lundi 12 décembre 2022

Élaboration, auto-explication et comparaison d’exemples dans une perspective d’apprentissage génératif

L’élaboration et l’auto-explication sont réputées comme étant des approches favorisant le développement des schémas chez des apprenants. Que dit la recherche sur la manière de les mettre en œuvre en classe ? Qu’en est-il également d’une autre pratique voisine qui est la comparaison d’exemples ?

(Photographie : James Rajotte)




Susciter un apprentissage génératif


Lorsqu’ils adoptent une pratique pédagogique donnée, il est important que les enseignants sachent pourquoi ils l’emploient. Ils doivent disposer d’un plan pour évaluer la compréhension et la progression des élèves afin de s’assurer que les conclusions clés ont été tirées des tâches effectuées et se traduisent en apprentissages concrets et escomptés. 

Plutôt que l’utilisation d’une approche particulière, les deux éléments les plus importants dans le processus d’apprentissage sont :
  • La façon dont les élèves s’engagent dans le traitement des informations significatives.
  • La mesure dans laquelle ils génèrent et organisent eux-mêmes leurs connaissances. 

L’élaboration, l’auto-explication ou la remise en question de modèles, de concepts et d’idées permettent de renforcer, de développer et de rendre plus flexibles les apprentissages. 

Ces approches sont régulièrement associées à la pratique de récupération ou à l’analyse de cartes conceptuelles ou d’organisateurs graphiques. Le fait d’intégrer plus d’élaboration dans la pratique de récupération pourrait favoriser le transfert des apprentissages. Nous y parvenons en variant l’approche, le contenu ou le contexte et en y introduisant une plus grande proportion d’élaboration pour les élèves. C’est ce que suggèrent certaines études qui donnent un avantage à une pratique de récupération élaborée (Carpenter, 2009). La pratique de récupération élaborée pourrait développer les schémas tout en les consolidant. 

Cette notion est complètement en phase avec le principe d’un apprentissage génératif qui se fonde sur l’idée que l’apprentissage est un processus actif de traitement de l’information. 



Théorie de l’élaboration de l’enseignement


La théorie de l’élaboration est un modèle pour le séquençage et l’organisation de l’enseignement sur base du contenu. Elle a été développée par Charles Reigeluth dans les années 1970 et 1980. Elle est une extension des travaux d’Ausubel (organisateurs graphiques) et de Bruner (curriculum spiralaire).

La théorie de l’élaboration suggère de commencer l’enseignement par des concepts simples et fondamentaux, suivis de concepts plus détaillés, spécifiques et complexes :
  • Pour l’enseignant :
    • L’enseignement doit être organisé par ordre croissant de complexité pour un apprentissage optimal. 
    • L’information doit être segmentée et séquencée pour faciliter la création de liens.
    • L’enseignant s’assure que ses élèves sont toujours conscients du contexte et de l’importance des différentes idées qui sont enseignées. 
  • Pour l’élève :
    • L’approche permet aux élèves d’apprendre au niveau de complexité qui est le plus approprié et le plus significatif pour eux à n’importe quel stade du développement de leurs connaissances. 
    • L’accent est clairement mis sur l’élaboration par les élèves dans les processus utilisés. Il s’agit de leur permettre de contrôler la consommation de l’information afin qu’ils puissent décider de manière indépendante quelle information nécessite plus d’élaboration ou d’attention afin de mieux maîtriser et comprendre les concepts enseignés.
Le séquencement se fait par le biais d’une organisation stratégique en fonction du type d’information à apprendre :
  • L’élaboration conceptuelle doit être utilisée lorsque de nombreux concepts liés doivent être appris.
  • L’élaboration procédurale doit être utilisée lorsqu’il y a un ordre ou des étapes à suivre pour aller d’un moyen à une fin. 
  • L’élaboration théorique doit être utilisée lorsque plusieurs concepts existent, souvent avec une relation de cause à effet.
Par exemple, lors de l’enseignement d’une tâche procédurale : 
  • La version la plus simple de la tâche est présentée en premier.
  • Les leçons suivantes présentent des versions supplémentaires jusqu’à ce que toute la gamme des tâches soit enseignée. 
  • À chaque leçon, il convient de faire se rappeler à l’apprenant toutes les versions enseignées jusqu’à présent (résumé/synthèse). 
Les prescriptions de la théorie de l’élaboration sont fondées à la fois sur une analyse de la structure des connaissances et sur une compréhension des processus cognitifs et des théories de l’apprentissage. 

La théorie de l’élaboration décrit comment, au cours de l’apprentissage, les schémas se développent du simple au complexe :
  • Les idées fondamentales devenant progressivement plus connectées et intégrées avec des idées plus larges.
  • Tout au long de ce processus, la compréhension devient plus riche et détaillée.
  • Parallèlement, les apprenants développent un contrôle métacognitif sur le sujet. 
L’une des idées clés de la théorie de l’élaboration est que l’apprenant doit développer un contexte significatif dans lequel les idées et les compétences ultérieures peuvent être assimilées. L’enjeu du séquencement est d’aider à construire des structures cognitives stables, et de fournir dès la toute première leçon :
  • Un contexte significatif pour tout le contenu pédagogique
  • Un apprentissage significatif au niveau des applications.
L’approche de l’élaboration est censée permettre :
  • La formation de structures cognitives plus stables et donc une meilleure rétention et un meilleur transfert
  • Une motivation accrue de l’apprenant grâce à la création de contextes d’apprentissage significatifs
  • La fourniture d’informations sur le contenu qui permettent à l’apprenant de contrôler en connaissance de cause
La théorie de l’élaboration relie différentes stratégies (Kirschner et Hendrick, 2020 ; Sprayson, 2020) : 
  1. Une séquence d’élaboration : 
    • Soit sous un format par étapes : chaque élément est enseigné jusqu’au niveau de compréhension ou de compétence nécessaire pour passer au niveau suivant. 
    • Soit un séquençage en spirale : les apprenants étudient la matière en plusieurs cycles, en approfondissant ou en élargissant les contenus lors de chaque cycle.
    • Dans chacune de ces deux stratégies, nous pouvons choisir d’aller :
      • Du simple au complexe
      • Du général au détaillé
      • Du concret à l’abstrait.
    • Commencer par une vue large et étendue (zoom arrière) sans détails spécifiques permet d’aborder d’abord les concepts fondamentaux. Une fois ces concepts généraux compris, les apprenants peuvent se concentrer (zoomer) sur des détails plus spécifiques et acquérir une compréhension plus riche. 
  2. Des séquences conditionnelles d’apprentissage : 
    • Pour acquérir de nouvelles connaissances, certaines connaissances préalables sont nécessaires pour les comprendre pleinement.
    • La comparaison des connaissances antérieures avec les concepts nouvellement compris encouragera les passerelles entre les compréhensions et les applications pour que les apprenants développent leur base de connaissances.
  3. Le résumé et la synthèse : 
    • Plusieurs fois au cours de la transmission de l’information, le résumé et la synthèse doivent être encouragés afin de favoriser les opportunités de révision et de compréhension plus profonde. 
  4. Les analogies sont recommandées pour relier des connaissances nouvelles ou difficiles à des connaissances familières
    • Permettre aux apprenants d’identifier une idée familière ou une compréhension conceptuelle et d’utiliser cette familiarité pour aider à définir et à construire un nouveau concept. 
  5. Les stratégies cognitives comme composantes stratégiques :
    • Elles exploitent explicitement l’architecture cognitive du cerveau en utilisant des éléments plus généraux comme diagrammes, des moyens mnémotechniques ou des paraphrases.
    • Cependant, cette composante du modèle se rapproche dangereusement de l’idée de compétences génériques, qui est moins soutenue par des preuves actuellement. 
  6. Le contrôle de l’apprenant 
    • Il fait référence au processus dans lequel l’apprenant a plus de pouvoir sur l’ensemble du domaine de connaissances grâce aux connaissances qu’il a acquises.
    • Les apprenants devraient avoir la possibilité d’autogérer leur apprentissage par le biais des relations entre les activités. Le temps passé avec le contenu, le nombre de fois où les activités sont réalisées et l’ordre d’interaction avec le contenu devraient être contrôlés par l’apprenant. L’idée est que l’apprentissage puisse être déterminé et appliqué de manière autonome.
    • L’apprenant est le mieux placé pour utiliser des stratégies métacognitives afin de décider où porter son attention sur ce qu’il souhaite revoir ou étudier de plus près pour combler ses éventuelles lacunes.



À quel moment introduire l’élaboration et l’auto-explication


Les études sur l’élaboration ne portent pas sur la théorie générale de l’élaboration de l’enseignement, mais se concentrent plutôt sur l’efficacité de stratégies d’élaboration et d’auto-explication spécifiques et particulières. 

Les études retenues et sélectionnées dans le cadre du rapport de l’EEF (2021) indiquent que l’auto-explication et l’élaboration peuvent améliorer l’apprentissage dans certaines situations. Cependant, elles risquent également d’imposer une charge cognitive plus élevée ou de produire des idées fausses. 

Nous pouvons nous demander dans quelle mesure il est utile que les élèves jouent un rôle, en tout ou en partie, dans l’organisation ou la génération de l’information durant les premières phases de l’apprentissage.

L’idée de l’apprentissage génératif est tentante. Elle distingue cependant deux types de situations : 
  • Celles où le contenu et la structure des informations sont fournis aux élèves pendant l’enseignement
  • Celles où elles ne le sont pas (comme dans une perspective socioconstructiviste de type pédagogie de projet, pédagogie de la découverte ou résolution de problèmes). 

Dans la perspective de la théorie de la charge cognitive et du statut de novice des apprenants, nous allons pencher pour la première option. Différents articles dans ce bloc détaillent les difficultés liées à l’autre approche. Dans la première option, l’idée de l’apprentissage génératif est très axée sur la manière dont les élèves peuvent s’engager avec les informations. 

Cela rend compte de l’apprentissage génératif tel que défini par Fiorella et Mayer (2015).

L’apprentissage génératif considère l’expérience d’apprentissage du point de vue de l’apprenant :
  • Il pose la question de savoir ce qu’ils doivent faire avec l’instruction qu’ils ont reçue. 
  • Ils doivent s’assurer qu’ils sont capables de lui donner un sens et de l’apprendre d’une manière qui leur permet de l’appliquer à de nouvelles situations dans le futur. 
  • Les élèves créent une compréhension de ce qui doit être appris à travers un processus de sélection de l’information, d’organisation et d’intégration avec ce qu’ils savent déjà. 



Apprendre par la comparaison d’exemples contrastés


Dans certaines activités d’enseignement et d’apprentissage, les apprenants comparent deux ou plusieurs exemples contrastés ou conflictuels en vue de les relier, de les discriminer ou d’adapter leurs conceptions. 

La comparaison et le conflit cognitif impliquent une comparaison des concepts, en particulier pour deux concepts étroitement liés que l’apprenant a intérêt à distinguer. 

L’idée d’un conflit cognitif peut être mobilisée en en tant que dispositif pédagogique. Cependant, le concept connait des limites et est remis en question par différentes recherches, notamment par la théorie de la résubsumption.

Toutefois, il joue un rôle important dans deux cas de figure :
  • Dans le contraste entre les conceptions intuitives et scientifiques. 
    • Un exemple de contraste entre conceptions intuitives et scientifiques correspond à l’enseignement du modèle particulaire des gaz. L’une des principales choses que les élèves doivent savoir sur les gaz est qu’il existe un espace vide entre les particules. Ces idées peuvent toutefois entrer en conflit avec les idées préconçues des élèves. Même si les élèves savent que les particules d’un gaz sont séparées par des espaces, ils pensent souvent que l’espace entre elles est rempli d’autres choses.
  • Dans le cadre de la pratique entremêlée qui entraine les capacités de discrimination

Ce sont des activités qui comparent des exemples contrastés, complémentaires ou contradictoires afin d’aider les élèves à différencier les éléments d’apprentissage. 

L’intention est d’ajouter de la profondeur aux apprentissages ou corriger des idées fausses.

L’enjeu dans la comparaison d’exemples contrastés est que les élèves produisent leurs propres réponses et mettent en avant leurs propres conceptions, nous pouvons parler d’apprentissage génératif. L’apprentissage génératif est l’idée selon laquelle les élèves créent une compréhension de ce qui doit être appris par un processus de sélection des informations, d’organisation et d’intégration dans ce qu’ils savent déjà. Lorsque les élèves génèrent des informations à partir de leur mémoire, ils s’engagent dans une pratique de récupération. 



Mettre en œuvre la comparaison d’exemples contrastés


Les preuves de l’impact possible des approches dans ce domaine sont mitigées, avec quelques résultats négatifs et neutres au milieu d’une majorité d’études montrant des impacts positifs sur l’apprentissage des élèves. La variation des résultats suggère que les élèves peuvent avoir du mal à tirer des enseignements des comparaisons entre exemples contrastés ou de situations de conflit cognitif.

La mise en œuvre de la comparaison d’exemples contrastés doit par conséquent se faire avec prudence. Nous devons veiller à ce que les élèves traitent les différences en profondeur et tirent les bonnes conclusions (plutôt que des idées fausses) des documents présentés : 
  • Il importe de faire attention à la sélection des comparaisons propices à soutenir l’apprentissage. Le fait de s’assurer que les comparaisons clarifient les concepts au lieu de les rendre confus semble être une considération essentielle. 
  • Les élèves vont bénéficier d’un étayage pour les aider à expliquer les différences entre les exemples. Ce soutien doit les aider à faire des comparaisons détaillées et à aboutir à des conclusions correctes.
  • Il est important de mettre en œuvre des processus d’évaluation formative et de vérification de la compréhension pour recueillir des informations sur ce que les élèves ont conclu en faisant des comparaisons. Cela peut révéler des idées fausses qu’il faut corriger avant de passer à autre chose ou de revenir sur le sujet lors d’une leçon ultérieure. L’enseignant peut proposer des questions de réflexion pour aider les élèves à préciser les processus cognitifs et métacognitifs qu’ils ont utilisés pour comparer les concepts :
    • En ce qui concerne les processus cognitifs, l’enseignant peut demander : « Quelles caractéristiques des exemples avez-vous comparées pour mettre en évidence leurs différences ? ». 
    • En ce qui concerne les processus métacognitifs : « Qu’avez-vous trouvé de difficile dans la comparaison des deux exemples et comment avez-vous surmonté cette difficulté pour mettre en évidence les différences ? ». 

Mis à jour le 02/11/2023

Bibliographie


Perry, T., Lea, R., Jørgensen, C. R., Cordingley, P., Shapiro, K., & Youdell, D. (2021). Cognitive Science in the Classroom. London : Education Endowment Foundation (EEF). The report is available from: https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/evidence- reviews/cognitive-science-approaches-in-the-classroom/ 

Fiorella, L. and Mayer, R. E. (2015) Learning as a Generative Activity, Cambridge University Press.

Kirschner, P. A. and Hendrick, C. (2020) How Learning Happens: Seminal Works in Educational Psychology and What They Mean in Practice, Routledge.

Alison Sprayson, Elaboration Theory, 2020, https://pressbooks.pub/elearning2020/chapter/elaboration-theory/

Elaboration Theory (Charlie Reigeluth), consulté en 2023, https://www.instructionaldesign.org/theories/elaboration-theory/

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