samedi 26 novembre 2022

Optimiser la charge cognitive grâce à la résolution collaborative de problèmes

Les données relatives de la recherche liées aux stratégies visant à optimiser la charge cognitive lors de la résolution de problèmes sont prometteuses pour améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage des élèves. Nous allons l’analyser dans le cadre de l’apprentissage collaboratif.

(Photographie : Ira Wagner)



Optimiser la charge cognitive


L’un des principaux défis pour les enseignants est que la mémoire de travail est limitée et peut se retrouver en surcharge ce qui hypothèque tout apprentissage. Si l’élève a peu de connaissances préalables dans sa mémoire à long terme concernant le sujet enseigné, sa mémoire de travail peut être rapidement débordée, ce qui nuit à l’apprentissage. 

L’objectif des stratégies axées sur la gestion de la charge cognitive n’est pas de minimiser cette dernière, mais de l’optimiser. Nous visons à réduire la charge extrinsèque, c’est-à-dire celle qui ne concerne pas directement l’apprentissage. Nous veillons à ce que la mémoire de travail reste concentrée sur les informations enseignées, c’est-à-dire la charge intrinsèque, qui concerne directement l’apprentissage. 

Régulièrement, l’accent est mis sur l’optimisation de la mémoire de travail en réduisant la charge sur la mémoire de travail dans le contexte de tâches à exigences élevées (problèmes, tâches complexes). Pour optimiser la charge cognitive, il y a deux directions possibles :
  • Si elle est trop élevée, il faut viser à réduire les informations inutiles et fournir une structure et un étayage supplémentaires pour les informations utiles.
  • Si elle est trop faible, il faut augmenter le défi et la quantité d’informations pertinentes fournies tout en diminuant l’étayage. 
La compréhension de la notion de charge cognitive ressentie par les élèves a des implications pour la pratique générale de l’enseignement au-delà du simple aspect du traitement cognitif. D’autres dimensions peuvent impacter la mémoire de travail, pour cela nous devons également tâcher :
  • D’éviter les distractions
  • De gérer les angoisses et l’anxiété.
Selon Kirschner et Hendrick (2020), la charge cognitive ressentie va dépendre :
  1. Du nombre d’éléments d’apprentissage nouveaux
  2. Du niveau d’interaction entre eux. 
Dans le cadre de la résolution de problèmes ou de la réalisation de tâches complexes, nous visons à réduire la quantité d’informations que l’apprenant doit conserver à l’esprit à tout moment. Nous voulons respecter les limites de sa mémoire de travail. 

L’accent mis sur la réduction de la charge est conforme à la littérature qui démontre le rôle de la mémoire de travail dans l’attention dirigée vers un but. Une mémoire de travail surchargée augmente la susceptibilité à la distraction (Lavie et Fockert, 2005). En d’autres termes, lorsque la mémoire de travail est surchargée, la tâche devient moins facile à gérer. L’élève devient de plus en plus sensible à la distraction et de moins en moins capable de se concentrer sur les exigences de la tâche. 



Entrainer la mémoire de travail, une impasse


Différentes études suggèrent que l’entrainement de la mémoire de travail améliore les performances dans les tâches de mémoire de travail, mais que ces effets n’ont pas tendance à se transférer à d’autres résultats.

La littérature neuroscientifique suggère que, si la mémoire de travail est limitée, il n’est possible d’améliorer la capacité que jusqu’à un certain point (Constantinidis et Klingberg, 2016). 



Difficultés des approches traditionnelles ou constructivistes en lien avec la charge cognitive


Le dépassement de la capacité de la mémoire de travail entrainant une surcharge est un problème particulier lié à l’apprentissage de la résolution de problèmes par la résolution de problèmes dans un contexte éducatif. 

Dans un enseignement traditionnel ou de découverte pure, l’enseignant présente généralement aux élèves une grande quantité d’informations, en quantité ou en complexité. Il leur demande d’identifier avec succès des informations cibles ou de faire des hypothèses, de les tester et de progresser par essai et erreur. Les élèves doivent suivre ou parfois découvrir une série d’étapes dans la résolution de problèmes. Ils sont directement appelés à gérer la complexité.

En conséquence, les élèves, en particulier ceux dont les connaissances préalables sont limitées, ont souvent du mal à naviguer dans cet espace de problèmes. Leur mémoire de travail est saturée et l’apprentissage est compromis. Même s’ils arrivent à résoudre certains problèmes, ils peuvent ne rien apprendre.

Heureusement, il existe des stratégies pédagogiques mises en évidence par la recherche, qui visent à réduire ou à optimiser la charge de la mémoire de travail, la résolution collaborative de problèmes pourrait en être une. 



Le principe de la résolution collaborative de problèmes 

 
Les activités de résolution collaborative de problèmes sont celles dans lesquelles les apprenants travaillent ensemble pour résoudre un problème ou une tâche complexe. 

L’enjeu est d’utiliser la collaboration entre les élèves afin qu’ils puissent partager les exigences des tâches de résolution de problèmes. 

Le travail collaboratif en groupe permet de partager et de réduire la charge cognitive à certaines conditions. Les membres du groupe dépendent des informations des autres pour résoudre le problème. De plus, le soutien des pairs agit de manière analogue aux problèmes résolus et à l’étayage. 



Le facteur crucial de l’efficacité de la communication dans le travail collaboratif


Certaines preuves corroborent la théorie selon laquelle l’apprentissage collaboratif peut aider à gérer la charge cognitive. Les preuves sont également très fortement axées sur l’apprentissage des mathématiques. Aucune étude n’a examiné la résolution collaborative de problèmes dans les sciences humaines et sociales. 

Cependant, les preuves ne sont pas entièrement positives et semblent indiquer que le travail collaboratif n’est pas adapté à tous les types d’activités de résolution de problèmes. 

Les preuves suggèrent que l’apprentissage collaboratif est susceptible de réduire la charge cognitive puisque les apprenants travaillent ensemble et partagent des informations. Nous pouvons parler d’une mémoire de travail collective. Ce qui est moins clair, c’est la manière dont l’apprentissage collaboratif peut être conçu pour optimiser la charge cognitive des individus au sein du groupe. Nous devons veiller à ce que chacun reçoive des informations pertinentes et stimulantes par rapport à son niveau de compréhension préalable. 

Si la communication au sein d’une stratégie de travail collaboratif est inefficace, la charge cognitive peut être augmentée par l’effort d’organisation entre membres et sa disponibilité pour l’apprentissage peut être réduite de manière contreproductive. Seuls certains membres du groupe peuvent prendre connaissance des informations clés. Les opportunités d’apprentissage peuvent ne pas être optimalement distribuées.

Différentes interventions peuvent réduire la charge cognitive des activités collaboratives :
  • Fournir un soutien sur les stratégies de communication efficaces en travail collaboratif.
  • Donner des instructions claires sur les tâches à réaliser.
  • Soutenir le développement de stratégie de travail en commun au sein de groupes d’élèves qui sont cohérents et équilibrés. 



Les relations entre le travail collaboratif et la complexité des tâches


Kirschner et ses collègues (2011) ont examiné dans une étude les effets de l’apprentissage collaboratif et du format d’enseignement sur les résultats des tests de biologie dans le cadre de la résolution de problèmes en génétique. Il s’agissait d’une expérience randomisée impliquant 140 élèves du secondaire aux Pays-Bas, d’un âge moyen de 15 ans.

Les élèves ont été répartis au hasard :
  • Dans l’un des deux formats d’enseignement :
    • Résolution de problèmes
    • Étude de problèmes résolus
  • Dans l’une des deux configurations de groupe : 
    • Individuel
    • Groupe de trois 

Après avoir introduit le sujet (l’hérédité en biologie, 15 minutes), les élèves ont pris part à des tâches d’apprentissage de trois à sept minutes. Elles consistaient à déterminer les phénotypes et les génotypes à partir de traits biologiques (par exemple, la couleur des yeux, la couleur des cheveux). 

Les groupes engagés dans la résolution des problèmes recevaient la solution et devaient déterminer comment elle avait été obtenue. Les groupes engagés dans l’étude de problèmes résolus procédaient de la même manière, mais disposaient de tous les développements. 

L’apprentissage a été évalué à l’aide d’un test ultérieur en génétique mis au point par les chercheurs. Il y avait également une mesure de la charge cognitive. 

Principales conclusions :
  • Les résultats ont monté que la résolution de problèmes (charge cognitive plus élevée) conduit à des scores plus élevés au post-test que les problèmes résolus lorsque les élèves étudient en groupe.
  • Lorsqu’ils étudient seuls, les problèmes résolus (charge cognitive plus faible) donnent des résultats plus élevés au post-test que la résolution de problèmes.

Pour les tâches complexes, les membres du groupe apprennent de manière plus efficace que les apprenants individuels, tandis que pour les tâches peu complexes, l’apprentissage individuel est plus efficace. 

L’efficacité de l’apprentissage des membres du groupe et des individus est déterminée par un compromis entre deux fonctions. D’un côté, nous avons l’avantage du groupe de diviser le traitement de l’information entre les mémoires de travail collectives des membres du groupe. De l’autre côté, nous avons le désavantage en matière de coûts associés à la communication de l’information et à la coordination des actions.

La résolution de problèmes est une tâche à charge cognitive plus élevée que l’apprentissage à partir de problèmes résolus. Cependant, les environnements collaboratifs peuvent réduire la charge cognitive associée aux tâches complexes. 

Les preuves limitées suggèrent des effets positifs en mathématiques et en sciences, de la collaboration pour la résolution traditionnelle de problèmes. Les effets des exemples résolus complexes ou erronés sur l’apprentissage sont généralement meilleurs pour les apprenants individuels. Mais des résultats supérieurs peuvent être obtenus lorsqu’il y a des connaissances incomplètes réparties entre les membres d’un groupe. 



Théorie de la charge cognitive et apprentissage collaboratif


La théorie de la charge cognitive suggère que l’apprentissage collaboratif réduira la charge cognitive et améliorera l’apprentissage pour la résolution de problèmes ou les tâches très complexes (y compris les exemples incomplets ou incorrects). Cela est rendu possible grâce à un partage de la charge de travail. 

La condition pour que cet effet se manifeste est que l’apprentissage collaboratif fonctionne.

Retnowati et coll. (2018) ont constaté que les apprenants travaillant en collaboration pouvaient soutenir les connaissances incomplètes de chacun sur un sujet et obtenaient de meilleurs résultats en groupe. Cependant, les étudiants étaient mieux lotis en travaillant individuellement lorsqu’ils avaient des connaissances complètes pour la tâche. 

Retnowati et coll. (2017) ont montré que la résolution collaborative de problèmes était moins efficace que le travail individuel lors de l’utilisation de problèmes résolus de haute complexité, ce qui peut sembler contraire aux attentes de la théorie. 

Yang et coll. (2016) ont constaté un effet négatif pour les problèmes résolus erronés dans le cadre d’un travail de groupe par rapport aux étudiants travaillant seuls. Ils ont également vu un effet positif du travail de groupe lorsqu’il s’agissait d’exemples corrects. 

Ces résultats sont divergents, car nous pourrions nous attendre à ce que le travail de groupe rende la tâche la plus exigeante (exemples erronés) relativement plus facile à gérer. Cela pourrait être lié à la complexité de l’interaction du groupe dans l’identification et la correction des erreurs.



Implications pratiques liées à l’apprentissage collaboratif dans le cadre de tâches complexes


En conclusion, d’après l’état actuel de la recherche, il semble que :
  • Il y a des effets positifs de la collaboration lors de la résolution traditionnelle de problèmes.
  • L’étude de problèmes résolus complexes ou erronés est meilleure pour les apprenants individuels.
  • L’étude de problèmes résolus moins complexes est supérieure pour des groupes.

Il existe de bonnes preuves que le travail en collaboration peut réduire la charge cognitive.

La question de savoir si cela permet d’optimiser l’apprentissage pour tous les apprenants. Il semble que la résolution collaborative de problèmes pourrait être utile pour des groupes d’élèves hétérogènes. En ce sens, elle correspond à l’idée d’une pratique autonome coopérative en enseignement explicite ou en découverte guidée, où les élèves collaborent plutôt que de travailler indépendamment. Cette conclusion correspond également au modèle de l’évaluation formative où les élèves deviennent des ressources pour l’apprentissage d’autres élèves, tout en prenant progressivement la responsabilité de leurs apprentissages.


Mis à jour le 25/10/2023

Bibliographie


Perry, T., Lea, R., Jørgensen, C. R., Cordingley, P., Shapiro, K., & Youdell, D. (2021). Cognitive Science in the Classroom. London: Education Endowment Foundation (EEF). The report is available from: https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/evidence- reviews/cognitive-science-approaches-in-the-classroom/ 

Kirschner, P. A. and Hendrick, C. (2020) How Learning Happens: Seminal Works in Educational Psychology and What They Mean in Practice, Routledge. 

Kirschner, F., Paas, F. and Kirschner, P.A. (2011), Task complexity as a driver for collaborative learning efficiency: The collective working-memory effect. Appl. Cognit. Psychol., 25: 615-624. https://doi.org/10.1002/acp.1730

Lavie, N. and De Fockert, J. (2005) ‘The Role of Working Memory in Attentional Capture’, Psychonomic Bulletin & Review, 12 (4), pp. 669–674. 

Constantinidis, C. and Klingberg, T. (2016) ‘The Neuroscience of Working Memory Capacity and Training’, Nature Reviews Neuroscience, 17 (7), p. 438. 

Kirschner, F., Paas, F., Kirschner, P. A., & Janssen, J. (2011). Differential effects of problem-solving demands on individual and collaborative learning outcomes. Learning and Instruction, 21(4), 587-599. 

Retnowati, E., Ayres, P., & Sweller, J. (2017). Can collaborative learning improve the effectiveness of worked examples in learning mathematics?. Journal of educational psychology, 109(5), 666.

Retnowati, E., Ayres, P., & Sweller, J. (2018). Collaborative learning effects when students have complete or incomplete knowledge. Applied Cognitive Psychology, 32(6), 681-692.

Yang, Z. K., Wang, M., Cheng, H. N., Liu, S. Y., Liu, L., & Chan, T. W. (2016). The Effects of learning from correct and erroneous examples in individual and collaborative settings. The Asia-Pacific Education Researcher, 25(2), 219-227.

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