Lorsque les élèves apprennent de nouvelles connaissances ou développement de nouvelles compétences, dans tous les cas cela se traduit par un changement dans leur mémoire à long terme. Ces changements sont la matérialisation des apprentissages.
(Photographie : Paul Gaffney)
L'importance des connaissances spécifiques face aux connaissances générales
Distinguer connaissances spécifiques et compétences générales
En éducation, l’accent est parfois mis sur les compétences générales en éducation (résolution de problèmes, créativité, communication, esprit critique, collaboration) au détriment des compétences spécifiques (associant savoir et savoir-faire dans des domaines définis et délimités).
Dans ce cas de figure, l’acquisition de connaissance en mémoire à long terme et son évaluation se retrouvent souvent dans l’angle mort des perspectives de l’enseignement. Lorsque les compétences sont générales, il devient peu aisé de définir des connaissances et des procédures spécifiques à mémoriser. Tout devient plus implicite.
Les premières victimes en sont les élèves, car les sciences cognitives établissent de manière très claire que la mémoire à long terme est la structure dominante de l’architecture cognitive. Si elle n’est pas le point de mire d’un processus d’enseignement et d’apprentissage, il y a peu de chances que l’efficacité soit au rendez-vous.
L’importance des connaissances spécifique pour le fonctionnement cognitif
L’éducation a peu d’impact sur l’intelligence fluide. Elle en a par contre sur l’intelligence cristallisée qui représente la capacité à utiliser ses compétences, ses connaissances et ses expériences, toutes inscrites au sein des schémas de la mémoire à long terme.
Par l’intermédiaire des schémas, tout ce qu’il y a dans l’intelligence cristallisée est la simple accumulation, l’ajustement et l’intégration de nombreuses petites unités de connaissance en des chunks de plus en plus importants. Ensemble, au total, nos connaissances nous rendent capables d’une cognition complexe. À l’opposé, si rien n’a été emmagasiné de manière structurée dans la mémoire à long terme, rien n’a été appris.
Par conséquent, notre objectif, en tant qu’enseignants, est d’aider nos élèves à se souvenir à long terme de ce qu’ils apprennent d’essentiel et à maîtriser les contenus les plus importants.
À cette fin, à force de récupération et de consolidation, d’occasions de pratique variées, la connaissance des contenus de la matière aboutit à une meilleure organisation des schémas. Celle-ci rend l’acquisition de nouvelles connaissances plus aisées. Indirectement, cela rend indispensable un séquençage logique dans le processus d’apprentissage et d’enseignement. Certaines connaissances sont préalables à d’autres.
Le rôle de l’oubli dans l'apprentissage et ses implications pour l'enseignement
La rôle de l'oubli dans l'apprentissage
L’oubli est à première vue un problème pour l’apprentissage. Mais il s’agit d’un obstacle inaliénable, il représente un paramètre qui a fortiori peut être rendu utile pour la mémorisation. Dans une perspective éducative, nous n’avons pas d’autre option que de le prendre en compte et de s’en faire un allié.
Nombre d’entre nous, enseignants, avons obtenu en général des notes plutôt bonnes dans différentes matières du secondaire. Pourtant, s’il nous était demandé de refaire certains examens demain, à côté des élèves aujourd’hui, nous aurions sans doute du mal à obtenir les mêmes notes qu’à l’époque.
Nous avons oublié une grande partie de ce que nous avons appris dans les domaines où nous n’enseignons pas et que nous n’investissons plus dans nos vies. Étant donné les semaines et les mois de temps investis, cela peut sembler a posteriori un gaspillage.
Dans la mesure où nous voulons améliorer le rendement de l’éducation pour nos élèves, leur permettre d’apprendre plus sans absolument travailler plus, nous devons considérer de quelle manière évite tout gaspillage.
Nous avons tous, en tant qu’enseignants, fait l’expérience de voir un groupe d’élèves utiliser parfaitement et avec performance, un concept, lors d’une leçon. Deux, trois mois plus tard, ils peuvent en avoir perdu toute la maîtrise. Tant et si bien que lorsque nous l’évoquons plus tardivement dans l’année scolaire ou l’année d’après, de nombreux élèves peuvent nous assurer sincèrement qu’ils n’en ont jamais entendu parler de leur vie. Nous négligeons souvent de contourner l’oubli en conjuguant au fil du temps pratique distribuée et pratique de récupération.
Pleinement assumer notre responsabilité professionnelle d’enseignants face à l'apprentissage des élèves
Lorsque nous nous plaignons, en tant qu’enseignants, que les élèves n’utilisent pas correctement une compétence spécifique, bien qu’ils l’aient apprise, nous devrions nous poser les questions suivantes :
- L’ont-ils vraiment apprise une première fois ?
- L’avons-nous vraiment enseignée avec suffisamment de temps, de concentration et d’attention ?
- L’avons-nous suffisamment révisée ?
- L’avons-nous consolidée dans leur esprit ?
- L’ont-ils maîtrisée ?
- L’ont-ils automatisée dans leur mémoire à long terme ?
- Avons-nous assuré les conditions d’un surapprentissage distribué dans le temps par une planification prédéfinie ?
- A-t-elle été réactivée régulièrement en offrant aux élèves des opportunités de pratique de récupération additionnées d’une rétroaction stratégique ?
L’argument de l’incompétence des élèves ne tient plus la route si un tel questionnement révèle des défaillances dans nos pratiques d’enseignement.
Inverser la perspective de l'enseignement face à l'oubli des élèves
Un changement de perspective
Joe Kirby propose d’aborder la situation avec un point de vue inversé. Nous pouvons ne plus prendre comme ancrage que les élèves vont nécessairement oublier une bonne partie de ce que nous leur enseignons dans l’espoir qu’ils l’apprennent.
Nous pouvons partir de l’idée que l’esprit humain oublie ce qu’il ne pratique pas, ne revisite pas, ne récupère pas et ne consolide pas. Ce qui ne souhaitons que nos élèves retiennent, doit être régulièrement pratiqué, revisité et récupéré dans le cade de nos cours. Pour le reste, nous acceptons les mécanismes aléatoires de l’oubli. Certains élèves oublieront plus que d’autres. Les éléments qu’ils retiendront hors de ceux que nous travaillerons spécifiquement à cet effet le seront d’une manière aléatoire. Nous reconnaissons n’avoir pas de prise réelle sur ces aspects.
Dès lors, cela nous amène à nous poser une série de questions qui sont autant de défis pour les enseignants :
- Spécifions-nous méticuleusement chaque concept que nos élèves devront maîtriser au cours de chaque année, avec des définitions précises, claires et synthétiques ?
- Déterminons-nous et organisons-nous chaque élément de connaissance de manière stratégique avant chaque unité que vous enseignez ?
- Séquençons-nous et revisitons-nous les connaissances des unités précédentes de manière explicite, planifiée et systématique ?
- Testons-nous nos élèves sur toutes ces connaissances à plusieurs reprises, même après le terme d’une unité ?
- Évaluons-nous si nos élèves ont mémorisé ces connaissances, même un an plus tard ? La poursuite de ces objectifs se fait-elle de manière collégiale entre les enseignants d’une année à l’autre ?
- Sommes-nous conscients de la mesure dans laquelle nos élèves ont mémorisé ou oublié les définitions précises de ces concepts à un stade donné de l’année ?
Pistes d'actions
De nombreuses connaissances dans nos matières sont fluides pour nous, mais ça ne l’est pas pour nos élèves du secondaire. Par conséquent, nous risquons toujours de tomber dans la malédiction de la connaissance en ayant oublié tous les efforts que cette maîtrise nous a demandés par le passé.
Si nous voulons que nos élèves automatisent des concepts complexes, cela a des implications. Nous devons leur garantir suffisamment de temps, de concentration, d’attention, d’opportunités de récupération, d’application, d’élaboration, de consolidation, c’est-à-dire de pratique délibérée en vue d’une maîtrise durable.
La pratique distribuée, cumulative, et le surapprentissage même une fois que les élèves connaissent la matière, de même qu’une pratique de récupération fréquente, sont les meilleurs moyens de prévenir l’oubli. Ils stimulent la rétention de la mémoire à long terme des élèves.
Les tests formatifs ont une utilité élevée pour toutes les tâches, tous les formats, tous les sujets, tous les âges et toutes les capacités des apprenants, toutes les mesures de résultats et tous les intervalles de rétention. Il s’agit de l’une des techniques d’étude les plus efficaces dans la littérature de recherche en sciences cognitives.
Dans pratiquement tous les domaines d’apprentissage, nous acquérons une meilleure maîtrise lorsque nous utilisons l’évaluation comme outil d’apprentissage. Des tests fréquents aident les élèves à se souvenir de leurs connaissances.
Un tel système est complexe à installer, il gagne à être pensé une échelle systémique pour un établissement ou pour un degré. Il permet d’éviter que les enseignants doivent essentiellement repartir de zéro chaque année, car tant de connaissances semblent avoir été oubliées. Il peut permettre de s’assurer que beaucoup de connaissances seront mémorisées, entretenues et délibérément consolidées.
Mis à jour le 19/08/2023
Bibliographie
Joe Kirby, pp 16-27, in Battle Hymn of the tiger teachers, 2016
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