(Photographie : Inga Schunn)
Fondements empiriques et théoriques de l’enseignement explicite
L’enseignement explicite est né de la recherche sur l’efficacité de l’enseignement. Ce n’est donc pas une méthode imaginée a priori, ou déduite d’une théorie. C’est la synthèse d’un grand nombre d’observations et d’expérimentations qui ont porté au jour des facteurs associés à une meilleure réussite des élèves. Ces facteurs ont été organisés en un ensemble cohérent de pratiques, qui assemblées, associées et intégrées forment le modèle de l’enseignement explicite (Rosenshine, 2009).
Nombre d’éléments associés à un enseignement explicite ont trouvé une justification dans le domaine de la psychologie cognitive, notamment en lien avec l’architecture cognitive humaine. Le rôle des mémoires de travail et celui de la mémoire à long terme sont centraux. Le fonctionnement de l’attention, la nécessité d’un engagement actif ou l’importance de la consolidation des apprentissages sont pris en compte. Plus particulièrement, la théorie de la charge cognitive permet d’expliquer les mécanismes qui fondent l’efficacité d’un enseignement explicite.
Caractéristiques de l’enseignement explicite
Les élèves sont guidés tout au long du processus d’apprentissage. Ce processus démarre par l’énoncé d’objectifs clairs sur les contenus et les raisons d’apprendre la nouvelle compétence. Il se poursuit par des explications claires et des démonstrations du contenu à acquérir. Il continue par une pratique guidée puis autonome, accompagnée de rétroaction jusqu’à ce qu’une maîtrise autonome soit atteinte par l’élève (Archer & Hughes, 2011).
Pour l’essentiel, l’enseignement explicite se caractérise par une série de soutiens ou d’étayages fournis au départ et progressivement retirés. C’est le I do, We do, You do où la responsabilité des apprentissages se transfère peu à peu de l’enseignant vers les élèves.
L’enseignement explicite ne constitue pas un modèle unique et rigide, mais plutôt un agencement de pratiques pédagogiques qui reposent sur des principes communs structurant la conception et le suivi des séances (Hughes et coll., 2017) :
- Énoncer des objectifs clairs.
- Segmenter les compétences et apprentissages complexes.
- Procéder par étapes précises, chacune devant être maîtrisée avant de passer à la suivante qui l’intègre.
- Délivrer aux élèves des descriptions, des exemples et démonstrations claires des notions à acquérir, grâce au modelage et à la réflexion à voix haute.
- Promouvoir l’engagement actif des élèves par de nombreuses sollicitations.
- Multiplier les occasions pour les élèves d’échanger avec l’enseignant et de recevoir de la rétroaction.
- Faire pratiquer les notions ciblées de façon intense, répétée puis distribuée dans le temps.
- Etc.
L’enseignement explicite n’est pas frontal
L’enseignement explicite n’est pas un enseignement traditionnel ni un enseignement magistral. Il n’est pas axé sur la transmission sous la forme d’un monologue de l’enseignant (Gauthier, Bissonnette & Richard, 2013).
Martella, Klahr et Li (2020) le décrivent. Une erreur d’interprétation fréquente est que l’apprentissage actif serait antagonique avec un enseignement explicite, sous l’hypothèse que l’enseignement explicite s’appliquerait uniquement à une méthode magistrale et serait entièrement fondé sur l’enseignant.
S’il y a bien, dans l’enseignement explicite, une part assumée de transmission de contenu, cela ne représente qu’une faible fraction du temps d’enseignement que nous appelons le modelage.
L’enseignement explicite ne rend pas les élèves passifs
L’enseignement explicite est focalisé sur un engagement actif et soutenu des élèves dans leurs activités d’apprentissage. L’enseignant sollicite en permanence leur participation et leur réflexion, les questionne, les incite à générer des hypothèses, leur adresse des retours d’informations appropriés de manière à leur faire réviser leur propre compréhension de l’objet d’apprentissage.
L’enseignant dédie une grande partie de son activité à la vérification de la compréhension chez les élèves, ce qui implique qu’il s’engage dans de nombreuses interactions avec eux. L’enseignement explicite suppose une pratique intensive des notions à acquérir de la part des élèves. Chaque séance est ainsi majoritairement consacrée à la pratique active par les élèves des notions à acquérir.
De plus, l’enseignement explicite intègre différentes formes d’organisation et de gestion de la classe, qu’il s’agisse de travail en groupe ou dyade, de travail collaboratif, etc.
L’enseignement explicite n’est pas centré sur l’enseignant
L’enseignement explicite a parfois été qualifié d’approche centrée sur l’enseignant. C’est particulièrement le cas par des promoteurs d’autres approches (socioconstructiviste ou dans la mouvance de l’Éduction nouvelle). Ces derniers revendiquent davantage la découverte et la construction par les élèves de leurs propres connaissances, des approches qui seraient quant à elles centrées sur les élèves.
Cette étiquette d’approche centrée sur l’enseignant — et au détriment des élèves — a été forgée par les tenants de ces approches pour les mettre en valeur. L’idée véhiculée est que ces approches se préoccuperaient davantage des élèves. À l’opposé, les approches instructionnistes comme l’enseignement explicite reflèteraient le bon vouloir, la rigidité et la toute-puissance de l’enseignant face à la soumission des élèves.
Cela n’a toutefois pas grand-chose à voir avec la réalité de ce qui se passe en classe lors d’un enseignement explicite. Archer et Hughes (2011) défendent au contraire l’idée qu’enseigner explicitement c’est bel et bien être centré sur les élèves. L’enseignant fonde ses décisions sur leurs besoins et sur leur progression dans la maîtrise du contenu à acquérir. Ses interactions multiples lui donnent accès à un retour d’information régulier sur là où ils en sont dans leurs apprentissages. Ses décisions sont elles-mêmes éclairées par les connaissances sur la façon dont les élèves apprennent et sur les habiletés qu’ils ont besoin d’acquérir pour progresser dans la maîtrise d’une compétence.
Cela n’a rien à voir avec une adhésion rigide à des techniques centrées sur l’enseignant.
Une conception active du rôle de l’enseignant
L’enseignement explicite est fondé sur une conception active du rôle de l’enseignant. Hattie (2022) rappelle que, du point de vue de l’enseignant, l’enseignement explicite signifie qu’il va en classe en sachant qu’il est le moteur du changement. Cela s’oppose à une conception, répandue par ailleurs, où l’enseignant est vu comme un simple facilitateur de la construction des connaissances des élèves. Les enseignants qui se rendent en classe en sachant qu’ils sont acteurs du changement sont plus susceptibles de réussir que ceux qui s’y rendent en pensant qu’ils sont des facilitateurs de la construction de compétences.
Dans un enseignement explicite, c’est l’enseignant qui mène le jeu, qui enseigne, supervise, interroge ou encore, donne de la rétroaction. Il sollicite constamment les élèves et vérifie régulièrement leur niveau de compréhension.
Dans leur état de l’art sur l’efficacité de l’enseignement, Muijs et coll. (2014) rappellent d’ailleurs qu’il y a beaucoup de prises de parole de l’enseignant dans les classes des enseignants efficaces. Cette prise de paroles tient dans le fait de questionner, de donner de la rétroaction plutôt que dans le fait de délivrer de longs monologues.
Du simple vers le complexe
L’enseignement explicite repose sur l’idée qu’il faut partir du simple pour aller vers le complexe. Il s’agit de repérer préalablement les étapes nécessaires à l’acquisition d’une notion en déterminant quelles sont les différentes habiletés impliquées.
La compétence ou le savoir à acquérir sont divisés en sous-éléments qui seront enseignés spécifiquement.
Par exemple, acquérir un raisonnement scientifique expérimental nécessite, entre autres, de comprendre la notion de contrôle des variables. C’est par exemple ne faire varier qu’une seule variable à la fois pour être sûr que c’est bien celle-là, et non une autre. De cette manière, nous pouvons mettre en évidence ce, qui provoque des changements dans le phénomène observé, toutes choses égales par ailleurs. Il faut donc enseigner spécifiquement cette habileté (Martella, Klahr & Li, 2020).
Concernant la résolution de problèmes, plutôt que de la considérer comme une compétence générale qui ne peut être travaillée que globalement, nous pouvons identifier les éléments constitutifs, des étapes ou encore des heuristiques et enseigner explicitement.
Une articulation de l’enseignement explicite sur les objectifs d’apprentissage
Le fait d’enseigner explicitement un contenu, plutôt qu’implicitement, renvoie à la spécificité de l’apprentissage. Cela intègre l’idée que l’activité pédagogique proposée va être explicitement focalisée sur l’acquisition d’une connaissance spécifique (Connor, Morrison & Slominski, 2006). Il s’agit donc de faire correspondre une activité particulière avec un objectif d’apprentissage particulièr.
L’enseignement explicite ne consiste pas à apprendre par infusion à l’occasion d’une activité d’apprentissage vaguement reliée aux contenus et aux compétences à apprendre. Le but reste la maîtrise de la compétence au niveau le plus élevé à travers une succession d’objectifs d’apprentissage. Une fois maîtrisés, les éléments appris de manière spécifique sont intégrés et mis au service d’une pratique plus générale.
S’entraîner à produire une action spécifique n’a de sens que si elle peut être réinvestie dans la pratique générale et être service d’une meilleure performance. Les élèves doivent réinvestir leurs acquis spécifiques dans des activités complexes, dans le cadre d’un transfert proche, qui sollicitent l’utilisation et la coordination des éléments appris. La réalisation de ces activités complexes sera d’autant facilitée que les sous-habiletés nécessaires auront été préalablement automatisées, libérant ainsi des ressources cognitives pour le problème à traiter.
Structuration et étapes d’un enseignement explicite
L’enseignement explicite fait référence à un ensemble d’approches dirigées par l’enseignant, axées sur une démonstration par l’enseignant, suivie d’une pratique guidée et d’une pratique autonome (Education Endowment Foundation, 2022).
Étape 1 : L’ouverture de la séance ou mise en situation
- Durant la phase d’ouverture, l’enseignant réactive les connaissances préalables pertinentes, ce qui va faciliter les connexions entre information ancienne et information nouvelle. Il réalise une évaluation diagnostique et remédie aux manques éventuellement détectés.
- L’enseignant ne se contente pas de dire « Vous vous souvenez de X que vous avez étudié l’année/la semaine dernière ? ». Il interroge les élèves : « Dis-moi ce que nous avons vu la dernière fois », « Qu’était-il important de retenir », « Quel était le sens, l’utilité de cet élément », « Quelqu’un peut-il reformuler et compléter ce que Untel vient de dire ? », etc.
- L’enseignant précise les objectifs d’apprentissage en les énonçant sous forme de défi. Il attire l’attention des élèves sur les notions essentielles à maîtriser afin qu’ils puissent maintenir un but en mémoire et focaliser leur attention sur les points clés de l’apprentissage à réaliser. Il rend visible l’attendu en matière de productions.
- Les élèves peuvent ainsi se concentrer sur les contenus essentiels et sur les attentes qui y sont liées et ne pas se perdre dans le superflu.
- Nous orientons l’attention des élèves :
- Pour optimiser l’encodage par un bon usage de leurs ressources limitées en mémoire de travail.
- Pour favoriser le stockage de l’information et son transfert en mémoire à long terme.
- La mémoire est en effet un ensemble de systèmes de projection de l’information dans l’avenir (Dehaene, 2018). Le cerveau retient ce qu’il anticipe d’être important pour le futur.
Étape 2 : Le modelage (Je fais/I do)
- L’enseignant fait une démonstration de l’objet d’apprentissage, expose les notions essentielles à apprendre.
- Il procède par des exemples et des contre-exemples qui permettent de cerner les propriétés essentielles de l’objet.
- La clarté du propos est essentielle et il convient que l’enseignant évite les digressions, le superflu et les redondances, qu’il explore la notion de façon à la fois riche, précise et concise.
- L’enseignant réalise une tâche étape par étape devant ses élèves, du simple vers le complexe, tout en décrivant ce qu’il fait pendant qu’il le fait « en mettant un haut-parleur sur sa pensée ».
- Il fait généralement pour cela une utilisation privilégiée de problèmes résolus (worked examples) ou de productions exemplaires.
- Cette étape s’imbrique dans la suivante. Rapidement, pour engager les élèves, l’enseignant demander aux élèves de démontrer à leur tour, de reprendre une étape ou de l’aider dans sa démarche de démonstration en s’appuyant sur leurs connaissances préalables.
Étape 3 : La pratique guidée (Nous faisons ensemble/We do)
- Le but de cette phase est que les élèves progressent dans la compréhension de l’objet d’étude et qu’ils s’entraînent à le pratiquer en collectif (éventuellement en équipes).
- Les formes peuvent être variées (oral, brouillon, ardoise, tableau, visualiseur, enseignement réciproque, etc.).
- L’enseignant guide et accompagne fortement le travail :
- Il questionne constamment les élèves de manière aléatoire. Il fournit une rétroaction systématique en s’assurant que les élèves maîtrisent progressivement la notion.
- Il s’agit d’un véritable guidage précis par l’enseignant : vérifier la compréhension ce n’est pas se contenter de dire « Ça va ? », « Tout le monde a compris ? », « Y a-t-il des questions ? ». Il s’agit de s’en assurer véritablement : « Peux-tu me le répéter avec tes mots ? », « Pourquoi la solution proposée par Untel est-elle bonne ? », « Explique comment tu es arrivé à cette solution ».
- L’enseignant interagit avec les élèves d’une manière statistiquement représentative (tous les élèves doivent participer à un moment ou un autre), mais il les fait interagir entre eux également.
Étape 4 : La pratique autonome (Vous faites tout seuls/Yo do)
- Les élèves réalisent des exercices individuels ou en groupe, sans l’aide de l’enseignant.
- Cette phase n’est lancée que lorsque, dans la précédente, l’enseignant s’est assuré que la grande majorité des élèves a acquis un bon niveau de compréhension.
- La pratique autonome doit permettre aux élèves de vérifier leur propre niveau de compréhension et d’assurer une dose importante de pratique, qui améliorera la fluidité et favorisera l’automatisation.
- Le fait que les exercices soient censés être réalisés sans l’aide de l’enseignant ne signifie pas qu’en pratique celui-ci n’intervient jamais. L’enseignant continue à superviser l’activité, il circule entre les tables, vérifie brièvement ce que font les élèves et peut donner encore, au besoin, de courtes explications.
Étape 5 : La clôture ou objectivation et l'entrainement
- Avant d’introduire l'objectif d’apprentissage suivant ou un nouveau thème, l’enseignant synthétise, avec l’aide éventuelle des élèves, ce qu’il faut retenir et précise à nouveau les enjeux de l’évaluation sommative future.
- Il annonce de manière très brève la prochaine séance, un quiz, ticket de sortie ou une évaluation formative. Il indique les tâches ou la production à faire à la maison qui contribueront elles aussi à consolider les apprentissages et à favoriser l’automatisation.
- Le travail à réaliser à la maison est toujours un réinvestissement de ce qui a été appris et maîtrisé en classe. Il est pensé pour éviter le risque d’augmenter les inégalités entre élèves.
- Cette dernière étape prend en compte la nécessité de révisions et d'opportunités de récupérations espacées et suffisamment nombreuses pour développer des apprentissages durables.
L’importance d’un rythme soutenu en enseignement explicite
Tout au long de chaque séance d'enseignement explicite, il est conseillé d’enseigner avec un rythme soutenu.
Cela peut sembler être une injonction paradoxale dans la mesure où les classes sont hétérogènes, et où l’enseignement explicite découpe les contenus étape par étape d’une manière qui incite à donner du temps.
Cependant, à l’inverse de ce découpage, la manière dont les élèves sont engagés par les processus de vérification de la compréhension nous incite à maintenir une certaine cadence. Ils font que l’enseignant possède un système qui lui permet d’avancer, en temps réel, au rythme des apprentissages de ses élèves en les maintenant actifs.
Le temps est précieux pour les apprentissages. L’acquisition de connaissances approfondies et durables se fait sur un temps long. Un rythme soutenu et rapide permet d’engager les élèves et d’optimiser le temps d’apprentissage scolaire en engrangeant des bénéfices sur le long terme.
Le calibrage, la clarté et la concision de l’enseignement explicite favorisent également l’apprentissage et son déroulé. Les élèves ne sont jamais submergés par la quantité d’informations à assimiler en une seule fois. Le stockage, l’intégration et la consolidation des informations nouvelles sont facilités par l’enchaînement des étapes.
Toutefois, ce rythme soutenu ne doit pas s'obtenir au prix d’un apprentissage de surface. L’enseignant doit libérer le temps nécessaire pour que les élèves puissent réfléchir et s’approprier les contenus. Il planifie une pratique distribuée et cumulative avec une rétroaction à la clé. Les compétences et connaissances à acquérir, la durabilité et la profondeur des apprentissages se construisent au fil des séances.
Un élément caractéristique de l’enseignement explicite est la nécessité d’un surapprentissage qui va continuer à parfaire la compréhension, l’automatisation et la mémorisation à long terme.
Les tâches complexes structurées et faiblement structurées
L’enseignement explicite s’appuie sur la théorie de la charge cognitive qui s’intéresse particulièrement à la résolution des problèmes. Ce modèle s’est consacré dans un premier temps plus spécifiquement aux tâches complexes structurées avant de s’élargir par la suite vers des tâches plus ouvertes.
De fait, l’enseignement explicite a d’abord été associé à l’enseignement de tâches dites structurées, c’est-à-dire des tâches qui peuvent être essentiellement résolues par l’application d’algorithmes et de procédures. C’est le cœur de l’apprentissage des mathématiques, des sciences, de la lecture, de la grammaire et de l’orthographe ou du vocabulaire, etc.
L’enseignement explicite a depuis montré toute son efficacité dans le cas de tâches dites peu structurées. Bien que complexes, celles-ci ne sont pas facilement décomposables en un nombre défini d’habiletés bien identifiées et répétées de tâche en tâche. Elles ne peuvent être résolues par l’application d’un algorithme prédéterminé et générique. C’est le fait de comprendre un texte, de rédiger une dissertation, de résoudre un problème inédit ou de répondre à une question ouverte. Dans ces situations, il s’agit d’enseigner explicitement des éléments constitutifs de ces tâches qui pourront alors être utilisés comme stratégies dans la réalisation desdites tâches.
Dans toutes les situations, l’enseignant guide et aide ses élèves à construire une représentation mentale de l’attendu et de la manière d’y arriver. L’enseignant rend perceptibles des mécanismes implicites afin de favoriser leur maîtrise et leur conceptualisation. Nous dotons les élèves de stratégies de compréhension et de réalisation dont ils pourront à terme se saisir de manière autonome dans des situations de transfert proche.
Applications de l’enseignement explicite
Enseigner explicitement ne s’applique pas qu’aux seuls contenus disciplinaires. Nombre de travaux ont exploré cette question. Un enseignement explicite de stratégies qui aident les élèves à planifier, diriger et évaluer des aspects spécifiques de leur propre apprentissage favorise la métacognition et l’autorégulation des élèves (Education Endowment Foundation, 2022 ; Muijs & Bokhove, 2020).
Avec un enseignement explicite de stratégies, les élèves sont plus à même de les utiliser de façon régulière et autonome et ainsi de gérer leurs apprentissages présents et à venir. Les enseignants forment leurs élèves sur les différentes manières d’aborder une tâche. Ils les aident à déterminer quelle manière serait la plus appropriée pour une tâche particulière. Ils aident les élèves à identifier les étapes par lesquelles ils sont passés pour la réaliser, faire un bilan de ce qui a marché ou pas bien marché. Ils incitent les élèves à reconsidérer et améliorer leur façon de faire s’ils étaient amenés à la refaire. Ils les encouragent à évaluer le niveau de difficulté de la tâche, ou encore anticiper leurs chances de réussite et adapter leurs efforts ainsi que le temps à y consacrer.
Au-delà des stratégies d’apprentissage, dans le cadre de la gestion de classe l’enseignement explicite des comportements attendus est également précieux.
Quand privilégier un enseignement explicite
L’enseignement explicite a montré une grande efficacité pour l’apprentissage de notions nouvelles (c.-à-d. lorsque les élèves sont novices), et ce auprès de publics variés et avec des contenus variés. C’est aussi une méthode équitable. Elle profite particulièrement aux élèves en difficulté (même si les élèves forts en bénéficient aussi), ainsi qu’à ceux qui ne disposent pas, à la maison, des ressources pour compenser ce qu’ils n’ont pas compris en classe. Elle contribue ainsi à réduire ou à limiter les écarts sociaux d’acquisitions.
A contrario, un enseignement davantage axé sur la résolution de problèmes peut être profitable lorsque les élèves ont déjà acquis une bonne maîtrise de la notion ou du domaine. Dans le modèle de Load Reduction Instruction (LRI), une phase de découverte guidée vient s’ajouter au terme de l’enseignement explicite.
Les conditions de l’effet de renversement de l’expertise
Plus les apprenants ont une maîtrise de l’objet d’apprentissage, moins un enseignement explicite est bénéfique, c’est l’effet de renversement de l’expertise. Cela tiendrait au fait que les modèles externes fournis (par la présentation d’exercices résolus par exemple) peuvent différer des modèles cognitifs déjà bien installés chez les experts. Ce phénomène créerait un conflit que l’élève expert devrait alors résoudre, engendrant une augmentation de la charge cognitive supplémentaire qui ralentit son apprentissage.
Cependant, tous les élèves d’une classe n’atteignent pas un niveau de maîtrise en même temps. Abandonner le déroulement d’un enseignement explicite pour mettre les élèves en projet risque de n’être profitable qu’aux élèves à l’avance et d’accroitre les écarts.
Être bon élève ne signifie pas être expert, car la situation d’élève, faible ou fort, implique de se trouver généralement en situation d’apprendre de nouvelles connaissances. Les élèves sont donc bien plus souvent novices qu’experts vis-à-vis de l’objet d’apprentissage, même s’ils sont à un niveau avancé du cursus.
De même, l’expertise est relative à un domaine. Par exemple si des élèves ont développé une maîtrise dans un domaine d’une matière bien particulier, ils demeurent novices dans un domaine différent de la même matière et vont bénéficier alors d’un enseignement explicite.
Une méta-analyse récente montre que commencer une activité d’enseignement par une phase de découverte a des effets négatifs sur les apprentissages des élèves d’école primaire (Sinha & Kapur, 2021).
Les essentiels d’un enseignement explicite
- Le rôle de l’enseignant :
- L’enseignement explicite est un enseignement structuré, stratégique et pragmatique. L’activité de l’enseignant prend la forme d’explications claires, des démonstrations, des questionnements, une pratique guidée puis autonome et de la rétroaction. Elle a pour enjeu un engagement actif des élèves et une meilleure compréhension et acquisition de l’objet d’apprentissage.
- La structuration des contenus :
- L’enseignement explicite est fortement structuré et opère du simple au complexe. L’enseignant vise à rendre explicite l’objectif d’apprentissage ainsi que sa démarche d’appropriation en identifiant quelles sont les différentes habiletés impliquées. Celles qui ne sont pas maîtrisées font l’objet d’un enseignement spécifique.
- La cible de l’enseignement explicite :
- Nombre de recherches scientifiques ont montré l’efficacité d’un enseignement explicite dans l’apprentissage de nouvelles notions, auprès de publics variés et sur des contenus variés. Dans le cas de l’apprentissage d’une nouvelle notion, l’enseignement explicite bénéficie généralement à tous les élèves (y compris aux élèves forts). Les élèves faibles ou défavorisés semblent bénéficier tout particulièrement de l’enseignement explicite.
- Les contenus disciplinaires ne sont pas les seuls susceptibles de faire l’objet d’un enseignement explicite. Il est aussi important d’enseigner aux élèves de manière spécifique et explicite comment apprendre, comment gérer leurs propres apprentissages, de même que les attitudes attendues en classe. Ces démarches peuvent favoriser leur métacognition et leur autorégulation.
- La nature des tâches :
- Les tâches complexes structurées sont décomposées en une somme d’habiletés clairement identifiées qui font l’objet d’un enseignement explicite qui les intègre peu à peu.
- Les tâches faiblement structurées sont enseignées explicitement sous forme de stratégies qui aident les élèves dans leur réalisation.
- Dans les deux cas des exemples résolus et des productions exemplaires aident les élèves à visualiser l’attendu et à se sensibiliser à la qualité.
- Les limites de l’enseignement explicite :
- Les avantages d’un enseignement explicite sont moins clairs lorsque les élèves ont atteint un bon niveau de maîtrise de l’objet d’apprentissage. Dans ce cas, ils sont déjà des experts.
- De même, l’enseignement explicite perd son intérêt lorsque des objectifs d’apprentissage communs ne sont pas définis ou précisés.
Mis à jour le 29/09/2023
Bibliographie
Pascal Bressoux, L’enseignement explicite : de quoi s’agit-il, pourquoi ça marche et dans quelles conditions ? Synthèse de la recherche et recommandations, Conseil scientifique de l’éducation nationale, 2022,
Rosenshine, B. (2009). The empirical support for direct instruction. In S. Tobias & T. M. Duffy (Eds) (2009), Constructivist instruction: Success or failure? (pp. 201–220). New York: Routledge.
Archer, A.L., & Hughes, C.A. (2011). Explicit instruction: Effective and efficient teaching. New York: The Guilford Press.
Hughes, C. A., Morris, J. R., Therrien, W. J., & Benson, S. K. (2017). Explicit instruction : Historical and contemporary contexts. Learning Disabilities Research & Practice, 32(3), 140–148. DOI: 10.1111/ldrp.12142.
Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. Bruxelles : De Boeck.
Martella, A.M., Klahr, D., & Li, W. (2020). The relative effectiveness of different active learning implementations in teaching elementary school students how to design simple experiments. Journal of Educational Psychology, 112 (8), 1582–1596. http://dx.doi.org/10. 1037/edu0000449.
Hattie, J. (2022). Explicit instruction. https://vimeo. com/88176157. Accédé le 5/10/22.
Muijs, D. Kyriakides, L., Van der Werf, G., Creemers, B., Timperley, H., & Earl, L. (2014). State of the art—teacher effectiveness and professional learning. School Effectiveness and School Improvement, 25(2), 231–256.
McDonald Connor, C., Morrison, F.J., & Slominski, L. (2006). Preschool Instruction and Children’s Emergent Literacy Growth. Journal of Educational Psychology, 98(4), 665-68.
Dehaene, S. (2018). Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Paris : Odile Jacob.
Education Endowment Foundation (2022). Metacognition and self-regulation. https://education endowmentfoundation.org.uk/education-evidence/ teaching-learning-toolkit/metacognition-and-self-regulation. Accédé le 5/10/22.
Muijs, D. and Bokhove, C. (2020). Metacognition and Self-Regulation: Evidence Review. London: Education Endowment Foundation. https://educationendowmentfoundation.org.uk/education-evidence/ evidence-reviews/metacognition-and-self-regulation
Sinha, T., & Kapur, M. (2021). When problem solving followed by instruction works: Evidence for productive failure. Review of Educational Research, 91(5), 761–798.
0 comments:
Enregistrer un commentaire