mercredi 6 avril 2022

Concevoir l’évaluation comme une passerelle entre enseignement et apprentissage

 L'évaluation est toujours un sujet en tension pour l'enseignement et un sujet de controverse suivant la valeur que nous lui donnons. Les sciences cognitives ont montre qu'elle était en elle-même un instrument d'apprentissage, ce qui n'enlève rien au difficultés qu'elle peut représenter.  

(Photographie : Danny Otto)




La face cachée des évaluations formatives


Corriger individuellement les productions et les évaluations formatives des élèves prend un temps conséquent, de même que le fait de leur délivrer une rétroaction formative personnalisée qui fixe des objectifs.

De même, traquer les fautes d’orthographe, les erreurs grammaticales, le manque de structure de l’expression écrite peut se révéler jour après jour être une tâche colossale et sans fin.

Les parents sont satisfaits de voir les copies de leurs enfants corrigées, c’est une preuve que les élèves sont suivis. La hiérarchie et les collègues y voient des preuves de travail bien fait et de sérieux. Mais tout cela est la part émergée de l’iceberg, ce sont des apparences. 

En dessous de l’eau se cache la question du coût d’opportunité réel d’une telle notation, pour la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage des élèves.

Chaque heure qu’un enseignant consacre à la notation est une heure qu’il ne peut pas consacrer à des ressources renouvelables et à l’amélioration de supports actuels. En matière de conception pédagogique, l’impact de la correction est ce titre nul, car il ne contribue pas directement à une banque de données de ressources éducatives. 

Si la notation n’a pas de contribution au niveau de la conception, en a-t-elle au niveau de la pratique ? De plus, dans quelle mesure les élèves agissent-ils pleinement en fonction de ce retour d’information ? Dans quelle mesure se traduit-elle en une amélioration de leurs compétences et de leurs apprentissages ?

La notation d’une production individuelle n’est par définition utile qu’à un seul élève et sa valeur est périssable. Quel sens un élève peut-il donner à des commentaires de son enseignant un mois plus tard ? 

À l’opposé, la création d’un organisateur graphique ou de supports de remédiation autoévaluables et réutilisables est par contre utile à chaque élève et à chaque collègue, chaque année de manière répétée.

La notation individuelle des productions formatives si elle est faite sérieusement est une tâche dispendieuse pour l’enseignant, mais qui en général a, il faut l’avouer, assez peu d’impact en moyenne sur les élèves. 

Une fois ce constat posé, nous pouvons nous demander par quoi remplacer ces évaluations formatives corrigées et commentées individuellement par l’enseignant. Quelles approches sont-elles susceptibles d’avoir plus d’impact sur les élèves tout en surchargeant moins les enseignants ?



L’évaluation sommative distribuée


Une alternative à l’évaluation formative est de faire une évaluation sommative distribuée. Cela revient à donner une note chiffrée à toute production ou évaluation. Ensuite, nous les compilons dans un tableur et nous les pondérons, combinons, calculons des moyennes et mesurons une évolution. 

Le premier problème d’une telle démarche est que nous estimons des performances à des moments définis, à court terme, et non un apprentissage à moyen ou long terme. 

Le deuxième problème est que la démarche est également coûteuse en temps sans apprendre grand-chose aux élèves. Elle induit des comparaisons entre élèves qui sont contreproductives.

Le troisième problème est que recueillir plus de données chiffrées au fur et à mesure sur les performances des élèves ne signifie en rien qu’ils vont faire plus de progrès par la suite. Mettre l’accent sur les points n’est pas mettre l’accent sur l’apprentissage. 

Le quatrième problème est que les élèves sont évaluées sur des quantités réduites de matière chaque fois. Le corolaire est qu’un nombre non négligeable d’élèves va rencontrer une chute de performance importante quand ils seront évalués sur des matières plus conséquentes. Le constat se fera qu’ils gèrent bien des petites quantités de matières, mais ont du mal à gérer une grande quantité de matière, ce qui constitue une impasse pour évaluer leur maîtrise réelle. 



La péremption de l’évaluation


Ce dont nous devons être bien conscients est qu’une rétroaction formative ou une note sommative sont des mesures d’une performance à un moment donné. Elles n’ont plus aucun sens ou utilité concrète deux semaines plus tard.

En effet, entretemps l’élève concerné a à la fois continué à apprendre et à oublier, ce qui fait que la photographie prise à un moment donné perd toute pertinence. Si la correction de l’enseignant n’a pas de conséquences directes et concrètes sur l’enseignement en classe et les démarches d’apprentissage autonome des élèves, alors elle est vaine. Nous pourrons toujours reprocher à un élève de n’avoir pas réagi, mais à part le culpabiliser l’impact sera limité.

Lorsque nous évaluons les élèves à la fin d’une unité, nous testons ce que les élèves viennent tout juste d’apprendre. Nous pouvons le féliciter pour leurs bons résultats alors que tout était encore frais dans leur mémoire. Ces connaissances sont encore très sensibles à l’oubli. Le processus qui vise l’établissement d’un apprentissage en profondeur et durable est encore loin d’être terminé.



Un retournement de perspective


L’expert en apprentissage dans la matière considérée n’est ni l’élève, ni le parent, ni la direction, c’est l’enseignant. Les données recueillies au départ des productions d’élèves doivent avant tout servir à informer l’enseignant sur les prochaines actions à mener. 

Nous pouvons postuler que l’enseignant ne doit pas servir à générer des données à d’autres fins, que celle de la détermination des prochaines étapes du processus d’enseignement, tant qu’il est encore en cours. Par conséquent, l’enseignant ne doit collecter que les données qu’il va utiliser lui-même dans un objectif précis.

Il ne sert à rien de se noyer dans la récolte de données que nous n’utilisons pas :
  • Dans les prochaines activités en classe sous forme de commentaires oraux, de tâches supplémentaires et d’interactions formatives.
  • Dans la préparation de pistes d’apprentissage autonome pour les élèves, sous forme de nouvelles tâches dont nous assurerons un suivi.

Deux facteurs sont à considérer si nous voulons une bonne politique de l’évaluation :
  • La charge de travail des enseignants
  • Le coût d’opportunité des données récoltées et du retour d’information.
  • Le fonctionnement de la mémoire chez nos élèves, qui influe sur ce qui est réellement évalué et le risque de confusion entre performance et apprentissage.

Nous devons nous concentrer sur : 
  • Des pratiques qui vont améliorer notre enseignement en le pilotant mieux.
  • Une évaluation qui peut agir positivement sur l’apprentissage et le développement de compétences chez nos élèves.



Une passerelle entre enseignement et apprentissage


Nous devons voir l’évaluation, quand elle est sommative et encore plus quand elle est formative, comme une passerelle entre l’enseignement et l’apprentissage. 

Cette vision est d’autant plus cruciale que l’évaluation peut avoir un impact positif puisant sur l’apprentissage en tant que pratique de récupération. Elle permet de vérifier que l’apprentissage est là à un moment donné par une mesure de la performance tout en le renforçant. Elle permet également d’identifier ce sur quoi des efforts sont encore nécessaires.

Dans cette optique, mesurer la performance à différents moments dans le temps, dans une perspective diagnostique, permet de se faire une idée de la progression des apprentissages en cours.

Cette métaphore de l’évaluation comme d’une passerelle entre enseignement et apprentissage permet de réfléchir à une intégration intelligente des principes issus de la science de l’apprentissage. Ces derniers permettent de nous assurer que nous construisons bien des apprentissages durables et en profondeur chez nos élèves.

Joe Kirby (2017) propose trois pistes mises en œuvre à la Michaela Community School (https://michaela.education/). Elles ont comme avantages précieux : 
  • D’avoir un coût d’opportunité faible.
  • D’avoir un impact important sur l’apprentissage des élèves.
  • De pouvoir être mises en œuvre aisément
  • D’être indépendantes du numérique
  • D’être validées par la recherche. 

Ce sont : 
  • Les quiz récapitulatifs quotidiens
  • Les évaluations formatives
  • Les évaluations sommatives

Le premier élément de validité commun aux trois approches est l’effet de test qui possède un impact puissant la mémorisation et l’oubli. 

Le second élément de validité est que l’évaluation doit être cumulative et revenir sur le contenu du programme antérieur. 

L’évaluation, en veillant à ce que les élèves récupèrent ce qu’ils apprennent, de manière distribuée contribuer à développer un apprentissage profond et durable.

Une idée générale est que les ressources d’évaluation doivent être renouvelables, reproductibles, durables, évolutives, pérennes et à long terme.

 

Quiz récapitulatifs quotidiens


Chaque cours commence par un quiz récapitulatif. Ils sont simples à utiliser. Ils consolident l’apprentissage des élèves pour qu’ils n’oublient pas. Chaque jour, les élèves passent jusqu’à près de 20 minutes dans chaque cours à appliquer ce qu’ils ont appris auparavant. 

Les quiz récapitulatifs portent sur l’unité de matière en cours, de même que sur les unités précédentes et des unités de l’année précédente. Cette habitude quotidienne permet de développer un apprentissage en profondeur et une motivation très forte. Les élèves se sentent motivés parce qu’ils voient combien ils se souviennent et combien ils apprennent plus que précédemment.

Tous les quiz récapitulatifs quotidiens proposent des questions ouvertes. Les récapitulatifs sont toujours écrits. Ils sont sans enjeu. Aucune donnée ne soit collectée. Ils donnent un retour d’information instantané, car ils sont rapidement notés, corrigés et améliorés par les élèves eux-mêmes. 

L’enseignant récupère un retour d’information en demandant aux élèves après le quiz de lever la main pour savoir qui a réussi telle ou telle question ou le tout. Les élèves qui obtiennent 100 % ont le sentiment de réussir et sont motivés à continuer à fournir des efforts pour réviser.



Les évaluations formatives


Lorsque le cours représente une volute horaire suffisant, les évaluations formatives ont lieu chaque semaine de l’année scolaire dans chaque matière. Ils stimulent et testent la compréhension des élèves. Ce sont des tests de maîtrise, où la plupart des élèves devraient être capables d’obtenir un bon résultat.

Les enseignants récupèrent les copies. Au lieu de passer un temps conséquent à noter et à corriger chaque question, les enseignants les classent simplement en piles. Ils décident rapidement si l’évaluation formative de chaque élève est excellente, satisfaisante, ou ratée. 

Cette démarche permet de gagner un temps conséquent sur la notation en utilisant un jugement comparatif et en classant les élèves simplement de A (excellent) à B (bon), puis à C (insuffisant) pour chacune de ces évaluations. Cela permet de reconnaître l’excellence de l’effort et d’identifier le manque d’effort préoccupant tout en évitant les charges de travail élevées liées à la notation et l’épuisement des enseignants.

Chaque jugement de l’enseignant consiste en un simple balayage de la copie de l’élève et en une décision quant à la pile dans laquelle elle doit se trouver. La précision n’est pas parfaite, mais elle n’a pas besoin de l’être. Il y a des rendements décroissants à perfectionner la précision.

Cette démarche permet d’identifier les élèves qui ont des difficultés et d’un suivi tout en diagnostiquant leurs besoins. Les enseignants déterminent qui a besoin de quelle aide directement et y consacrent le temps non utilisé par la correction des copies. 

Ces évaluations formatives sont cumulatives. Elles sont utiles pour consolider les connaissances acquises et protéger les élèves de l’oubli. 



Les évaluations sommatives


Les évaluations sommatives ont également une nature cumulative dans la mesure où elles reposent et évaluent également les prérequis des matières concernées. Elles interviennent à certains moments de l’année et permettent d’arrêter une mesure de l’apprentissage.

Ils sont la clé de voûte d’un dispositif et un objectif en ligne de mire qui permet aux élèves de réviser et de se souvenir de ce qu’ils ont appris. Dans l’ensemble, ils ont eux-mêmes trois issues : excellent, réussi et échoué. Encore une fois, l’important dans le retour sur l’évaluation sommative n’est pas une correction détaillée. 

Au cours de l’année, c’est le classement d’échec à plusieurs évaluations sommatives de différentes matières qui tire la sonnette d’alarme de difficultés plus profondes. 

Dans l’ensemble, l’important est de maximiser le temps que prend l’enseignant à enseigner, à faire apprendre ses élèves, à utiliser son expertise pour mieux guider et à développer des ressources pédagogiques réutilisables. 

Parallèlement, l’intention est de diminuer le temps à impact limité qu’il passe à corriger dans le détail des copies. Dans cette vision de l’éducation, le principe de l’évaluation est de pouvoir soutenir les élèves dans leurs apprentissages et les renforcer.



Bibliographie



Joe Kirby, Three Assessment Butterflies, 2017 https://pragmaticreform.wordpress.com/2017/07/01/three-assessment-butterflies/

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