jeudi 24 novembre 2022

Construire et programmer un cours dans une perspective d’enseignement explicite

Comment concevoir l’enseignement explicite d’une matière en un temps donné ? Comment gérer nos priorités en matière de contenu et d’apprentissage ?


(Photographie : shimagoro4056)



Délimiter les contenus couverts par les objectifs d’apprentissage


Déterminer précisément les contenus


Les programmes qui nous guident dans la préparation de nos cours sont susceptibles d’avoir des contenus peu spécifiques, peu clairs et parler en termes plus généraux que particuliers. 

Les déclarations, précautions et attentes qu’ils contiennent peuvent parfois nous laisser avec plus de questions et de doutes. Elles peuvent ne laisser que peu de réponses ou de certitudes quant au niveau de complexité, de détail et de profondeur que les élèves doivent acquérir. Jusqu’où amener exactement nos élèves ? Où se situe exactement le niveau de maitrise attendu et sur quels contenus ?

Le risque est qu’un enseignant choisisse de se concentrer sur certains domaines lorsqu’il prépare des ressources, et qu’un autre choisisse de se concentrer sur d’autres domaines. D’une école à l’autre ou à l’intérieur d’une même école, les différences de niveau et d’attente sont propices aux inégalités.

Le faible degré de spécificité de certains énoncés de programmes signifie qu’il est préférable de la considérer comme un titre, comme un objectif pédagogique général à interpréter et pas plus. Dès lors, l’enjeu est leur traduction en objectifs d’apprentissage spécifiques.



Élaborer une définition granulaire fine des contenus à enseigner


À l’opposé, dans une perspective d’enseignement explicite, nos cours, notre planification, nos objectifs pédagogiques, nos objectifs d’apprentissage et nos critères de réussite doivent posséder et manifester un haut degré de spécificité. Ils doivent présenter une délimitation granulaire fine de ce que nous voulons exactement que nos élèves apprennent et des limites précises.

Notre enseignement explicite et la conception de nos supports pédagogiques sont ensuite planifiés autour de cette détermination précise du contenu.

L’enseignement est axé sur l’obtention par les élèves d’un contenu précisément délimité, cohérent et intégré. Nous commençons par déterminer exactement ce que nos élèves devront connaitre au moment de l’évaluation sommative. Nous construisions toutes nos explications, nos questions et nos activités d’apprentissage sur cette base.

Le fait de ne pas prendre en compte le contenu exact d’un cours dans toutes ses implications, avant de concevoir la manière de l’enseigner sera invariablement la source de difficultés et d’imprécisions. Ce déficit rendra l’élaboration d’un enseignement explicite plus difficile, de même que la mise en œuvre d’un alignement curriculaire ou constructif en lien avec des processus d’évaluation formative. 



Concevoir la planification de l’enseignement autour des points centraux du programme


Une bonne manière de procéder consiste à travailler directement à partir du programme à la rédaction des objectifs pédagogiques et des objectifs d’apprentissage. Souvent, les programmes comprennent en dehors des contenus visés, des sections sur les connaissances préalables (d’où vient-on) et sur des contenus qui seront vus lors de l’année scolaire suivante (où va-t-on).

Le fait de conceptualiser le contenu comme une série de questions et de défis reliés à des réponses, adaptés au niveau de maitrise escompté pour les élèves est un bon moyen d’atteindre le niveau de spécificité attendu. 

Par exemple, nous pouvons définir une liste de questions auxquelles nous voudrions que les élèves soient capables de répondre sur un sujet donné (savoirs, savoir-faire). Nous pouvons également préciser les types de tâches, d’applications ou de problèmes qu’elles recouvrent également.

Partant des connaissances préalables, nous construisons un ordre logique où tous les prérequis liés à un objectif d’apprentissage donné auront été présentés ou activés précédemment et correspondent au niveau des élèves. Cela implique l’organisation d’une évaluation diagnostique également.

À partir de cette structure, le cours va pouvoir être construit.

Il n’y a généralement pas une manière de faire unique pour l’enseignement d’un contenu complexe donné, mais les structures obtenues doivent répondre à ma même logique de construction de cohérence.

Si nous utilisons un manuel, nous devons tenir compte des ressources qu’il propose. De même, nous devons précisément définir à ce stade nos critères de réussite pour être transparents dans notre conception du cours et nous assurer que les supports et activités proposés permettent effectivement d’y arriver pour chaque élève.

Il convient également de prendre en compte les conceptions erronées des élèves ou leurs lacunes par l’intermédiaire d’une évaluation diagnostique qui nous permet d’évaluer la position exacte des élèves et en démarrer.

Ce cheminement demande toute une réflexion sur le choix du niveau de vocabulaire utilisé et sa précision. Il demande un travail de sélection des détails et de séquencement des idées. 

C’est ce mode de fonctionnement qui nous permet d’atteindre une granulométrie fine au niveau de la progressivité des contenus. Nous avançons étape par étape, du simple au complexe.

Cette démarche a le mérite à nous offrir un cadre pour une réflexion rigoureuse et approfondie sur les contenus et leurs connaissances essentielles et secondaires. Ce travail préalable facilitera l’apprentissage ultérieur de nos élèves. 

Pour un thème, nous constituons de cette manière un ensemble de points d’attention centraux qui nous serviront de liste de vérification pour l’élaboration de notre cours dans son ensemble. Ces points d’attentions centraux décrivent des connaissances ou des compétences dont la maitrise est indispensable si nous voulons pouvoir établir que l’élève a appris. 

Ce processus est transformateur, car il nous amène à changer de façon radicale notre manière de penser le contenu effectivement enseigné. 

Le processus gagne énormément à être réalisé en collaboration entre enseignants partageant le même cours, pour profiter de l’expertise de chacun. 



L’importance de la connaissance du contenu pédagogique


En tant qu’enseignants, nous avons développé dans notre formation initiale une connaissance de la matière scolaire qui est bien plus vaste que celles que nous allons enseigner. De l’autre, nous avons acquis une connaissance pédagogique sur la manière d’enseigner et sur la manière dont les élèves apprennent. 

À l’intersection des deux se trouve la connaissance du contenu pédagogique. Il existe une connaissance du contenu pédagogique, qui est le contenu sur la manière d’enseigner notre discipline, qu’un professionnel travaillant dans cette discipline n’ayant jamais enseigné ne connaitrait pas.

Nous sélections et séquençons les contenus pertinents à enseigner et nous élaborons en tête avec les approches pédagogiques qui nous semblent les plus pertinentes pour que nos élèves apprennent efficacement. Nous développons la compétence d’enseigner des contenus liés à une matière donnée. L’enseignant prend en compte ce que les élèves savent déjà, les conceptions erronées qu’ils peuvent avoir. Nous connaissons les difficultés typiques que nos élèves sont susceptibles de rencontrer.

La rédaction de points d’attention centraux nous amène à augmenter notre connaissance du contenu pédagogique, car elle attire notre attention sur la résolution de certaines problématiques.

L’amélioration de la connaissance du contenu pédagogique est le réel objet du développement professionnel des enseignants, bien plus qu’une simple amélioration des connaissances du contenu ou des connaissances pédagogiques. 

À ce titre, la recherche en éducation ne fournit pas vraiment de réponses à l’effet de l’amélioration de la connaissance du contenu sur l’efficacité de l’enseignant. C’est une dimension spécifique peu aisée à étudier et à isoler.

Nous pouvons dire avec certitude que si un enseignant n’a aucune connaissance de la matière, il ne sera pas efficace, mais comment son efficacité augmente-t-elle avec la connaissance de la matière ? Il semble que le facteur déterminant est la connaissance du contenu pédagogique qui est spécifique au programme enseigné et aux élèves. Elle semble le réel facteur de l’efficacité des enseignants. Comment le disent Coe et ses collègues (2020), les enseignants efficaces comprennent le contenu qu’ils enseignent et la manière dont il est appris.



Les points d’attention centraux d’une matière comme finalité de l’enseignement


Dans le déroulement du suivi des points d’attention centraux, les énoncés des tâches et des questions gagnent en importance. Ils reposent de plus en plus sur ce qui a été appris précédemment, car il y a une nécessité d’intégration. Ils correspondent à des apprentissages complexes.

C’est en ce sens que les objectifs d’apprentissage sont moins précis que les points d’attention centraux, car ces derniers contiennent une forme d’étayage pour faciliter l’enseignement. Les points d’attention centraux sont de l’ordre de la conception de l’enseignement tandis que les objectifs d’apprentissage visent en effet à valider l’apprentissage obtenu.

Un point d’attention central correspond à la capacité à réaliser une tâche complexe ou à résoudre un problème en mobilisant diverses compétences ou connaissances liées à des objectifs d’apprentissage particuliers. 

Nous visons le développement de compétences dans le sens qu’en donne André Tricot (2017). Une compétence est l’association d’une tâche et d’au moins une connaissance. Si nous poussons plus loin cette définition, un point d’attention central représente une compétence complexe pouvant nécessiter l’intégration de différentes connaissances. Les points d’attention centraux recouvrent des connaissances déclaratives ou procédurales et les combinent.

Il n’y a pas de raccourcis pour les compétences. Elles demandent l’apprentissage des connaissances déclaratives et l’automatisation des connaissances procédurales et la création de liens entre les deux. Ces dimensions favorisent la flexibilité et le transfert dans des contextes proches. 

La réalisation de tâches complexes ou la résolution de problèmes recouvrant des points centraux, tous deux dans des contextes spécifiques sont la finalité de l’enseignement. 



Miser sur la qualité de l’enseignement et non la quantité de connaissances


Le principal facteur limitant de l’enseignement dans un contexte scolaire est le temps. Il est pratiquement impossible de prévoir la durée exacte que nous demande l’enseignement d’un thème donné dans des conditions optimales.

Lorsque l’enseignant se sent pressé par le temps, il est pris en tenaille entre deux tendances :
  • Soit, il vise la qualité de l’enseignement et par conséquent, il n’enseignera pas tous les contenus qu’il avait prévus.
  • Soit, il vise la quantité et dans ce cas, il va accélérer la cadence de l’enseignement.
Il n’y a pas de solution miracle. 

La première prévention est d’avoir bien conçu sa séquence d’enseignement et avoir prévu quels sont les éléments essentiels à voir absolument et les éléments secondaires qui peuvent n’être qu’entrevus. La seconde prévention est de privilégier des approches d’enseignement efficace (comme l’enseignement explicite et l’évaluation formative) qui vont faire un usage optimal du temps disponible au service d’un apprentissage durable et en profondeur. 

Notre enseignement doit être axé sur le résultat qu’est l’apprentissage effectif des élèves qu’il faut maximiser. Nous progressons au rythme soutenu, mais modéré par l’interaction complexe entre le contenu et la compréhension croissante de nos élèves.

Par conséquent, si nous sommes pressés par le temps, nous ne devons pas compresser notre planification, mais plutôt adapter nos séquences d’apprentissage. Une séquence d’apprentissage est un processus qui consiste à considérer un ensemble particulier de connaissances et à l’enseigner. 

La planification est potentiellement élastique en fonction des contraintes en fonction du nombre d’heures disponibles. L’enseignement d’une séquence est indépendant du temps et dépendant du contenu et des élèves. Une séquence donnée peut durer dix minutes comme elle peut durer cinq heures et cette contrainte n’est pas réellement modifiable en fonction du temps disponible. Si le temps vient à manquer, nous changeons le séquençage, mais nous ne pouvons pas le comprimer sans dégâts importants sur la qualité de l’apprentissage généré. 


Mis à jour le 24/10/2023

Bibliographie


Adam Boxer, Teaching Secondary Science: A complete guide, John Catt, 2022

Shulman, L. (1986), 'Those who understand : knowledge growth in teaching'. Educational Researcher, 15(2), pp. 4–14.

André Tricot, L’innovation pédagogique, 2017, Retz

Coe, R., Rauch, C. J., Kime, S., & Singleton, D. (2020). Great Teaching Toolkit: Evidence Review. Evidence Based Education. 

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