mercredi 16 novembre 2022

Comment l’enseignement explicite permet d’atténuer le risque de désengagement des élèves

Nous avons présenté dans un article, l’approche LRI (Load Reduction Instruction) qui combine enseignement explicite et découverte guidée. Nous avons également présenté dans un autre article, la roue de la motivation et de l’engagement qui propose un modèle de synthèse des théories majeures concernant la motivation. Toutes deux sont le fruit de la conception d’Andrew J. Martin.

(Photographie : 175photograph)







L’objet de cet article est de continuer à explorer ces travaux en rapportant son analyse nuancée de la manière dont les deux sont liés. Nous prenons chaque fois un facteur clé de la motivation ou de l’engagement et observons comment il est lié aux éléments de l’enseignement explicite ou de la découverte guidée. Ces liens proposés par Andrew J Martin sont indicatifs et suggestifs, et non prescriptifs ou définitifs. 

Dans le cadre de cet article, nous allons explorer les facteurs liés au désengagement.



Comprendre le désengagement face à l’enseignement


Le désengagement est un phénomène complexe. Il peut survenir pour de nombreuses raisons :
  • L’élève peut manquer de compétences ou des connaissances préalables dans un domaine particulier. Par conséquent, il prend une position de retrait, car l’état de surcharge cognitive dans laquelle il se trouve le démotive.
  • L’élève peut manquer de compétences d’autorégulation liées par exemple à l’apprentissage autonome ou à l’organisation de son travail. Il n’est pas capable de gérer seul les attentes et les exigences qui lui font face.

Dans certains cas, parallèlement au désengagement, existent des problèmes de motivation tels que :
  • Un sentiment d’efficacité personnelle peu élevé dans le domaine considéré : je ne me sens pas capable.
  • Une faible valorisation du domaine considéré ou des tâches qu’il contient : ça ne vaut pas la peine que je m’investisse dans cette matière.
  • Un contrôle incertain conduisant à l’impuissance : je ne comprends pas ce qu’on attend de moi ni où j’en suis.

Du point de vue de la psychologie cognitive, la conception de l’instruction ou des tâches demandées peut venir surcharger la capacité cognitive de certains apprenants. Elles peuvent rendre les supports et les contenus pédagogiques confus, inintéressants et répétitifs pour les élèves, conduisant à l’abandon de l’effort.

Certains éléments liés à l’enseignement explicite peuvent être un moyen d’aborder plusieurs de ces facteurs influençant le désengagement. 

Nous allons nous consacrer plus spécifiquement à quatre aspects : 
  • L’utilisation de différentes modalités
  • L’évitement de la redondance
  • L’augmentation de la cohérence
  • La fourniture d’un temps d’enseignement approprié 



Utiliser une approche multimodale de l’enseignement pour activer l’effet de modalité


L’utilisation d’une approche multimodale est fondée sur la théorie du double codage et sur la théorie de l’apprentissage multimédia. 

Ces théories se distinguent nettement de toutes celles liées aux styles d’apprentissages qui ont par contre été invalidées. 

L’enseignement et plus spécifiquement la compréhension et l’apprentissage induit sera meilleur lorsque les élèves bénéficient d’une approche multimodale.

Dans cette démarche, nous voulons maximiser l’utilisation du système de traitement verbal (oral, écrit) et non verbal (images) pour enseigner un contenu. De cette manière, les supports d’apprentissage utilisés favorisent l’intégration et la consolidation des connaissances. Nous voulons combiner l’usage du canal visuel et du canal oral pour l’information.

L’idée clé est que les élèves peuvent être plus vite épuisés sur le plan cognitif s’ils doivent suivre des informations d’une manière qui pèse sur un processeur particulier (oral ou visuel). 

Imaginons que trop d’informations sont présentées visuellement (par le biais d’images, de cases à cocher, d’un diagramme, d’un tableau, etc.). Le processeur visuel atteint sa capacité maximale et l’apprenant doit donc consacrer de plus en plus d’énergie à son maintien (Mayer & Moreno, 2010 ; Sweller, 2012). La même situation peut se produire si l’apprenant n’a accès qu’à des informations écrites et visuelles, sans contributions orales.

Plutôt que de surcharger le processeur visuel avec, par exemple, une image et du texte, une partie de l’information peut être déchargée sur le processeur auditif sous forme de récit oral.

Ainsi, lorsqu’un support d’apprentissage diversifié est disponible, l’enseignant peut présenter les nouveaux éléments dans des modalités différentes. Par exemple, il peut projeter une image accompagnée d’une explication orale que les apprenants peuvent voir et entendre en même temps. Nous activons ici l’effet de modalité.

Une condition importante à la manifestation de l’effet de modalité est que les informations soient différentes d’une modalité à l’autre. Simplement répéter les mêmes informations sous forme écrite et narrative est inefficace et redondant. De plus, il est également évident que toute information écrite ou orale doit être concise afin de ne pas surcharger le traitement de l’information verbale.

Dans une adaptation de l’effet de modalité, Moreno et Mayer (2010) ont identifié le principe multimédia comme un principe ayant un rendement particulier pour les apprenants novices. Les individus apprennent mieux lorsque nous combinons les médias plutôt que de présenter un seul média. Le fait d’associer des images pertinentes à un texte ou à des explications orales rend le contenu plus propice à l’apprentissage.

Pour les apprenants ayant peu de connaissances préalables, la présentation du contenu pédagogique en deux modes (par exemple, texte et illustrations ou narration et animation) peut entraîner un apprentissage plus significatif. Comme les novices ne disposent pas de connaissances préalables pour guider le traitement des nouvelles informations, ils peuvent être aidés par une modalité supplémentaire pour structurer les informations dans la mémoire de travail (Moreno & Mayer, 2010). 

En revanche, les experts ont tendance à ne pas avoir besoin de cette modalité supplémentaire. 



Éviter la redondance dans la conception pédagogique


Il est important que les supports pédagogiques ne soient pas présentés lors de l’enseignement d’une manière qui rende une partie de ceux-ci redondants. Le fait de présenter deux fois la même information oblige l’apprenant à concilier les deux sources d’information entrantes, ce qui accroît le traitement requis par la mémoire de travail (Mayer & Moreno, 2010). 

Cela risque également de rendre les supports pédagogiques inintéressants et répétitifs, augmentant ainsi le risque de désengagement de la tâche. 

Par exemple, si un diagramme évident est présenté, il n’est pas nécessaire de l’accompagner d’un texte explicatif. Dans ce cas, le texte est redondant et interfère avec la capacité cognitive. C’est l’effet de redondance (Mayer & Moreno, 2010 ; Sweller, 2012).

Ainsi, dans un diagramme sur la circulation sanguine dans le cœur, les poumons et le corps, il peut y avoir des flèches indiquant le passage du sang. Il peut y avoir alternativement des énoncés sous le diagramme fournissant les mêmes informations sur la circulation sanguine. Le diagramme intelligible sans les explications écrites détaillées en dessous facilitera l’apprentissage. 

Cependant, il existe des situations où une certaine forme de redondance va augmenter la cohérence des supports pédagogiques : 
  • Nous devons faire la distinction entre :
    • La redondance qui consiste à présenter simultanément le même matériel et du matériel inutile, ce qui surcharge la mémoire de travail. 
    • La répétition qui consiste à présenter successivement le même matériel ou un matériel similaire, ce qui ne surcharge pas la mémoire de travail (Sweller, 2012). 
  • Pour certains profils d’apprenants, la redondance peut être appropriée :
    • Lorsque nous suivons un enseignement qui n’est pas donné dans notre langue maternelle, nous pouvons bénéficier de supports présentant à la fois un texte et une narration. 
    • Des apprenants présentant des handicaps particuliers pour une modalité bénéficieront également de la redondance. Les apprenants malentendants, par exemple, ont besoin que les mêmes informations soient présentées visuellement (Mayer & Moreno, 2010). 
  • De manière plus générale, Mayer et Johnson (2008) ont également démontré qu’une petite quantité de redondance dans l’apprentissage multimédia pouvait favoriser l’apprentissage. 



Prendre en compte le principe de cohérence


Il est également important d’organiser le matériel de manière à réduire ou à supprimer les éléments superflus ou trop élaborés qui peuvent être tangents à l’apprentissage essentiel (Marzano, 2003 ; Purdie & Ellis, 2005). 

Le principe de cohérence se manifeste dans le fait de ne présenter que les informations essentielles pour permettre à la mémoire de travail de les traiter dans toute sa capacité. 

Parfois, dans le but de rendre les contenus plus attrayants pour les élèves, les enseignants peuvent présenter des effets sonores, des animations ou des séquences vidéo. Cependant, ces éléments ajoutés peuvent être étrangers à l’apprentissage essentiel requis et risquent de surcharger et d’épuiser la mémoire de travail nécessaire à l’apprentissage central (Mayer & Moreno, 2010).

Les informations essentielles, dont la présentation est utile pour les novices, deviennent redondantes par la suite lorsque les apprenants deviennent plus avertis. Pour ces derniers, elles devraient être réduites, puis exclues. 

En ce qui concerne la motivation et l’engagement, le fait de mettre l’accent sur les informations essentielles et de les présenter aux apprenants leur permet d’identifier les éléments clés qui doivent être appris. Cela réduit le risque de rendre les supports confus, inintéressants et répétitifs, réduisant ainsi le risque de désengagement de la tâche. 

La première étape nécessaire à l’établissement de la cohérence consiste pour l’enseignant à différencier clairement :
  • Le contenu et les compétences qu’il est essentiel pour les élèves de maîtriser. 
  • Le contenu et les compétences qu’il n’est pas nécessaire de maîtriser. 

Cette démarche implique d’établir une hiérarchie des contenus et des compétences essentiels (Marzano, 2003). Les approches pédagogiques tournent alors autour de ce contenu essentiel, en réfléchissant soigneusement aux éléments ajoutés qui pourraient distraire ou surcharger inutilement la mémoire de travail l’apprenant. L’optimisation de la cohérence a des retombées cognitives évidentes. 



Accorder un temps d’enseignement approprié 


Les estimations du temps d’enseignement que les élèves obtiennent en classe varient. Certaines ne dépassant pas 21 % du temps de classe, d’autres atteignant 69 % (Marzano, 2003). 

En utilisant la limite inférieure, environ 1 à 2 heures sont consacrées à l’apprentissage chaque jour. En utilisant l’estimation supérieure, les élèves reçoivent environ 3 à 4 heures d’instruction par jour. Il s’agit d’une différence substantielle dans le temps d’enseignement. 

Selon Marzano (2003), cette différence joue un rôle majeur dans le fait que les élèves couvrent complètement ou partiellement leur programme d’études. Dans la mesure où certains élèves ne couvrent pas le programme, leur performance relative est susceptible de diminuer, ce qui augmente le risque de désengagement (Covington, 2000 ; Finn, 1989). 

L’approche Load Reduction Instruction, qui combine enseignement explicite et découverte guidée reconnaît qu’il est nécessaire de disposer d’un temps d’instruction suffisant pour une tâche, une unité ou un sujet donné. Les enseignants efficaces ont tendance à générer plus de temps d’enseignement consacré à fournir des explications supplémentaires, à donner plus d’exemples et à vérifier la compréhension plus fréquemment et plus profondément (Evertson, et coll., 1980). 

Cela signifie également un temps suffisant pour développer la fluidité et l’automaticité avant de passer à la pratique autonome et à l’apprentissage par découverte guidée. 

À l’inverse, les enseignants moins efficaces ont tendance à disposer de moins de temps d’enseignement. Ils délivrent des présentations, des explications et des exemples plus courts. Ils consacrent moins de temps pour développer la fluidité et l’automaticité avant de faire passer les élèves à la pratique autonome (Rosenshine, 1986, 2009). 

L’absence de temps d’enseignement et de préparation appropriés augmente le risque de désengagement vis-à-vis de la tâche ou de l’unité de matière. Il existe deux façons d’augmenter le temps d’enseignement :
  • Agir au niveau de l’école. 
    • La direction de l’école examine de près l’organisation des journées, des semaines, des mois et de l’année scolaire.
    • Elle réfléchit à la programmation du temps, à l’ordre des cours, à l’attribution des locaux et à leur équipement. 
    • Elle exige également des enseignants qu’ils minimisent les perturbations au cours de la leçon. L’enjeu est d’optimiser le temps d’enseignement réel avec une politique de gestion du comportement efficace.
  • Agir au niveau de l’heure de cours ;
    • Rosenshine (1986, 2009) a suggéré le fait qu’il est utile que les enseignants puissent être présents dans leur local pendant environ 8 à 10 minutes avant toute activité pratique. 
    • Sont également utiles :
      • Un enchainement fluide des activités en classe sans temps morts.
      • L’établissement de routines qui permettent de gagner du temps.
      • L’usage par l’enseignant de pratiques de vérification de la compréhension suscitant l’engagement, améliorant l’attention et favorisant un traitement cognitif génératif de la part des élèves 

Dans l’ensemble, il est important que les élèves aient un meilleur accès aux supports pédagogiques et qu’ils disposent de plus de temps pour les couvrir ce contenu. Ils bénéficient également de la rétroaction et du guidage d’un expert (l’enseignant) pour passer du statut de novice à celui d’apprenant plus développé. Ces processus aident les élèves à être engagés et à progresser tout en répondant aux exigences du programme et de la matière enseignée, ce qui réduit le risque de désengagement.

Mis à jour le 20/10/2023

Bibliographie


Martin, A.J. (2016). Using Load Reduction Instruction (LRI) to boost motivation and engagement. Leicester, UK: British Psychological Society. 

Mayer, R.E. & Johnson, C.I. (2008). Revising the redundancy principle in multimedia learning. Journal of Educational Psychology, 100, 380–386 doi.org/10.1037/0022-0663.100.2.380 

Sweller, J. (2012). Human cognitive architecture: Why some instructional procedures work and others do not (pp.295–325). In K.R. Harris., S. Graham. & T. Urdan (Eds). APA educational psychology handbook. Washington: American Psychological Association. doi.org/10.1037/13273-011 

Purdie, N. & Ellis, L. (2005). A review of the empirical evidence identifying effective interventions and teaching practices for students with learning difficulties in Years 4, 5, and 6. Melbourne: Australian Council for Educational Research. 

Mayer, R.E. & Moreno, R. (2010). Techniques that reduce extraneous cognitive load and manage intrinsic cognitive load during multimedia learning. (pp.131–152). In J.L. Plass., R. Moreno. & R. Brunken (Eds). Cognitive load theory. Cambridge: Cambridge University Press. 

Marzano, R.J. (2003). What works in schools. Alexandria, VA: ASCD. 

Covington, M.V. (2000). Goal theory, motivation, and school achievement: An integrative review. Annual Review of Psychology, 51, 171–200. 

Finn, J.D. (1989). Withdrawing from school. Review of Educational Research, 59, 117–142. doi.org/10.3102/00346543059002117 

Evertson, C., Anderson, C., Anderson, L. & Brophy, J. E. (1980). Relationship between classroom behaviors and student outcomes in junior high mathematics and English classes. American Educational Research Journal, 17, 43–60. doi.org/10.3102/00028312017001043 

Rosenshine, B.V. (1986). Synthesis of research on explicit teaching. Educational Leadership, 43, 60- 69. 

Rosenshine, B.V. (2009). The empirical support for direct instruction. In S. Tobias & T.M. Duffy (Eds). Constructivist instruction: Success or failure? New York: Routledge. 

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