dimanche 18 décembre 2022

Le mythe de l’existence de bons et des mauvais profs et l’importance des pratiques efficaces

Qu’est-ce qui fait qu’un enseignant est considéré comme plus ou moins bon ? Quelles sont les caractéristiques qui déterminent cet état de fait ?

(Photographie : Marija Strajnic)



Croyances et lieux communs liés aux bons et mauvais profs


La croyance selon laquelle il y a intrinsèquement de bons et de mauvais enseignants est un mythe largement répandu. 

Les enseignants réputés comme étant de bons profs correspondent généralement à plusieurs de ces critères qui forment la base de leur réputation :
  • Ces enseignants ont le type de personnalité que les élèves trouvent naturellement attrayante, car ils savent comment les intéresser par des activités et des projets.
  • Enseigner et motiver les élèves semble naturel et fluide pour ces enseignants. Leurs élèves ont envie de s’engager et de bien se comporter naturellement dans leur classe. 
  • Ces enseignants aiment leur métier qui est vécu comme une vocation. Ils se sentent faits pour ça. Ça se voit et ça se sent. 
  • Ces enseignants cultivent un bon relationnel avec l’ensemble de leurs élèves. Ils aiment interagir avec leurs élèves. Dès lors, leurs élèves apprennent beaucoup à leur contact. 

Ces commentaires sont élogieux et peuvent correspondre à certains critères de base comme l’influence, la proximité, la relation, l’intérêt et l’engagement. 

Toutefois, ils n’abordent pas la question de l’efficacité de l’enseignement, pas plus que celle des attentes élevées. Pourtant ces deux éléments se traduisent par un meilleur apprentissage pour l’ensemble des élèves et une diminution de la variance de leurs résultats.  

Les enseignants réputés comme étant de mauvais profs correspondent en général à au moins un de ces critères : 
  • Ces enseignants ne savent pas gérer le comportement de tous leurs élèves et sont dépassés par certains. Ils sont parfois considérés comme trop gentils.
  • Il leur arrive de perdre le contrôle de ce qui se passe dans leur classe. Alternativement, pour l’éviter, ils sont obligés de faire usage de coercition pour se faire respecter.
  • Ces enseignants n’arrivent pas à motiver leurs élèves et leurs cours manquent de structure, de clarté ou de fil conducteur.
  • Ces enseignants donnent l’impression qu’ils ne veulent vraiment pas être enseignants, qu’ils regrettent parfois d’être là, ou qu’ils n’aiment pas ce qu’ils font. 
  • Ces enseignants ne manifestent pas d’intérêt pour les élèves, n’ont que peu d’interactions positives et de relations avec eux. Par conséquent, leurs élèves de leurs classes n’apprendront rien ou très peu. 

Encore une fois, cette notion de mauvais prof est déconnectée de celle de l’efficacité, mais son intérêt est de mettre le doigt sur des défaillances dans la conception de l’enseignement et de la gestion de classe.

Cette dichotomie est également très fataliste. Elle est souvent imputée à une condition innée ou à une formation initiale défaillante.


Facteurs déterminants de la qualité d’un enseignant


La question légitime qui peut découler des croyances précitées sur ce qu’est un bon ou un mauvais prof est également de savoir quels sont les facteurs déterminants sous-jacents qui établissent ces statuts. Les paramètres les plus évidents sont : 
  • La personnalité de l’enseignant 
  • Ses pratiques d’enseignement
  • Les caractéristiques des élèves
  • Le contexte scolaire

De ces quatre paramètres, seul le second peut être influencé par un développement professionnel. Les trois autres sont relativement fixes.




L’impasse de l’influence de la personnalité de l’enseignant sur la qualité de l’enseignement


Des chercheurs se sont intéressés à l’influence de la personnalité des enseignants. Des tests de personnalité courants ont été adaptés pour être utilisés avec des enseignants. Des tests de personnalité dédiés ont été développés pour se concentrer sur la façon dont les enseignants interagissent avec leurs élèves. 

Malheureusement et de façon constante, toutes ces recherches ont abouti à des impasses ou se sont contredites entre elles. À l’heure actuelle, il n’existe pas de preuve cohérente que la personnalité des enseignants est liée à leur efficacité avec les élèves, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. 
 
Toutefois, ces recherches sur la personnalité ont eu un impact. Elles ont attiré l’attention sur le fait que tous les enseignants ne sont pas tous aussi efficaces entre eux avec tous les types élèves, avec toutes les matières, ou avec tous les aspects de l’enseignement. Si l’efficacité est une caractéristique propre à un enseignant, elle possède des dimensions contextuelles à prendre en compte. 

Cela peut s’expliquer par la complexité du métier. L’enseignement efficace par définition doit être interactif et les classes sont composées d’élèves aux personnalités elles-mêmes diversifiées. Ces élèves ont eu précédemment des interactions avec d’autres enseignants. Ils ont rencontré des facilités ou des difficultés scolaires sur la matière considérée. Ils sont plus ou moins réceptifs, engagés, intéressés ou motivés. 



Des gestes professionnels définissent des pratiques efficaces


C’est ce que les enseignants font en classe, et non qui ils sont, qui prime en matière d’efficacité. Des gestes professionnels définissent des pratiques efficaces.

Cette conclusion amène à rejeter les croyances liées aux bons ou mauvais profs. Ainsi, sauf cas extrêmes, un enseignant n’est pas intrinsèquement un bon prof ou un mauvais prof. Il est tout à fait envisageable qu’un même enseignant, travaillant dans des circonstances, un contexte ou des élèves différents, ait des résultats eux-mêmes très différents, meilleurs ou moins bons. 

Être un bon enseignant n’est pas une capacité innée et universelle. Cela amène à une autre hypothèse, celles de compétences acquises et spécifiques liées à l’efficacité d’un enseignant. Ces compétences peuvent s’apprendre. Elle se traduit par l’acquisition de pratiques efficaces.

Cette hypothèse s’est révélée nettement plus pertinente. Elle a été confirmée par les études processus-produit où des chercheurs sont allés étudier en classe ce que font les enseignants efficaces. 

Un cadre de recherche méthodologique beaucoup plus systématique et cadré est dès lors nécessaire. Lorsque celui-ci est appliqué, les conclusions sont tout autres et aboutissent à la mise en avant de pratiques efficaces qui correspondent à celles d’un enseignement explicite.

Des recherches processus-produit ont été menées avec succès à ce sujet et ont mené à l’émergence de l’enseignement explicite. 

Pour plus d’explications, nous renverrons vers ces articles :



Une étude processus-produit qualitative sur l’efficacité de l’enseignement fait naufrage


Graham Nuthall relate également le naufrage d’une grande étude processus-produit. Celle-ci a été menée sous l’égide de l’OCDE (1994) dans dix pays sur la même hypothèse, par le biais de son Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI). Chacun des dix pays a entrepris de réaliser sa propre étude en 1994. Le personnel de l’OCDE a ensuite rassemblé les résultats pour dresser un tableau général de l’efficacité de l’enseignement dans les écoles du monde développé.

Aux États-Unis, par exemple, les enseignants de sept écoles ont été sélectionnés pour une étude intensive sur la base d’une fréquentation élevée des élèves, de résultats aux tests en hausse et d’une excellente réputation.

En Nouvelle-Zélande, un échantillon de cinq enseignants a été sélectionné sur la base des recommandations de la faculté de membres d’une école d’éducation impliqués sur le terrain. 

Dans chacun de ces pays, les chercheurs ont longuement interrogé les enseignants concernés. Ils les ont observés dans leur classe pendant environ 20 heures chacun.  

Hopkins et Stern (1996) ont réalisé une synthèse des résultats des études de cas de chaque pays et ont identifié les six caractéristiques les plus importantes des excellents enseignants dans les dix pays concernés :
  • Un engagement passionné à faire de leur mieux pour leurs élèves.
  • Une appréciation élevée pour leurs élèves qui se manifeste dans des relations chaleureuses et attentionnées.
  • La maîtrise de la didactique des matières et une large connaissance du contenu pédagogique (par exemple, savoir identifier, présenter et expliquer les concepts clés)
  • L’utilisation de divers modèles d’enseignement et d’apprentissage
  • Une propension au travail collaboratif avec d’autres enseignants pour planifier, échanger et discuter du travail et des contributions de chacun
  • Une capacité à la remise en question, une réflexion sur des ajustements réguliers en vue de l’amélioration de leur propre pratique.

Les caractéristiques au niveau de l’école qui soutiennent les enseignants de grande qualité et qui ont été identifiées dans les études de cas sont : 
  • Un consensus sur la vision et les valeurs
  • Une organisation pour l’enseignement et l’apprentissage
  • Des dispositions de gestion cohérentes
  • Un leadership formel et informel
  • Un développement du personnel axé sur le lieu de travail
  • Des relations efficaces avec la communauté et les structures éducatives qui chapeautent l’école. 

Le principal souci est que dans l’ensemble, ces conclusions sont anodines et consensuelles. Leur principal problème de ces conclusions vient du fait qu’elles sont le résultat d’observations qualitatives ce qui n’est pas optimum du point de vue de l’échelle de preuves en éducation. 

Cela nous mène à nous interroger sur le bien-fondé de tout le programme de recherche. Dans quelle mesure était-il nécessaire de faire ces observations en classe d’enseignants correspondant à un certain modèle préétabli, si les chercheurs savaient déjà ce qu’ils allaient trouver ?

Il n’est pas difficile de déduire de cette liste les convictions que les chercheurs des différents pays avaient sur l’enseignement. Le biais idéologique est majeur, ce qui rend les conclusions inutiles et inapplicables.

Comme dans le cas des croyances, les chercheurs sont allés chercher des preuves étayant leurs conclusions ce qui amène à un biais important. Ce programme de recherche processus-produit n’a pas permis de décrire ce que font les enseignants efficaces. Premièrement, ceux-ci n’ont pas été observés et si certains l’ont été c’est avec des idées préconçues sur ce qui allait être trouvé.


Mis à jour le 05/11/2023


Bibliographie


Graham Nuthall, The Hidden lives of learners, 2007, NZCER Press

Hopkins, D., & Stern, D. (1996). Quality Teachers, Quality Schools: International Perspectives and Policy Implications. Teaching & Teacher Education, 12, 501–517.
http://dx.doi.org/10.1016/0742-051X(95)00055-O

OECD (1994). Quality in teaching. Paris: OECD.

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