage.
Ces deux sous-systèmes de la mémoire de travail ont une nature distincte et spécialisée. Grâce à eux une plus grande quantité de contenu peut être comprise avec plus de richesse lorsqu’elle est transmise par plusieurs formats, sans surcharger la mémoire de travail.
Lorsque les informations peuvent être présentées selon plusieurs modes, les enseignants doivent déterminer quel mode ou quelle combinaison de modes est à privilégier :
- Ce choix doit être souvent dicté par la nature du contenu à apprendre. Il influencera la compréhension conceptuelle et la charge cognitive.
- Les enseignants vont se demander parfois s’ils doivent présenter les informations sous forme de texte, d’images, de diagrammes, d’équations ou d’une combinaison de ces éléments.
- Pour répondre à cette question, les enseignants vont se fonder sur leur connaissance du contenu pédagogique (Shulman, 1986)
L’encodage des informations dans plus d’un mode renforce l’apprentissage :
- Grâce au double codage des informations, les élèves peuvent apprendre et relier les informations à partir de plus d’un mode, ce qui permettait un apprentissage plus profond et plus efficace.
- Mayer et Anderson (1991) ont découvert que la combinaison de mots parlés et d’images (une animation) permettait un meilleur apprentissage que la présentation des mots avant les images ou la présentation des mots ou des images seuls.
- Les informations visuelles et auditives sont traitées dans des sous-systèmes connectés, mais distincts de la mémoire de travail. La présentation des informations dans les deux modes peut fournir des informations plus nombreuses et plus riches sans surcharger la mémoire de travail.
Trois hypothèses fondamentales au cœur de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia
La théorie cognitive de l’apprentissage multimédia s’appuie sur les idées de double codage, de charge cognitive et d’apprentissage génératif. Elle décrit la sélection, l’organisation et l’intégration d’informations multimédias dans des représentations cohérentes et leur combinaison avec les connaissances antérieures d’un individu.
La théorie cognitive de l’apprentissage multimédia repose sur trois hypothèses fondamentales
- Il existe deux canaux distincts pour le traitement des informations :
- Nous possédons un canal visuel et un canal auditif (Baddeley et Hitch, 1974)
- Cette conception est partagée avec la théorie du double codage.
- Chaque canal a une capacité définie :
- L’être humain est limité dans la quantité d’informations qu’il peut traiter dans chaque canal à un moment donné.
- Cette dimension est en lien avec le concept de charge cognitive.
- L’apprentissage est un processus actif qui consiste à traiter avec ces informations. Les humains s’engagent dans un apprentissage actif :
- En sélectionnant les informations entrantes pertinentes par le biais de l’attention.
- En organisant les informations sélectionnées en représentations mentales cohérentes dans leur mémoire de travail.
- En intégrant les représentations mentales par la création de liens à d’autres connaissances antérieures pertinentes activées dans la mémoire à long terme.
Parallèlement aux apports de la théorie du double codage et de la théorie de la charge cognitive, les principes issus de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia amènent les enseignants à poser des choix judicieux dans la conception de leurs supports pédagogiques. Pour ce faire, les enseignants doivent poser des hypothèses sur la manière dont les caractéristiques de leurs supports pédagogiques affecteront la charge cognitive et l’apprentissage des élèves.
L’importance du caractère représentatif et informatif des images
L’usage de représentations multimédia, sous forme de diagrammes et illustrations visuelles s’applique à bon nombre de matières. Il peut être intéressant comme nous allons le faire de distinguer les notions :
- Le diagramme considère comment les concepts sont structurés ou organisés.
- L’illustration est avant tout un exemple visuel.
Lindner et ses collègues (2017) ont examiné les effets des images représentatives sur les performances en mathématiques auprès d’élèves de 10-11 ans. Tous les élèves ont répondu à 36 questions scientifiques manipulées qui contenaient (texte-image) ou non (texte seul). Les images représentatives permettent de visualiser les informations textuelles de la question. Chaque élève a travaillé sur les deux types d’items du test.
Les résultats indiquent que :
- Les images représentatives ont amélioré les performances de tous les élèves pour toutes les questions de manière comparable (effet multimédia dans les tests)
- Les images représentatives ont le potentiel d’accélérer la vitesse de traitement des questions.
- La présence d’images représentatives a réduit les taux de comportement de devinette des élèves dans une mesure significative (c’est-à-dire une fonction de motivation). Les élèves réfléchissent plus et choisissent moins leurs réponses au hasard grâce à la présence d’images représentatives.
Lindner et ses collègues (2020) ont étudié l’influence des images représentatives et décoratives sur les performances en mathématiques et en sciences auprès d’élèves de 11-12 ans. Tous les élèves ont répondu à 36 questions scientifiques manipulées. Celles-ci contenaient soit une image informative, soit une image décorative, soit aucune image.
Les résultats indiquent que :
- Les images informatives améliorent la performance des élèves, leur perception de la facilité et le plaisir qu’ils éprouvent à faire des tests, tant en sciences qu’en mathématiques.
- Les images informatives ont augmenté le temps consacré à la tâche en mathématiques, mais pas en sciences.
- Les images décoratives n’ont pas eu d’effet significatif sur la performance des élèves, le plaisir de faire le test ou la facilité perçue. Elles ont réduit le temps consacré à la tâche dans les questions de mathématiques.
La mobilisation de représentations visuelles dans l’enseignement
De manière intuitive naturelle, en ce qui concerne le double codage, les enseignants ont toujours illustré les concepts ou les idées par des images ou des illustrations.
La représentation visuelle peut être fournie par l’enseignant ou produite par l’apprenant.
L’utilisation de représentations visuelles et d’illustrations implique que l’enseignant présente aux apprenants, ou leur demande de créer une représentation visuelle qui symbolise, illustre ou représente des aspects du contenu de l’apprentissage.
Cette démarche implique l’introduction d’informations visuelles supplémentaires pour une tâche ou un concept qui pourrait potentiellement être appris sans ce visuel.
Deux questions se posent alors :
- Faut-il fournir ou demander aux élèves de créer une représentation visuelle ?
- Cette représentation visuelle va-t-elle faciliter l’apprentissage ?
Les données probantes suggèrent que les aides visuelles sont le plus souvent utiles pendant l’apprentissage, mais qu’elles n’ont souvent aucun effet et peuvent parfois être nuisibles.
Les enseignants doivent réfléchir soigneusement à la façon dont ils utilisent les représentations visuelles pour soutenir l’apprentissage de leurs élèves dans un contexte d’enseignement.
Différents éléments d’attention expliquant l’hétérogénéité des résultats sont notamment :
- La distinction entre deux types d’images : décoratives et informatives. En veillant à ce que les images soient informatives plutôt que décoratives, nous nous assurons qu’elles soient susceptibles de soutenir l’apprentissage et qu’elles n’alourdissent pas inutilement la charge cognitive.
- Il peut être simple d’inclure des illustrations dans les supports d’enseignement pour les rendre attrayants. Il est plus difficile de mettre en œuvre ces approches de manière à ce qu’elles aient une plus-value en matière d’information représentative pour les élèves.
- L’adéquation des images aux apprentissages visés et au niveau des élèves dépend :
- Du contenu des autres modes d’information et de leur complémentarité.
- De la manière dont l’image est mobilisée par l’élève.
- Des connaissances préalables de l’élève
- De la charge cognitive globale.
L’utilisation de diagrammes implique que les apprenants se voient présenter ou créent une image qui représente ou organise le contenu de l’apprentissage ou les informations du processus de manière schématique.
Dans la plupart des cas, la représentation schématique est un objet d’apprentissage à part entière. Le diagramme va au-delà de l’illustration pour représenter des concepts ou des phénomènes pertinents. Le diagramme met en évidence la manière dont les informations sont organisées ou structurées de manière plus directe qu’un texte continu.
Par exemple, lors de l’apprentissage du cycle de l’eau, les élèves se voient présenter des diagrammes avec des légendes et des informations sur les processus qui illustrent les différentes étapes du cycle :
- L’évaporation est montrée à travers une illustration de l’eau qui monte de la mer vers les nuages, tandis qu’un rayon du soleil brille sur la mer.
- Une flèche illustre la direction du cycle.
- Une note explique que l’évaporation est causée par la chaleur de l’énergie solaire et se produit dans l’eau des lacs, des rivières, des océans et sur la terre.
En général, dans le cadre de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia, les diagrammes sont souvent opposés aux représentations textuelles de l’information. L’usage de diagrammes incomplets ou à reproduire de mémoire peut également être mobilisé dans la cadre d’une pratique de récupération.
De nouveau, nous retrouvons cette séparation entre le fait de réaliser ces diagrammes ou leur exploitation dans un but d’apprentissage.
Il est important que l’usage ou la création de diagrammes se fasse avec précision. Il est possible, par exemple, que des diagrammes inexacts renforcent des idées fausses.
Les preuves de la recherche suggèrent que les diagrammes lors de l’apprentissage sont le plus souvent utiles, mais qu’ils peuvent également n’avoir aucun effet et peuvent parfois être contreproductifs.
Toutefois, des données probantes suggèrent également que les diagrammes ont tendance à être plus utiles aux élèves plus âgés pour soutenir l’apprentissage de contenus plus complexes en mathématiques et en sciences.
Mettre en œuvre le double codage et les principes de l’apprentissage multimédia, un challenge
Les données probantes actuelles apportent peu de réponses à l’évaluation de l’efficacité de telles stratégies. Il y a peu d’indications dans le cadre de la recherche sur la manière dont les enseignants pourraient appliquer ces approches de manière générale avec succès en classe. Avant de se lancer, les enseignants doivent examiner attentivement la manière dont la stratégie de visualisation est utilisée. Par exemple, est-elle inhérente au sujet, ou s’agit-il d’une méthode de récupération ou d’étayage ?
Si dans l’ensemble, ce domaine est prometteur, les preuves sont insuffisantes pour juger de l’efficacité générale de stratégies appartenant à ce domaine.
Le succès de la présentation multimédia de l’information est susceptible d’être affecté par de multiples mécanismes cognitifs, parfois contradictoires, comme :
- Les connaissances préalables de l’apprenant
- Sa capacité à traiter l’information
- Le transfert par rapport à la rétention de l’apprentissage
- La mémorisation immédiate par rapport à la mémorisation différée
- La redondance potentielle de l’information
- Le lien entre l’information transitoire et la durée de la présentation.
L’application réussie du double codage n’est pas simple. Les enseignants doivent prendre en compte et équilibrer les contributions de multiples principes.
Une autre complexité est la distinction entre :
- Le mode de présentation : mots ou images dans les ressources pédagogiques
- Le mode de mémoire sensorielle mobilisée : la vision ou l’audition
- Le mode de représentation des données dans la mémoire de travail.
Comme l’explique Mayer (2021), les images visuelles peuvent être mentalement converties en informations sonores et vice versa. L’image d’un chat peut nous amener à entendre mentalement le mot « chat ». Le mot écrit « chat » peut également produire une information sonore, ou peut-être l’image visuelle d’un chat, et ainsi de suite.
Ce phénomène, conjugué à l’effet d’information transitoire, semble rendre difficile, dans la pratique, de savoir dans quelle mesure une présentation multimédia particulière produira une charge cognitive dans la boucle phonologique ou le carnet visuospatial.
Dans des situations réelles de classe, les effets sont susceptibles de dépendre du contenu de l’apprentissage ainsi que des apprenants eux-mêmes.
De nombreux principes semblent être en jeu, avec autant de défis pratiques à relever. La variation des pratiques, les défis de la mise en œuvre et les nombreux principes confirment cette impression générale. En dépit de cette complexité, le double codage et les principes de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia peuvent être utilisés à bon escient.
Mis à jour le 04/11/2023
Bibliographie
Perry, T., Lea, R., Jørgensen, C. R., Cordingley, P., Shapiro, K., & Youdell, D. (2021). Cognitive Science in the Classroom. London : Education Endowment Foundation (EEF). The report is available from: https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/evidence- reviews/cognitive-science-approaches-in-the-classroom/
Shulman, L. S. (1986). Those who understand: Knowledge growth in teaching. Educational Researcher, 15(2), 4—14. https://doi.org/10.3102/0013189X015002004
Mayer, R. E. and Anderson, R. B. (1991) ‘Animations Need Narrations: An Experimental Test of a Dual-Coding Hypothesis’, Journal of Educational Psychology, 83 (4), p. 484.
Baddeley, A. D. and Hitch, G. (1974) ‘Working Memory’, in Psychology of Learning and Motivation, Academic Press (vol. 8, pp. 47–89).
Lindner, M. A., Lüdtke, O., Grund, S., & Köller, O. (2017). The merits of representational pictures in educational assessment: Evidence for cognitive and motivational effects in a time-on-task analysis. Contemporary Educational Psychology, 51, 482-492.
Lindner, M. A. (2020). Representational and decorative pictures in science and mathematics tests: Do they make a difference?. Learning and Instruction, 68, 101345.
Mayer, R. E. (2021) Multimedia Learning (3rd Edition), Cambridge University Press.
0 comments:
Enregistrer un commentaire