mardi 26 avril 2022

Développer des interventions pour réduire l’incertitude d’appartenance

D’une manière acceptée par beaucoup, l’épanouissement d’un individu correspond à sa réussite professionnelle, à son bien-être personnel et à son engagement citoyen. 

(Photographie : Eric Ruby)




Dans certaines situations, des difficultés sociopsychologiques peuvent empêcher les individus d’utiliser les ressources et de saisir les opportunités qui leur sont offertes. C’est un phénomène récurrent dans le cadre scolaire. Des élèves qui auraient tout en main pour rencontrer le succès font face à des difficultés et peuvent échouer ou ne pas rencontrer leur plein potentiel.

Quels facteurs pourraient mieux les soutenir de manière à atteindre leur plein potentiel ? 



Les risques liés à l’incertitude d’appartenance


Le phénomène se déroule pendant la transition vers un nouvel établissement scolaire, du primaire vers le secondaire, du secondaire vers l’enseignement supérieur, d’un niveau ou d’un établissement scolaire à un autre. Les étudiants ou les élèves peuvent être confrontés à des échecs sociaux répétés et à un sentiment d’isolement. S’intégrer dans un nouvel environnement n’est pas toujours aisé pour tous. 

Certains élèves et étudiants peuvent avoir le sentiment d’être en sous-représentation dans leur sous-groupe caractéristique. Ils peuvent se ressentir comme n’appartenant pas à la norme.

De plus, les stéréotypes ou des formes de discrimination ressenties liées à leurs caractéristiques peuvent façonner leurs expériences. Ce contexte peut susciter chez eux raisonnablement des inquiétudes quant à leur appartenance ou celle de leur groupe. C’est un phénomène connu sous le nom d’incertitude d’appartenance. 

Ces inquiétudes peuvent les amener à percevoir les défis quotidiens, de même que certaines formes subtiles d’exclusion sociale ou la réception de commentaires critiques sur leurs résultats scolaires, comme une confirmation de leur non-appartenance. 



Les effets de biais d’attribution


Des perceptions biaisées développées par certains profils d’élèves peuvent devenir autoréalisatrices. Par exemple, elle peut rendre les étudiants ou les élèves moins enclins à se joindre à des groupes sociaux, à demander de l’aide à des enseignants ou à développer des liens plus soutenus avec ceux-ci. Dès lors, ils peuvent se retrouver moins soutenus dans l’environnement scolaire, ce qui peut saper leur réussite.

Un élément préoccupant est que leur bien-être et leurs performances peuvent dépendre, dans une large mesure, du fait qu’ils considèrent ces expériences comme la preuve qu’ils ne sont pas à leur place. Outre les revers, il existe des situations ambiguës, qu’ils interpréteront en fonction de leurs expériences antérieures, parfois inutilement de manière négative. 

Par ces différents processus, les inquiétudes concernant l’appartenance, enracinées parfois dans des expériences antérieures liées à des difficultés, peuvent perpétuer l’inégalité sociale ressentie. 

Dans le but d’accroitre le sentiment d’appartenance scolaire des élèves, nous pouvons nous concentrer spécifiquement sur la modification de leurs attributions à ce sujet. 

Différentes recherches se sont centrées sur des étudiants pendant la difficile transition du secondaire vers l’enseignement supérieur. Elles apportent un éclairage intéressant sur la manière de lutter contre de tels biais d’attribution et contre l’incertitude d’appartenance.

Ce type de transition se retrouve également du primaire vers le secondaire. Il se retrouve également à des étapes intermédiaires de l’enseignement secondaire, lors du passage d’une forme d’enseignement ou d’une filière à un autre ou d’un établissement vers un autre.



Principes liés aux interventions sur l’appartenance scolaire


Une intervention courte, intensive et bien conçue peut avoir un impact important et à long terme sur le manque d’appartenance.

De telles interventions se concentrent sur l’obtention d’un changement de la perception que les individus ont de leur propre appartenance. Elles ont pour objet d’encourager des interprétations non menaçantes de l’adversité. 

Ces interventions visent à aider les étudiants à recadrer leurs convictions sur le fait d’être à leur place dans une communauté scolaire. Elles aident des élèves à compenser les conséquences de contretemps. 

Les étudiants ou les élèves peuvent interpréter à tort un échec à court terme comme le reflet d’un manque d’appartenance. Souvent, le fait de rencontrer un échec ponctuel peut être une occurrence commune dans leur situation. Il peut ne demander qu’une adaptation et ne devrait aucunement se prêter à des constats définitifs.

L’enjeu est de les aider à reconsidérer les échecs rencontrés et leurs conséquences réelles. De cette manière, ils ne sont plus considérés comme un motif d’exclusion, mais comme la mise en route d’un plan d’action à leur portée pour les résoudre.

Une caractéristique centrale et essentielle de ces interventions est qu’elles sont profondément contextualisées et s’adressent à des individus en manque d’appartenance.

La recherche sur l’intervention d’appartenance sociale s’inscrit dans une tradition en psychologie dans laquelle les expériences d’intervention sur le terrain servent à la fois des fonctions théoriques et appliquées :
  • Elles font progresser la théorie de base, de plusieurs manières :
    • Elles évaluent le rôle causal d’un processus psychologique spécifique dans un contexte écologiquement valide. 
    • Elles peuvent permettre de comprendre comment les processus psychologiques et structurels interagissent pour influencer la vie des gens. 
    • Elles peuvent mettre en lumière la contribution des processus psychologiques aux problèmes sociaux.
  • Elles offrent de précieuses perspectives appliquées en évaluant l’efficacité d’approches spécifiques des problèmes sociaux. 



L’intervention « dire, c’est croire »


Une étude remarquable


Walton et Cohen (2011) ont mené une étude auprès d’étudiants de première année dans une faculté scientifique universitaire sélective aux États-Unis.

Ils ont mis en œuvre une brève intervention visant à renforcer le sentiment d’appartenance sociale d’étudiants de première année lors du second semestre. L’expérience s’est déroulée dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé (N. = 92). Ses conséquences académiques et liées à la santé ont été rapportées sur un laps de trois ans. L’étude a comparé des étudiants afro-américains (N. = 49), un groupe stéréotypé et socialement marginalisé dans les universités et des étudiants européens-américains (N. = 43). 



L’intervention


L’intervention visait à réduire les perceptions psychologiques du manque d’appartenance en présentant l’adversité sociale comme une phase commune et transitoire. Elle offrait aux étudiants une lentille non menaçante avec laquelle ils pouvaient donner un sens aux adversités sociales et académiques communes dans la transition vers l’enseignement supérieur.

L’intervention a fourni aux étudiants un récit qui a encadré l’adversité sociale à l’école comme partagée et de courte durée. Ce message a encouragé les étudiants à attribuer l’adversité non pas à des déficits fixes uniques à eux-mêmes ou à leur groupe ethnique, mais à des aspects communs et transitoires du processus d’adaptation. 

Les participants ont lu un rapport sur les résultats supposés d’une enquête menée auprès des élèves les plus âgés de leur école. Le rapport indiquait que la plupart des étudiants s’étaient inquiétés de leur appartenance à l’université au cours de la difficile première année, mais qu’ils avaient pris confiance en elle avec le temps. Les résultats de l’enquête ont été jugés cohérents par les participants.

Pour encourager les participants à intérioriser le message, plusieurs étapes ont exploité l’effet « dire, c’est croire ». C’est la tendance à approuver des messages librement défendus. Les participants ont été invités à rédiger un essai décrivant comment leurs propres expériences à l’université faisaient écho aux expériences résumées dans l’enquête. Ils ont ensuite transformé leur essai en un discours qu’ils ont prononcé devant une caméra vidéo. Les participants ont été informés que ces documents seraient montrés aux futurs étudiants afin de faciliter leur transition vers l’université. En plus de faciliter l’internalisation, cette procédure a permis d’éviter la stigmatisation potentielle liée au fait de recevoir une intervention, car elle encourageait les participants à se considérer comme des bienfaiteurs et non comme des bénéficiaires.

Pour évaluer les réponses psychologiques à l’adversité, les chercheurs ont demandé aux participants de remplir des questionnaires quotidiens au cours de la première semaine après l’intervention sous forme d’un journal de suivi. 

Pour évaluer leur sentiment d’appartenance, de santé et de bien-être à long terme, les chercheurs leur ont demandé de répondre à une enquête de fin d’études universitaires trois ans plus tard.



Résultats


Conformément à la théorie, les mesures du journal de suivi au cours de la première semaine après l’intervention (au cours de la première année) ont montré l’efficacité de l’intervention. Elle réduisait le degré auquel les étudiants noirs souffraient d’une baisse de leur sentiment d’appartenance les jours de plus grande adversité.

Les étudiants noirs traités étaient plus engagés sur le campus au cours de la première semaine après l’intervention, par exemple en envoyant des courriels aux professeurs et en participant davantage. Des études ultérieures ont montré que l’intervention peut amener les étudiants issus de groupes socialement défavorisés à mieux s’intégrer au sein de groupes d’étudiants. Ils ont noué davantage d’amitiés sur le campus et ont été plus susceptibles de développer une relation de mentorat au cours de la première année d’université. 

Ils étaient moins susceptibles, semble-t-il, de globaliser les implications de l’adversité dans la conclusion « Je n’ai pas ma place ici ». Ce changement dans l’interprétation des expériences quotidiennes semble avoir eu des conséquences scolaires. Il a servi de médiateur statistique. 

Au terme des trois ans, l’intervention a permis d’augmenter la moyenne générale des Afro-Américains par rapport aux groupes de contrôle et de réduire de moitié l’écart de réussite des minorités. En outre, l’intervention a amélioré leur santé et leur bien-être et a réduit le nombre de visites chez le médecin trois ans après l’intervention.  

L’intervention a placé les Afro-Américains sur une trajectoire ascendante, de sorte que l’écart entre eux et leurs camarades de classe euroaméricains s’est réduit au fil du temps. 

Il est à noter que l’intervention n’a pas influencé les étudiants euroaméricains. Il est probable que cela soit dû au fait qu’ils avaient déjà le sentiment d’appartenir à l’université, et qu’ils n’ont donc pas pris les difficultés initiales comme preuve de leur non-appartenance.



L’utilité de mécanismes récursifs liés à l’intervention « dire, c’est croire »


La plupart des expériences d’une heure disparaissent rapidement de la mémoire. Ce qui est particulier est que les entretiens menés auprès des étudiants lors de la dernière année ont révélé qu’ils n’étaient pas conscients de l’impact de l’intervention. 

Peu d’étudiants de l’expérience originale (8 %) se souvenaient avec précision du message du traitement. De même, peu d’entre eux (14 %) lui attribuaient une partie de leur réussite à l’université. 

Paradoxalement, les gains ne dépendent pas de la saillance d’une idée. De même, l’intervention ne fournit pas non plus aux étudiants des ressources objectives ou le type de pratique nécessaire à l’acquisition de compétences. 

Il semble que l’intervention correspond à un modèle qui donne la priorité à la façon dont les gens donnent un sens à leur contexte social et y répondent. 

Dans cette perspective, un seul exercice ciblé peut avoir un impact durable. Il modifie la façon dont les gens donnent un sens à leurs expériences à un moment clé peut modifier les cycles récursifs qui se jouent entre un individu et son contexte social au fil du temps. Dans le cas de l’appartenance sociale, la prise de conscience du désavantage perpétue l’inégalité en semant des interprétations plausibles, mais péjoratives et autoréalisatrices des adversités quotidiennes. 

Pourtant, fournir aux élèves un récit pour comprendre les adversités qui les privent de leur signification menaçante pourrait soutenir l’engagement des élèves dans les contextes scolaires et sociaux de l’école. 

À son tour, cet engagement peut aider les élèves à établir des relations précieuses, à renforcer la confiance en leur appartenance et à fournir des avantages psychologiques, scolaires, sanitaires et relationnels en cascade. Ces ressources accumulées pourraient favoriser de meilleurs résultats dans la vie ultérieure.



Des bénéfices à long terme d’une intervention contre l’incertitude d’appartenance


Un suivi à long terme a été réalisé (Brady et col., 2020). Elle a évalué les résultats de ces mêmes participants à l’âge adulte. Les chercheurs ont examiné leur vie adulte à l’âge moyen de 27 ans, 7 à 11 ans après l’intervention originale.

Les participants ont fait état d’une satisfaction et d’une réussite professionnelles, d’un bien-être psychologique, d’un engagement non professionnel et d’un leadership significativement plus importants. 

Les gains ont été statistiquement médiatisés par un plus grand mentorat au collège. Les résultats suggèrent que le fait d’aborder les problèmes sociopsychologiques persistants par le biais d’une intervention psychologique peut influencer le cours de la vie, en partie en changeant les réalités sociales des gens. 

Comme précédemment, l’effet simple du traitement chez les participants blancs n’était significatif pour aucun des principaux résultats.

La présente étude montre le potentiel d’une brève intervention visant à répondre aux inquiétudes concernant le sentiment d’appartenance lors de la transition vers l’université. Elle a permis d’améliorer les principaux résultats de vie des Noirs américains 7 à 11 ans plus tard. 

Une contribution majeure de cette étude est de mettre en évidence un obstacle sociopsychologique à l’épanouissement des Noirs américains : l’incertitude de l’appartenance. En l’absence d’une intervention visant à remédier à l’incertitude liée à l’appartenance lors de la transition vers l’université, les résultats montrent l’ampleur de l’incertitude d’appartenance. Ils indiquent que les étudiants noirs ont fini par avoir des résultats plus mauvais à l’âge adulte que ce qu’eux-mêmes, et leur contexte postsecondaire avaient le potentiel de réaliser. Les opportunités de former des relations conséquentes et durables avec des mentors n’ont pas été saisies. Il s’en est suivi des taux plus faibles de réussite professionnelle et de bien-être personnel. 



L’utilité du renforcement de l’appartenance pour la réussite scolaire


Bien que cette étude se soit concentrée sur les étudiants universitaires, la dépendance mutuelle entre la psychologie individuelle et la structure sociale est applicable de manière générale. 

Ce type d’intervention est appropriée pour les environnements scolaires qui offrent des opportunités d’appartenance et de développement de relations positives pour tous les étudiants. 

Les résultats suggèrent que l’appartenance sociale est un levier psychologique où une intervention ciblée peut avoir de larges conséquences qui réduisent les inégalités de réussite et de santé, et peuvent apporter de larges bénéfices. 

Les interprétations subjectives des gens sur la qualité de leurs relations, plus que le nombre ou les attributs objectifs de ces relations jouent un rôle déterminant. Les résultats suggèrent que l’inégalité entre les groupes marginalisés et non marginalisés découle non seulement de facteurs structurels, mais aussi d’une inquiétude quant à l’appartenance sociale. 

L’intervention a déclenché un changement perceptif durable dans l’encodage de l’expérience sociale. Les effets à court terme peuvent se transformer en effets à long terme par le biais d’un cycle vertueux répétitif. Dans celui-ci, les premiers gains de performance assurent les élèves de leur appartenance à l’école, qui à son tour améliore leur performance, dans une boucle de rétroaction répétée.

Les étudiants qui se sentent plus assurés de leur appartenance peuvent également initier plus d’interactions sociales et former de meilleures relations sur le campus. Cela facilite leur intégration sociale et améliore encore leur bien-être, leur performance et leur santé.

Cette préoccupation peut être atténuée par l’utilisation d’un remède psychologique. En encourageant les élèves à adopter le message de l’intervention comme le leur, l’intervention a fait en sorte que ce message s’impose sur le plan psychologique. 

Les résultats soulignent l’importance de l’appartenance sociale et de la construction subjective dans la contribution à l’inégalité sociale. Ils montrent comment cette compréhension peut informer nos efforts collectifs pour promouvoir l’égalité dans la performance, la santé et le bien-être.


Mis à jour le 12/07/2023


Bibliographie


Walton GM, Cohen GL. A brief social-belonging intervention improves academic and health outcomes of minority students. Science. 2011 Mar 18;331(6023):1447-51. doi: 10.1126/science.1198364. PMID: 21415354.

Brady ST, Cohen GL, Jarvis SN, Walton GM. A brief social-belonging intervention in college improves adult outcomes for black Americans. Sci Adv. 2020 Apr 29;6(18):eaay3689. doi : 10.1126/sciadv.aay3689. PMID: 32426471; PMCID: PMC7190359.

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