jeudi 10 novembre 2022

Favoriser l’engagement des élèves en misant sur les intérêts personnels ou la compétition, un pari hasardeux

Dans une certaine mesure, les élèves seraient sensibles au jeu et à la compétition. Ils apprécient qu’on leur parle de sujets pour lesquels ils ont un intérêt personnel. Cependant, miser sur de tels aspects dans le cadre de l’enseignement permet-il d’augmenter leur engagement et par là leurs apprentissages ?

(Photographie : Mindaugas Buivydas)



Le pari fragile de la compétition face au risque d’échecs


Les élèves attirés par une dimension ludique apprécieraient la compétition. Intuitivement, nous pourrions penser que rendre les activités scolaires compétitives les motiverait à s’investir davantage et à mieux apprendre. 

Malheureusement, plutôt que de susciter plus d’efforts et enthousiasme, cette stratégie de motivation entraine plus souvent l’effet inverse sur les élèves qui démarrent avec un déficit d’auto-efficacité. Le risque est de pénaliser les élèves que nous souhaiterions au contraire renforcer avec au final un accroissement des écarts.

L’affinité pour le jeu est une compétence biologiquement primaire sur laquelle nous pouvons miser. Cependant, dans le cadre des cultures modernes, les capacités intellectuelles sont valorisées et plus particulièrement en milieu scolaire elles sont évaluées. Il existe une concurrence entre les deux dimensions.  

Plus particulièrement pour les élèves, les aptitudes scolaires sont privilégiées par rapport aux autres habiletés. Cette importance particulière accordée aux capacités intellectuelles a un impact profond sur la confiance en soi, l’estime de soi et les stratégies comportementales adoptées par les élèves face à l’école.

Les sentiments que nous éprouvons à l’égard de nos capacités scolaires et les jugements que les autres portent sur ces capacités dans tel ou tel domaine affectent directement notre sentiment d’efficacité personnelle dans celui-ci. Si la réussite augmente le sentiment d’efficacité personnelle, les échecs le réduisent. Les élèves qui ont de moins bons résultats seront victimes potentielles d’une double peine avec un système de compétition et n’en seront généralement pas bénéficiaires. 



L’évitement et l’autosabotage comme stratégies de protection face à la compétition


Certaines élèves sont plus susceptibles de faire moins de travail par désir de s’intégrer au groupe de pairs moins investis. Toutefois, n’importe quel élève peut se désengager dans une stratégie d’évitement de l’échec ou d’autosabotage en tant que stratégie de protection de l’estime de soi.

Paradoxalement, ce n’est qu’en garantissant l’échec, par un manque d’effort palpable et public, que certaines élèves peuvent éviter une forme d’échec plus dommageable pour leur image d’eux-mêmes. En ne faisant pas d’efforts, les élèves évitent de porter atteinte à leur perception d’eux-mêmes. L’estimation de leur capacité n’est pas en danger.

Faire des efforts et échouer est le signe de faibles capacités intellectuelles dans un milieu qui valorise ces capacités. 

S’autosaboter en ne travaillant pas et en échouant permet de protéger leur estime de soi. S’ils n’ont pas vraiment essayé, ils n’ont pas vraiment échoué et leurs capacités n’ont pas réellement été évaluées.

La compétition va accentuer le facteur de risque d’échec et sa visibilité, ce qui rend certains élèves encore plus susceptibles de s’autosaboter lorsqu’ils sont confrontés à la potentialité d’un échec public.

La stratégie qui consiste à accroître la compétition en classe, dans le but d’inciter les élèves à s’engager dans l’apprentissage, peut être contreproductive. Elle peut intensifier l’adoption de stratégies défensives de la part d’élèves en difficulté qui craignent pour l’image d’eux-mêmes. Les élèves ont déjà une dose suffisante de compétition en dehors des apprentissages scolaires et même de manière inhérente au sein de ceux-ci pour ne pas en rajouter.



Promouvoir la comparaison intrapersonnelle et éviter la comparaison interpersonnelle


Si la compétition est à éviter, l’un des meilleurs moyens de s’assurer que les élèves retiennent les connaissances est de les tester. De manière significative, ces tests sont plus efficaces lorsqu’ils sont à faible enjeu. Il s’agit d’évaluations formatives. Comme ils ne génèrent pas de point, les évaluations formatives peuvent être neutres pour l’anxiété. Les élèves semblent mémoriser mieux les informations dans ces circonstances. Ces évaluations à faibles enjeux préparent efficacement aux évaluations à enjeux élevés.

Il existe quelques interdits pour éviter tous les effets néfastes de la compétition en classe : 
  • Ne pas demander aux élèves de corriger mutuellement leurs tests par contre la coopération sur la mise en commun de réponses dans une démarche de co-évaluation est positive.
  • Ne pas donner oralement les points des élèves à un test ou les rendre potentiellement visibles à tous.
  • Ne pas rendre les évaluations aux élèves dans un ordre croissant ou décroissant de points. 
  • Ne pas faire de commentaires négatifs à un élève sur ses résultats devant ses camarades ou mettre en évidence ses faiblesses.
  • Ne pas obliger un élève à repasser un test en cas de mauvaise performance (et non d’effort insuffisant) lorsqu’aucun dispositif de soutien préalable n’est mis en œuvre.

Le fait de donner, intentionnellement ou non, un caractère compétitif à des activités qui pourraient autrement se concentrer sur les domaines d’amélioration individuelle est dangereux. Cela risque fort de décourager davantage ceux qui ont le plus besoin d’un retour d’information sans jugement sur leurs performances.



Pièges liés à un enseignement attrayant pour les intérêts des élèves


En dehors de la compétition, une autre piste tentante pour capturer l’engagement des élèves est de colorer les contenus de l’enseignement en rapport avec les intérêts personnels ou la culture des élèves.

En sélectionnant des contenus et des contextes que les élèves apprécient, intuitivement, il semble évident qu’ils seront plus prompts à s’engager et dès lors à mieux apprendre.

Cette logique comporte certaines failles que nous allons explorer.


Être hors contexte


Une première faille est que cibler les intérêts des élèves n’est pas d’emblée susceptible de les engager et peut au contraire stimuler leur ennui.

Il nous est arrivé à tous d’assister à une conférence, de lire un article ou de regarder une vidéo (parfois par obligation) sur un sujet que nous pensions ne pas intéresser, pour finalement nous trouver fascinés. 

De même, il est facile de s’ennuyer, même si l’on aime habituellement le thème d’une conférence, d’un article ou d’une vidéo. Le contenu peut ne pas correspondre pas exactement à nos attentes et à notre sensibilité, ou, car le traitement manque d’authenticité et d’originalité.

Ainsi viser les intérêts des élèves peut manquer de subtilité et se révéler contreproductif. De plus, lorsque le contexte de l’intérêt est un emballage attrayant et que nous en revenons bien vite aux concepts abstraits de nos cours, les élèves peuvent détecter rapidement le leurre. 


Sous-estimer l’hétérogénéité


De plus, tous les élèves ne partagent pas les mêmes intérêts. Certains thèmes en intéressent certains, mais peuvent être rejetés par d’autres ce qui peut augmenter le désengagement de ces derniers. 

Des activités qui se veulent amusantes et attrayantes ne le seront pas pour tous les élèves compte tenu de l’hétérogénéité des classes, ce qui peut accroître les écarts. Les élèves ne forment pas une masse uniforme et homogène et nous ne pouvons faire de supposition sur leurs intérêts communs d’adolescents.

Le danger de chercher les intérêts des élèves peut amener à renforcer des catégorisations qui les enferment et peuvent pousser des élèves à se désengager de certains processus d’apprentissage. Nous perdons des opportunités de sensibilisation des élèves à des contenus et à des supports auxquels ils n’auraient pas accès autrement.


La distraction


Alternativement, le risque est que les élèves focalisent leur attention sur les éléments de surface destinés à éveiller leur intérêt et passent à côté de la partie pertinente sous-jacente qui est l’objet même de l’enseignement.

L’activité amusante et attrayante risque d’amener les élèves à penser beaucoup plus à l’expérience qu’aux connaissances. 



La mission première de l’enseignement face aux intérêts des élèves


La mission première de l’école n’est pas de rencontrer les intérêts extrascolaires des élèves et de le conforter dans ce qu’ils connaissent déjà. Elle est d’ouvrir les élèves à la réalité complexe du monde.

Mécaniquement, proposer aux élèves des contenus qui rencontrent leurs intérêts préexistants va leur faire perdre accès à certaines sources authentiques qu’ils ne connaissent pas, ce qui a un effet négatif sur leur constitution d’un capital culturel.

En faisant appel aux intérêts des élèves et en rendant le programme scolaire pertinent uniquement pour leur vie actuelle, nous limitons leur exposition à des idées nouvelles. Nous faisons des suppositions sur ce qu’ils apprécieront ou sur ce qu’ils seront capables de gérer sur le plan scolaire.

L’idée de capital culturel a été introduite par le sociologue français Pierre Bourdieu (La distinction, 1979). Il défend l’idée que nous accumulons du capital culturel en accédant à certaines connaissances, comportements et compétences qui sont hautement valorisés dans la société. Ces connaissances, selon Bourdieu, déterminent la façon dont les autres perçoivent notre compétence culturelle et déterminent notre statut social. Les élèves issus de milieux socioéconomiques défavorisés sont généralement moins exposés aux idées susceptibles de leur permettre d’accumuler du capital culturel. 

Dans ce cas, il incombe à l’école de veiller à ce que les élèves aient la possibilité d’accumuler du capital culturel afin d’éviter d’être perdus par rapport à leurs camarades plus favorisés. Ainsi ce sont les élèves pour lesquels nous serions les plus susceptibles de chercher à rencontrer les intérêts qui seraient le plus victimes de cette démarche.



Le risque de témoigner de faibles attentes en privilégiant les intérêts des élèves


La stratégie d’engagement par la rencontre des intérêts ne rend pas service aux élèves. Elle encourage de faibles attentes et nous amène à baisser nos exigences. 

Les faibles attentes à l’égard des élèves contribuent à leurs faibles résultats scolaires. Les élèves de milieux socioéconomiques défavorisés ont besoin de plus de défis, pas de moins de défis. 

Certaines écoles peuvent ne pas posséder de stratégies liées à la gestion des comportements clairement établies à l’échelle de l’école comme le soutien au comportement positif les propose. Les enseignants d’écoles difficiles peuvent être amenés à adopter pour une question de survie professionnelle un style direct et affirmé. Cela peut les faire passer pour des personnes dures et sévères, auxquelles il ne faut pas se frotter. Ce genre de démarche amène les enseignants à créer une atmosphère qui n’est pas nécessairement propice aux attentes élevées. 

Jouer sur la proximité culturelle et le copinage pour essayer de garder les élèves difficiles sous contrôle à bon compte est une stratégie peu judicieuse parce qu’elle revient à exprimer de faibles attentes.



L’engagement dans des activités en classe comme indicateur faible d’apprentissage


L’idée selon laquelle le fait de rendre les cours divertissants ou adaptés aux intérêts des élèves permettra d’accroître la concentration et d’améliorer les résultats est une erreur très répandue. L’engagement qui se manifeste lors d’un cours par des élèves qui semblent intéressés et motivés est un mauvais indicateur de l’apprentissage. 

Si l’absence d’apprentissage peut être visible, l’apprentissage est invisible. Il ne suffit pas à un observateur de dire que ces élèves s’intéressent à leur travail et accomplissent des tâches avec performance à un moment donné. Ils doivent donc apprendre des contenus dont ils se souviendront à moyen et long terme. Un traitement cognitif signifiant peut tout aussi bien être effectué par des élèves qui écoutent passivement que par des élèves actifs qui manipulent. 

En résumé, ce qui compte pour nos élèves avant tout, c’est la mobilisation pertinente par l’enseignant de stratégies efficaces :
  • Elle n’inclut pas le besoin de s’appuyer sur des approches innovantes ou créatives.
  • Elle ne demande pas que les élèves passent un temps conséquent sur des projets ou à découvrir de nouveaux contenus et à construire leurs connaissances par eux-mêmes en interaction.
  • Elle n’impose pas de prouver que des progrès sont réalisés à l’échelle de l’heure de cours ni de rendre ses cours systématiquement attrayants et divertissants pour ses élèves.
  • Elle impose de proposer de défis à leur mesure, liés à des intentions d’apprentissage et de mettre en œuvre des attentes élevées.

Mis à jour le 17/10/2023

Bibliographie


Matt Pinkett, Mark Roberts, Boys Don’t Try?, Routledge, 2019. 

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