lundi 14 novembre 2022

Mettre en œuvre une pratique espacée en classe

Le fait d’espacer l’enseignement et les activités d’apprentissage d’une matière dans le temps peut améliorer l’apprentissage des élèves. Sa mise en œuvre impose une réflexion stratégique au niveau de la planification d’un cours.

(Photographie : Courtney Hibberd)



La pratique distribuée et sa mise en œuvre en enseignement explicite


La pratique distribuée peut exister sous différents noms : apprentissage espacé, pratique espacée, apprentissage distribué. Elle applique le principe selon lequel la matière enseignée sera apprise plus durablement par les élèves lorsque son apprentissage et sa consolidation sont espacés dans le temps. C’est l’effet d’espacement. 

La pratique distribuée est souvent opposée au bachotage. Le bachotage consiste à couvrir la matière en une seule leçon ou une succession linéaire et séquentielle de cours. Typiquement, l’enseignant voit un chapitre entièrement en classe et continue avec le suivant. Ils ne reviennent pas de manière systématique, régulière et organisée au contenu des précédents chapitres. 

La pratique distribuée rend l’apprentissage plus difficile pour les élèves sur le moment. Elle empêche les informations d’être conservées dans la mémoire de travail ou perpétuellement activées dans leur mémoire à long terme. Elle demande à ce que les informations soient récupérées de la mémoire à long terme après un certain temps. Si ce n’est pas le cas, elles doivent être réapprises. La pratique distribuée correspond de cette manière à une difficulté désirable. 

La pratique distribuée peut augmenter la probabilité d’ancrage des connaissances dans les schémas de la mémoire à long terme des élèves. Les enseignants font revenir les élèves sur des concepts, des idées ou des compétences clés de manière espacée dans le temps. Entre ces moments, l’oubli entre en action ou du moins, l’accessibilité des connaissances diminue. En procédant de cette manière, les enseignants peuvent être en mesure d’améliorer la durabilité et la profondeur de l’apprentissage chez leurs élèves.

Les enseignants peuvent appliquer les principes d’espacement à de nombreux aspects de l’enseignement et de l’apprentissage. 

Par exemple, l’espacement peut être appliqué en classe à l’enseignement à proprement parler, à la pratique des élèves ou à l’échelonnement de l’évaluation.

Deux formes de pratique espacée peuvent être distinguées :
  • L’espacement sur plusieurs cours, journées, semaines et mois
  • L’espacement au sein d’un cours singulier.



Démarches d’utilisation de l’espacement dans l’enseignement sur un temps long


Lorsque la matière est apprise au cours de plus d’une leçon dans une matière, l’espacement peut être une conséquence naturelle de l’emploi du temps hebdomadaire. D’autres cours viennent logiquement s’intercaler dans l’horaire des élèves. L’enseignement est de fait espacé. 

Un enseignant peut accentuer ce phénomène dans son cours en alternant entre deux matières différentes d’une heure de cours à l’autre. De cette manière, son enseignement est encore plus étalé dans le temps. Il peut également voir une partie d’un chapitre à un moment donné de l’année et le reste quelques mois ou semaines plus tard. 

Le danger est que pour bien fonctionner à long terme l’effet d’espacement implique que des contenus doivent avoir été correctement enseignés et effectivement appris par les élèves une première fois. 

Une limite de la pratique espacée apparait lorsque nous découpons et étalons trop les contenus. Les élèves risquent de trop oublier pour pouvoir se rappeler correctement des contenus. Il est possible que la pratique devienne trop exigeante en matière de charge cognitive pour certains élèves. 

Un intérêt de la pratique est l’idée d’une planification spiralaire. Dans celle-ci, nous revenons régulièrement sur des apprentissages antérieurs pour les compléter avec des connaissances nouvelles. La planification spiralaire induit de fait une pratique espacée.

Un autre intérêt est l’entremêlement qui s’appuie également sur une pratique distribuée. L’idée est d’alterner au sein d’une matière entre des contenus différents, mais qui nécessitent de développer des capacités de discrimination. Sans une capacité de discrimination, les élèves peuvent être amenés à faire des confusions. L’entremêlement encourage les apprenants à faire des distinctions et des liens entre des contenus d’apprentissage similaires, mais légèrement différents. 



Défis, obstacles et données probantes liés à la planification espacée de l’enseignement sur un temps long


Défis 


La mise en œuvre d’une planification de l’espacement sur plusieurs jours ou leçons peut présenter des défis importants pour l’enseignant. Elle va lui demander une intégration minutieuse dans la planification existante du programme scolaire s’il veut maximiser son impact.

Par exemple, après avoir enseigné un nouveau concept à sa classe, un enseignant note quand il reviendra sur celui-ci dans d’autres cours ultérieurs. Il s’agira par exemple de demander aux élèves de se rappeler la définition du concept ou de concevoir des tâches dans lesquelles ils l’appliqueront dans un nouveau contexte. En procédant de la sorte, l’enseignant peut contribuer à ancrer ce concept dans la mémoire à long terme des élèves.

L’espacement entre les jours ou semaines peut amener les élèves à revenir sur un concept, une idée ou un sujet spécifique. Ils le récupèrent d’abord plusieurs fois au cours d’une semaine, puis de manière au fur et à mesure plus espacée.


Obstacles


La planification et la mise en œuvre de l’espacement sur un temps long nécessitent un découpage minutieux du programme scolaire, ce qui peut présenter des difficultés. Elles sont susceptibles de demander un temps de préparation important et une organisation conséquente à l’enseignant. 

La pression exercée pour couvrir un grand nombre d’éléments d’apprentissage dans des délais limités peut conduire les enseignants à penser qu’il y a peu d’opportunités pour réintroduire des contenus précédemment enseignés. 

Les programmes sont aussi souvent organisés en blocs pour s’accorder avec les horaires et les manuels scolaires. Leur ordre est souvent décidé à l’année par les équipes disciplinaires. Cela signifie que l’application d’une approche espacée au fil des jours, des semaines ou des mois, peut parfois constituer un défi organisationnel qui dépasse les compétences d’un enseignant singulier.


Données probantes


Il existe un nombre important d’études montrant que l’espacement à long terme peut avoir un léger impact positif sur les résultats d’apprentissage. Ces études présentent toutefois d’importantes limites :
  • Les résultats des études varient considérablement d’une étude à l’autre, un nombre important d’entre elles montrant soit un impact nul, soit un effet négatif. 
  • En outre, si les principes de la pratique espacée ont été testés dans des classes réelles dans le cadre de ces études, les approches ont rarement été mises en œuvre par des enseignants. Celles qui l’ont été ont été conçues et le matériel de cours a été fourni par les chercheurs.

Les preuves liées à la planification espacée peuvent également venir indirectement d’autres domaines de recherches. 

Ainsi, elles soulignent également l’intérêt de considérer comment l’espacement peut être informé et amélioré par la rétroaction et l’évaluation formative en classe. Les enseignants peuvent utiliser ce type d’approches pour décider à quelle fréquence le contenu d’apprentissage doit être revu et quel est le meilleur moment pour augmenter le défi ou passer à autre chose.



Démarches d’utilisation de l’espacement dans l’enseignement sur un temps court


Un enseignant peut poser des questions au cours sur les différents points enseignés. De même, il peut commencer son cours par un quiz. Il peut terminer son cours en demandant à ses élèves de faire un récapitulatif de la matière vue le jour même, ou leur donner un ticket de sortie. Il peut leur demander pour le cours suivant un devoir qui revisite divers contenus. 

Toutes les techniques sont en lien avec la pratique de récupération et vont dans le sens d’une pratique distribuée. Ce faisant, les enseignants testent les connaissances de leurs élèves sur divers contenus précédemment enseignés. 

Cette approche de l’espacement peut être mise en œuvre comme une forme de révision distribuée dans le temps. De cette manière, les enseignants peuvent aider les élèves à identifier les lacunes dans leur compréhension et à récupérer leurs connaissances dans leur mémoire à long terme. Ces pratiques peuvent être intégrées aisément et de manière routinière dans la planification d’un cours. Cela signifie qu’une partie du temps en classe est systématiquement réinvestie dans la révision et la consolidation des contenus précédemment enseignés.



Défis, obstacles et données probantes liées à la planification espacée de l’enseignement sur un temps court


Défis


L’espacement à l’intérieur d’une leçon implique qu’une partie du temps est réservée à des contenus précédemment vus. Les aspects routiniers de ce processus qui implique un quiz, un devoir ou un ticket de sortie font que la mise en œuvre est relativement simple.

L’espacement à l’intérieur des leçons implique également que le processus fonctionne pour favoriser l’apprentissage dans la classe. L’idée est également lors du modelage de de nouveaux éléments qu’ils soient revisités plusieurs fois au cours de la même leçon.

Ainsi, la vérification de la compréhension au sein d’un cours reprend des éléments croisés et enseignés depuis le début du chapitre ou de la leçon. Cela correspond à une démarche volontaire de l’enseignant. 

Par exemple dans le cadre de son cours, un enseignement peut présenter quelques concepts clés. Puis il interrompt ce processus par d’autres activités qui éloignent les élèves de ce qu’ils viennent juste d’apprendre. Ensuite, l’enseignant réintroduit le sujet précédent par des tâches d’application ou des questions orales de vérification de la compréhension, ainsi de suite. 

L’enjeu est de vider la mémoire de travail de ce qui vient juste d’être appris et de favoriser un premier stockage des connaissances en mémoire à long terme. 

Cette approche suggère que la pratique distribuée devienne une préoccupation constante et pleinement intégrée chez les enseignants. Elle l’est dans la structure des cours qui présente des temps de révision dédiés. Elle l’est également dans l’introduction de nouveaux concepts rapidement resitués par rapport à d’autres concepts vus précédemment, eux-mêmes faisant l’objet d’une récupération.

L’espacement est ici considéré comme une méthode de révision des contenus d’apprentissage sur une plus longue période qui démarre avec l’enseignement initial de ceux-ci. 


Obstacles


Appliquer les principes de l’espacement dans la cadre d’un cours est un défi pour l’enseignant. Les programmes scolaires sont chargés et soumis à des contraintes de temps. Une planification de ce type sur l’année peut être un challenge important. L’avantage est qu’elle permet de tenir compte du fonctionnement de la mémoire des élèves et de maximiser l’utilisation de leur temps en classe pour la durabiliser.

Introduire l’espacement au sein des leçons peut être une méthode plus réalisable pour tirer parti des avantages de l’espacement sans apporter de modifications majeures à l’organisation de la planification générale et chronologique du programme. L’espacement à l’intérieur d’une leçon est intégré aux plans de cours et à la séquence des activités.

Introduire l’espacement au sein des leçons est également une manière de mettre en œuvre des attentes élevées auprès des élèves. L’espacement est censé augmenter la difficulté d’apprentissage des élèves en les obligeant à revoir des informations précédemment apprises, mais presque déjà oubliées. Il correspond bien à une difficulté désirable. 


Données probantes 


Les études sur l’impact de la pratique espacée au sein d’une seule leçon sont rares, mais montrent qu’elle peut avoir un effet positif sur l’apprentissage par rapport à la pratique continue.

Par contre, les données issues de la recherche sur la pratique de récupération, sur l’évaluation formative, sur la vérification de la compréhension ou l’usage de quiz à long terme sont vastes et clairement positives. 

La planification de l’espacement à l’échelle de l’heure de cours permet de conserver les bases d’une progression habituelle sous-jacente. Elle semble plus faisable et prometteuse qu’une distribution de la planification de l’enseignement sur un temps long même de la planification de l’enseignant qui demande une organisation et un pilotage complexes.



Comprendre les avantages d’une pratique espacée orientée vers le futur grâce aux sciences cognitives


Il existe différentes sources de preuves qui soutiennent la pratique distribuée : 
  • Stanislas Dehaene (2020) explique que les études d’imagerie cérébrale démontrent que la pratique regroupée (bachotage) est généralement corrélée à une diminution de l’activité cérébrale, par rapport à l’apprentissage espacé. Il suggère que cela est dû au fait que l’espacement semble créer un effet de difficulté désirable. L’espacement interdit le stockage simple dans la mémoire de travail plutôt que dans la mémoire à long terme. Il force ainsi les circuits pertinents à travailler davantage. 
  • Callan et ses collègues (2010) établissent un lien entre l’espacement et des niveaux plus élevés d’activité cérébrale liés à la répétition d’entretien, par rapport à la pratique regroupée dans le contexte de l’apprentissage du vocabulaire. 
  • Selon Brown, Roediger et McDaniel (2014), l’expérience du bachotage est trompeuse. Elle semble plus facile et on a l’impression d’en savoir plus. La pratique espacée semble plus difficile, et moins certaine, mais c’est une difficulté souhaitable, car elle nous oblige à faire davantage appel à notre mémoire à long terme. 

Selon Dehaene (2020), nous ne devions pas simplement voir la mémoire comme un système orienté vers le passé. Cette vision nous amène à combler les pertes liées à l’oubli et à retrouver des connaissances précédemment apprises.

Il est nettement plus utile de changer de perspective et de considérer que le rôle de la pratique espacée est d’envoyer des données vers le futur, afin que nous puissions y accéder ultérieurement. En récupérant plusieurs fois la même information, à des intervalles croissants, nous aidons notre cerveau à se convaincre que cette information est suffisamment précieuse pour être délivrée à notre futur moi.

Cette approche correspond avec les intervalles d’espacement croissants généralement recommandés en tenant compte de la courbe de l’oubli d’Ebbinghaus. Chaque nouvelle récupération de l’information envoie comme message à notre cerveau qu’il est rentable de la stocker plus durablement.

Cette perspective nous amène à considérer les démarches initiales liées à enseignement et à l’apprentissage, plus sérieusement. En effet, les connaissances préalables de l’apprenant et la précision de la pratique sont des facteurs modérateurs plausibles de l’effet d’espacement. Meilleures sont les connaissances préalables, meilleures sont la précision et la qualité de la pratique, meilleur sera l’effet d’espacement sur l’apprentissage résultant.

Un autre facteur essentiel de l’effet d’espacement est le fait de dormir entre deux occasions de récupération. La qualité de la consolidation en dépend.

L’efficacité de l’effet d’espacement est susceptible d’être influencée par la manière dont l’enseignement est organisé : 
  • Adapté à l’apprentissage antérieur
  • Fonction de la qualité de la pratique
  • Renforcé par une rétroaction ciblée
  • Impliquant un enseignement supplémentaire pour les points faibles.



Stratégies liées à la mise en œuvre de l’effet d’espacement dans le cadre de l’enseignement


Stratégies générales 


Un intervalle optimal entre deux récupérations des connaissances dépend de la durée souhaitée pour la rétention de la mémoire. 

Une règle communément admise est que les intervalles doivent représenter 20 % de la durée de mémorisation souhaitée. Par exemple, nous devrions récupérer des contenus après deux mois pour les retenir pendant dix mois. Le désavantage de cette approche est qu’elle ne tient pas compte de l’évolution des courbes d’Ebbinghaus.

Une autre stratégie plus fidèle, mise en évidence par la recherche est de commencer par plusieurs espaces rapprochés, puis d’augmenter progressivement les intervalles. Ce qui est intéressant dans cette façon d’envisager la mémoire, c’est que la décision est formulée en matière de récupération future et de force de la mémoire plutôt que de force actuelle ou passée. Dans tous les cas, une dernière séance de récupération gage à avoir lieu avant l’épreuve sommative.


Stratégies de différenciation et de personnalisation 


L’effet d’espacement ne s’arrête pas aux portes de l’enseignement et sa responsabilité est transmise au niveau de l’apprentissage autonome de l’élève. 

Lindsey et ses collaborateurs (2014) ont étudié le potentiel de l’utilisation d’un programme informatique pour programmer et personnaliser la pratique espacée. Les résultats de leur étude suggèrent qu’un modèle unique de révision ou de récupération est nettement moins efficace qu’un modèle personnalisé.

L’apprentissage autonome espacé doit s’adapter aux besoins différenciés de l’apprenant. 

Une manière de le comprendre est de s’intéresser à l’étude de Codding et ses collaborateurs (2019). Ils ont mis en évidence que l’opportunité de répondre à des questions a un impact plus significatif sur l’apprentissage que l’effet d’espacement. Une opportunité insuffisante de répondre a des implications négatives significatives. Ainsi les élèves n’ont pas tant besoin de recroiser les contenus en classe, que de les récupérer avec succès. La récupération avec succès est un facteur significatif. 

Tous les élèves ne retenant et n’oubliant pas exactement les mêmes contenus d’une matière, la question de la rétroaction s’impose. La rétroaction vient nécessairement compléter la pratique de récupération pour combler les oublis. Elle avertit les élèves sur ce qu’ils doivent réétudier, car ils l’ont oublié. Par conséquent, elle ne peut dès lors qu’être personnalisée à l’élève pour être efficace et il a un rôle actif à jouer là-dedans. 


Mis à jour le 19/10/2023

Bibliographie


Perry, T., Lea, R., Jørgensen, C. R., Cordingley, P., Shapiro, K., & Youdell, D. (2021). Cognitive Science in the Classroom. London: Education Endowment Foundation (EEF). The report is available from: https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/evidence- reviews/cognitive-science-approaches-in-the-classroom/ 

Callan, D. E. and Schweighofer, N. (2010) ‘Neural Correlates of the Spacing Effect in Explicit Verbal Semantic Encoding Support the Deficient‐Processing Theory’, Human Brain Mapping, 31 (4), pp. 645–659. 

Brown, P. C., Roediger III, H. L. and McDaniel, M. A. (2014) Make It Stick, Harvard University Press. 

Dehaene, S. (2020) How We Learn: The New Science of Education and the Brain, Penguin UK. 

Lindsey, R. V., Shroyer, J. D., Pashler, H., & Mozer, M. C. (2014). Improving students’ long-term knowledge retention through personalized review. Psychological science, 25(3), 639-647.

Codding, R. S., Volpe, R. J., Martin, R. J., & Krebs, G. (2019). Enhancing mathematics fluency: Comparing the spacing of practice sessions with the number of opportunities to respond. School Psychology Review, 48(1), 88-97.

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