lundi 13 juin 2022

Toutes les interventions liées à la prévention du harcèlement en école ne fonctionnent pas

En 2015, le ministère de l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles décide de financer la diffusion à grande échelle d’un dispositif conçu par une équipe universitaire. Ce dispositif est intitulé « Prévention et prise en charge du harcèlement, du cyberharcèlement, des violences visibles et invisibles et des discriminations au sein de l’établissement scolaire ».

(Photographie : frommylimitedtravels)



Parallèlement, le ministère de l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles mandate une autre équipe de recherche pour réaliser une évaluation scientifique de ce dispositif. C’est le retour de cette enquête que nous allons présenter ici (Tolmatcheff et coll., 2020).



Le harcèlement scolaire et son importance


Le harcèlement scolaire peut être défini comme une dynamique dans laquelle un ou plusieurs élèves maltraitent de façon intentionnelle et répétée un autre élève qui ne sait pas comment mettre fin à cette situation (Eisenberg & Aalsma, 2005). 

Ce phénomène peut avoir des répercussions négatives, à court terme comme à long terme, sur la santé (physique et mentale) et le parcours scolaire des victimes bien entendu, mais également des harceleurs, et même de simples témoins.

Dans les pays francophones, la version 2013-2014 de l’enquête internationale HBSC indique que, parmi les jeunes de 11 à 15 ans (Inchey, Currie, Young et coll., 2016) près de :
  • 12 % déclarent être victimes de harcèlement en France
  • 11,5 % en Suisse
  • 13,5 % au Canada
  • 20 % en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), la partie francophone de la Belgique 

Il est par conséquent impératif d’agir.



L’importance d’évaluer les interventions que les écoles mettent en œuvre en matière de harcèlement


De nombreux programmes et outils de prévention et d’intervention ont vu le jour ces dernières décennies et sont utilisés dans les écoles. Cependant, la majorité des dispositifs existants n’ont pas été soumis à une évaluation rigoureuse. Dès lors, nous ignorons tout de leur prétendue efficacité ou de leur possible inefficacité.

Il n’est pas aisé, pour des acteurs scolaires de savoir vers quelle offre se tourner ni où investir leurs ressources matérielles, temporelles et humaines naturellement limitées.

Les méta-analyses et diverses publications de recherche concernant l’efficacité des dispositifs de prévention du harcèlement à l’école aboutissent à des résultats mitigés (Galand, 2017) :
  • La plupart des études publiées indiquent très peu d’effets mesurables sur les comportements de harcèlement en tant que tels. 
  • Les effets de ce type sont par ailleurs globalement faibles et se maintiennent difficilement dans le temps. 
  • Parfois, l’effet est même négatif et semble entraîner une augmentation du harcèlement. 
  • Les changements positifs observés se situent davantage sur le plan des connaissances des élèves au sujet du harcèlement et de leur attitude vis-à-vis des victimes. 

Lorsqu’un programme montre des effets prometteurs, bien souvent, les tentatives de réplication dans d’autres établissements ou de transposition à d’autres systèmes scolaires échouent à produire des résultats similaires (Roland, 2000).

Il a également été mis en évidence, que les tailles d’effets observées étaient plus grandes quand les développeurs du programme étaient impliqués dans l’évaluation. Elles le sont moins lorsque l’évaluation était menée par une équipe de recherche indépendante (Eisner, 2009). 

Il est donc plutôt hasardeux de se fier à une étude unique pour juger de l’efficacité d’une intervention et il est recommandé, en premier lieu, de tenter de reproduire les résultats initiaux de nouveaux programmes. 

Il est recommandé que les évaluations de dispositifs destinés à être diffusés à large échelle portent sur un échantillon suffisamment grand. Ce dernier doit être représentatif de la diversité des conditions de mise en œuvre rencontrées sur le terrain (Gottfredson, Cook, Gardner et coll., 2015). 



Les biais cognitifs liés aux observations qualitatives


En l’absence d’un processus d’évaluation rigoureux, toute une série de raisons peut amener des intervenants à croire qu’un dispositif est la source de changement positif parmi les élèves alors qu’il n’en est rien. Des travaux de recherche ont mis en évidence trois grands types d’erreurs cognitives qui nous mènent à de tels jugements erronés (Lilienfeld, Ritschel, Lynn et coll., 2014) : 
  • Le premier type d’erreur nous pousse à percevoir un changement quand il n’y en a pas. Par exemple en raison d’un biais d’attention sélective, nous sommes amenés à être plus attentifs aux indices confirmant nos espérances et à ignorer les autres. 
  • Même si le changement perçu est réel, il peut être dû à des facteurs totalement indépendants de l’intervention, comme la mise en place concomitante d’un autre dispositif. 
  • Le changement perçu peut provenir en réalité de facteurs non spécifiques à l’intervention. C’est-à-dire les effets apparaissant systématiquement lors de n’importe quel type d’action. Par exemple, ils sont liés à l’enthousiasme suscité par la perspective de mettre quelque chose en œuvre dans l’école, ou à l’attente d’une amélioration de la part des bénéficiaires à la suite de l’intervention. 

Ces biais cognitifs sont bien documentés. Ils justifient l’utilisation de designs de recherche randomisée ou quasi expérimentale, d’un groupe contrôle, de mesures pré- et post-intervention et d’indicateurs valides. De même, ils appellent à d’autres méthodes de recherche de qualité, qui sont autant de garde-fous face à ces risques (Fox, Farrington & Ttofi, 2012). 

Disposer d’évaluations systématiques apparaît donc précieux pour guider le choix des dispositifs par les acteurs locaux et pour informer les politiques éducatives, ainsi que pour avancer dans la compréhension des processus influençant le harcèlement. Or, ce type d’études est particulièrement rare dans l’espace francophone. 



Des pistes d’interventions sur le harcèlement


Qui font consensus sur le harcèlement


Les contenus des dispositifs pour prévenir le harcèlement à l’école sont multiples et variés. La majorité des dispositifs mettent l’accent à des degrés divers sur les éléments suivants : 
  • Apprendre à identifier le harcèlement.
  • Conscientiser sur le rôle joué par le groupe.
  • Augmenter l’empathie envers les victimes.
  • Renforcer les normes prosociales.
  • Aider les élèves à adopter des stratégies d’intervention lorsqu’ils sont témoins de harcèlement.



Qui ne font pas consensus sur le harcèlement


Si différentes dimensions dans les interventions font consensus sur leur intérêt, ce n’est pas le cas de tous. 

Certains dispositifs de prévention des violences à l’école vont de mettre davantage en avant d’autres éléments, tels que :
  • L’aménagement des espaces collectifs : 
    • Le thème de l’aménagement et de la régulation des espaces est une idée présente depuis longtemps dans les écrits scientifiques. Une meilleure supervision des espaces collectifs, notamment la cour de récréation, est un élément recommandé dans certains dispositifs de prévention qui est parfois associé à une réduction de certaines formes de violences à l’école. Plusieurs recommandations concernant l’aménagement des cours de récréation ont d’ailleurs été développées. 
  • L’organisation de temps de parole : 
    • C’est l’idée d’instaurer des temps et des espaces de parole, qui est commune à de nombreux courants pédagogiques liés à l’éducation nouvelle. Ces approches ont fait l’objet de travaux de recherche qui soutiennent leurs apports potentiels. Différentes modalités pratiques d’organisation de ces espaces ont été proposées aux enseignants, sans que nous sachions pour autant si certaines sont plus efficaces que d’autres.
  • Les procédures disciplinaires : 
    • Une politique anti-harcèlement clairement établie et des sanctions fermes à l’égard des auteurs de harcèlement sont un élément important de certains dispositifs connus de lutte contre le harcèlement à l’école. La concrétisation de ces procédures a fait l’objet de nombreuses recherches, mais continue néanmoins de faire débat au sein de la communauté scientifique.

La contribution précise de ces trois éléments à la réduction du harcèlement à l’école reste peu claire d’un point de vue scientifique. L’intérêt de telle modalité concrète de leur mise en œuvre plutôt que d’une autre est également incertain. 



Un dispositif contre le harcèlement proposé à large échelle en 2015 en FW-B dont les résultats posent question


En 2015, le ministère de l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a donc décidé de financer la diffusion à grande échelle d’un dispositif conçu par une équipe universitaire. Celle-ci est intitulée « Prévention et prise en charge du harcèlement, du cyberharcèlement, des violences visibles et invisibles et des discriminations au sein de l’établissement scolaire ». 

Les concepteurs du dispositif et plusieurs personnes formées par leurs soins constituent l’équipe de formateurs. Deux fois une heure et demie de formation (au minimum ; des rencontres supplémentaires pouvant être organisées selon les besoins) sont délivrées par l’un formateur aux équipes éducatives pour leur présenter le dispositif et les accompagner dans sa mise en place.

Les objectifs annoncés du dispositif sont de prévenir et lutter contre le harcèlement, le cyberharcèlement, les violences visibles et invisibles, ainsi que les discriminations. 

Les arguments avancés en faveur du dispositif sont des témoignages et des anecdotes rapportés par les concepteurs, qui ont, par le passé, élaboré le dispositif sur plusieurs années dans quelques écoles pilotes au niveau primaire.

Le dispositif proposé aux établissements scolaires, tant au primaire qu’au secondaire, est composé de trois éléments principaux : 
  • La régulation des espaces dans la cour de récréation : 
    • La surface de la cour est divisée en zones, peintes dans des couleurs différentes selon le type d’activité autorisé en leur sein et les règles qui y sont associées, afin d’éviter les conflits de « territorialité ». On retrouvera typiquement les zones « jeux de ballon », « jeux où l’on peut courir » et « jeux calmes ». 
    • La détermination de ces espaces et de leurs règles respectives est laissée à la discrétion des écoles, parfois sous l’encadrement du formateur.
    • Les règles formulées doivent être simples, explicites et précises pour autoriser une sanction incontestable en cas de transgression et permettre ainsi une plus grande cohérence dans l’application des règles par l’équipe éducative. 
    • Ce système de règles claires est censé constituer une composante clé du climat scolaire. 
  • La mise en place d’espaces de parole régulés au sein des classes :
    • Durant une quinzaine de minutes par jour ou durant une heure hebdomadaire, l’enseignant réunit les élèves en cercle et chacun choisit une émoticône (5 émotions de base : tristesse, joie, dégoût, colère et peur) pour exprimer son état émotionnel. 
    • Si l’émotion est négative, l’élève est invité à en parler, tout en respectant cinq règles de « communication positive », telles que de ne jamais nommer le(s) élève(s) responsable(s) du ressenti qu’il exprime. 
    • L’objectif est de résoudre la situation problématique à travers la médiation de groupe en faisant appel à l’intelligence émotionnelle collective. 
    • Cette manière d’envisager le conflit par la médiation viserait la restauration du climat de classe et favoriserait le développement des compétences psychosociales. 
  • L’instauration d’un conseil de discipline prononçant des sanctions probatoires : 
    • En cas de transgression grave ou répétée, un conseil se réunit, composé du directeur, d’un membre de l’équipe éducative et d’un adulte de l’école choisi par l’élève pour le représenter. 
    • Ce conseil prononce des sanctions probatoires qui deviennent effectives en cas de non-respect des engagements pris. 

Ces trois éléments visent donc des niveaux différents : la cour, la classe et l’établissement. Ils sont censés s’articuler en s’appuyant sur des principes de coéducation et de partenariat avec les différents acteurs scolaires. Ces derniers entendent favoriser l’émergence d’une communauté éducative, œuvrant de façon conjointe à la réalisation de buts communs. 

Les concepteurs soulignent que leur dispositif peut être aisément mis en œuvre et produire les effets attendus dans tout type d’école. 

Ce qui peut poser question est le fait que les composantes de ce dispositif diffèrent de celles utilisées par la majorité des programmes de prévention du harcèlement ayant déjà montré des effets positifs (Gaffney, Ttofi & Farrignton, 2018). 


Une recherche sur l’efficacité du dispositif mis en œuvre en FW-B menée par Chloé Tolmatcheff et ses collègues (2020)


Chloé Tolmatcheff et ses collègues (2020) ont étudié l’effet de ce dispositif contre le harcèlement entre élèves mis en œuvre en FW-B selon :
  • Les éléments ciblés : régulation de la cour de récréation, espaces de parole, conseil de discipline
  • Leurs modalités précises de fonctionnement : découpage des zones, règles de communication, organisation du conseil. 

Les paramètres étudiés ont été. : 
  • La réduction des violences agies et subies : victimisation et harcèlement.
  • L’amélioration du climat général : violence perçue, application des règles et indiscipline.
  • L’adaptation psychosociale des élèves : rejet par les pairs, mal-être, comportements prosociaux et sentiment d’appartenance.
  • La cohésion et l’efficacité perçue par l’équipe éducative : relations entre collègues et sentiment d’efficacité collective et personnelle.



Une première étude aux résultats décevants pour l’intervention sur le harcèlement en FW-B


La première étude a consisté en un plan d’évaluation quasi expérimental. Il a permis une comparaison entre des mesures réalisées en prétest puis en post-test, dans deux conditions : 

La condition « d’intervention », c’est-à-dire les écoles démarrant la mise en œuvre du dispositif au cours de l’année scolaire 2015-2016

La condition « témoin », constituée par les écoles mises sur liste d’attente et qui démarreraient la mise en œuvre au cours de l’année scolaire suivante. 

Les deux collectes de mesures ont été réalisées à un an d’intervalle : en janvier 2016 (prétest) et en janvier 2017 (post-test). Les données ont été rapportées par les élèves eux-mêmes (autorapportées), ainsi que par leurs enseignants. 

L’échantillon « élèves » comprenait :
  • 1 231 élèves (11 écoles) dans le groupe intervention et 1 007 élèves (10 écoles) dans le groupe témoin au prétest
  • 1 096 dans le groupe intervention et 969 dans le groupe témoin au post-test. 

Les données ont été récoltées auprès d’élèves de 4e, 5e et 6e année primaire belges, ce qui correspond aux années de CM1, CM2 et 6e en France. Les élèves sont répartis équitablement entre les trois années. 

L’échantillon « enseignants » comprenait :
  • 77 enseignants dans le groupe intervention et 106 dans le groupe témoin au prétest
  • 41 dans le groupe intervention et 103 dans le groupe témoin au post-test.

88,9 % des répondants enseignants sont des femmes (pour 11,1 % d’hommes), reflétant la surreprésentation féminine dans l’enseignement primaire.

Les données ont été recueillies par questionnaire en ligne aux deux temps de mesure, durant les heures scolaires. Les élèves et enseignants ont été informés que leur participation était totalement libre et volontaire. Tous ont également été assurés de l’anonymat de leurs réponses. 

Les résultats de la première étude ont été décevants. Indépendamment de la participation ou non de leur école à la mise en œuvre du dispositif, les élèves rapportent entre le pré- et le post-test :
  • Un sentiment de rejet par les pairs un peu plus élevé.
  • Des comportements prosociaux un peu moins fréquents.
  • Un sentiment de satisfaction et d’appartenance à l’école légèrement moins élevé. 

Les élèves rapportent par contre subir un peu moins de victimisation de la part de leurs pairs, mais ont une perception un peu plus négative de l’application des règles par les adultes dans leur école. 

Ces différents effets sont tous d’une ampleur très faible. Aucun effet de la condition n’a été mis en évidence par les analyses. Autrement dit, le fait d’appartenir à l’un des deux groupes (intervention ou témoin) n’a pas d’impact sur les variables évaluées. 

Aucune des dimensions évaluées ne présente d’interaction significative entre le temps et la condition. La seule l’exception est la violence perçue. Alors qu’initialement les élèves du groupe témoin rapportaient une perception de la violence dans leur école plus élevée que les élèves du groupe intervention, cette différence n’apparaît plus un an plus tard. Il semble y avoir eu une tendance à la baisse de la violence perçue par les élèves dans les écoles qui n’ont pas mis en œuvre le dispositif. Il y a une augmentation de celle-ci dans les écoles qui ont mis en œuvre le dispositif, ce qui est contraire à l’effet attendu de ce dernier. Toutefois, cet effet est une nouvelle fois de très faible ampleur. 

Considérés dans leur ensemble, les résultats des élèves dans l’étude 1 ne montrent ni dégradation ni amélioration substantielle des différents indicateurs retenus. Un an après le début de la mise en place du dispositif dans les écoles du groupe intervention, l’évolution des indicateurs ne présente aucune différence significative entre les élèves du groupe intervention et les élèves du groupe témoin. La seule exception est la violence perçue, qui évolue de manière moins favorable dans le groupe intervention. 

Du côté des enseignants, les résultats de l’étude 1 mettent en évidence un effet significatif pour la violence perçue et la qualité des relations entre collègues. Il s’agit toutefois d’effets de faible ampleur. 

Aucun effet de la condition (groupe témoin ou intervention) n’a été démontré. 

Enfin, aucune des dimensions évaluées ne présente d’interaction significative entre le temps et la condition ; on ne constate donc pas d’évolution des indicateurs significativement différente dans les écoles du groupe intervention et dans celles du groupe témoin entre le prétest et le post-test. Globalement, les résultats obtenus auprès des enseignants ne montrent pas d’évolution notable des différents indicateurs retenus. 

Un an après le début de la mise en place du dispositif dans les écoles du groupe intervention, l’évolution des variables étudiées ne présente aucune différence significative entre les enseignants du groupe intervention et ceux du groupe témoin. 

Après une année de mise en œuvre du dispositif dans les écoles du groupe intervention, les analyses ne montrent aucun effet de celui-ci par rapport aux écoles du groupe témoin. Les données rapportées par les enseignants sont cohérentes avec les résultats obtenus pour les élèves et corroborent l’absence d’amélioration constatée des indicateurs liés aux violences agies et subies et au climat scolaire. 



Une seconde étude aux résultats décevants pour l’intervention sur le harcèlement en FW-B


Une étude complémentaire a été menée par Chloé Tolmatcheff et ses collègues (2020). Ils ont évalué les effets du dispositif dans des écoles le mettant en œuvre depuis plusieurs années au moyen de collectes de données réalisées par des membres de notre équipe de recherche. 

Huit écoles accompagnées dans la mise en œuvre du dispositif depuis plusieurs années constituent le groupe intervention et rassemblent 336 élèves de 5e et 6e année primaire belge (CM2 et 6e en France). 

Six autres établissements ne mettant pas en œuvre le dispositif ont accepté de participer aux recueils de données et forment le groupe témoin, qui totalise 198 élèves de 5e et 6e année primaire belge. 

Les deux collectes ont été réalisées au moyen de questionnaires papier administrés durant les heures scolaires par des membres de l’équipe de recherche, en début (septembre-octobre) et en fin d’année scolaire (avril-mai). Contrairement à l’étude 1, aucune donnée n’a été récoltée auprès des enseignants. 

Les résultats de la seconde étude sont également décevants. Sur tous les indicateurs collectés, les résultats de l’étude 2 n’indiquent aucune différence notable dans l’évolution d’octobre à mai entre les deux groupes d’élèves. La seule exception est une très faible diminution (moins de 1 % de variance) de la violence perçue pour les élèves qui bénéficient du dispositif. 

On note aussi une petite différence dès le début d’année dans la fréquence rapportée de harcèlement (mais pas de victimisation). Toutefois, il n’est pas possible de savoir si cette différence est liée à l’usage du dispositif ou à d’autres facteurs. 



Conclusions de la recherche de Chloé Tolmatcheff et ses collègues (2020) sur l’intervention sur le harcèlement en FW-B


Les deux études convergent pour indiquer l’absence d’effets du dispositif proposé en FW-B après une année de mise en œuvre dans des écoles primaires. L’étude complémentaire menée auprès d’écoles primaires mettant en place le dispositif depuis plusieurs années ne donne elle non plus aucun résultat soutenant l’efficacité de ce dispositif. 

Du point de vue de la fidélité de la mise en œuvre, il apparaît que les écoles concernées ont surtout mis en place l’aménagement de la cour ou les espaces de parole. Elles ont beaucoup moins investi la piste du conseil de discipline. Ces résultats sont par conséquent plus informatifs à propos des deux premiers éléments du dispositif que du troisième. 



La question de l’utilité du découpage de la cour, des espaces de paroles et des conseils de discipline comme mesures prioritaires dans la lutte contre le harcèlement


Les résultats des recherches de Chloé Tolmatcheff et ses collègues (2020) interrogent la pertinence de rendre prévalentes dans la lutte contre le harcèlement scolaire ces trois modalités.

Cela ne signifie pas que ces dimensions n’ont pas d’intérêt propre, mais qu’en tant qu’éléments singuliers, ils ne semblent pas d’avoir d’effet spécifique dans la réduction du harcèlement scolaire. 

L’aménagement des espaces collectifs, les espaces de parole et les procédures disciplinaires ne semblent pas être des facteurs prioritaires et déterminants dans la lutte contre le harcèlement scolaire.

Concernant l’aménagement de la cour : 
  • Des travaux de recherche disponibles soulignent l’importance de la surveillance de la cour de récréation dans la lutte contre le harcèlement. 
  • Rien n’est dit, en revanche au niveau de la recherche, au sujet de la pertinence une division de la cour en zones spécifiques associées à des règles de conduite. 

Concernant les espaces de paroles : 
  • Les études existantes suggèrent un intérêt des espaces de parole en ce qui concerne la gestion de la vie de la classe plutôt que comme lieu d’expression des émotions. 
  • Les activités avec les pairs telles que la médiation ou le mentorat ont montré des effets iatrogènes en lien avec une augmentation du harcèlement. 
  • Les règles d’anonymat [« On ne nomme pas, on ne désigne pas et on n’accuse pas »] et d’appel au groupe sont en porte-à-faux avec les recommandations de nombreux experts concernant le harcèlement (Senden & Galand, 2019). 

Concernant le conseil de discipline : 
  • Les recherches antérieures pointent surtout le rôle de la cohésion et du suivi des équipes éducatives (Galand, Carra & Verhoeven, 2012). Or, ces dimensions ne sont pas développées dans le cadre du projet en FW-B et la plupart des écoles participantes n’ont pas mis en place cet élément du dispositif. 



Garantir une meilleure efficacité des interventions de prévention du harcèlement


Différents experts en prévention recommandent une explicitation rigoureuse du modèle théorique (l’ensemble des relations causales liant les variables d’intérêt) sous-tendant l’intervention proposée (Volk, Veenstra & Espelage, 2017). 

L’inefficacité d’un dispositif comme c’est le cas de celui mis en évidence par Chloé Tolmatcheff et ses collègues (2020) pourrait s’expliquer par :
  • Un ciblage inadéquat des éléments qui le constituent ?
  • Une opérationnalisation peu pertinente au regard des mécanismes du harcèlement. 

Au-delà d’une explication théorique rigoureuse d’un dispositif de prévention du harcèlement, il reste nécessaire d’évaluer rigoureusement les dispositifs proposés aux écoles avant leur diffusion à large échelle. Au niveau international, il existe en effet des programmes dont les résultats sont bien plus prometteurs, comme KiVa ou ViSC. Des interventions qui ont apporté la preuve de leur efficacité devraient être privilégiées dans le cadre d’une diffusion de grande ampleur. 

Un dernier point est que si la preuve de l’efficacité d’une intervention est fondalementale, la fidélité et la qualité de sa mise en œuvre en école les sont tout autant. Une étude et une préparation concernant les conditions de mise en œuvre d’un projet dans les écoles doivent être considérées comme une étape préalable indispensable avant sa diffusion à grande échelle. Lorsqu’il y a une perte de fidélité et une diminution de la qualité de la mise en œuvre en école, les résultats escomptés ont peu de chance d’être au rendez-vous. 


Mis à jour le 05/08/2023

Bibliographie


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