jeudi 1 septembre 2022

Planifier l’enseignement, une stratégie

Le travail de l’enseignant comporte une phase de conception avant l’entrée en classe qui correspond à l’objectif suivant : Comment enseigner, en soutenant l’apprentissage des élèves ?

(Photographie : Heiko Mülfarth)



Planifier un cours en quatre étapes


Planifier un cours



Planifier ne consiste pas à chercher une manière de compléter le temps d’enseignement ni à le départager entre des activités qui rentrent peu ou prou dans le programme, en estimant que ça devrait faire infuser l’apprentissage escompté. 

La planification est plutôt à envisager comme un processus qui permet d’amener l’ensemble des élèves d’une classe, d’un point A vers un point B. 

L’enseignant emprunte le chemin le plus court et le plus fonctionnel pour maximiser l’apprentissage de tous les élèves et diminuer leurs écarts. 

Construire une planification implique essentiellement le choix d’une conception pédagogique. Celle-ci va se traduire en une hiérarchie d’activités d’enseignement en un plan, selon une ligne directrice et divers principes pour guide.

Le choix des activités concrètes et des contenus directs n’arrivera que dans un second temps.


Quatre étapes à la planification d’un cours


La planification repose sur quatre étapes que nous pouvons exprimer par les questions suivantes :
  1. Quelles sont les connaissances que les élèves doivent posséder ? 
    • D’où partons-nous ?
    • Où allons-nous ?
  2. Quels sont les objectifs d’apprentissage pour ce cours ? 
  3. Comment puis-je évaluer ces objectifs d’apprentissage au terme des cours ? 
  4. Quelle est la meilleure façon d’aider les élèves à atteindre ces objectifs d’apprentissages ? 

Ces questions peuvent nous sembler très évidentes et même triviales. C’est pourtant leur apparente évidence qui fait qu’elles sont parfois négligées avec des conséquences néfastes sur la qualité de l’enseignant.

L’erreur commune est de foncer tête baissée sur la quatrième question. Nous négligeons dès lors l’ensemble du processus ou ne nous y intéressons que par la suite, vers la fin du cours ce qui est un manque de cohérence.



Échapper à l’obsession du temps dans la planification grâce au principe de Pareto


Échapper à l’obsession du temps dans la planification


Le temps est la principale ressource limitée. Sa disponibilité sera presque par défaut toujours surestimée. 

Planifier n’est donc pas garder la tête dans le guidon et foncer tête baissée afin d’en faire le plus possible durant le temps imparti. 

Si nous fonctionnons selon ce principe :
  • Nous n’aurons pas le temps de tout faire
  • Nous allons être pressés par le temps.
  • Nous procéderons à certaines étapes vite et mal. 

Nous ne pouvons nous lancer directement dans le détail de la planification avant d’envisager une stratégie globale. 



Le principe de Pareto


Le principe de Pareto doit son nom à l’économiste italien Vilfredo Pareto (1848-1923). Pareto l’a médiatisé sans en être le réel inventeur. 

Selon le principe de Pareto, dans de nombreux domaines, 80 % des résultats obtenus s’obtiennent par 20 % des investissements. 

Son interprétation est simple, il vaut mieux en faire moins, mais le faire mieux. La planification doit être claire et se concentrer en priorité sur les points essentiels de la matière à enseigner.

Le principe de Pareto est une méthode générale permettant de trier un quelconque agrégat en deux parties : 
  • D’un côté sont les éléments essentiels
  • De l’autre sont les éléments secondaires. 

L’accent que nous mettrons sur les essentiels vise à assurer un apprentissage durable de ceux-ci pour les élèves. Cela signifie que les éléments secondaires seront enseignants, mais bénéficieront de moins d’attention et de couverture, car ils sont moins fondamentaux.



Planifier est une stratégie générale à décontextualiser


Planifier est une stratégie générale


Le fait de planifier peut être vu comme une compétence contextuelle qui s'adresse à des élèves en particulier et spécifique car elle est dépendante d'une expertise dans le domaine enseigné. Cependant, nous gagnons à la concevoir comme une stratégie générales ce qui permet une meilleure gestion de nos ressources en temps limitées.

Certains enseignants ont naturellement plus d’affinité et de facilité avec ce qui concerne la planification. Toutefois, planifier est une compétence professionnelle stratégique qui peut s’acquérir pour tout enseignant. 

Nous ne devenons pas meilleurs en improvisant différentes pistes ou en explorant de multiples pistes en permanence ou dans l’urgence. 

Nous ne pouvons nous améliorer qu’en mettant en place des changements durables, routiniers et systématiques dans notre planification. 

Cela nécessite de prendre le temps de les mettre en œuvre avec tout le recul nécessaire, soupeser les options, anticiper leurs résultats et arriver à des prises de décision qui sont réfléchies et stratégiques. 

La planification doit être quelque chose de réemployable. La planification se veut efficace, réutilisable et distincte de la création de contenu ou des contenus techniques qu’elle entend traiter. 

En ce sens, la planification n’est pas la ressource, mais un processus stratégique qui pointe et active des ressources.  

Planifier demande de mettre en parenthèse notre mode de réflexion automatique et intuitif. Elle demande d’activer notre mode réfléchi, pragmatique, rationnel et exigeant. 

L’enjeu de la planification est d’apporter des changements intentionnels et durables à notre pratique. 



Décontextualiser le contenu de planification


Pratiquement, il est utile de séparer le contexte du contenu :
  • Ce qui est propre au contexte particulier du cours à venir risque fortement de ne pas être réutilisable. Il convient de le situer au bas de la hiérarchie des tâches à effectuer. Cela se rapporte à tout ce qui doit être fait pratiquement par rapport à ce cours.
  • Ce qui appartient au contenu doit être pensé et conçu sous forme d’une ressource décontextualisée qui anticipe une réutilisation future. Il doit se trouver en haut de la hiérarchie des priorités. Il s’agit de réfléchir aux parties les plus difficiles et complexes du cours qu’il faudra donner. 
  • Une idée complémentaire est de décomposer les ressources en briques réutilisables, en tâches isolées plutôt qu’accumulées les unes après les autres. Lorsqu’elles sont isolées, nous pouvons plus facilement réfléchir à leur ordre. Ainsi d’une année à l’autre d’une classe à l’autre nous pouvons choisir de prendre ou d’inclure non telle ou telle tâche. 
  • L’avantage de disposer de ressources réutilisables est que lors d’une utilisation ultérieure, par exemple un mois ou un an plus tard, c’est qu’elles sont susceptibles d’être affinées indépendamment. En profitant de la rétroaction proactive liée à l’usage en contexte de la ressource, nous pouvons également réfléchir à la dimension de leur utilisation dans le cadre de l’évaluation formative et la pratique de récupération ultérieure. 



Deux pièges à éviter d'une planification qui fait fi de l'alignement curriculaire


Il y a deux pièges classiques où l’enseignant pense prendre un raccourci, mais qui dans les faits vont rarement se révéler payants. Dans les deux cas, l’enseignant se retrouve pourvoyeur d’un enseignement sans valeur ajoutée pour l’apprentissage de ses élèves et sans mise en valeur de sa propre expertise. Le grand laissé pour compte de ces démarches est l'alignement curriculaire : 


Le fait de centrer la planification sur les activités


Ce piège débute par la recherche d’une bonne activité sur un thème pour y consacrer un cours. Dans un second temps, nous allons décomposer et analyser l’activité pour voir avec quels objectifs elle pourrait être en phase. 

Le risque est alors de forcer des correspondances qui peuvent en réalité être factices et de s’encombrer de différents éléments périphériques. 

Avec le temps, cette approche peut finir par nous amener à sélectionner des activités pour occuper les élèves en lien avec le thème, mais peu signifiantes pour l’apprentissage.


La planification copiée


Dans le cadre de la planification copiée, l’enseignant reprend tels quels les objectifs pédagogiques et les activités d’apprentissage d’un collègue ou d’un manuel. Ils n’ont pas été pensés par lui et ne lui correspondent pas complètement. Il n'y a pas eu d'appropriation préalables et de réflexion sur leur logique sous-jacente.

Dans ce cas, l’enseignant ne passe pas lui-même à travers les quatre étapes de la planification d’un cours. Il ne s’assure pas non plus de la cohérence de son discours ni du fait de prendre en compte les besoins de ses élèves. 

Si le processus peut fonctionner dans certains cas, pendant un certain temps et avec certains élèves, mais c’est surtout susceptible de se transformer en parcours du combattant pour l’enseignant. Des incohérences risquent d’apparaitre dans son discours tandis que ses élèves se sentent de plus en plus en décalage avec son cours et deviennent confus.



L’option gagnante de la planification à rebours


L’une des meilleures façons d’optimiser l’apprentissage est d’utiliser une conception à rebours. 

Elle est à rebours dans le sens où nous démarrons la planification en déterminant le plus précisément possible ce que nous voulons que nos élèves aient appris à la fin du cours. Plus nous savons clairement où nous voulons aller, plus nous avons de chances d’y arriver. 

Elle se base sur le principe que les enseignants efficaces passent plus de temps à identifier les résultats de l’apprentissage et moins de temps à sélectionner les activités que ne le font leurs collègues moins efficaces.

La conception à rebours consiste à s’efforcer d’être parfaitement clair et transparent sur ce que nous voulons que nos élèves puissent faire au fur et à mesure de leur progression dans le cours :
  • Nous décomposons un parcours. Nous réfléchissons sérieusement à la manière dont les différentes parties du parcours d’apprentissage s’articulent. 
  • L’une des façons les plus simples de procéder consiste à identifier une série d’étapes d’apprentissage intermédiaires pour notre cours. 
Les tâches que nos élèves ne sont pas en mesure d’accomplir au début du cours, mais qu’ils peuvent accomplir avec un soutien, gagnent à être réalisées à la fin de celui-ci. 

Il est précieux de définir de telles étapes intermédiaires, car elles rendent le reste de notre planification plus facile et plus efficace. Elles nous permettent de poser des jalons d’apprentissage efficaces.

Les jalons efficaces sont :
  • Cumulatifs : ils se construisent les uns sur les autres. Chaque nouveau jalon englobe pleinement les précédents.
  • Distribués : ils sont répartis de manière à ce qu’ils soient de difficulté et de complexité croissante. Les premiers regroupent des éléments simples à apprendre, les derniers comprennent les éléments les plus exigeants. 
  • Mesurables : Nous pouvons obtenir aisément des preuves de l’apprentissage en cours des élèves.
  • Clair : Ils sont formulés de manière à ce que nous et nos élèves puissions rapidement comprendre ce qu’ils visent. Mieux nos élèves comprennent les étapes de leur apprentissage, plus ils peuvent progresser directement vers celles-ci. Il ne s’agit pas seulement de leur demander de copier les étapes au tableau. Il s’agit de prendre le temps de les aider à comprendre ce qu’ils veulent dire et, idéalement, de leur montrer à quoi elles ressemblent.

Si la conception à rebours est une idée simple, elle n’est pas toujours facile à mettre en pratique. Changer les habitudes de pensée demande du temps et des efforts répétés. Mais c’est un investissement qui en vaut la peine.



Un équilibre à trouver entre compétences procédurales et compréhension conceptuelle dans la planification


Le temps n’est pas le seul facteur à tenir en compte au niveau de la planification. 

Au milieu des années quatre-vingt-dix, Stigler et Hiebert (1999) ont mené une étude qui a comparé l’enseignement entre différents pays. Ils ont montré que certaines approches avaient un impact nettement plus important que d’autres.

L’un des facteurs les plus significatifs était la manière dont les enseignants équilibraient leur temps entre :
  • L’enseignement pour la compréhension conceptuelle
  • L’enseignement pour la compétence technique.

Dans leur étude, les enseignants américains avaient mis davantage l’accent sur l’acquisition de compétences procédurales, au détriment de la compréhension conceptuelle. Les enseignants japonais ont opté pour une approche plus équilibrée et ont obtenu de meilleurs résultats.

La clé de la planification se trouve dans cet équilibre entre compétences procédurales et compréhension conceptuelle.

Planifier ne se limite pas à enseigner des connaissances en faisant un bon usage du temps. Notre impact se traduit également en fonction de notre compréhension des différentes dimensions de la connaissance et de la manière dont elles s’articulent.

Nous devons savoir comment guider nos élèves dans la construction de leurs connaissances. Nous devons à la fois élaborer une planification à la fois allégée du cours et approfondie dans ses nuances essentielles. Nous posons des choix délibérés à propos de ce sur quoi nous devons nous concentrer et à quel moment. Nous sélectionnons alors des activités qui correspondent à vos objectifs.

Dans ce cadre, nous pouvons envisager la connaissance et la considérer comme un ensemble d’outils mentaux que nous construisons et maîtrisons au fil du temps : 
  • L’acte de construire des outils équivaut à la compréhension conceptuelle
  • L’acte de maîtriser les outils équivaut à la compétence technique.

La puissance de la compréhension conceptuelle est le produit de son degré de connexion. Une connaissance isolée gagne en puissance à mesure que nous la relions à de multiples autres éléments de connaissance. Finalement, ceux-ci s’intègrent dans un schéma pour finalement faire partie d’un réseau dense de significations qui s’entrelace avec ce que nous connaissons déjà et l’enrichit. Plus nos connaissances sont reliées, plus l’ensemble a du sens et de la valeur.

Une manière de mesurer la profondeur de la compréhension conceptuelle liée à une matière est de voir la capacité à répondre à des questions entourant certains verbes :
  • Isolée : par exemple, rappeler, décrire
  • Connectée : par exemple, justifier, expliquer

Une manière de mesurer la profondeur de la compréhension procédurale liée à une matière est de voir la capacité à répondre à des questions entourant certains verbes :
  • Inflexible : par exemple, suivre, trouver
  • Flexible : par exemple, résoudre, créer

La compétence technique et de la compréhension conceptuelle gagnent à se développer en parallèle. Cela peut impliquer d’évoluer peu à peu vers un modèle plus sophistiqué du point de vue conceptuel. Mais il peut aussi s’agir de démonter notre outil procédural pour vous aider à mieux comprendre son fonctionnement.

En ce sens, planifier un cours est un balancement entre construire des outils et apprendre à mieux les utiliser et les comprendre.


Mis à jour le 12/09/2023

Bibliographie


Peps Mccrea, Lean Lesson Planning, 2015

Stigler, J. W., & Hiebert, J. (1999). The teaching gap: Best ideas from the world’s teachers for improving in the classroom. New York: The Free Press

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