mercredi 18 mai 2022

Accompagner et soutenir la mise en œuvre du changement en contexte scolaire

Un changement réussi tient autant à la qualité de l’intervention sélectionnée qu’à celle de sa mise en œuvre. Les deux aspects nécessitent une méthodologie et des ressources adéquates.

(Photographie : pnw-forest-side)



Vers une approche centrée sur l’école


Les enseignants ont une formation initiale qui valide leur accès à la profession. Ils l’enrichissent par la suite par leurs expériences professionnelles qui pour une part importante sont individuelles au sein de leur classe. Le développement professionnel vient également jouer un rôle souvent plus minime.

Ce mode de fonctionnement amène les enseignants à développer certaines pratiques d’enseignement et de gestion de classe qui leur sont pour une part importante propres et personnelles. Durant leurs premières années d’exercice de leur profession, les enseignants s’améliorent. Ils continuent par la suite à enrichir leurs connaissances et leurs compétences. 

Lors de la fin de carrière ou d’une interruption prolongée, un enseignant se retrouve remplacé par un autre. Les connaissances accumulées par le premier ne sont pas transférées au second. Cette manière de faire de l’enseignant expérimenté est par la force des choses modifiée pour refléter la philosophie, l’approche et les niveaux de compétences du nouvel enseignant.

Outre cette question de rupture de continuité et de perte d’expérience, ce mode de fonctionnement est également source de variabilité. Il y a un risque lorsque les pratiques d’enseignement, d’évaluation et de gestion de classe au sein d’une école sont centrées de cette manière sur chaque enseignant. Cela peut expliquer une part considérable de la variabilité des approches et des niveaux d’efficacité au sein de l’école.

Pour sortir de cette situation, l’idée serait de privilégier une approche centrée sur l’école plutôt qu’une approche purement centrée sur l’enseignant. Prenons par exemple en considération l’approche de la gestion du comportement telle que la propose le soutien au comportement positif. Nous sommes centrés sur des interventions et des pratiques définies à l’échelle de l’école plutôt que choisies par chaque enseignant.

Dans ce cadre, des interventions qui prennent la forme de procédures et de pratiques sont bien spécifiées et s’appuient sur des valeurs et des conceptions communes. Elles sont choisies pour prévenir ou résoudre des problèmes particuliers. Elles sont mises en œuvre avec fidélité en école. De même, des systèmes et accompagnements sont conçus pour faciliter la mise en œuvre de ces pratiques et interventions. 

Dans cette optique, lorsqu’un nouvel enseignant en remplace un enseignant expérimenté, il sera formé en interne aux approches spécifiques à l’école, ce qui assure plus de continuité, de qualité et d’uniformité à l’échelle de l’école.

Dans cette logique, les connaissances et les innovations efficaces sont accumulées, maintenues et diffusées au sein de l’établissement. Elles reposent sur des données probantes et des preuves d’efficacité en contexte. L’accent se retrouve mis sur l’amélioration des pratiques des enseignants et sur une contextualisation qui correspond à la culture de l’établissement. Ce faisant, cette démarche profite aux élèves et à leurs familles, aux enseignants et à l’école dans son ensemble. 



Échapper au statu quo


Il y a avec le SCP comme avec d’autres interventions, de mêmes ampleurs, liées à l’évaluation formative ou à l’enseignement efficace (explicite), un changement de modèle, si ce n’est de paradigme. 

La supervision de la gestion du comportement dans un établissement scolaire n’est généralement pas axée sur l’adhésion à un modèle particulier. Elle tend à se concentrer plutôt sur l’administration (paperasse, procédures, politiques) et la résolution de problèmes liés à des élèves particuliers. 

Le retour sur information des superviseurs est souvent lié au respect des normes de gestion de classe qui ont un impact sur la gestion des problèmes plutôt que sur la prévention générale.

De plus, l’évaluation de la gestion du comportement repose généralement sur des opinions et n’est pas basée sur la performance ou l’adhésion face à un ensemble défini de pratiques.

Les activités liées à la mise en œuvre sont par exemple, l’exploration et la planification, le temps passé en formation, le temps passé avec un coach, l’évaluation des performances du personnel, le débriefing et l’innovation. Elles ne se voient généralement pas attribuer des ressources importantes. De plus, les changements dans le personnel enseignant et de direction perturbent toute tentative de mise en œuvre systématique de pratiques, quelles qu’elles soient. 

De fait, le statu quo est souvent profondément ancré. 

La mise en œuvre initiale de pratiques et de programmes fondés sur des données probantes peut nécessiter des efforts persistants sur de longues périodes. Les interventions en matière de changement organisationnel et de systèmes sont considérées comme des éléments nécessaires des processus de mise en œuvre. La période de mise en œuvre de programmes complexes et ambitieux n’est pas un bref intermède. La traduction en concepts utiles sur le terrain exige souvent un travail long et difficile. Ce travail est facilité par des méthodes de mise en œuvre systématiques qui se fondent sur le suivi d’indicateurs. L’utilisation de méthodes systématiques et l’obtention de données en retour ainsi que leur analyse permettent aux organisations d’apprendre à s’améliorer. Elles peuvent dès lors devenir plus efficaces et efficientes avec l’expérience.



Distinguer mise en œuvre et intervention dans le pilotage de l’amélioration


Il est utile de préciser et distinguer les notions de mise en œuvre et d’intervention dans le cadre du pilotage de l’amélioration en école.

Une intervention désigne un effort de traitement ou des démarches de prévention destinées aux élèves qui en seront les bénéficiaires. Elle poursuit différents objectifs et son impact peut être mesuré par le suivi de différents indicateurs prédéfinis. L’intervention dépend de l’application d’un programme sur toute ou une partie d’une école, ou la diffusion de pratiques spécifiques adoptées par le personnel concerné.

Toutefois, une intervention n’est pas effective par un claquement de doigts au sein d’une école, pour être fonctionnelle, elle doit passer par un processus de mise en œuvre. Une mise en œuvre désigne les efforts d’intégration de l’intervention, c’est-à-dire un programme ou une pratique au niveau d’un établissement scolaire ou d’un groupe d’enseignants en particulier.

La mise en œuvre se traduit par un ensemble spécifique d’activités conçues pour mettre en pratique un programme de dimensions connues. Par conséquent, une mise en œuvre est un processus, jamais un événement singulier. Différentes questions pratiques doivent être abordées, les responsabilités doivent être partagées et un processus de développement professionnel du personnel concerné doit être conçu, organisé et réalisé.

Les processus liés à la mise en œuvre sont intentionnels. Ils sont descriptibles d’une manière suffisamment précise pour qu’un observateur indépendant puisse détecter la présence et l’intensité de l’ensemble spécifique d’activités liées à la mise en œuvre d’une intervention.

Lorsqu’il analyse la mise en œuvre, l’observateur indépendant doit pouvoir être conscient :
  • De deux ensembles d’activités :
    • Des activités au niveau de l’intervention.
    • Des activités au niveau de la mise en œuvre.
  • De deux ensembles de résultats :
    • Des résultats liés à l’intervention.
    • Des résultats liés à la mise en œuvre.



Trois formes de mise en œuvre : sur papier, programmatique ou effective


Toute mise en œuvre d'une intervention ou d'une pratique en école ne se solde pas par une réussite. Elle peut avorter, ne pas fournir l'impact escompté, subir des mutations létales ou ne pas se maintenir durablement.

Les causes de l’échec peuvent parfois se comprendre par la forme avérée de mise en œuvre utilisées. Globalement, nous pouvons distinguer trois formes de mise en œuvre : 

1) La mise en œuvre sur papier :
  • Elle correspond à la mise en place de nouvelles politiques et procédures qui se justifient par l’adoption d’une innovation. 
  • La mise en œuvre sur papier peut être particulièrement répandue lorsque le contrôle de la conformité se fait par des acteurs extérieurs. 
  • Une grande partie de la mise en œuvre sur papier porte sur la constitutions de traces écrites administratives, de rapports de réunion. Il faut prouver que des personnes se réunissent et réfléchissent aux démarches. 
  • Elle est globalement condamnée à l'échec.
2) La mise en œuvre de processus ou sophisme du changement programmatique 
  • Elle signifie la mise en place de nouvelles procédures, l’organisation de temps des ateliers de formation, le fait d’assurer une supervision et de modifier certaines procédures et pratiques. 
  • Les activités liées à une innovation ont lieu, des événements sont organisés et le vocabulaire lié à l’innovation est adopté.
  • Des moyens concrets sont alloués. Cependant, une grande partie de ce qui se passe n’est pas nécessairement liée fonctionnellement à la nouvelle pratique :
    • La formation peut consister en une orientation purement théorique. 
    • La supervision peut ne pas être liée à ce qui a été enseigné lors de la formation ou ne pas en tenir compte. 
    • Les termes utilisés dans le nouveau vocabulaire peuvent être dépourvus de leur signification d’origine et de tout impact opérationnel.
  • Les apparences de pratiques et de programmes fondés sur des données probantes, ainsi qu’un discours de pure forme, ne sont pas synonymes de mise en pratique. Elles ne se traduisent pas automatiquement en des innovations et des avantages pour les bénéficiaires que sont les élèves si nous prenons en compte un contexte scolaire.
  • Elle est souvent liée à un manque d'expertise liée à l'intervention.
3) La mise en œuvre performante ou effective :
  • Elle signifie mettre en place des procédures et des processus de telle sorte que les composantes fonctionnelles identifiées du changement soient utilisées avec un bon effet pour les bénéficiaires. 
  • Une planification précise est définie ainsi qu'un suivi de celle-ci.
  • Des objectifs de résultat et d'impact sont définis, suivis, évalués et ajustés.
  • Elle est souvent dépendante de l'accès à une expertise liée à l'intervention ciblée.

Globalement, la mise en œuvre effective est la seule à même d'aboutir à des résultats satisfaisants.




Mettre en œuvre des changements effectifs de pratique en école


La mise en œuvre sur papier et la mise en œuvre réelle


Mettre en œuvre une nouvelle procédure administrative à l’échelle d’une école est relativement simple. Il suffit d’en informer les personnes concernées, de leur présenter le changement et les attentes et de répondre à leurs questions. Par la suite, il est relativement aisé de vérifier la conformité avec la constitution de preuves administratives et d’assurer un suivi des manquements. 

Implanter en école une intervention qui demande aux enseignants de modifier leurs pratiques dans le cadre de leur enseignement et de leurs interactions avec les élèves est beaucoup moins simple. Cela implique souvent de modifier des habitudes ancrées. De plus, l’absence de conformité est beaucoup plus complexe à établir parce que les effets escomptés sont plus délicats à mettre en évidence. 

Dans ces situations, simplement communiquer les attentes sur un support papier, vidéo, par une conférence, ou une formation peut ne pas être suffisant pour générer la transformation attendue à l’échelle d’une école.


Un vadémécum comme étape nécessaire, mais non suffisante


Avoir un vadémécum de référence qui décrit précisément l’intervention, ses fondements et ses attendus concrets contextualisés dans le cadre de l’école est une condition nécessaire, mais non suffisante à son implantation. 

Le vadémécum peut représenter tout ce qu’une équipe d’enseignants connait des interventions efficaces qu’une équipe de direction souhaite leur voir appliquer ou adopter. En même temps, il peut ne pas être mis en application efficacement sur le terrain, ce qui fera que les effets escomptés pour l’école ne seront pas obtenus.

La diffusion de l’information auprès d’enseignants et le fait de leur demander de suivre des formations sont deux des méthodes les plus utilisées pour tenter de mettre en œuvre des politiques, des programmes et des pratiques.

Cependant, la communication écrite et orale de l’information (documentation de recherche, envois de documents par email, directives de pratique, explications en réunion de personnel) représente souvent une méthode de mise en œuvre inefficace. De même, avoir un temps ponctuel de formation dans la foulée (aussi bien faite soit-elle) reste également en soi une méthode de mise en œuvre inefficace. 


Privilégier une approche à multiples niveaux 


Une approche différente doit être adoptée pour mettre en œuvre efficacement les politiques, les programmes et les interventions touchant les pratiques des enseignants. 

Les efforts d’une mise en œuvre réussie nécessitent une approche à multiples niveaux, distribuée dans le temps. Des stratégies de mise en œuvre réfléchies et efficaces à plusieurs niveaux sont essentielles à toute tentative systématique d’utiliser les apports de l’éducation fondée sur des données probantes. Elles sont une condition pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage des élèves. 

La mise en œuvre doit être synonyme d’un changement coordonné au niveau du système, de l’organisation, du programme et de la pratique. 


Ne pas tomber dans la malédiction de la connaissance


Pour les enseignants directement impliqués en interne dans la mise en œuvre d’une intervention impliquant des changements de pratiques, tout a l’air plus simple, naturel et évident. Ils peuvent négliger les efforts que cela représente pour leurs collègues. Tout sera beaucoup moins clair pour leurs collègues qui ne sont pas au cœur du projet.

Trop souvent, nous nous attendons à ce que le changement se produise rapidement une fois la décision de mise en œuvre prise. C’est une manifestation de la malédiction de la connaissance. Des experts dans leur matière que sont les enseignants peuvent régulièrement sous-estimer les difficultés rencontrées par les novices que sont leurs élèves ou dans ces cas leurs collègues non sensibilisés.


Relever le défi du changement des habitudes


La mise en œuvre est un processus qui sous-entend un lent changement d’habitudes, l’arrêt de certaines et la création de nouvelles pour les enseignants et par voie de conséquence pour leurs élèves également. L’installation de nouvelles habitudes va devoir faire face à la résistance au changement. L’inertie naturelle fait qu’il est toujours aisé de retomber dans les anciennes routines. Des hésitations ou approximations dans les premiers essais liés à une nouvelle pratique peuvent y mener.

La mise en œuvre ne se fera pas d’un seul coup ou ne se déroulera pas toujours sans heurts, surtout au début. Un certain succès en temps voulu est essentiel pour maintenir l’intérêt pour l’initiative. Du renforcement, des rappels et des incitatifs peuvent être nécessaires. 

Les écoles qui travaillent régulièrement et en profondeur à travers les activités de préparation avant la mise en œuvre connaissent le plus grand succès. Toutes les opportunités de coaching pédagogique, de pratique délibérée, d’observations mutuelles et de rétroaction sont précieuses.

Il est important de comprendre la complexité du changement pour gérer la mise en œuvre et ne pas se décourager. Il est utile d’avoir une bonne compréhension des processus et de la complexité du changement pour pouvoir manœuvrer avec succès le pilotage d’une intervention systémique. Le soutien au comportement positif en est un exemple de ce type d’intervention dont la mise en œuvre en école demande d’agir à plusieurs niveaux.



L’enjeu de la mise en œuvre performante d’une intervention efficace en école


La mise en œuvre d’une intervention en école est une composante essentielle du transfert des apports de l’éducation fondée sur des données probantes. L’idée est d’aboutir à une mise en application fidèle de pratiques, stratégies ou modes de fonctionnement en école.

Elle est une condition à l’obtention des impacts attendus pour les élèves, les familles et le personnel enseignant. 

Dans le secteur éducatif, les pratiques de mise en œuvre fonctionnent dans une écologie complexe. Celle-ci associe les meilleures pratiques d’intervention, les choix politiques éducatifs, le financement, ainsi que les ressources, la culture et les besoins propres à l’établissement scolaire.

De bons résultats ne peuvent être obtenus que lorsque des pratiques, dont l’efficacité est établie dans des contextes similaires, sont mises en œuvre de manière efficace avec suffisamment de fidélité. 

Lorsque des pratiques d’intervention, efficaces ou non, sont mises en œuvre de manière inefficace, les résultats sont médiocres. De même, des programmes d’intervention médiocres peuvent être mis en œuvre efficacement, mais ils produiront tout de même de mauvais résultats pour les écoles. 

Dans un sens fondamental, la mise en œuvre sera généralement plus réussie lorsque : 
  • Les enseignants concernés reçoivent une formation coordonnée au contexte, de même qu’un accompagnement et une rétroaction sur les pratiques concernées. 
  • L’organisation scolaire fournit le cadre et les ressources nécessaires pour une formation pertinente, une supervision et un encadrement compétents, ainsi que des évaluations régulières des processus et des résultats.
  • Le personnel enseignant, de même que dans une certaine mesure les élèves et leurs familles sont impliqués dans la sélection et l’évaluation des programmes et des pratiques.
  • La politique éducative et le leadership de l’établissement créent un environnement favorable à la mise en œuvre et au fonctionnement des programmes concernés. 
Nous devons nous en préoccuper lors de la mise en œuvre d’interventions telles que celles liées au soutien au comportement positif, à l’évaluation formative ou à l’enseignement explicite. Nous devons tout autant mesurer et piloter sérieusement à la fois les résultats de l’intervention et ceux de la mise en œuvre.

Dans cette démarche, les problèmes d’efficacité des interventions peuvent être distingués des problèmes d’efficacité de la mise en œuvre.

La capacité de faire cette distinction peut conduire à des stratégies plus appropriées qui traitent plus efficacement les résultats inefficaces. Les stratégies visant à résoudre les problèmes de mise en œuvre sont différentes des stratégies visant à résoudre l’inefficacité de l’intervention elle-même.


Mis à jour le 23/07/2023

Bibliographie


Fixsen, D., Naoom, S.F., Blase, D.A., Friedman, R.M., Wallace, F. (2005). Implementation Research: A Synthesis of the Literature. University of South Florida, Louis de la Parte Florida Mental Health Institute, The National Implementation Research Network.

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