mercredi 24 août 2022

Un portrait de l’expertise et de l’efficacité des enseignants

Qu’est-ce qu’un enseignant expert ou un enseignement efficace ? Que pouvons-nous mettre derrière ces notions et quelle est leur utilité ?

(Photographie : Jeremy O’Sullivan)



Portrait de l’enseignant expert et efficace


Gregory Yates (2005) propose un portrait de synthèse des qualités de l’enseignant expert : 

  • L’enseignant expert démontre des connaissances en matière de programmes d’enseignement :
    • Il possède des connaissances pédagogiques étendues. Par exemple, il connait de multiples façons d’enseigner le même contenu. 
    • La planification de son enseignement peut sembler superficielle et brève, mais : 
      • Elle implique en réalité le morcellement de nombreuses tâches et activités. 
      • Elle fait appel à un riche répertoire d’improvisation, c’est-à-dire qu’en fonction du retour d’information, il peut adapter de manière fluide son approche et sa pratique. 
    • Il communique continuellement les objectifs, et mobilise un retour d’information très ciblé, lié à la tâche et axé sur les objectifs. 
  • L’enseignant expert met en œuvre des méthodes complexes de contrôle des stimuli.
    • Il enseigne activement des dizaines de routines. Ses cours sont remarquablement constants et prévisibles. Son système de gestion apparait fortement défendu. 
    • Il utilise un système subtil, mais complexe de signaux d’alerte qu’il manifeste à l’aide de l’expression de son visage, de son regard, des yeux, des mains, de la voix et du corps. L’automaticité fait que ces enseignants ne sont souvent plus que superficiellement conscients de leurs gestes, mais leurs élèves apprennent à décoder les signaux et à y répondre rapidement et de manière appropriée. 
  • L’enseignant expert a développé de larges capacités à expliquer dans son domaine :
    • Il manifeste de la clarté dans son discours, couplée à une excellente utilisation des principes de modélisation mentale. 
    • Ses explications sont remarquablement complètes. Il les délivre rapidement et précisément. Ses élèves passent ensuite à une pratique active sous une guidance soutenue.
    • Il utilise de manière précise la vérification de la compréhension de ses élèves de multiples façons, ce qui lui permet de jauger le flux d’informations qu’il introduit. 
    • De même, les experts ont des schémas caractéristiques de leur regard oculaire dans lesquels ils échantillonnent activement certains types d’informations non verbales en classe liées aux attitudes et regards des élèves. 
  • Les enseignants experts possèdent des compétences avancées en matière de traitement de l’information. 
    • Les études en laboratoire révèlent les compétences supérieures des experts dans les domaines de la mémoire et de l’encodage des événements de la classe qui sont pertinents pour l’enseignement. Elle révèle également une moins bonne mémoire des facteurs non pertinents (comme les vêtements que portent les élèves). Leur attention est devenue hautement sélective. 
    • Les experts ont développé des schémas qui leur permettant de lire visuellement le climat et le fonctionnement de la classe de manière très approfondie et précise. 


Ces observations sur les enseignants experts proviennent de comparaisons de groupes d’individus, souvent basées sur des études de cas, avec l’hypothèse que les différences mises en évidence sont dignes d’intérêt. 

La force de ce type de recherche provient du fait qu’elle met en correspondance quelques participants soigneusement sélectionnés. Ce type de recherche entre expert et novice privilégie généralement des méthodes qualitatives plutôt que des agrégats statistiques. 

Ce qu’il y a de remarquable est la convergence de ces résultats avec les pratiques mises en évidence comme étant caractéristiques des enseignants efficaces par des données quantitatives également. C’est le cas par exemple pour les pratiques mises en évidence par les recherches qui ont mené à l’établissement des principes de l’enseignement explicite, validés par la suite. Ces dernières peuvent porter plus spécifiquement sur les pratiques efficaces avec prétest et post-test pour mesurer l’impact sur les élèves.

Nous pouvons en conclure que l’expertise d’un enseignant s’appuie directement sur certains des attributs plus génériques des pratiques d’enseignement qui ont été identifiées par des moyens statistiques. 

Il en ressort une image sensible et congruente entre expertise et pratiques efficaces.



Un modèle théorique simple de l’enseignement en classe (Berliner, 1987)


Selon David Berliner (1987), une théorie simple de l’enseignement en classe, basée sur les notions de temps d’engagement et de temps d’apprentissage scolaire, possède une grande valeur heuristique. Elle représente un modèle descriptif de la manière dont les enseignants sont impliqués dans la facilitation de l’apprentissage en classe des élèves. 

En apprenant à fonctionner en tant qu’enseignants, nous allons acquérir deux grands domaines de compétences : 
  • En gestion de classe ou gestion du comportement :
    • Elles nous permettront de contrôler les schémas comportementaux et attentionnels de nos élèves.
  • En pédagogie ou gestion des apprentissages :
    • Elles nous permettront de soutenir l’acquisition des connaissances et compétences que les élèves ont besoin de développer.
Nos élèves ont besoin d’un cadre, d’un enseignement et d’une rétroaction sur ces deux aspects, car ils doivent s’investir de manière générative dans des tâches d’apprentissage. Ces tâches scolaires sont différentes de celles que les élèves accomplissent en dehors de l’école. 

Nous devons utiliser des niveaux élevés d’instruction, d’encouragement, de défi, de renforcement et de confiance pour garantir et stimuler l’engagement de nos élèves. 

Les engagements initiaux des élèves sont artificiels dans le sens où ils sont mis en route par une motivation extrinsèque pilotée par l’enseignant. Ils n’aboutiront pas à un apprentissage durable si les élèves n’assument pas eux-mêmes peu à peu la responsabilité d’entrer dans le système de l’apprentissage scolaire.

Par conséquent, les élèves doivent s’approprier les objectifs d’apprentissage et visualiser les résultats attendus, qui prendront la forme des productions propres sur lesquelles ils seront à terme évalués. 

Ainsi, l’attention des élèves est attirée sur l’identification des résultats immédiats et sur l’évaluation des types de connaissances dont ils ont besoin pour atteindre les objectifs prédéfinis. 

Un facteur déterminant dans ce processus tient à leur habileté à intégrer et à structurer des connaissances dans leur mémoire à long terme. Les élèves doivent évaluer les exigences de la tâche et se fonder sur leurs connaissances préalables pour en acquérir de nouvelles, grâce au soutien et à l’étayage temporaire proposé par l’enseignant.  

Au fur et à mesure, les élèves vont devoir se souvenir et récupérer les contenus présentés pendant les phases d’enseignement. Les informations récupérées permettent à l’élève de s’engager dans le contenu pédagogique. Ils passent de l’acquisition de connaissances déclaratives à des connaissances procédurales et conditionnelles, c’est-à-dire les aspects « savoir comment et quand ». 

Certaines informations nécessaires à l’exécution de la tâche proviennent d’autres élèves ou de supports d’apprentissage. Cependant, au fur et à mesure, un pourcentage de plus en plus grand des informations nécessaires provient directement de la récupération en mémoire à long terme par les élèves des informations initialement fournies par l’enseignant. 

L’engagement initial dans la tâche implique des efforts cognitifs parfois hésitants. Cependant, l’étayage, le retour d’informations de l’enseignant et des étapes de productions intermédiaires (formatives) permettent d’améliorer les niveaux d’auto-efficacité des élèves. 

Un facteur clé qui sous-tend le processus est décrit comme le temps d’engagement. Celui-ci peut être défini plus précisément comme le temps d’apprentissage scolaire, une fois les niveaux de réussite pris en compte. Le temps d’apprentissage scolaire est un sous-ensemble du temps d’engagement où l’élève est engagé dans une réflexion effective qui lui permet de progresser et d’apprendre.

En accumulant des niveaux élevés de temps d’apprentissage scolaire sur des tâches bien alignées sur les objectifs du programme, les élèves deviennent habiles, ingénieux et confiants. 

Un processus qui commence par le guidage de l’enseignant aboutit à terme à un niveau élevé d’autonomie et d’autorégulation des élèves. 



Comprendre la distinction entre un bon enseignant et un enseignant efficace


Ce qui est essentiel lorsque nous nous intéressons à l’efficacité est de bien comprendre la différence entre deux notions qui semblent équivalentes à première vue :
  • L’enseignant efficace l’est en fonction de critères d’apprentissage des élèves
  • Le bon enseignant l’est par le respect professionnel et les critères humanistes.

La recherche sur l’efficacité de l’enseignant a donné lieu à un ensemble de preuves bien répétées soulignant l’importance d’un ensemble de variables fonctionnelles dans la pratique de la classe. 

Cependant, ce serait une erreur de croire que ces spécifications se traduisent par des échelles d’évaluation rapides ou des listes de contrôle de pratiques à adopter. Être un enseignant efficace ne se résume pas à l’adoption d’un certain nombre de pratiques.

Nous pouvons évaluer un bon enseignant, car sa réputation souvent le précède. Cependant, il est nettement plus complexe d’évaluer l’efficacité. L’ensemble des recherches sur l’efficacité des enseignants ne définit pas un modèle par rapport auquel les enseignants individuels peuvent être évalués par observation.

Inévitablement, l’évaluation des enseignants s’articule autour de nombreux aspects de la performance, impliquant des critères personnels et moraux, alors que les études sur l’efficacité des enseignants ciblent spécifiquement le gain de performance des élèves. On évalue plus facilement un bon enseignant qu’un enseignant efficace. 

Dès lors, il est dangereux de tenter de traduire directement les résultats de l’efficacité des enseignants en pratiques de supervision. Il est quasiment impossible de tester la qualité des enseignants en les observant. Au mieux, la recherche sur l’efficacité des enseignants donne un aperçu de la manière dont certains enseignants ont réussi par le passé à atteindre une gamme étroite d’objectifs de réussite. Cela se fait en prenant en compte les contraintes qui leur sont imposées par la nature de leur contexte.

Un modèle idéalisé de l’efficacité de l’enseignant n’est pas possible. Toute tentative de réduire la complexité de l’interaction en classe à une liste de contrôle ne fonctionnera pas. La valeur de la recherche réside dans son utilisation comme base pour une réflexion personnelle sérieuse, pour reconnaître l’importance des variables clés et pour repenser les objectifs pédagogiques et professionnels. 



L’engagement et l’apprentissage des élèves sont au centre de nos démarches


Dans certaines classes, il peut y avoir des indicateurs signalant que l’apprentissage durable est peu probable. C’est le cas lorsque par exemple, il y a un manque flagrant de contrôle des stimuli dans la gestion de classe ou lorsque les élèves manifestent un déficit évident de compréhension de la matière enseignée.

Cependant, l’indicateur le plus clair de l’efficacité est le temps d’apprentissage des élèves lui-même. La recherche sur l’efficacité des enseignants elle-même implique que le principal indicateur d’un enseignement efficace se situe au niveau de l’élève, plutôt que de l’enseignant. Quelle fraction du temps en classe est-elle employée à l’apprentissage ?

Les indicateurs de l’efficacité de l’enseignement ne proviennent pas de mesures manifestes de l’enseignement, mais de mesures plus indirectes basées sur l’engagement de l’élève.

Il est possible d’envisager des situations dans lesquelles, au départ, un enseignant semble présenter de nombreux aspects positifs. Par exemple, il peut utiliser des niveaux élevés d’enseignement explicite. Cependant, il peut ne pas y avoir de gain d’apprentissage important. La raison peut venir, de l’incapacité des élèves à s’engager dans les contenus pédagogiques avec des niveaux élevés de temps d’apprentissage dans des conditions de pratique relativement indépendante. Les élèves ne deviennent pas autonomes ou responsables de leurs apprentissages.



L’expertise dans l’orchestration des pratiques


Une dimension fondamentale des enseignants experts est l’orchestration des pratiques. Cette orchestration de pratiques multiples s’appuie sur la connaissance de multiples façons de promouvoir des objectifs clés. La compétence d’enseignement implique de savoir à la fois comment ériger des étayages pour soutenir l’apprentissage des élèves et, tout aussi important, comment les retirer quand ils deviennent autonomes. 

Dans la théorie comportementale, l’enseignement doit être clair, directif et convivial, mais il doit ensuite être estompé et supprimé en douceur au fur et à mesure que la responsabilité est transférée à l’élève. Savoir comment y parvenir exige un très haut niveau de compétences professionnelles. 

La base de recherche en psychologie indique que l’expertise repose sur une expérience réussie de 5 à 10 ans, il semble que cette spécification s’applique également à l’enseignement en classe [Berliner, 2004].



L’utilité de la recherche sur l’efficacité de l’enseignement


La recherche sur l’efficacité des enseignants ne peut être utilisée pour évaluer l’efficacité des enseignants ou offrir des grilles critériées qui peuvent y mener. Dès lors, elle ne peut être purement prescriptive.

Cependant, elle peut être respectée pour sa valeur dans le développement professionnel et pour la formation initiale des enseignants. Les principes issus de la recherche sur l’efficacité des enseignants aident à définir un ensemble de départ viable de connaissances d’une valeur considérable pour les enseignants en formation. Par exemple, les compétences en matière de gestion de classe, mises en évidence par ces courants de recherche sur l’efficacité, notamment les travaux menés par Carolyn Evertson, sont particulièrement intéressantes. De même, les compétences pédagogiques décrites en détail par Barak Rosenshine sont précieuses. 

Ces analyses nourrissent une base de connaissances professionnelles qui sont importantes et fondamentales pour l’enseignant débutant. Elles sont à travailler pendant les expériences de formation. Ces processus entamés peuvent continuer à enrichir l’expertise de l’enseignant lors de son développement professionnel tout au long de sa carrière. 


Mis à jour le 08/09/2023

Bibliographie


Gregory C. R. Yates [2005] “How Obvious”: Personal reflections on the database of educational psychology and effective teaching research, Educational Psychology: An International Journal of Experimental Educational Psychology, 25:6, 681–700, DOI: 10.1080/01443410500345180 

Berliner, D. C. (1987). Simple views of effective teaching and a simple theory of classroom instruction. In D. C. Berliner & B. V. Rosenshine [Eds.], Talks to teachers: A festschrift for N. 
L. Gage [pp. 93–110]. New York: Random House.

Berliner, D. C. [2004]. Describing the behavior and documenting the accomplishments of expert teachers. Bulletin of Science, Technology and Society, 24, 200–212. 

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