lundi 3 octobre 2022

Comprendre le fonctionnement de l’attention visuelle dans l’exercice de la vigilance en gestion de classe

La vigilance de l’enseignant est un facteur important du succès de l’établissement d’une bonne gestion de classe, mais cette habilité ne suffit pas seule. Le fonctionnement de l’attention visuelle permet de le comprendre.

(Photographie : Freya Najade)


La pratique du balayage visuel


Lorsque nous tâchons de retrouver un objet dans notre environnement, nous nous investissons dans une tâche de recherche visuelle. Si notre attention est dirigée vers la recherche d’un objet particulier, elle n’est pas encore au moment où nous cherchons, dirigée vers cet objet. 

Nous balayons notre regard autour du champ visuel, avec l’idée que l’attention s’arrêtera quand et si nous trouvons l’objet désiré. 

L’attention est un traitement cognitif continu. Elle est sélective et limitée : 
  • Elle sélectionne certains stimuli
  • Elle assure un traitement cognitif ultérieur sur sa cible. 

Un exemple classique de balayage visuel est celui que gagne à effectuer un enseignant, tandis qu’il donne cours en classe entière et vise à conserver l’attention de ses élèves. Il alterne entre des explications sous forme de modelage, des instructions données dans le cas de la pratique guidée et des moments de questionnement et de dialogue formatif de lui vers ses élèves. 

C’est un équilibre précaire mis en danger lorsque des élèves perdent le fil ou que certains se mettent à bavarder. Dans ce genre de situations, la quantité de distracteurs augmente. À la fois l’enseignant et les élèves qui restent attentifs ont de plus en plus de difficultés à maintenir leur attention et la qualité des échanges en est impactée. 

Des facteurs utiles pour faciliter cet équilibre sont d’enseigner aux élèves les comportements attendus sous forme de routines, de renforcer leur bon comportement et de disposer d’un continuum d’interventions dans le cadre de comportements perturbateurs. 

Ces facteurs ne sont fonctionnels qu’à partir du moment où l’enseignant, tout en s’engageant dans ses pratiques pédagogiques exerce sa vigilance. Cette vigilance se traduit par un balayage visuel. En continu, l’enseignant scrute la salle de classe d’un bout à l’autre, croise le regard et observe le comportement de ses élèves.

Il apprend à ses élèves qu’il est vigilant. Son enjeu est de repérer le plus tôt les élèves qui perdent le fil du cours ou s’en détournent. C’est l’objet du balayage visuel. L’habilité à s’engager dans ce comportement s’améliore par une pratique délibérée et avec l’expérience. Au plus tôt il repère les élèves en décrochage, au plus tôt il peut réagir, et de la manière la moins invasive possible. Ce comportement lui permet de donner cours presque sans interruption tout en apprenant à ses élèves à rester attentifs.  



Recherches disjonctives et conjonctives


Il existe deux différents types de recherches qui sont appelées disjonctives et conjonctives :
  • Dans une recherche disjonctive, la cible se différencie des distracteurs par une seule caractéristique. C’est par exemple le fait de rechercher une lettre minuscule q de couleur rouge au milieu de lettres i rouges.
  • Dans une recherche conjonctive, une combinaison particulière de caractéristiques différencie la cible des distracteurs. Par exemple rechercher une lettre minuscule q de couleur rouge au milieu de lettres minuscules q de couleur noire et de lettre majuscules Q de couleur rouge, entre autres. Il y a des formes qui correspondent à la cible et des tailles qui correspondent à la cible, mais il n’y a qu’une seule combinaison (ou conjonction) de forme et de taille qui correspond à la cible. 

L’augmentation du nombre d’éléments dans le tableau n’affecte pas le temps de réaction pour trouver la cible dans la recherche disjonctive qui balaie l’espace. Ce schéma indique qu’une recherche disjonctive est menée en parallèle, tous les éléments sont évalués simultanément. L’augmentation du nombre d’éléments à évaluer n’augmente pas le temps total de recherche. Le but de l’attention est ici de repérer un objet qui possède la caractéristique désirée, qui est saillante et ne demande aucun traitement de l’information.

Le nombre d’éléments dans le tableau a une incidence sur le temps de recherche dans les recherches conjonctives. D’autre part, le processus de recherche conjonctive est en série — les objets sont vérifiés un par un. L’augmentation du nombre d’éléments augmente le temps de recherche. Le participant localisera la cible, en moyenne, après avoir vérifié la moitié des éléments du tableau. Le but de l’attention est donc de lier les caractéristiques entre elles pour les attribuer à un objet à la fois. Il y a un traitement de l’information dans ce cas.

Si nous continuons notre analogie sur la gestion de classe, lorsque nous avons clairement établi et enseigné des routines en matière d’attente comportementale, le balayage visuel est essentiellement disjonctif, se fait en parallèle et est rapide. Nous pouvons très facilement repérer les élèves qui cessent de se comporter comme attendu et agir dans la foulée.

Il y a un danger si les attentes et les normes ne sont pas clairement définies et relativement floues. Le fait de déterminer si un élève est réellement engagé dans un comportement perturbateur va demander un balayage en série qui demande une analyse et une prise de décision sur base de différents critères parfois subjectifs. L’enseignant risque de réagir en retard, de manière conjonctive et pas toujours de la même manière, ce qui ne sera pas bien perçu par les élèves.

Il se fait en conclusion que nous présentons deux formes d’attention visuelle : 
  • L’une sélectionne les emplacements spatiaux et scanne l’espace
  • L’autre sélectionne les objets et observe leurs caractéristiques.

L’attention basée sur les caractéristiques repose sur des réseaux neuronaux distincts de ceux qui supportent les tâches d’attention spatiale. 

Nous sommes capables d’engager chacune de ces formes d’attention, en fonction de la tâche. Nous le percevons aisément. Il est plus pratique pour l’enseignant de se trouver dans une situation où il scanne l’espace en parallèle. Cela va accaparer moins de ressources, se révéler plus efficace et lui permettre de poursuivre le cours plus aisément. 

Le but du jeu de la pose d’un cadre scolaire en gestion de classe est ainsi de pouvoir manifester notre vigilance de manière parallèle et à moindre coût. Mais cela exige l’établissement préalable d’un milieu ordonné.



L’attention focalisée sur des objets


L’attention sélective a été comparée au faisceau d’une lampe de poche. Selon cette métaphore, l’attention agit de la même manière que les mouvements des yeux et sélectionne des emplacements spatiaux lorsqu’elle se déplace dans une scène ; tout ce qui se trouve dans le faisceau d’attention est sélectionné pour un traitement ultérieur potentiel. Une tâche de recherche visuelle est un cas évident où nous semblons déplacer un projecteur attentionnel autour d’une scène.

L’attention peut sélectionner et se focaliser sur un objet pour un traitement, et pas seulement balayer l’espace. Lorsque nous regardons un reflet dans une vitrine de magasin, nous devons ignorer le contenu de la vitrine et nous concentrer sur notre reflet. Mais notre reflet chevauche l’image. Ils occupent le même emplacement spatial, donc les deux devraient tomber dans le faisceau d’attention, mais nous pouvons considérer notre reflet comme un objet distinct et ignorer le reste. 

Une conséquence de ce phénomène est que nous pouvons ne pas percevoir quelque chose dans notre champ de vision si notre attention est déjà focalisée sur un autre objet distinct. C’est le phénomène de cécité au changement.


L’attention ne se comporte pas toujours comme un faisceau spatial, mais peut se focaliser sur un objet et ignorer le reste. Sans attention, il n’y a pas de perception, même pour un stimulus dont nous pensons qu’il devrait être évident.

Cette attention focalisée sur un objet peut nous jouer des tours en gestion de classe. Lorsque nous n’avons pas défini de normes claires ni de routines en matière de comportements, nous nous retrouvons face à un environnement beaucoup plus diversifié. Cela va nous demander une vigilance accrue et beaucoup plus ciblée si nous voulons pouvoir continuer à enseigner dans de bonnes conditions. Parfois en ciblant et en évaluant spécifiquement le comportement d’un élève, nous allons être victime de la cécité au changement. 

Malgré nous, nous allons nous retrouver à cibler spécifiquement l’un ou l’autre élève pour un comportement problématique tout en ignorant que deux mètres plus loin un autre élève se comporte d’une façon tout aussi inadéquate. Lorsque nous intervenons auprès du premier élève, il risque de trouver notre réaction injuste et il aura probablement raison alors que nous n’en serons pas du tout conscients. Tous ces phénomènes plaident pour l’établissement d’un cadre précis avec des routines et des normes claires.


Mis à jour le 28/09/2023

Bibliographie


Daniel T. Willingham and Cedar Riener, Cognition: The Thinking Animal, 2019, Cambridge University Press

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