Nous avons présenté dans des articles précédents l’approche Load Reduction Instruction et la roue de la motivation. L’approche Load Reduction Instruction combine enseignement explicite et découverte guidée. La roue de la motivation et de l’engagement propose un modèle de synthèse de théories majeures concernant la motivation. Tous deux sont le fruit de la conception d’Andrew J Martin (2016).
(Photographie : Thomas Geppi)
L’objet de cet article est de continuer à suivre ces travaux en rapportant son analyse nuancée de la manière dont les deux sont liés. Nous prenons chaque fois un facteur clé de la motivation ou de l’engagement lié aux éléments de l’approche Load Reducion Instruction (combinant enseignement explicite et découverte guidée).
Ces liens proposés par Andrew J Martin (2016) sont indicatifs et suggestifs, et non prescriptifs ou définitifs.
Le facteur traité dans cet article est celui des objectifs de maîtrise (orientation vers la maîtrise), en lien avec la théorie des buts d’accomplissement.
L’orientation vers la maîtrise dans l’enseignement explicite
Dans le cadre de la théorie des buts d’accomplissement, la dimension de l’orientation vers la maîtrise que nous souhaitons voir adopter par nos élèves se centre sur les aspects suivants :
- Le niveau de concentration alloué par les élèves aux tâches à accomplir et la résistance aux distractions.
- L’effort requis et celui effectivement manifesté par les élèves dans leur cadre de leur application.
- L’accent mis sur la compréhension et l’acquisition des apprentissages en profondeur par les élèves plutôt que simplement viser une performance superficielle pour réussir.
L’orientation vers la maîtrise s’oppose à l’orientation vers la performance qui est quant à elle axée sur :
- La récompense : l’obtention de signes de réussite
- La compétition : être meilleur que d’autres élèves
- Satisfaire à une norme externe comparative.
L’orientation vers la maîtrise reflète davantage une approche et une orientation intrinsèques avec une concentration et une immersion dans les propriétés inhérentes aux tâches et à l’apprentissage visé.
Par rapport aux objectifs de performance, les objectifs de maîtrise ont tendance à être associés à des résultats d’apprentissage et d’engagement plus importants.
Toutefois, comme tout modèle, celui de l’orientation vers la maîtrise ou la performance à ses limites :
- Les effets de chaque orientation peuvent différer selon le stade où se trouve l’élève dans le processus d’apprentissage.
- L’orientation vers la performance peut être adaptée à l’apprentissage superficiel de savoirs et de savoir-faire.
- L’orientation vers la maîtrise peut être supérieure pour un apprentissage plus profond et déductif.
- Un élève est susceptible d’adopter à la fois une orientation vers la maîtrise et vers la performance.
Cependant, en règle générale, la recherche soutient généralement les mérites de l’orientation vers la maîtrise par rapport à l’orientation vers la performance dans le processus d’apprentissage.
Dans le cadre d’un enseignement explicite, quatre facteurs sont plus spécifiquement susceptibles de s’aligner sur l’orientation vers la maîtrise des élèves ou de la promouvoir :
- Le principe de signalement : la mobilisation régulière des objectifs d’apprentissage permet à l’élève de ne pas perdre de vue ce qu’il doit apprendre à maîtriser.
- La pratique autonome : l’élève travaille seul en se concentrant sur l’écart entre ce qu’il maîtrise et ce qu’il doit atteindre.
- La pratique délibérée : lorsque l’élève fait face à un défi ou à une difficulté d’apprentissage, il peut se concentrer directement et délibérément sur celle-ci. Il vise à comprendre, apprendre et développer une flexibilité dans la maîtrise des apprentissages ciblée.
- La découverte guidée : lorsque l’élève maîtrise divers apprentissages dans un domaine spécifique, il peut les approfondir par le biais de tâches plus ouvertes qui succèdent à un enseignement explicite.
Le principe de signalement ou signalisation et son impact sur une orientation vers la maîtrise
Régulièrement, les contenus d’apprentissage sont complexes. Ils ne peuvent pas toujours être structurés de manière à minimiser ou à gérer pleinement la charge cognitive. Dans ce cas, d’autres dispositifs pédagogiques peuvent venir y suppléer.
Le signalement est l’un de ces dispositifs. Elle consiste à fournir des indices pour aider l’apprenant à localiser et concentrer son attention sur les éléments essentiels d’une leçon ou d’une activité.
Par exemple, l’enseignant peut :
- Demander aux élèves de faire attention à un événement ou à un personnage particulier dans une intrigue.
- Mettre l’accent sur certains termes et concepts dans le processus d’enseignement.
- Utiliser des titres pour orienter l’attention de l’apprenant vers les idées importantes.
- Utiliser des surligneurs pour orienter l’apprenant vers des mots et des concepts clés.
- Développer des organisateurs graphiques qui précisent dès le départ les principaux concepts ou procédures à aborder.
Chacune de ces pratiques vise à réduire la charge cognitive en éliminant la nécessité pour l’apprenant de déterminer par lui-même dans les supports, le contenu pertinent ou essentiel.
Le signalement favorise également l’orientation vers la maîtrise, car elle va rendre explicites :
- Les informations et les exigences liées à la tâche ou à un objectif d’apprentissage.
- L’importance de se concentrer sur les éléments essentiels de la tâche ou de l’objectif d’apprentissage.
- L’accent sur les préoccupations liées à la tâche et à l’objectif d’apprentissage.
L’impact de la pratique autonome sur une orientation vers la maîtrise
Un objectif majeur de l’enseignement explicite est de développer un certain niveau de fluidité et d’automaticité dans l’apprentissage.
Lorsque la fluidité et l’automaticité sont développées, cela signifie que les connaissances et les compétences ont été intégrées dans la mémoire à long terme. L’élève peut activer directement les schémas correspondants en mémoire à long terme et les utiliser relativement rapidement et avec une relative facilité sans devoir puiser outre mesure dans les ressources limitées de sa mémoire de travail.
C’est à ce stade que l’élève est prêt pour une application plus autonome des contenus.
Aux premiers stades de la pratique autonome, ce processus se limite aux contenus, aux tâches et aux activités qui ont déjà fait l’objet d’une pratique guidée extensive. Par la suite, des tâches plus complexes et entremêlées peuvent peu à peu être introduites.
Lors de la pratique autonome, il est également important que l’enseignant se déplace dans la classe pour surveiller l’engagement et les productions des élèves. Si un contact avec l’élève est nécessaire à ce stade, il doit être bref, ne dépassant pas 30 secondes en moyenne pour chaque interaction. Là encore, l’accent est mis sur l’autonomie de l’élève. Nous le débloquons, mais nous ne lui réexpliquons pas toute la matière.
D’un point de vue cognitif, la pratique autonome vise à renforcer la fluidité et l’automaticité.
Du point de vue de la motivation, la pratique autonome favorise un environnement d’apprentissage favorable à l’autorégulation.
Dans le contexte éducatif, le soutien à l’autonomie fait référence aux climats et à l’enseignement qui favorisent la volition, l’autonomie et la motivation intrinsèque des élèves. Il s’agit d’éléments alignés ou contribuant à l’orientation vers la maîtrise des élèves. L’accent est clairement mis lors de la pratique autonome sur la maîtrise et sur la motivation individuelle et personnelle.
Les éléments de promotion de l’autonomie de la pratique indépendante sont susceptibles de fonctionner uniquement dans la mesure où ils favorisent une orientation vers la maîtrise.
Si nous demandons aux élèves de s’entraîner de manière autonome sans raison valable ou sans justification, ou si l’entraînement se fait sans réfléchir, ils risquent :
- De ne pas faire le lien entre l’effort et le résultat, ce qui est une violation d’un concept critique dans le cadre de l’orientation vers la maîtrise.
- De ne pas approuver personnellement l’activité, ce qui est une violation de leur autonomie. Cette dernière est également un concept critique dans le cadre de l’orientation vers la maîtrise et de la motivation intrinsèque.
L’impact de la pratique délibérée sur une orientation vers la maîtrise
La pratique délibérée fait référence à la répétition pertinente et volontaire d’une compétence spécifique qui est améliorable.
Elle implique généralement la répétition, une rétroaction à certains moments critiques. Elle peut être menée pour une part, de manière indépendante par un élève. Les compétences en cours d’acquisition gagnent à être pratiquées sous la supervision étroite d’un enseignant. Les activités sont alors bien définies, dirigées vers un but et impliquent une rétroaction substantielle.
La pratique délibérée exige de la concentration et quelqu’un [soit l’élève, soit un enseignant, soit un coach] qui va offrir une surveillance ou fournir un retour d’information sur la pratique.
S’engager dans une pratique délibérée ne signifie pas s’attaquer d’emblée à des tâches complexes. Il s’agit plutôt de pratiquer suffisamment longtemps chacun des éléments jusqu’à les maîtriser, puis de les pratiquer ensemble de manière combinée jusqu’à la réalisation de la tâche complète avec succès.
Une pratique délibérée impliquerait une répétition spécifique avec un retour constructif approprié, partie par partie et distribuée dans le temps. Selon Nuthall [1999], les élèves ont besoin d’environ quatre expositions au contenu [à deux jours d’intervalle maximum] pour l’intégrer suffisamment dans leur structure de connaissances.
Il s’en suit que la pratique délibérée n’est pas nécessairement un processus confortable.
Elle s’accompagne d’une dissonance entre la situation actuelle de l’apprenant et le niveau de performance, d’automaticité et de fluidité auquel il aspire. Elle exige une concentration totale et un effort à maintenir pendant de longues périodes distribuées dans le temps.
Par conséquent, les élèves ne s’engagent pas dans une pratique délibérée parce qu’elle est intrinsèquement agréable, mais parce qu’elle les aide à améliorer leur maîtrise à long terme.
Lorsque l’élève a acquis des stratégies d’apprentissage autonome, il devient mieux à même de s’engager dans une pratique autonome d’activités. Il en comprend mieux l’intérêt. Il se fixe ses propres objectifs et routines de pratique. Il apprend à s’organiser et à se réguler au cours de ce processus.
Lorsque la pratique est délibérée, l’orientation vers la maîtrise est soulignée. Les élèves se fixent des objectifs de pratique et établissent le lien entre leurs efforts et les résultats en surveillant leur progression vers les objectifs de pratique.
L’impact de la découverte guidée sur une orientation vers la maîtrise
Après suffisamment de modelage, de pratique guidée, autonome et délibérée, il y a ensuite une place pour l’apprentissage par découverte guidée.
Nous commençons par faire passer les élèves par la phase de pratique autonome et délibérée. Nous nous assurons qu’ils maîtrisent la matière et les processus associés. Nous pouvons alors proposer à nos élèves une phase d’apprentissage par découverte guidée.
Maintenant que les apprenants ont dépassé le statut de novice et démontré un certain niveau de maîtrise, ils possèdent les compétences et les concepts suffisants pour s’engager dans des approches de découverte plus ouvertes, mais guidées. Il peut s’agir d’appliquer son apprentissage à des problèmes du monde réel avec un soutien approprié si nécessaire.
L’apprentissage par la découverte guidée implique également une légère augmentation de la difficulté des tâches et prend en considération des concepts tels :
- Les difficultés désirables qui suggèrent des moments appropriés dans le processus d’apprentissage où des tâches plus difficiles conduisent à un meilleur apprentissage que la présentation continue de tâches faciles.
- L’effet d’inversion de l’expertise qui fait qu’à partir d’un certain niveau de maîtrise des tâches plus ouvertes permettent un meilleur apprentissage.
Cette notion de défi gradué est cohérente avec les résultats d’autres pistes de recherche en éducation. Par exemple, la recherche sur les objectifs d’excellence personnelle ou de croissance a mis en évidence le rôle de la fixation d’objectifs personnellement stimulants.
Les résultats suggèrent que les élèves qui se fixent des objectifs stimulants sur le plan personnel sont plus susceptibles de présenter des modèles adaptatifs de motivation, d’engagement et de réussite.
Le principe de Boucles d’or s’aligne également sur cette notion de difficulté et de défi optimaux. Il s’agit de la préférence des individus à s’occuper de tâches et d’activités qui ne sont ni trop faciles ni trop difficiles, mais présentent le bon niveau de défi.
L’apprentissage par la découverte guidée est bien adapté à l’orientation vers la maîtrise :
- Du point de vue de la motivation, la pratique autonome jette les bases du soutien à l’autonomie, de la motivation intrinsèque et donc de l’orientation vers la maîtrise.
- L’apprentissage par découverte guidée offre une autre occasion de confronter les élèves aux propriétés intrinsèques et inhérentes de la tâche, ce qui permet de développer davantage leur orientation vers la maîtrise.
- De plus, l’accent très clair mis sur la découverte plutôt que sur la performance éloigne davantage les élèves de l’orientation vers la performance et les place plus étroitement sur le terrain de la maîtrise.
Mis à jour le 10/10/2023
Bibliographie
Andre J. Martin, Using load reduction instruction (LRI) to boost motivation and engagement. Leicester : British Psychological Society, 2016
Nuthall, G. (1999). The way students learn: Acquiring knowledge from an integrated science and social studies unit. The Elementary School Journal, 99, 303–341 doi.org/10.1086/461928
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