dimanche 9 octobre 2022

Un double système exogène et endogène pour le pilotage de l’attention

L’attention est sélective, elle balaie l’espace puis elle sélectionne certains stimuli en vue d’un traitement cognitif ultérieur. Elle semble laisser d’autres informations potentielles de notre environnement non sélectionnées. Mais comment se crée notre perception du monde qui nous entoure ?

(Photographie : John Sanderson)



Le principe de vigilance de l’attention et ses implications


Il existe en permanence de nombreux stimuli, de nombreuses informations dans l’environnement direct qui nous entoure. Seulement certains d’entre eux sont sélectionnés pour un traitement cognitif continu du fait des limitations de notre système cognitif central. 

Que se passe-t-il pour les informations que ne sont pas sélectionnées et traitées en mémoire de travail ?

Lorsque notre attention est concentrée sur une tâche dans laquelle nous sommes investis cognitivement, telles que le fait de parler au téléphone, nous continuons à surveiller simultanément et distraitement les entrées sensorielles. Cette veille nous permet de savoir si notre attention doit être redirigée vers une nouvelle priorité. C’est un principe de vigilance. Nous ne manquons pas tout ce à quoi nous ne faisons pas attention.

Deux phénomènes laissent supposer que des stimuli sur lesquels notre attention ne se focalise pas ne sont pas obligatoirement ignorés :
  • Si nous sommes concentrés sur une tâche de lecture et que le téléphone sonne dans une autre pièce, nous allons l’entendre, car ses caractéristiques sensorielles sont saillantes. Nous reconnaissons la sonnerie et sa signification immédiatement. 
  • Lors d’une pause à l’occasion d’une conférence, nous sommes occupés à discuter au milieu d’autres personnes et nous nous focalisons sur la conversation en cours. Soudainement, notre attention est attirée par une conversation périphérique, car notre nom a été prononcé, ou un terme qui nous tient particulièrement à cœur a été évoqué.  
Il semble donc qu’une part des stimuli non sélectionnés parait tout de même traitée, à la fois sur la base de leurs caractéristiques sensorielles de base et sur la base de leur signification. 

S’il n’y avait absolument aucun traitement des stimuli que nous ignorons, nous devrions périodiquement prendre la décision consciente de surveiller votre environnement pour voir si quelque chose d’important se passe. 

Il existe par conséquent un mécanisme sous-jacent qui nous permet de détecter si des stimuli non sélectionnés doivent être traités davantage ou s’ils sont des distracteurs sans importance pour notre attention actuelle. 

L’implication du principe de vigilance est qu’une partie de nos ressources mentales est détournée vers le suivi de notre environnement, peu importe la manière dont nous sommes focalisés sur une tâche actuelle. Par conséquent, les environnements riches en distracteurs doivent représenter un coût pour une tâche cognitif même lorsque l’attention n’est pas détournée de celle-ci.



Le modèle du filtre de l’attention pour le traitement des stimuli environnementaux


 

Lorsque nos récepteurs sensoriels transforment un stimulus environnemental sélectionné en influx nerveux, notre perception suit supposément un parcours de traitement : 
  • Dans un premier temps, les caractéristiques physiques d’un stimulus sont traitées :
    • Pour les informations visuelles, il s’agit de la forme, de la couleur, de l’emplacement spatial, etc. 
    • Pour les informations auditives, il s’agit de l’intensité sonore, de la hauteur, de la localisation spatiale, etc. 
  • Dans un deuxième temps : un traitement sémantique supplémentaire est nécessaire pour déterminer la signification du stimulus. 
  • Pour finalement se traduire en une prise de conscience.
Selon cette hypothèse, l’attention agit comme un filtre, arrêtant la plupart des informations avant qu’elles atteignent notre conscience. Si ce modèle est très simplifié et en partie inadéquat, il a l’avantage d’être clair.

En réalité, le consensus actuel tend à montrer que l’attention est plutôt un ensemble de processus ou de fonctions aux qualités différentes.

Néanmoins, il reste utile d’explorer les théories de l’attention fondées sur le filtre, car l’emplacement du filtre est crucial. 



Un filtre précoce ou un filtre tardif pour l’attention


Dans les théories du filtre précoce :
  1. Les caractéristiques sensorielles de tous les stimuli sont traitées, puis elles atteignent le filtre. 
  2. La plupart des stimuli ne sont pas traités au-delà de ce point. 
  3. Le filtre laisse passer certains en raison de leurs caractéristiques physiques pour que leur traitement ultérieur détermine leurs caractéristiques sémantiques (leur signification)
  4. Ensuite, ils entrent dans la conscience.
Dans les modèles à filtre tardif :
  1. Tous les stimuli sont traités afin de déterminer leurs caractéristiques physiques et sémantiques.
  2. Ensuite que les stimuli atteignent le filtre. 
  3. Les stimuli qui passent le filtre et sont autorisés à entrer dans la conscience. 
La principale différence entre ces théories réside dans l’emplacement du filtre, soit avant, soit après le traitement sémantique des stimuli.



Les théories du filtre précoce et leurs limites


Cherry (1953) a utilisé une tâche d’écoute dichotique (des sons différents pour chaque oreille) :
  • Les participants écoutaient un contenu sonore sur des écouteurs. 
  • Chaque écouteur diffusait un message différent. 
  • Les participants étaient invités à prêter attention à un seul des deux messages. Pour s’assurer qu’ils écoutaient bien ce qui leur était demandé, ils devaient suivre le message et le répéter à voix haute. 
  • Cherry a constaté que les participants n’ont même pas remarqué si le message non surveillé passait à une autre langue ou si le message était diffusé à l’envers. En revanche, les participants remarquaient si un son continu remplaçait le discours non surveillé ou si le sexe de l’orateur changeait.
Cherry a conclu que la parole non surveillée n’est pas analysée au niveau sémantique, c’est-à-dire qu’elle n’est pas analysée pour sa signification. Elle est plutôt analysée en fonction de caractéristiques physiques telles que la hauteur et l’intensité sonore. 

Une expérience marquante du degré avec lequel les gens ne connaissent pas la signification de la parole non surveillée a été fournie par Moray (1959). Moray a diffusé la même liste de mots pour les participants dans l’oreille non surveillée 35 fois. Lors d’un test ultérieur, les participants n’en ont reconnu aucun.

Ce manque de reconnaissance malgré une répétition extrême suggérerait certainement que ces éléments sont filtrés avant que le sens ne soit déterminé.

Une manière de le comprendre est de prendre l’exemple d’un incendie. Imaginons que nous travaillons de manière concentrée dans un immeuble. Le feu se déclare à un autre étage, des alarmes vont sonner ou les gens vont crier au feu. Dans les deux cas, cela peut passer outre le filtre précoce et déclencher l’attention. Si des personnes près de nous parlaient calmement de l’incendie sur un ton normal, il est probable que l’information ne nous parviendrait pas.



Les théories du filtre tardif et leurs limites


Les théories du filtre tardif, contrairement aux théories du filtre précoce, suggèrent que tous les stimuli sont évalués non seulement pour leurs caractéristiques physiques, mais aussi pour leur signification, c’est-à-dire de manière sémantique.

Si la signification est importante, le stimulus peut faire irruption dans le traitement en cours et demander de l’attention. Cette hypothèse est tentante.

Elle est à relier avec un phénomène appelé effet cocktail party. Lorsque nous parlons avec quelqu’un dans un endroit bondé et que quelqu’un d’autre plus loin prononce notre nom dans une autre conversation, cela attire notre attention. C’est la signification et non le volume ou la hauteur de la voix, attire notre attention. Ce phénomène ne fonctionne pas seulement pour notre nom, mais aussi pour d’autres sujets importants pour nous.

Toutefois, il s’avère que cette théorie n’est pas correcte. 

Cet effet a été testé en laboratoire à l’aide de la tâche d’écoute dichotique (Moray, 1959 ; Wood & Cowan, 1995) :
  • Pendant que le participant écoutait un message dans une oreille, l’autre écouteur diffusait quelque chose dans l’oreille non surveillée, puis ajoutait un message avec le nom du participant. 
  • Les participants ont parfois (mais pas toujours) remarqué leur propre nom sur le canal non surveillé. Environ un tiers de participants a montré cet effet.
Il existe une hypothèse alternative qui rend mieux compte de ce phénomène. Une autre façon d’interpréter ce résultat est qu’environ un tiers des participants ne suivent pas les instructions ; ils reportent leur attention sur le canal non surveillé de temps à autre. 

Lorsque Wood et Cowan (1995) ont dit aux participants qu’ils devaient se tenir prêts à recevoir de nouvelles instructions pendant la tâche, 80 % ont détecté leur nom. Cette augmentation est probablement due au fait qu’un plus grand nombre de participants ont échantillonné le canal auquel ils n’étaient pas censés prêter attention parce qu’ils écoutaient les nouvelles instructions.

L’hypothèse du filtre tardif ne fonctionne donc pas. Ce qui semblait être un filtre tardif était en fait un changement d’attention comme l’ont démontré d’autres recherches.



Une tendance naturelle à la distraction


Les chercheurs dans le domaine de l’attention sont tous confrontés à un défi important. Les participants peinent à maintenir leur attention sur une seule cible. L’expérimentateur demande au sujet de ne prêter attention qu’à la voix provenant de l’écouteur gauche. Le sujet fait un effort sincère… mais il semble quasiment impossible de ne pas prêter l’oreille un instant à l’écouteur droit.

Si cette constatation induit que la question du filtre n’est en réalité pas un modèle pertinent. Elle montre qu’il est plutôt utile d’imaginer plusieurs formes d’attention opérant en parallèle. Chacune de ces formes d’attention est capable de sélectionner et de faciliter le traitement ultérieur :
  • Le premier type d’attention est actif et soutenu :
    • Il est qualifié d’endogène, dans la mesure où il est motivé par un objectif interne et contrôlé par l’individu. 
    • Le système endogène se concentre sur la tâche à accomplir.
  • Le second type d’attention est plus passif et transitoire :
    • Il est qualifié d’exogène.
    • Il consiste à scanner l’environnement pour vérifier qu’il n’y a rien à remarquer. 
    • Il est dirigé par des indices environnementaux et à l’affût de tout stimulus qui pourrait mériter un détournement de l’attention endogène.
Cette approche à deux systèmes explique comment les gens peuvent volontairement allouer leur attention à une zone de l’espace en utilisant leur système endogène lorsque nous leur disons qu’elle est susceptible de contenir une cible. Toutefois, ils sont incapables d’ignorer les signaux de distraction ou non informatifs parce que ces derniers alertent le système exogène. 

Ces différentes formes d’attention sont limitées non pas par un filtre sur un type de stimuli, mais par l’accessibilité à des ressources cognitives plus générales.

En d’autres termes, l’attention exogène et l’attention endogène peuvent être des types d’attention différents, mais elles partageraient le même pool de ressources de traitement. 


Mis à jour le 01/10/2023

Bibliographie


Daniel T. Willingham and Cedar Riener, Cognition: The Thinking Animal, 2019, Cambridge University Press

Cherry, E. C. (1953). Some experiments on the recognition of speech, with one and with two ears. Journal of the Acoustical Society of America, 25, 975–979. https://doi.org/10.1121/1.1907229

Moray, N. (1959). Attention in dichotic listening: Affective cues and the influence of instructions. The Quarterly Journal of Experimental Psychology, 11, 56–60. https://doi.org/10.1080/17470215908416289

Wood, N. L., & Cowan, N. (1995). The cocktail party phenomenon revisited: Attention and memory in the classic selective listening procedure of Cherry (1953). Journal of Experimental Psychology: General, 124(3), 243–262. https://doi.org/10.1037/0096-3445.124.3.243

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