vendredi 17 juin 2022

Pour un enseignement explicite éclairé par la science de l’apprentissage

La science de l’apprentissage est l’étude scientifique de la façon dont les gens apprennent (Mayer, 2011). Elle a des implications directes sur la manière d’optimiser l’enseignement explicite.

(Photographie : hatosanpo)



Nécessité et enjeu collectif de la science de l’apprentissage


Deux citations nous permettent de comprendre la nécessité (pour la première) et l’enjeu collectif (pour la seconde), d’une science de l’apprentissage.

L’optimisation de l’apprentissage et de l’enseignement nécessite souvent d’aller à l’encontre de ses intuitions, de s’écarter des pratiques d’enseignement standard et de gérer ses propres activités d’apprentissage de manière nouvelle. Les essais et erreurs de la vie et de l’apprentissage quotidiens ne semblent pas aboutir à l’élaboration d’un modèle mental précis de l’individu en tant qu’apprenant. Ils ne développent pas plus une appréciation des activités qui favorisent ou non l’apprentissage.
Elizabeth Bjork & Robert Bjork (2011)

La reconnaissance générale du fait que les novices apprennent différemment des experts ou que l’apprentissage implique un changement de la mémoire à long terme crée une puissante lingua franca, un langage commun, à partir desquels toutes les parties prenantes peuvent commencer à évoluer vers une véritable science de l’apprentissage, fondée sur des recherches solides, qui permet à tous les apprenants de maximiser leur potentiel. 
Paul A. Kirschner & Carl Hendrick (2020)

La science de l’apprentissage a pour ambition d’aider les élèves à acquérir des stratégies d’apprentissage efficaces. Elle est l’étude scientifique de la façon dont les gens apprennent.

La science de l’apprentissage s’intéresse à la façon dont nous pensons et apprenons. L’établissement de certains principes universels nous aide à enseigner efficacement à l’ensemble des élèves d’une classe, mais également à réfléchir plus clairement aux différences qui existent et qui ont de l’importance.

La science de l’apprentissage fait partie du champ des sciences cognitives, un domaine interdisciplinaire qui s’appuie sur des recherches menées dans différents domaines, notamment la psychologie, les neurosciences, la linguistique et l’informatique. 

Si les recherches dans le domaine de l’intelligence artificielle ont dans un premier temps exploré les voies de la logique, elles ont depuis laissé une large place à des approches qui s’inspirent des neurones du cerveau humain. C’est ce qui a permis le développement de technologies comme la reconnaissance faciale, les voitures à conduite autonome ou la traduction des langues. Ces logiciels fonctionnent en reconnaissant des modèles et en apprenant à partir d’exemples, comme le fait le cerveau humain. 

La science de l’apprentissage dans un contexte éducatif part avec un handicap certain. La formation des enseignants recouvre très peu les principes mis en évidence par les sciences cognitives reliés à un apprentissage efficace et aux mécanismes de la cognition sur lesquels celui-ci repose :
  • Les stratégies mises en évidence par la recherche comme étant les plus efficaces ne sont pas systématiquement appliquées en classe dans le cadre des pratiques d’enseignement. Elles ne sont généralement pas non plus mobilisées par les élèves dans le cadre de leurs démarches d’apprentissage autonomes.
  • Différents mythes et malentendus psychologiques font que régulièrement des approches inefficaces ou contre-productives sont mises en avant et privilégiées, à la fois par les élèves, leurs parents et leurs enseignants.
Si durant les premières années de la scolarité, une bonne part de l’apprentissage a lieu en classe, au fur et à mesure, la part du travail à domicile augmente. Arrivés dans le secondaire l’apprentissage autonome des élèves à domicile devient un complément indispensable à leur travail en classe. La principale difficulté rencontrée par ceux-ci est qu’ils ne bénéficient pas d’une formation aux stratégies efficaces et procèdent dès lors par essai et erreur, à défaut de recevoir les conseils de quelqu’un d’expérimenté. La conséquence est leur incapacité à pleinement exploiter leur potentiel d’apprentissage.



Distinguer les rôles de la mémoire de travail et de la mémoire à long terme pour l'apprentissage


La contribution en science de l’apprentissage qui présente sans doute le plus d’intérêt pratique pour les enseignants est la distinction entre la mémoire de travail et la mémoire à long terme. 

La mémoire de travail représente la petite quantité d’informations spécifiques qui peuvent être conservées à l’esprit et sont susceptibles d’être utilisées dans l’exécution de tâches cognitives non automatisées. On peut l'assimiler à la conscience.

La plupart des gens auront du mal à mémoriser plus de sept lettres au total. C’est le phénomène que George Miller a identifié en 1956 dans son article intitulé « The Magical Number Seven, Plus or Minus Two » (Le nombre magique de sept, plus ou moins deux). 

Des recherches plus récentes ont approfondi les conclusions de Miller, et suggéré que la mémoire de travail pourrait être encore plus limitée, à environ quatre nouveaux éléments plus ou moins un, selon le modèle de Cowan. La différence entre les deux approches est que stocker sept éléments ne va plus pouvoir mobiliser un traitement de tous ces éléments sans que certains soient oubliés, ce qui reste possible avec quatre éléments. 

Notre mémoire de travail en effet n'est pas passive et en plus de retenir temporairement de nouvelles informations, elle doit également en effectuer le traitement qui demande des ressources également.

La capacité de la mémoire de travail varie effectivement d’un individu à l’autre, et elle semble également fortement liée aux mesures de l’intelligence générale. Il s’agit évidemment d’une différence réelle entre les apprenants, une différence que la plupart d’entre nous reconnaissent. Cependant, si la mémoire de travail peut varier, mais elle reste une limite bien réelle pour tout le monde.

Contrairement à la mémoire de travail, la mémoire à long terme est vaste. Elle nous permet d’économiser les ressources limitées de la mémoire de travail et d’en faire un bon usage. Nous n'en connaissons pas les limites.

Nous sommes capables d’utiliser les informations dont nous disposons en mémoire à long terme pour simplifier la tâche de la mémoire de travail. Pour accéder à des informations en mémoire à long terme, nous devons les activer, une fois qu'elles sont activées, elles sont mobilisables par la mémoire de travail sans exiger de ressources supplémentaires. 

En ce sens, stocker des connaissances en mémoire à long terme dans un domaine augmente la capacité de la mémoire de travail à traiter de nouvelles informations en lien dans ce domaine. Developper des connaissances en mémoire à long terme dans un domaine soulage la mémoire de travail lorsqu'elle est mobilisées dans celui-ci et facilite de nouveaux apprentissages en lien.

La mémoire à long terme est constituée de structures de connaissances élaborées et bien organisées, les schémas, qui nous permettent de donner un sens aux informations quotidiennes que nous rencontrons.



L’importance des connaissances préalables pour l’apprentissage


Supposons que nous lisions un texte en diagonale et que nous rencontrions le mot « chevaux ». La plupart d’entre nous ont une structure de connaissances bien développée (appelée schéma) qui est automatiquement activée lorsque nous lisons ce mot.

Imaginons que quelques mots plus loin nous lisons le mot « prairie » ou « galop ». Automatiquement, nous allons visualiser l’image de l’animal. Par contre si nous nous entendons « puissance », « moteur », nous allons plutôt imaginer un véhicule. 

Le mot de départ est le même, mais les autres mots appartiennent à des structures de connaissances, des schémas, que nous pouvons activer indépendamment en mémoire à long terme. Le sens qui en découle dans les deux cas pour le mot « chevaux » est très différent.

L’un des avantages de ce phénomène est que nous ne devons jamais être exhaustifs dans nos explications en tant qu’enseignants, mais que nous pouvons toujours nous reposer sur les connaissances préalables de nos élèves. Ces derniers compléteront l’information que nous leur donnons et créeront du sens à partir de leur mémoire à long terme. 

Notre conscience travaille de manière active, en recherchant le sens et la cohérence, elle nous fournit automatiquement les informations que notre interlocuteur a omises. Nous ne sommes pas des récepteurs passifs d’informations, mais des constructeurs actifs de sens.

Mais lorsque les connaissances préalables de nos élèves sont insuffisantes, le sens de nos explications va leur échapper.

Dès lors, quand nous enseignons, nous devons tenir compte d’une différence réelle entre les élèves, celle qui porte sur leur connaissance antérieure, car elle déterminera leur compréhension de nos explications. 

Les différences de connaissances antérieures sont l’une des différences les plus significatives entre les élèves et elles peuvent être plus déterminantes que les différences de capacité de la mémoire de travail.

Les connaissances préalables contribuent également à expliquer les différences entre les novices et les experts. Il est souvent facile de reconnaître les performances des experts quand on les voit. Lorsque quelqu’un lit un texte complexe et fait instantanément une déduction perspicace, ou regarde un échiquier et choisit un coup brillant, le fil de leur pensée nous échappe. Le véritable facteur de causalité et de distinction entre les novices et les experts est l’étendue et la qualité des structures de connaissances dans la mémoire à long terme.



L’importance d’un enseignement explicite pour des novices


Nos élèves sont des novices dans les matières que nous enseignons. Le rythme des apprentissages scolaires fait que lorsqu’ils acquièrent une certaine maîtrise dans un domaine spécifique, il est temps d’aborder de nouveaux savoirs et savoir-faire. 

La meilleure manière pour qu’un novice devienne un expert et maîtrise une matière, c’est :
  1. D’être guidé dans l’apprentissage des connaissances spécifique qu’elle inclut par un enseignement explicite
  2. D’avoir des opportunités de s’engager dans une pratique délibérée avec des opportunités de récupération ultérieures pour développer des apprentissages durables et de la flexibilité dans leur mobilisation.
Acquérir des structures de connaissances est un processus différent de celui de les mobiliser et d’en faire usage. Les élèves ont besoin d’être mentalement actifs pour apprendre, mais cette activité mentale doit être orientée et guidée de la bonne manière. Personne n’est plus qualifié pour le faire que l’enseignant, expert dans son domaine.

Un enseignement explicite va entrainer des niveaux élevés d’activité mentale. Cependant, cette activité mentale doit être dirigée vers des étapes regroupant des éléments signifiants, qui ne sont pas trop importants afin de ne pas submerger la mémoire de travail. L’enjeu est de transférer et de construire des connaissances en mémoire à long terme.

L’enseignement explicite est hautement interactif, mais il offre structure et soutien aux élèves dans l’acquisition de connaissances et de compétences. 

L’enseignant établit et communique les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite, il les rend transparents pour les élèves et s’assure de leur pleine compréhension. Il les démontre par un modelage. Il fait pratiquer les élèves de manière guidée puis autonome. Il évalue s’ils ont compris en vérifiant leur compréhension. Il organise des opportunités de récupération régulières en guise de révision et d’approfondissement.

L’enseignement explicite implique beaucoup de questions et de réponses, beaucoup de récupération et d’élaboration, et beaucoup d’opportunités de pratique délibérée.



La nécessité de l’acquisition de connaissances en mémoire à long terme pour la pratique de compétences


La recherche en science de l’apprentissage permet également d’expliquer l’écart entre la connaissance et l’action. Elle nous permet de comprendre le déficit de compétence qui peut en résulter.

C’est la situation frustrante où les élèves connaissent une règle, mais ne parviennent pas à l’appliquer de manière fiable ou systématique au moment opportun. 

C’est par exemple l’usage de certaines règles de grammaire, d’orthographe ou l’application de règles, formules ou principes mathématiques ou scientifiques. 

Paradoxalement, l’écart entre le savoir et le faire est plus probable si les élèves apprennent à écrire correctement en rédigeant des histoires, des lettres et de longs articles dans une perspective authentique. Même chose pour les mathématiques, les élèves apprendront moins en travaillant sur des activités de découverte ou sur de la résolution de problèmes. De même, en sciences, engager dans des démarches impliquant des projets et la démarche scientifique n’est pas la meilleure manière de soutenir les apprentissages.

Ces types de tâches vont surcharger la mémoire de travail, car les élèves doivent non seulement penser à tous les différents aspects techniques de l’écriture, mais aussi aux détails du sujet sur lequel ils écrivent. 

En revanche, la pratique guidée, autonome ou délibérée qui caractérise l’enseignement explicite permet aux élèves de se concentrer sur une petite compétence. C’est par exemple le fait de commencer une phrase par une majuscule, et de pratiquer la compétence jusqu’à ce qu’elle devienne une habitude.

Il est vrai que nous pouvons acquérir certaines compétences de manière non structurée. Les enfants n’ont pas besoin d’instructions explicites pour apprendre à parler et à comprendre leur langue maternelle, par exemple. Cela s’explique par le fait qu’apprendre à parler est une compétence biologiquement primaire. Notre espèce l’a fixée dans son ADN à travers les processus de sélection naturelle et d’évolution parce qu’elle nous permettait de nous développer plus rapidement et plus facilement. Ce sont des connaissances biologiquement primaires.

Mais il existe d’autres compétences biologiquement secondaires, comme la lecture et l’écriture, ou le raisonnement scientifique ou mathématique, pour lesquels nous n’avons pas évolué de cette manière. La lecture, l’écriture, les sciences et les mathématiques ne sont pas naturelles pour l’espèce humaine, ce sont des inventions culturelles liées à des développements récents à l’échelle de l’évolution. Dès lors, les élèves ont plus de chances d’y parvenir si la compétence est décomposée en morceaux gérables et s’ils sont guidés. 

Une autre conséquence directe de ce phénomène est que par défaut, l’accès permanent à des ressources numériques et à des recherches d’information en lignes n’est pas une panacée. Les connaissances que nous avons stockées dans la mémoire à long terme de manière parfaitement intégrée et fluide n’imposent aucune charge à la mémoire de travail. En revanche, retrouver une information sur Internet, ou dans n’importe quelle source de référence, puis la stocker mentalement occupe un espace précieux dans la mémoire de travail. De plus, au moins on dispose de connaissances en mémoire à long terme sur un sujet, au plus complexe il devient d’être capable de trouver des informations pertinentes en ligne.


Mis à jour le 07/08/2023
 

Bibliographie


Daisy Christodoulou, Teachers vs. Tech?, 2020, Oxford

Paul A. Kirschner and Carl Hendrick, How Learning Happens (2020). Taylor and Francis

Bjork, Elizabeth & Bjork, Robert. (2011). Making things hard on yourself, but in a good way: Creating desirable difficulties to enhance learning. Psychology and the Real World: Essays Illustrating Fundamental Contributions to Society. 56–64.

Richard Mayer, 2011, Applying the Science of Learning. Upper Saddle River, NJ: Pearson.

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