La situation de harcèlement possède une dimension aiguë au niveau du bien-être de la personne qui assez aisément en fait une urgence. Le harcèlement génère des effets négatifs chez les victimes, qui peuvent se démultiplier, avec sa répétition, sa fréquence et l’éclosion d’un sentiment d’impuissance à pouvoir y échapper.
(Photographie : Justin Visnesky)
Dès lors, il est crucial de pouvoir déceler et prendre en compte rapidement de la souffrance de la victime présumée, d’intervenir, mais également de prévenir.
Voici une vue d’ensemble de la situation de harcèlement en contexte scolaire, synthétisée à partir de l’excellent ouvrage de Benoît Galand (2021).
Ne pas assimiler le harcèlement à un conflit interpersonnel
Il peut être tentant pour les professionnels de l’éducation, de réduire la présomption de harcèlement comme un simple conflit interpersonnel entre deux élèves qui fait presque partie du cours naturel des choses.
La tentation peut être forte de le régler comme un simple conflit interpersonnel.
Dès lors :
- Le problème peut être vu comme probablement un évènement assez bref et relativement ponctuel.
- L’origine de l’évènement peut être clairement attribuée avec une responsabilité supposée partagée dans l’origine du conflit.
- Dans cette perspective, le problème à régler se limite à la situation de deux élèves ayant une relation quasi égalitaire.
Les pistes de résolution sont dans cette perspective relativement claire, il suffit par exemple :
- De décider d’une sanction pour le dernier incident en date et identifié, qui marquera la clôture du conflit.
- De mettre en place des tentatives de conciliation pour nouer un dialogue entre les deux seuls protagonistes de la situation.
- De faire appel à des techniques de médiation pour dégager une solution équilibrée.
Malheureusement, les démarches habituellement utilisées face à des conflits interpersonnels entre élèves, qui considèrent ceux-ci comme étant dans une relation égalitaire et ayant des torts partagés, sont souvent inadaptées aux situations de harcèlement.
L’erreur est triple :
- Le harcèlement n’est pas un phénomène bref et ponctuel marquant un conflit entre deux individus. Il est chronique.
- Le harcèlement est social et implique un profond déséquilibre relationnel de pouvoir entre deux personnes.
- Le harcèlement inclut le harceleur, la victime, mais aussi des témoins dont le rôle n’est pas neutre dans la manifestation du phénomène et son traitement.
Faute de prendre en compte la récurrence, la relation de dominance et l’influence du groupe, les interventions basées sur la simple médiation débouchent fréquemment sur des impasses.
Nous nous retrouvons dans ces situations où c’est la parole de l’un contre celle de l’autre. Dans ce cas, même la présence de l’adulte ne permet pas d’écarter l’influence du harceleur sur la relation ou sur le groupe. Le harcèlement est très susceptible de persister malgré l’intervention d’un professionnel sous des formes moins ostensibles.
Un déséquilibre relationnel inscrit dans la durée dans le harcèlement
Le harcèlement se distingue d’une bagarre, d’une dispute ou d’un simple conflit entre deux élèves ayant des torts plus ou moins partagés.
Au contraire, le harcèlement se marque par un déséquilibre de pouvoir entre les deux protagonistes que sont le harceleur et sa victime :
- Le harceleur se sent en position de force.
- La victime se sent vulnérable et impuissante à mettre fin aux agressions qu’elle subit.
- Il n’y a pas ou il n’y a que peu de réciprocité dans les mauvais traitements recouverts par le harcèlement.
- Le harcèlement est proche d’une situation de maltraitance ou d’abus. En réalité, il revêt la même dimension d’urgence que les coups et blessures ou les agressions sexuelles.
Cette perspective sur le harcèlement n’implique pas que la victime ait tout le temps un comportement irréprochable ou totalement adéquat.
Dans le cas du harcèlement, il est important de prendre en compte le déséquilibre d’influence qui s’est installé dans la relation. Celui-ci rend caduc le traitement en tant que simple conflit interpersonnel.
Ce déséquilibre relationnel se marque nettement dans le caractère délibéré et répétitif des mauvais traitements. Le harcèlement est une relation inscrite dans la durée avec un déséquilibre de pouvoir et généralement peu de réciprocité.
Le profil particulier d’agresseur-victime
À côté des profils classiques de victime et de harceleur existe une petite minorité d’élèves, désignée habituellement sous l’appellation « agresseur-victime ».
Ces individus sont à la fois auteurs et victimes de harcèlement :
- Le critère de non-réciprocité est respecté. Les élèves qui les harcèlent ne sont pas ceux qu’ils harcèlent et les relations s’inscrivent dans le temps.
- Ces élèves cumulent les difficultés liées au statut de victime et à celui d’auteur de harcèlement, et présentent dès lors un profil particulièrement défavorable.
Le harcèlement s’inscrit dans un groupe social
Le harcèlement est une relation dissymétrique qui s’inscrit dans un contexte collectif. Le harcèlement ne concerne pas uniquement le harceleur et sa victime. Par sa nature publique, il est fonction du groupe social dans lequel il s’inscrit.
Les occurrences de harcèlement ont souvent lieu en présence de témoins. Ces témoins, qu’ils en soient conscients ou non, vont avoir une incidence sur l’évolution de la situation.
Les faits de harcèlement se déroulent fréquemment en présence (physique ou virtuelle) de pairs, voire d’adultes au sein de l’école, qui sont tous témoins des évènements qui ont lieu devant leurs yeux.
Différents travaux de recherche montrent que les réactions de ces témoins peuvent avoir des répercussions importantes sur la poursuite du harcèlement et sur l’adaptation psychosociale des personnes directement impliquées.
Les témoins peuvent occuper des rôles différents, ils sont :
- Spectateurs du harcèlement : les témoins peuvent faire comme s’ils n’avaient rien vu ou se comporter de manière neutre, c’est l’attitude la plus commune.
- Défenseurs de la victime : c’est l’attitude la plus rare.
- Soutiens du harceleur : les témoins peuvent le seconder ou l’assister, ce qui accentue le harcèlement.
Les soutiens ou les spectateurs vont tendre à :
- À renforcer le harceleur. Ils lui donnent un sentiment de puissance et plus d’influence sur le groupe.
- À isoler socialement la victime et à la faire s’interroger sur son adéquation et sa responsabilité personnelle dans la situation de harcèlement.
En ne manifestant pas de réaction, le comportement des spectateurs tend à faire passer le harcèlement comme un évènement normal et banal, qui serait en partie de la responsabilité de la victime.
L’ambivalence de certains spectateurs est problématique. Ils peuvent venir apporter leur soutien à la victime après les incidents eux-mêmes :
- Cela a généralement pour effet de mitiger l’impact émotionnel du harcèlement sur la victime.
- Malheureusement, ces attitudes ne contribuent que rarement à mettre fin au harcèlement.
La position de défenseur de la victime est nettement plus intéressante et bénéfique. Publiquement, ceux-ci peuvent désapprouver ce qui se passe ou prendre parti pour la victime lors du déroulement d’un fait de harcèlement. Ce type de réaction permet assez souvent de réduire ou de mettre un terme au harcèlement.
Il est important de prendre conscience que les réactions des témoins ne sont jamais neutres. Elles contribuent à la construction de réputations et de statuts hiérarchisés au sein du groupe de pairs, qui ont eux-mêmes une incidence sur les relations entre ses membres.
Caractéristiques spécifiques aux phénomènes de harcèlement
La recherche sur le harcèlement en milieu scolaire a mis en évidence certaines caractéristiques typiques :
- Le harcèlement prend majoritairement la forme d’agressions verbales.
- Les occurrences de harcèlement sont plus fréquentes et plus longues dans la cour qu’en classe.
- La plupart de ces épisodes échappent à la vigilance des adultes, mais possèdent des témoins parmi les élèves. Par conséquent, les élèves sont de meilleurs témoins du harcèlement à l’école que les enseignants.
- La plupart des évènements se déroulent en présence d’au moins un témoin et sont le fait d’un seul élève, que la victime connaît, plutôt que d’un groupe, et se déroulent entre élèves de la même année.
- Quand l’évènement est public, les élèves victimes disent avoir reçu de l’aide d’un autre élève dans moins de la moitié des cas. C’est encore moins souvent de la part d’un adulte de l’école quand l’un d’entre eux était présent.
- Les victimes ont beaucoup plus de chances de recevoir de l’aide d’un ami que d’un autre élève.
- Il semble que les élèves tendent à sous-estimer leur implication dans des comportements actifs de harcèlement.
- Le rôle endossé par les élèves est aussi associé à leur popularité au sein du groupe de pairs :
- Les victimes sont davantage rejetées.
- Les harceleurs sont peu appréciés.
- Les spectateurs sont plutôt dans la moyenne.
- Les défenseurs sont plus populaires.
- La fréquence du harcèlement est plus faible dans les classes où davantage d’élèves sont perçus par leurs pairs comme ayant des comportements de défenseur.
- Le harcèlement est plus fréquent dans les classes où davantage d’élèves sont perçus par leurs pairs comme ayant des comportements qui renforcent les harceleurs.
La difficulté de la détection du harcèlement
La répétition et l’aspect quasi unilatéral des faits constituent des marqueurs importants à identifier qui sont des signes de harcèlement.
La difficulté est de les détecter en milieu scolaire, car les occurrences de tels comportements se déjouent souvent la vigilance des enseignants. La fragmentation des horaires et la diversité des adultes intervenants intervenant auprès des élèves, particulièrement dans le secondaire accentue ce phénomène. Nous pouvons augmenter notre vigilance et mieux repérer les occurrences de comportement de harcèlement. Si le caractère répétitif est bien perceptible par les élèves, il échappe plus aux adultes.
De plus, les élèves peuvent avoir des réticences à s’identifier eux-mêmes sous l’étiquette d’auteur ou de victime de harcèlement. De même, le harcèlement n’est pas nécessairement lié à la force physique, il est davantage lié à une forme de statut ou d’influence au sein du groupe de pairs.
Pour échapper à la double difficulté du repérage par l’adulte et de l’interprétation par l’élève, nous pouvons plutôt mettre en évidence le déséquilibre relationnel.
En cas de suspicion, nous pouvons demander aux élèves de répondre à des questions concernant des actes subis ou exécutés. Ceux-ci sont décrits de la manière la plus claire possible, sans référence explicite à la notion de harcèlement.
La répétition des actes va impliquer assez logiquement qu’ils sont volontaires et généralement associés à un déséquilibre dans la relation. La répétition des faits, la faible réciprocité, les réactions des témoins sont des indices utiles à documenter pour évaluer correctement la situation.
Nous devons comprendre les signes de la dynamique du harcèlement, de manière à mieux identifier et prévenir les situations de harcèlement. Cela nous permet d’adapter les interventions et d’intervenir au plus tôt.
La prévention du harcèlement comme dimension du climat scolaire
Le harcèlement peut être approché des autres formes de victimisation. Même à faible fréquence, les actes de rejet social et de stigmatisation ont déjà des effets négatifs détectables. Tous ces phénomènes ont un effet négatif sur le climat scolaire.
Il est fréquent qu’une situation de harcèlement dépasse les individus directement concernés et ait des ramifications dans un groupe d’élèves, voire dans l’ensemble d’une classe. Ces ramifications ont un impact sur la persistance de la situation et sur ses conséquences. Il peut par conséquent être important de les prendre en compte dans le traitement de la situation et de ne pas se limiter à intervenir uniquement auprès des personnes les plus directement impliquées.
De même, agir préventivement sur le comportement des témoins serait un facteur important dans l’apparition ou le maintien du harcèlement.
Mis à jour le 02/09/2023
Bibliographie
Benoît Galand, Le harcèlement à l’école, Retz, 2021
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