mercredi 4 mai 2022

Élaborer une intervention d’appartenance sociale

L’objectif de cet article est d’offrir une synthèse personnelle de notes de Greg Walton (2014) conçues principalement pour élaborer une intervention d’appartenance sociale.

(Photographie : 3-14)


L’utilité d’une intervention d’appartenance sociale


Les élèves et les étudiants peuvent rencontrer des difficultés lors d’un changement d’établissement de degré ou de filière d’étude lorsqu’ils se retrouvent isolés de leurs condisciples habituels.

Ces difficultés peuvent être de l’ordre de :
  • Lier et construire de nouvelles amitiés dans un contexte nouveau pour eux.
  • Dépasser un sentiment initial d’intimidation face à de nouveaux enseignants différents de ceux qu’ils ont côtoyés précédemment.
  • Faire face au changement, à de nouvelles exigences et contraintes plus importantes que celles rencontrées par le passé.
  • De comprendre, d’adopter et de rentrer dans une nouvelle culture et en comprenant les valeurs sous-jacentes et leur expression. 

Un élément intéressant est que cette démarche pensée pour les élèves ou étudiants est également fonctionnelle dans une certaine mesure pour l’intégration de nouveaux enseignants dans un établissement scolaire.



Objectif d’une intervention d’appartenance sociale


L’élaboration d’une intervention sur l’appartenance sociale a pour objectif d’envoyer deux grands messages aux sujets visés : 
  1. Si tu te sens comme n’appartenant pas à ton nouvel environnement scolaire, toi et les autres personnes comme toi n’êtes pas seuls.
  2. Si tu as ce sentiment de non complète appartenance, ton expérience s’améliorera normalement avec le temps. Cette situation n’est pas inhabituelle et elle est transitoire.

Ce message est conçu pour aider les élèves à comprendre qu’il est normal d’éprouver ces difficultés. Elles sont temporaires. Elles ne sont aucunement la preuve qu’ils ne seraient pas à leur place.

L’intervention vise à souligner les possibilités de développement et d’amélioration de la situation actuelle. 

Le principal message est celui du développement personnel et de l’acquisition de compétences qui vont faciliter l’intégration. Avec le temps, chaque individu devrait finir par se sentir à sa place et par développer un sentiment d’appartenance. 

Un point d’attention correspond à ce que nous avons déjà développé dans ces pages en lien avec les limites du concept d’état d’esprit de développement. Transmettre efficacement ce message implique de nombreuses nuances, une adaptation aux besoins de la personne et aux caractéristiques du contexte. Il n’y a pas d’intervention générique efficace.



Envoyer un message général clair et faire éclater la bulle de l’ignorance pluraliste


Nous voulons présenter les difficultés ressenties ou rencontrées comme étant à la fois normales et temporaires :
  • Nous n’envoyons pas un message visant à gonfler l’égo ou à renforcer l’estime de soi. 
  • Nous ne balayons pas non plus les difficultés sous le tapis. Nous voulons faire en sorte que les difficultés paraissent comme dans l’ordre naturel des choses. Elles ne sont ni préoccupantes ni stigmatisantes. Il n’est pas anormal de les rencontrer. 

En psychologie sociale, l’ignorance pluraliste est une situation dans laquelle la majorité des membres d’un groupe rejettent en privé une norme. Cependant, ils s’y conforment parce qu’ils supposent, à tort, que la majorité l’accepte. 

À cause de l’ignorance pluraliste, des gens peuvent se conformer à l’opinion consensuelle apparente d’un groupe, au lieu de se comporter selon leur propre perception et leur pensée. L’ignorance pluraliste est un préjugé sur un groupe social, entretenu malgré eux par les membres de ce groupe social.

Le conte de fées de Hans Christian Andersen « Les habits neufs de l’empereur » est un célèbre cas fictif d’ignorance pluraliste. Dans cette histoire, deux escrocs entrent dans le royaume de l’empereur et le convainquent qu’ils fabriquent les plus beaux vêtements de tout le pays, qui ne peuvent être vus que par quiconque n’est pas stupide. Les escrocs continuent à voler des richesses pour leur création unique. Par peur d’être considérés comme stupides, tous les hommes de l’empereur et les habitants de la ville gardent le silence sur le fait qu’ils ne peuvent pas voir les vêtements de l’empereur. Le phénomène se poursuit jusqu’à ce qu’un petit enfant vienne enfin dire que l’empereur ne porte pas de vêtements. Une fois que l’enfant est prêt à admettre qu’il ne voit pas de vêtements sur l’empereur, l’empereur, ses hommes et les citadins le reconnaissent enfin. L’empereur a été trompé et il n’y a jamais eu de vêtements.

L’ignorance pluraliste a été associée à un large éventail de conséquences néfastes, dont le manque d’appartenance. Les victimes de l’ignorance pluraliste se considèrent comme des membres déviants de leur groupe de pairs. Ils sont moins bien informés, plus coincés, moins engagés ou moins compétents. Cela peut les amener à se sentir mal dans leur peau et à s’aliéner du groupe ou de l’institution dont ils font partie. 

De même, collectivement, l’ignorance pluraliste peut empêcher de prendre des mesures qui seraient bénéfiques à long terme pour tout le monde. L’ignorance pluraliste peut être dissipée. Ses conséquences négatives peuvent être atténuées par l’éducation et par des interventions. 

Dans le cas qui nous concerne, nous voulons faire éclater la bulle d’ignorance pluraliste, où chacun pense qu’il est le seul à rencontrer de telles difficultés : 
  • Nous aidons les personnes (élèves, étudiants ou nouveaux enseignants) à comprendre que leurs difficultés sont normales. Tout le monde est dans le même bateau, même si chacun pense être le seul à rencontrer de telles difficultés. 
  • Nous pouvons le faire en donnant aux personnes concernées l’occasion de lire ou de partager ouvertement des témoignages sur les difficultés rencontrées lors de la période de transition.

Dans la suite de l’article, c’est le terme élève qui sera privilégié.



Parler des difficultés d’une manière qui soit utile, et pas inutile


Nous encourageons les élèves à attribuer les causes de leurs difficultés à des facteurs universels et temporaires :
  • Dans la mesure du possible, nous attribuons les difficultés aux difficultés de la transition auxquelles tous les élèves sont confrontés. C’est par exemple le fait d’être nouveau dans cet environnement.
  • Nous n’attribuons pas les difficultés aux difficultés de la transition :
    • Qui seraient une caractéristique stable de l’école : le milieu est très stressant, très exigeant ou il y a beaucoup de pression.
    • Qui seraient propres à l’élève : tu dois être plus extraverti, tu dois changer ou tu n’as pas les qualités personnelles requises. 
  • Lorsque les élèves font face à des difficultés réelles qui semblent se maintenir, nous devons les reconnaitre :
    • Nous les mettons ensuite de côté comme n’étant pas un obstacle à la réussite finale et à une expérience positive dans le milieu considéré. 
    • Le message envoyé est que ce facteur existe, mais qu’il n’est pas nécessairement un obstacle à la réussite.
  • Nous n’évoquons pas le contenu négatif sans le résoudre :
    • Nous proposons aux élèves une façon de penser à la difficulté qui leur sera utile, par exemple en matière de développement et d’amélioration.

Nous équilibrons le positif et le négatif :
  • Nous validons les éléments positifs favorisant l’appartenance des élèves pour leur école. Nous soutenons leur enthousiasme à l’idée d’y venir tout en reconnaissant que les difficultés sont normales. 
  • La diffusion de rumeurs et de témoignages colportés sur la difficulté risque de représenter l’école de manière négative. L’école serait intrinsèquement difficile ce qui est une dimension négative, c’est pourquoi les gens ont des problèmes. 
  • Nous devons équilibrer le message selon lequel les difficultés sont normales avec des exemples qui disent des choses comme : « Ne vous méprenez pas. J’aime être à/dans [nom de l’école ou de la filière]. Mais ça peut être difficile au début… ». Le message global doit être celui du développement et de l’épanouissement personnel, et pas seulement de la lutte contre les difficultés. Il ne doit pas être trop marqué de manière négative.
  • Nous ne laissons pas les élèves penser qu’il y a un moment où l’on est « arrivé ». C’est-à-dire que soudainement les problèmes d’appartenance disparaissent comme par enchantement. Par exemple, un élève plus âgé pourrait dire : « Je me sens encore isolé de temps en temps ou je ressens des difficultés face à certaines exigences. Cependant, maintenant, je sais que c’est juste un sentiment normal que tout le monde ressent de temps en temps ». 

Nous utilisons des exemples pour contrer les stéréotypes :
  • Nous utilisons des exemples d’élèves qui invalident les stéréotypes ou les craintes. 
  • De même, un élève plus âgé qui paraît complètement dans les normes pourrait parler des difficultés qu’il a lui-même rencontrées et ressenties et explique comment il y a fait face peu à peu. 
  • Nous présentons des explications alternatives à des événements qui pourraient autrement sembler refléter un préjugé. 

Nous évitons des pièges évidents : 
  • Nous proscrivons toutes les références à ce qui pourrait laisser entendre des capacités fixes ou limitées comme :
    • C’est normal de réaliser que tout le monde a des limites.
    • Si quelque chose ne fonctionne pas, cela signifie peut-être simplement que ce n’était pas pour nous.
  • Nous n’établissons pas de mauvaises normes :
    • Tout le monde peut être malheureux, tout le monde à des défauts.
    • Nous ne pouvons pas échapper aux préjugés et aux stéréotypes. 



Mettre l’accent sur le développement des compétences d'une personne


Nous faisons bon usage de témoignages :
  • Nous ne nous contentons pas de raconter de courtes anecdotes vagues.
  • Nous offrons quelques récits soutenus sur les expériences des élèves qui, au fil du temps, sont passés de difficultés initiales au développement d’un sentiment d’appartenance. 
  • Les histoires ne doivent pas nécessairement être longues, mais elles doivent être authentiques et montrer comment un élève qui avait de sérieuses difficultés les a surmontées pour s’épanouir. 
  • Nous devons veiller à inclure des détails et des exemples mémorables. Ce sont des témoignages et non de conseils d’ordre général. 

Nous rapportons des témoignages qui mettent l’accent sur le développement :
  • Nous mettons l’accent sur les façons dont les élèves peuvent grandir et s’améliorer. Cela passe par un engagement personnel à fournir des efforts délibérés pour grandir face à difficultés initiales. Ce n’est pas seulement le fait de patienter et subir les difficultés dans l’espoir qu’elles s’évanouiront d’elles-mêmes.
  • Nous évitons les discours du type « J’ai échoué à un cours et j’ai survécu ».
  • Nous privilégions les discours du type « J’ai vraiment eu des difficultés dans ce cours, mais, avec le recul, je suis content d’avoir été mis au défi. Cela m’a permis de devenir meilleur ». 
  • La solution aux difficultés ne doit pas impliquer que les élèves doivent changer leur personnalité, ce qui pourrait sembler figé (« Par exemples, tu dois être moins timide et introverti »).
 
Nous rapportons des témoignages divers qui tournent autour du thème commun :
  • Nous amenons les élèves à réfléchir aux inquiétudes liées à l’appartenance sur divers plans :
    • Peur de ne pas se faire des amis, de se sentir seul et isolé.
    • Crainte de ne pas avoir la capacité de réussir.
    • Peur de se faire beaucoup d’amis occasionnels, mais pas d’amis proches
    • Crainte de trouver les enseignants intimidants, distants et peu soutenants.
  • Nous demandons à chaque témoin de raconter comment il a réussi à relever les défis auxquels il a été confronté et à en tirer parti :
    • Par exemple, la personne peut expliquer avoir appris, à connaître d’autres condisciples, en rejoignant un groupe, à interagir avec des enseignants, en identifiant un problème qu’il a réussi à résoudre, comment cela l’a inspiré, etc. 
  • Nous ne voulons pas donner l’impression que l’expérience de chacun est la même. Nous envoyons le message que tout le monde rencontre des difficultés sous une forme ou une autre et que chacun trouve sa voie. 

Nous présentons soigneusement la chronologie du développement :
  • Au début du parcours :
    • Nous ne donnons pas aux élèves l’impression que les difficultés sont surtout négatives, ou qu’elles sont là pour des périodes de durée spécifique. 
    • Nous devons éviter de faire en sorte que les difficultés semblent principalement négatives, ou négatives pendant des périodes spécifiques qui pourraient sembler interminables à un nouvel élève. 
    • Dans ce cas, les élèves risqueraient d’en conclure que l’école elle-même est à blâmer, et n’estimeraient pas que l’adaptation pourrait être difficile, mais sera transitoire. 
  • Plus tard dans le parcours (quelques semaines ou quelques mois) :
    • Nous veillons à ce que le délai d’amélioration soit vague.
    • Nous voulons éviter qu’un élève qui continue à rencontrer des difficultés puisse se dire qu’il a manqué le coche.
    • Nous voulons éviter que les élèves estiment que leur sentiment de non-appartenance est uniquement dû à une chronologie extérieure. Par exemple, « Après un certain temps, j’ai commencé à me sentir plus à l’aise… ». 



Traiter les élèves comme des individus dans les normes, et non comme des personnes faibles ou ayant besoin spécifiquement d’aide ou de remédiation


Nous sommes optimistes et présumons du positif. Les élèves vont évoluer, se développer et réussir. 

Nous évitions le négatif, à savoir que les élèves pourraient jeter l’éponge. 

Nous présentons l’intervention comme une collaboration et un élément qui fait partie intégrante de la formation. Nous ne la présentons pas comme un service d’aide dont ils auraient besoin.

Nous ne nous concentrons pas sur la façon dont les élèves peuvent recevoir de l’aide des autres ou sur les ressources formelles disponibles pour les aider. 

Nous mettons l’accent sur la façon dont les élèves peuvent s’entraider, par exemple de manière informelle par des interactions avec des condisciples, d’autres élèves plus âgés ou des enseignants. Également, nous communiquons davantage aux jeunes sur les challenges et les opportunités qui leur font face.



Personnaliser le contenu de l’intervention


Pour être efficace, l’intervention sur l’appartenance sociale doit s’adresser aux expériences réelles et concrètes des élèves dans leur contexte scolaire exact. Quelle est leur vision de l’appartenance et comment leurs expériences évoluent-elles dans le temps ? 

Le manque de contextualisation est la principale hypothèse à l’échec de certaines tentatives de réplication à grande échelle des recherches concernant l’état d’esprit de développement de Carol Dweck

Il existe des thèmes généraux sur le sentiment d’appartenance dans tous les contextes. Cependant, l’authenticité et la crédibilité de l’intervention sont en jeu et la contextualisation est cruciale. Il est nécessaire d’adapter l’intervention au contexte. Cela signifie que le contenu de l’intervention s’il est efficace dans un contexte peut être inefficace dans un autre contexte, par exemple s’il ne tient pas compte des expériences des élèves dans le nouveau contexte. L’intervention n’est jamais une solution miracle.

Pour personnaliser le contenu de l’intervention, nous pouvons en apprendre davantage sur la façon dont les élèves réfléchissent dans un contexte donné, par exemple en organisant des groupes de discussion et des enquêtes.

Nous pouvons interroger les élèves sur leurs expériences. Nous pouvons également demander aux élèves de lire des ébauches de contenu d’intervention et de compléter des ébauches d’exercices avec la pratique du « dire c’est croire », puis d’en discuter. 



Présenter soigneusement l’expérience aux élèves et incorporer les exercices dire c’est croire


Nous ne présentons pas l’intervention sur l’appartenance sociale comme une intervention. Ce n’est pas non plus une exposition passive à une idée. 

Nous pouvons la concevoir comme une expérience active de lecture et d’écriture. 

Si nous allons aborder la question de la transition, nous précisons aux élèves que ce sont eux qui vivent cette transition, qui en sont les experts en définitive. 

Les élèves reçoivent les résultats d’une enquête et des citations d’élèves plus âgés décrivant leur transition. Comment se sont-ils d’abord inquiétés des problèmes d’appartenance, puis comment ont-ils fini par se sentir chez eux ? 

Nous leur demandons ensuite d’écrire pourquoi ils pensent que l’expérience des étudiants en transition évolue de la manière décrite et comment ce processus se reflète dans leur propre expérience.

Les élèves sont informés que leurs écrits pourront être partagés avec de futurs élèves afin d’améliorer leur transition. Ils sont également souvent invités à écrire une lettre à un futur étudiant décrivant comment l’expérience des étudiants évolue au fil du temps dans la transition universitaire. 

Ce processus encourage les élèves à se considérer comme des bienfaiteurs, et non des bénéficiaires. Ils contribuent à créer une intervention pour de futurs élèves. Il invite également les élèves à défendre l’idée clé de l’intervention. Il s’agit d’une technique de persuasion puissante, mais non stigmatisante et non contrôlante. Et elle permet aux élèves de personnaliser le message de l’intervention, de mettre le processus clé dans leurs propres mots et de considérer leur expérience comme un exemple de ce processus.


Mis à jour le 16/07/2023

Bibliographie


Greg Walton, The Social‐Belonging Intervention: Getting the Message Right, Stanford University March 2014, https://s3.wp.wsu.edu/uploads/sites/2111/2018/05/Walton-A-Social-belonging-Intervention.pdf

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