(Photographie : Bryan Schutmaat)
Lorsque deux tâches sont en compétition pour notre attention
Un exemple typique de concurrence en situation multitâche
Imaginons que nous nous rendions en voiture, accompagnés d’un collègue, dans un lieu inconnu, à l’aide d’un GPS. Nous discutons avec lui de la réunion à venir, tout en ayant la radio en fond sonore.
Au fur et à mesure, nous sortons des grands axes et rentrons dans une agglomération qui nous est peu familière. Nous ressentons progressivement le besoin de baisser le volume, puis d’éteindre la radio. La conversation se réduit à quelques bribes puis les échanges ne se focalisent plus que sur le chemin à prendre et sur la quête d’une place de parking. Notre attention devient complètement obnubilée par la fin du trajet.
Tout fonctionne comme si nous ne disposions que d’une quantité limitée d’attention. Au fur et à mesure que la tâche devient plus exigeante, elle phagocyte les ressources en attention, en les détournant de tâches parallèles concurrentes. En éteignant la radio et en mettant les échanges conversationnels annexes en pause, nous économisons notre attention en évacuant les distracteurs. Nous pouvons alors l’utiliser pour la tâche qui consiste à garer la voiture et à arriver à l’heure à la réunion.
Une compétition pour l’attention
Les psychologues ont assimilé l’attention à un carburant mental limité qui rend possible la poursuite du traitement cognitif.
Lorsque nous divisons l’attention, nous pouvons observer comment deux tâches peuvent se disputer des ressources attentionnelles limitées. L’attention peut être répartie et distribuée sur plus d’une tâche à la fois. Nous pouvons parler au téléphone en marchant, lire en écoutant de la musique.
L’attention peut être vue comme un ensemble de processus distincts, mais dépendants. Les stimuli non sélectionnés sont traités (ou non) en fonction de l’attention demandée par les stimuli sélectionnés.
Lorsque l'automatisation permet de gérer deux tâches en même temps
Le paradigme de double tâche
Pour étudier l’attention en laboratoire, les chercheurs utilisent un paradigme de double tâche. Dans celui-ci, un participant doit effectuer deux tâches en même temps.
Une question se pose alors. Comment savoir si nous divisons réellement votre attention et que nous ne passons pas rapidement d’une tâche à l’autre ? Les chercheurs ont essayé de contourner ce problème en utilisant des tâches continues plutôt que des tâches discrètes :
- Une tâche discrète a un début et une fin identifiables. Il y a généralement une pause entre la fin d’un essai et le début du suivant.
- Une tâche continue, en revanche, utilise un flux continu de stimuli et exige souvent un flux continu de réponses.
Il apparait alors que l’utilisation de paradigmes à double tâche ne semble pas garantir que les personnes puissent partager les ressources attentionnelles entre des tâches qui demandent un traitement cognitif actif.
La question qui se pose est de savoir si nous avons besoin de manière permanente de l’attention pour une tâche. Ou alors, est-ce que celle-ci peut être requise par salves, tandis que certaines des actions et leur traitement sont purement automatisés.
De même, peu importe à quel point il semble que le participant divise son attention entre deux tâches, il restera possible pour le participant, de changer rapidement de centre d’attention entre les tâches.
L’importance de l’automatisation pour le multitâche
Nous pouvons améliorer notre utilisation des ressources attentionnelles par la pratique, de sorte que certaines tâches deviennent automatiques et nécessitent moins de ce carburant limité qu’est l’attention.
Nous pouvons, avec de la pratique, réduire les demandes attentionnelles d’une tâche. C’est le cas de l’apprentissage de la marche, du vélo ou de la conduite automobile. Ces tâches, bien que mentalement éprouvantes pour les débutants, deviennent automatiques lorsque nous sommes expérimentés, car leurs principales dimensions sont très répétitives. Nous pouvons alors converser tout en marchant, pédalant ou en conduisant.
Les psychologues cognitifs définissent l’automaticité comme ayant deux caractéristiques principales. Un processus sera qualifié d’automatique :
- S’il requiert peu de ressources attentionnelles
- S’il se produit sans intention
Si une tâche nécessite peu de ressources attentionnelles, nous devrions être capables d’effectuer plusieurs tâches automatiques à la fois.
De plus, un processus automatique qui se produit sans intention se produit indépendamment de votre volonté si certaines conditions sont présentes dans l’environnement.
Une tâche est automatique si elle n’est pas perturbée par une autre tâche parallèle et ne la perturbe pas non plus. Certaines tâches de recherche visuelle (disjonctive) répondent à ce critère. L’identification de lettres semble automatique, c’est par exemple repérer les lettres « i » sur une feuille contenant des lettres « o ». Juger de l’attractivité d’un visage et identifier des visages familiers parmi toute une série de photos ne semblent pas l’être.
Ainsi, il est prouvé qu’avec la pratique, certaines tâches utilisent moins notre attention limitée tandis que d’autres continuent à en exiger. Les différences concernant l’acquisition de l’automaticité dans différents types de tâches suggèrent que l’attention n’est pas le seul processus qui change lorsque les tâches deviennent automatiques.
Selon Gordon Logan (1988, 2002) et Chun (2011), la facilité croissante rencontrée lors de l’exécution des tâches bien pratiquées peut refléter un rôle croissant de la mémoire dans les processus en cours. Par exemple, si quelqu’un nous demande combien de lettres sont contenues dans le mot quotidien, nous devrons l’épeler nous-mêmes et compter les lettres.
Si nous nous posons la même question quelques minutes plus tard, nous ne passerons plus par le même processus. Nous nous souviendrions de notre réponse précédente et nous la répéterions. La mémoire pourrait jouer un tel rôle dans l’automaticité. Dans chaque tâche, la mémoire est en concurrence avec des processus plus lents qui calculent des réponses. À mesure que nous nous entraînons, nous avons davantage de réponses directement disponibles en mémoire. Cela rend de plus en plus probable le fait que, lors d’un essai donné, nous puissions réutiliser une réponse précédemment mémorisée sans avoir à faire de calcul.
L’attention est limitée, mais nous pouvons en faire plus dans ces limites en pratiquant des tâches exigeantes sur le plan de l’attention jusqu’à ce qu’elles deviennent presque automatiques.
Le fonctionnement et le goulet d'étranglement du mode multitâche
Le fonctionnement du multitâche
Nous pouvons faire la vaisselle en écoutant la radio. Nous pouvons rouler en voiture tout en pensant à différentes tâches qui nous attendent. Il semble évident qu’il est possible d’effectuer plus d’une tâche en même temps.
Mais même si nous avons l’impression de faire ces tâches en même temps, les processus mentaux fonctionnent-ils vraiment en même temps, en parallèle ?
Comment procédons-nous en mode multitâche ? Comment le changement de tâche s’applique-t-il aux situations où nous sommes multitâches ?
Bien que nous ayons l’impression de diviser notre attention lorsque nous effectuons deux tâches simultanément, nous changeons probablement rapidement notre attention plutôt que de la diviser réellement.
Le goulet d’étranglement du mode multitâche
Le passage d’une tâche à l’autre représente toujours un coût pour les performances.
Il y a une première preuve que nous ne pouvons pas être multitâches sans frais. Même si une tâche passe nos tests d’automaticité, nous ne pouvons pas sélectionner une réponse pour deux tâches différentes à la fois en même temps. Chaque fois que nous devons choisir une réponse, nous devons attribuer notre attention à la tâche concernée.
Par exemple, nous pouvons conduire et écouter l’autoradio en même temps. Cependant, nous ne pouvons pas décider de changer la station de radio tout en décidant conjointement et au même moment de nous arrêter au feu rouge. Nous devons choisir une seule tâche ce qui entraîne une interférence.
Le rapport coût/bénéfices du mode multitâche
Réfléchir au coût du multitâche demande de bien considérer les composantes d’une tâche donnée.
Les tâches ont toujours trois composantes :
- Nous percevons le stimulus (il fait sombre, la lampe est-elle allumée ?)
- Nous sélectionnons la réponse (que dois-je faire pour allumer la lampe ?)
- Nous exécuter la réponse (par quel mouvement puis-je allumer la lampe ?)
Nous pouvons être multitâches avec certaines parties de tâches, mais pas avec d’autres.
Lorsque deux tâches sont exécutées en parallèle, ce qui compte c’est de voir si l’apparition des stimuli propres aux différentes tâches est synchrone ou asynchrone. Si elle est asynchrone, nous pouvons exécuter les deux tâches en même temps avec un bon rendement. Si l’apparition est synchrone, le coût du mode multitâche est élevé.
Il y a une conclusion commune à toutes ces études. Bien que nous soyons capables de percevoir deux choses à la fois et de générer deux actions, nous sommes incapables de sélectionner des réponses pour deux tâches différentes en même temps.
Cela conduit à un retard, à une période réfractaire psychologique, d’une tâche donnée afin de permettre la sélection de réponses dans une autre tâche.
Le problème va impliquer la mémoire de travail qui est la source des interférences. Cependant, l’interférence que nous observons n’est pas due à une surcharge de la mémoire de travail. Elle est due au fait que le système cognitif ne peut tout simplement pas traiter la réponse à plus d’une tâche à la fois.
Strayer et ses collègues (2016) ont étudié les effets de l’interaction entre l’usage d’un téléphone par le biais de commandes vocales et la conduite d’un véhicule. Ce type de système présente l’avantage d’être mains libres et nous n’avons pas besoin de détourner le regard de la route pour émettre des commandes vocales ou écouter. Après cinq jours d’entraînement aux commandes vocales, les participants à l’étude étaient plus rapides qu’au début de l’entraînement. Cependant, lorsqu’ils interagissaient avec les commandes vocales, ils étaient toujours beaucoup plus lents que lorsqu’ils n’utilisaient pas les commandes vocales. Les jeunes participants étaient plus rapides que les plus âgés. Cependant, les performances de chacun étaient réduites par l’usage du système à commande vocale.
Sana, Weston et Cepeda (2013) ont mené une étude dans laquelle des étudiants ont assisté à un cours de type universitaire et ont pris des notes sur un ordinateur portable. La moitié des participants s’est vue confier une série d’autres tâches conçues pour imiter la navigation sur le web, typique des étudiants. Ceux qui étaient multitâches ont obtenu des résultats inférieurs de 11 % à un test de compréhension donné immédiatement après le cours. L’une des raisons de cette baisse de performance est certainement la distraction. Il est certain que l’utilisation non scolaire d’un ordinateur portable pendant un cours est associée à une performance académique plus faible. Mais cela est-il dû à l’utilisation de l’ordinateur portable ou à une troisième variable, comme la motivation, la préparation ou la capacité d’apprentissage ?
Les premières recherches indiquent qu’une utilisation accrue d’Internet en classe réduit les notes d’examen, indépendamment des aptitudes scolaires (Ravizza, Hambrick et Fenn, 2014). Cependant, l’évaluation des coûts et des avantages de l’utilisation des ordinateurs portables en classe dépend de la manière dont ils sont utilisés.
Notre mémoire et nos résultats d’apprentissage seront meilleurs si nous sommes attentifs au contenu du cours. Nous devons éviter de passer constamment de l’une ou l’autre tâche annexe sur notre ordinateur portable, à la prise de notes.
Nous aimerions pouvoir diviser l’attention, mais les faits montrent que nous ne divisons pas l’attention. Nous passons d’une tâche à l’autre. Il est particulièrement coûteux d’essayer de le faire dans des situations réelles qui exigent un traitement cognitif rigoureux, tels que la conduite automobile, le suivi d’un enseignement ou lors de l’apprentissage autonome.
Mis à jour le 02/10/2023
Bibliographie
Daniel T. Willingham and Cedar Riener, Cognition: The Thinking Animal, 2019, Cambridge University Press
Logan, G. D. (1988). Toward an instance theory of automatization. Psychological Review, 95(4), 492–527. https://doi.org/10.1037/0033-295X.95.4.492
Logan, G. D. (2002). An instance theory of attention and memory. Psychological Review, 109, 376–400.
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Strayer DL, Cooper JM, Turrill J, Coleman JR, Hopman RJ. Talking to your car can drive you to distraction. Cogn Res Princ Implic. 2016; 1(1):16. doi:10.1186/s41235-016-0018-3
Sana, F., Weston, T., & Cepeda, N. J. (2013). Laptop multitasking hinders classroom learning for both users and nearby peers. Computers & Education, 62, 24–31. DOI: https://doi.org/10.1016/j.compedu.2012.10.003.
Ravizza, S. M., Hambrick, D. Z., & Fenn, K. M. (2014). Non-academic internet use in the classroom is negatively related to classroom learning regardless of intellectual ability. Computers & Education, 78, 109–114.
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